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Date : 19980703


Dossier : T-2728-95

OTTAWA (ONTARIO), le vendredi 3 juillet 1998

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE McGILLIS

ENTRE :

     GIESECKE & DEVRIENT SECURITY CARD

     SYSTEMS INC.,

     demanderesse,

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     défenderesse.

     JUGEMENT

     La désignation de la demanderesse, " Security Card Systems Inc. ", dans l'intitulé de la cause est remplacé par " Giesecke & Devrient Security Card Systems Inc. ".

     L'appel est accueilli en partie. S.C.S. a versé par erreur la taxe de vente fédérale sur les services de gaufrage et d'encodage de cartes de plastique qu'elle a fabriquées. Toutefois, elle était redevable de la taxe de vente fédérale sur les services de gaufrage et d'encodage de cartes de plastique qui lui ont été fournies par un fabricant non titulaire de licence en vertu d'un contrat visant la main-d'oeuvre, et elle n'a pas payé cette taxe par erreur.

     Vu le succès partiel de l'appel, il n'y aura pas d'ordonnance d'adjudication des dépens.

                                 _________________________
                                         Juge

Traduction certifiée conforme

C. Bélanger, LL.L.




Date : 19980703


Dossier : T-2728-95

ENTRE :

     GIESECKE & DEVRIENT SECURITY CARD

     SYSTEMS, INC.,

     demanderesse,

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE,     

     défenderesse.

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE McGILLIS

INTRODUCTION


[1]      Dans le cadre du présent appel par voie de procès de novo à l'égard d'une décision du Tribunal canadien du commerce extérieur, la demanderesse, Giesecke & Devrient Security Card Systems Inc. (S.C.S.), allègue avoir versé par erreur en 1990 la taxe de vente fédérale sur ses services de gaufrage et d'encodage.


LES FAITS

[2]      S.C.S. est un fabricant titulaire de licence en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15, modifiée, qui fabrique ou produit des cartes de plastique pour divers clients, dont des institutions financières, des sociétés de téléphone, de gaz et de transport, ainsi que des ministères gouvernementaux. Elle offre aussi des services de gaufrage et d'encodage de cartes de plastique fabriquées par elle ou par ses concurrents. Les activités de S.C.S. se répartissent en deux secteurs distincts : d'une part, la fabrication proprement dite des cartes de plastique et, d'autre part, la prestation de services de gaufrage et d'encodage. S.C.S. possède une usine à Markham (Ontario) où elle fabrique, gaufre et encode des cartes, ainsi qu'une usine à Vancouver où elle ne fournit que des services de gaufrage et d'encodage.

[3]      Le procédé de fabrication des cartes de plastique commence par une commande passée par un client qui fournit des négatifs de film sur lesquels figure le dessin exclusif du modèle de sa carte. Dans le cas d'un client acquis, S.C.S. n'a qu'à se servir du dessin qu'elle a dans le dossier de ce dernier. Ce dessin comprend habituellement le nom de l'institution, son logo, le modèle de la carte ainsi que tous les autres renseignements à imprimer sur celle-ci au cours du procédé de fabrication. Le client est propriétaire du dessin et des négatifs de film; S.C.S. n'a aucun droit propriétal à leur égard. Si son client le lui demande, S.C.S. envoie les négatifs de film à un concurrent en vue de la fabrication. Le client précise aussi la dimension et l'épaisseur des cartes.

[4]      À partir des négatifs de film, S.C.S. prépare une représentation graphique en couleur de la carte. Après avoir reçu l'accord de son client, S.C.S. crée, à partir des négatifs de film, un cliché d'imprimerie que le client paie et dont il devient propriétaire. Le cliché est fixé sur la presse à imprimer et il sert à imprimer les cartes sur des feuilles de plastique vierges. Après l'impression, S.C.S. appose des pistes magnétiques au verso des feuilles et les plastifie puis les coupe en cartes individuelles, qui font l'objet d'un contrôle de qualité. Selon les exigences du client, un hologramme et une plage de signature peuvent être apposés à cette étape du procédé, et les cartes sont à nouveau soumises à un contrôle de qualité. Les cartes sont comptées et rangées avec le matériel du client dans une chambre forte située dans les locaux de S.C.S. Cette dernière considère qu'il s'agit là de l'aboutissement du procédé de fabrication. S.C.S. contrôle quotidiennement les cartes qui se trouvent dans sa chambre forte et elle permet à ses clients de procéder à une vérification en tout temps. Les cartes peuvent être conservées par S.C.S. dans sa chambre forte en vue d'être gaufrées et encodées, ou elles peuvent être expédiées, suivant les instructions du client, à un concurrent ou au client lui-même en vue d'être gaufrées ou encodées. Une carte de plastique ne peut être utilisée avant d'avoir été " personnalisée " au cours du procédé de gaufrage et d'encodage.

[5]      Quelques jours après avoir rangé les cartes dans la chambre forte, S.C.S. envoie une facture à son client, que les cartes soient conservées dans la chambre forte en vue d'être gaufrées et encodées ou expédiées à cette fin à un concurrent ou au client lui-même. S.C.S. verse la taxe de vente fédérale sur les cartes facturées à ses clients. Selon S.C.S., la propriété des cartes est transférée au moment de l'envoi de la facture. D'après son expérience, S.C.S. croit aussi que les clients considèrent que c'est à cette étape que se produit le transfert de propriété des cartes. Habituellement, les clients paient le montant qui leur est facturé dans un délai de trente jours. Toutefois, il arrive que S.C.S. livre les cartes à un concurrent ou au client en vue de leur gaufrage et de leur encodage avant ou après l'expiration du délai normal de paiement, même si le client n'a pas encore acquitté sa facture.

[6]      Une fois que S.C.S. a envoyé sa facture, le client peut enlever les cartes de la chambre forte. S'il ne paie pas la facture, S.C.S. prend les mesures nécessaires pour recouvrer sa créance. Toutefois, S.C.S. ne peut vendre les cartes à personne d'autre. Pour cette raison, S.C.S. considère que les cartes " appartiennent " au client.

[7]      De l'avis de S.C.S., les services de gaufrage et d'encodage constituent un procédé distinct au cours duquel les cartes de plastique préparées pour un client sont personnalisées en vue de leur utilisation finale. Dans l'usine de S.C.S. à Markham (Ontario), les services de gaufrage et d'encodage sont exécutés par différents employés dans une zone complètement séparée de la zone de fabrication. Ainsi qu'il a déjà été indiqué, l'usine de Vancouver n'offre que des services de gaufrage et d'encodage.

[8]      Pour permettre à S.C.S. d'entreprendre le procédé de gaufrage, le client lui fournit des rubans informatiques renfermant les renseignements personnalisés à gaufrer et à encoder sur chaque carte, tels que le nom, l'adresse, le numéro de compte et la date d'expiration, ainsi que les renseignements nécessaires à la livraison de la carte. Le client fournit aussi à S.C.S. des cartons de présentation auxquels les cartes sont fixées, des enveloppes ainsi que tout document publicitaire à insérer dans les enveloppes. Le client est propriétaire des rubans informatiques et des renseignements; S.C.S. ne peut vendre ces renseignements ni s'en servir à une fin autre que le gaufrage et l'encodage des cartes. Le client est aussi propriétaire des cartons de présentation, des enveloppes et des documents publicitaires qu'il fournit à S.C.S.

[9]      Après avoir reçu les rubans informatiques de son client, S.C.S. prépare un fichier qui sera utilisé avec les gaufreuses, et elle imprime les renseignements concernant le nom et l'adresse sur les cartons de présentation et les enveloppes. Les gaufreuses de S.C.S. dactylographient sur les cartes les renseignements concernant les titulaires de carte et encodent la piste magnétique en même temps. Les cartes sont fixées aux cartons de présentation, qui sont insérés dans les enveloppes avec tout document publicitaire. Les enveloppes sont livrées à la Société canadienne des postes en vue de leur expédition. À la fin de chaque mois, S.C.S. facture à son client les services de gaufrage et d'encodage qu'elle lui fournis.

[10]      Pendant toute la période en cause, S.C.S. a versé la taxe de vente fédérale sur les services de gaufrage et d'encodage exécutés pour ses clients.

[11]      En 1990, l'année en cause, le chiffre d'affaires de S.C.S. s'établissait comme suit : 5 % pour les cartes de plastique fabriquées par elle et envoyées à des concurrents ou des clients en vue d'être gaufrées et encodées; 10 % pour la prestation de services de gaufrage et d'encodage de cartes de plastique non fabriquées par elle; et 85 % pour la fabrication de cartes de plastique et la prestation de services de gaufrage et d'encodage de ces cartes. Pour obtenir des contrats de gaufrage et d'encodage, S.C.S. doit être concurrentielle en ce qui a trait au prix, à la qualité et au service.

[12]      S.C.S. a établi trois types différents de relations contractuelles avec ses clients : des contrats écrits, des bons de commande et des confirmations de commande. S.C.S. signe des contrats écrits avec ses clients pour 40 % environ de ses activités, tandis que les bons et les confirmations de commande comptent respectivement pour 20 % et 40 %. Le contrat écrit entre S.C.S. et son client prévoit normalement la fabrication des cartes de plastique et la prestation des services de gaufrage et d'encodage. Toutefois, un bon de commande distinct est presque toujours préparé pour chacun des deux procédés différents. S.C.S. se sert de confirmations de commande pour confirmer les instructions verbales reçues de la part de ses clients, mais elle prépare toujours des confirmations de commande distinctes pour ses services de fabrication et ses services de gaufrage et d'encodage.

[13]      Le contrats écrits conclus entre S.C.S. et ses clients sont négociés séparément, et leurs conditions varient considérablement. Les quatre contrats déposés en preuve illustrent la grande diversité des dispositions contractuelles. Par exemple, deux d'entre eux prévoient que S.C.S. est un entrepreneur indépendant et non un préposé ou un mandataire de son client, tandis que les autres contrats ne mentionne rien à ce sujet. Deux des contrats stipulent que le client est le propriétaire de la carte fabriquée, un contrat renferme des dispositions tout à fait contradictoires concernant le titre de propriété des cartes et un autre contrat n'aborde pas cette question. Trois des contrats indiquent que des factures distinctes seront envoyées après la fabrication puis après l'encodage et le gaufrage ou au moment de l'envoi des cartes par la poste, et un contrat précise que la facture sera envoyée lorsque les cartes finies auront été livrées à la Société canadienne des postes. Aucun des contrats n'indique que le client devient propriétaire des cartes de plastique lorsque la facture est envoyée après le procédé de fabrication et avant le procédé de gaufrage et d'encodage. Trois des contrats exigent que S.C.S. souscrive une assurance sur les cartes, et un contrat exige que S.C.S. indemnise le client de toute perte ou de tout dommage causé aux cartes qui sont en sa possession.

[14]      Dans les cas où S.C.S. fabrique et gaufre les cartes, elle facture le client séparément après l'étape de fabrication et la prestation des services de gaufrage et d'encodage, indépendamment de la nature de l'entente contractuelle avec son client ou des conditions du contrat en cause.

[15]      Les clients de S.C.S. n'exercent aucun contrôle financier ou de gestion ni aucune autre forme de supervision sur ses activités. De la même façon, ses clients ne lui fournissent aucune expertise technique. Toutefois, les clients sont autorisés à vérifier les cartes et à procéder en tout temps à des contrôles de qualité.

[16]      Au début de 1992, S.C.S. a retenu les services de Ninecan Management Inc. (Ninecan) pour la conseiller sur son obligation à l'égard du paiement des taxes de vente et des taxes à la consommation. Après un examen des registres de S.C.S. et d'autres documents, Ninecan a avisé S.C.S. qu'elle n'était pas redevable du paiement de la taxe de vente fédérale sur les services de gaufrage et d'encodage parce que ses clients étaient des fabricants titulaires de licence et que le gaufrage était un service professionnel exonéré de la taxe. À cet égard, Ninecan a établi que 24 des 31 clients de S.C.S. étaient des fabricants titulaires de licence en vertu de la Loi sur la taxe d'accise. Elle a en outre déterminé qu'en 1990 S.C.S. avait versé un montant de 329 165 $ de taxes de vente fédérales sur son chiffre d'affaires total de 2 438 263 $.

[17]      Le 20 février 1992, S.C.S. a soumis à Revenu Canada (Douanes et Accise) (Revenu Canada) une demande de remboursement d'un montant de 329 165 $ de taxes de vente fédérales, alléguant qu'elle avait versé ces taxes par erreur.

[18]      Par avis de détermination daté du 19 juin 1992, Revenu Canada a refusé la demande de remboursement au motif que S.C.S. n'avait pas versé la taxe par erreur. Dans un avis d'opposition daté du 4 septembre 1992, S.C.S. a contesté cette détermination. Le ministre du Revenu National a rejeté cette opposition dans un avis de décision daté du 3 février 1993, dont voici un extrait :

         [TRADUCTION] Votre opposition est rejetée et la détermination confirmée.                 
         Essentiellement, vous prétendez que le procédé de gaufrage des cartes de plastique, suivant les instructions et les spécifications de vos clients, ne constitue pas de la fabrication.                 
         L'article 45.1 de la Loi [Loi sur la taxe d'accise] dispose :                 
             " Pour l'application de la présente partie, quiconque fabrique ou produit, dans le cadre d'un contrat visant la main-d'oeuvre, des marchandises à partir d'un article ou d'une matière fournis par une personne autre qu'un fabricant titulaire de licence, pour livraison à cette autre personne, est réputé avoir vendu les marchandises à la date à laquelle elles sont livrées, à un prix de vente égal au montant exigé dans le cadre du contrat pour les marchandises. "                 
             La preuve indique que vous êtes partie à un contrat visant la main-d'oeuvre. Par conséquent, vous êtes réputé avoir vendu les marchandises en cause conformément à l'article 45.1. Vous avez donc payé le montant exact de taxe de vente requis aux termes de l'article 50 de la Loi et, par conséquent, vous n'avez pas payé par erreur une somme d'argent, erreur qui vous donnerait droit à un remboursement en vertu de l'article 68 de la Loi.                 
             Dans les circonstances, rien ne justifie la modification ni l'annulation de la détermination.                 

[19]      Le 12 août 1994, S.C.S. a interjeté appel de cet avis de détermination devant le Tribunal canadien du commerce extérieur (Tribunal) en vertu de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise. Dans une décision datée du 28 août 1995, le Tribunal a accueilli l'appel uniquement à l'égard des transactions concernant le gaufrage et l'encodage par S.C.S. de cartes de plastique fabriquées par un autre fabricant titulaire de licence. À tous autres égards, il a rejeté l'appel. Dans sa décision, le Tribunal a conclu que la fabrication des cartes, d'une part, et le gaufrage et l'encodage, d'autre part, ne constituaient pas deux opérations distinctes pour les fins de la détermination de l'obligation fiscale, mais qu'il s'agissait plutôt d'un seul procédé continu qui aboutissait à la création de cartes de crédit ou d'autres types de cartes. Le Tribunal a fondé sa décision en partie sur sa conclusion que la propriété des cartes n'était pas transférée au client après le procédé de fabrication. À cet égard, le Tribunal s'est appuyé sur trois contrats écrits déposés avec les observations consécutives à l'audience, lesquelles renfermaient tous des clauses qui donnaient à croire, de l'avis du Tribunal, que le titre de propriété des cartes n'était pas transféré au client à la fin de l'étape de fabrication. Le Tribunal a conclu qu'il était artificiel et qu'il ne convenait pas de considérer que le procédé était constitué de deux opérations séparées et distinctes, les activités de gaufrage et d'encodage constituant un contrat visant la main-d'oeuvre régi par l'article 45.1 de la Loi sur la taxe d'accise. Il a conclu aussi que la facturation des cartes après l'étape de fabrication était qualifiée à juste titre de forme de paiement proportionnel, plutôt que de contrepartie de la vente des cartes. En conséquence, le procédé en entier était imposable en vertu du paragraphe 50(1) de la Loi sur la taxe d'accise au moment de la prestation, par S.C.S., des services de fabrication et des services de gaufrage et d'encodage. Le Tribunal a ajouté que les clients de S.C.S. n'étaient pas des " fabricants ou producteurs " au sens de l'alinéa 2(1)b ) de la Loi sur la taxe d'accise et que S.C.S. était le fabricant. En outre, le Tribunal n'était pas convaincu qu'au cours du procédé de gaufrage, les clients de S.C.S. exerçaient une des activités décrites à l'alinéa 2(1)f) de la Loi sur la taxe d'accise. Ainsi, lorsque S.C.S. a conclu des contrats de services de gaufrage et d'encodage avec des personnes autres que des fabricants titulaires de licence, elle était redevable du paiement de la taxe de vente fédérale sur le montant facturé aux termes de ces contrats. Elle n'a droit à un remboursement que dans les cas où un contrat de services de gaufrage et d'encodage a été conclu avec un fabricant titulaire de licence.

[20]      Le 22 décembre 1995, S.C.S. a introduit le présent appel en déposant une déclaration auprès de la Cour en vertu de l'article 81.24 de la Loi sur la taxe d'accise.

[21]      À l'instruction, S.C.S. a allégué avoir versé par erreur la taxe de vente fédérale sur les services de gaufrage et d'encodage de cartes fabriquées par elle pour un client. Ainsi qu'il a déjà été indiqué, 85 % du chiffre d'affaires de S.C.S. pour la période de remboursement de 1990 visait des cartes qu'elle avait fabriquées, gaufrées et encodées. S.C.S. allègue en outre avoir versé par erreur la taxe de vente fédérale sur les services de gaufrage et d'encodage de cartes de plastique qui lui ont été fournies à cette seule fin par un fabricant non titulaire de licence aux termes d'un contrat visant la main-d'oeuvre.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[22]      Pour déterminer si S.C.S. a versé par erreur la taxe de vente fédérale sur les cartes de plastique qu'elle a fabriquées, gaufrées et encodées, il faut examiner les questions suivantes :

         i)      les services de gaufrage et d'encodage fournis par S.C.S. à l'égard des cartes qu'elle a fabriquées faisaient-ils partie de la " fabrication " des cartes pour les fins de l'imposition de la taxe de vente fédérale en vertu du paragraphe 50(1) de la Loi sur la taxe d'accise ?                 
         ii)      les clients de S.C.S. étaient-ils des " fabricants ou producteurs " des cartes, au sens de l'alinéa 2(1)b ) de la Loi sur la taxe d'accise?                 
         iii)      subsidiairement, S.C.S. était-elle néanmoins redevable du paiement de la taxe de vente fédérale à titre de " fabricant marginal " au sens de l'alinéa 2(1)f ) de la Loi sur la taxe d'accise?                 

[23]      Pour ce qui est des cartes de plastique fournies à S.C.S. par un fabricant non titulaire de licence aux termes d'un contrat visant la main-d'oeuvre en vue du gaufrage et de l'encodage des cartes, il faut examiner les questions suivantes pour établir l'obligation fiscale de S.C.S. à l'égard de la taxe de vente fédérale :

         i)      S.C.S. a-t-elle fourni ses services de gaufrage et d'encodage aux termes d'un contrat visant la main-d'oeuvre au sens de l'article 45.1 de la Loi sur la taxe d'accise à l'égard de cartes qui lui ont été remises par ses clients qui sont des fabricants non titulaires de licence?                 
         ii)      dans l'affirmative, les clients fabricants non titulaires de licence sont-ils des " fabricants ou producteurs " au sens de l'alinéa 2(1)b ) de la Loi sur la taxe d'accise?                 

ANALYSE

I.      Obligation à l'égard de la taxe de vente fédérale pour les cartes fabriquées, gaufrées et encodées par S.C.S.
     i) les services de gaufrage et d'encodage fournis par S.C.S. à l'égard des cartes qu'elle a fabriquées font-ils partie de la " fabrication " de ces cartes?

[24]      En vertu du paragraphe 50(1) de la Loi sur la taxe d'accise, il incombe au " fabricant ou producteur " de verser la taxe de vente fédérale. La question de l'obligation de S.C.S. de payer la taxe de vente fédérale sur les services de gaufrage et d'encodage des cartes qu'elle a fabriquées exige donc, dès le départ, une réponse à la question de savoir si ces services font partie de la fabrication ou de la production de ces cartes de plastique.

[25]      Le mot " fabrication " a été défini comme suit dans l'arrêt La Reine c. York Marble, Tile & Terrazzo Ltd. , [1968] R.C.S. 140, à la page 145 :

         Aux fins de l'espèce, je veux signaler et adopter une des définitions citées par le distingué juge, c.-à-d. que " fabriquer c'est produire, à partir de matériaux bruts ou préparés, des articles destinés à être utilisés, en leur donnant, soit à la main, soit à la machine, de nouvelles formes, qualités et propriétés ou combinaisons "1.                 

[26]      De nombreuses décisions ont appliqué la définition de " fabrication " tirée de l'arrêt La Reine c. York Marble, Tile & Terrazzo Ltd. , précité. Pour les besoins de l'espèce, il est nécessaire de se reporter à certains des principes prépondérants établis par cette jurisprudence.

[27]      Dans Coca-Cola Ltd. c. Canada (Sous-ministre du Revenu national) et al., [1984] 1 C.F. 447 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a appliqué la définition de " fabrication " tirée de l'arrêt La Reine c. York Marble, Tile & Terrazzo Ltd. , précité, pour déterminer si les caisses et les paniers servant à enlever les bouteilles de boisson gazeuse de l'équipement de production faisaient partie du procédé de fabrication. Le juge en chef Thurlow a conclu que la partie du procédé qui concernait l'utilisation des caisses et des paniers était visée par la définition de " fabrication ", même si le produit de boisson gazeuse avait déjà été fabriqué. À cet égard, au nom de la Cour, le juge en chef Thurlow a dit ce qui suit, aux pages 457 et 458 :

         Dans une telle opération, les moyens d'enlever le produit de la chaîne de production sont aussi essentiels que les autres parties des machines ou appareils employés directement dans la fabrication ou la production du produit et sont, comme les autres parties, employés directement dans ce processus. En l'espèce, les caisses et les paniers en cause entrent dans la définition d'" appareils " et sont utilisés dans le processus de production à un moment où les opérations de distribution et d'entreposage n'ont pas encore débuté. Le fait que les caisses et les paniers soient employés par la suite durant les étapes d'entreposage et de distribution n'est pas pertinent en l'espèce.                 
         De plus, les caisses et les paniers servent aussi, dans le processus de " fabrication et de production ", à mettre les bouteilles sur le convoyeur, à les tenir durant leur cheminement jusqu'à l'endroit où elles sont retirées du convoyeur et à les maintenir en place lorsque l'appareil les enlève. Ici encore, les caisses et les paniers jouent un rôle essentiel dans la fabrication et la production du produit et sont directement employés au cours de ce processus. Le procédé exige le transport de bouteilles vides jusqu'aux appareils de lavage et, dans la description qui en est donnée, la méthode ne pourrait pas être utilisée si les bouteilles étaient placées une à une ou en vrac sur les rouleaux du convoyeur.                 

[28]      En résumé, le juge en chef Thurlow a statué que l'achèvement de la fabrication du produit embouteillé n'empêchait pas que des activités subséquentes du procédé soient qualifiées de " fabrication ou production ".

[29]      Dans Canada (Ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise c. Skega Canada Ltd. (1986), 72 N.R. 280 (C.A.F.), le juge Heald, aux motifs duquel le juge Stone a souscrit, a souligné que la définition de " fabrication " tirée de l'arrêt La Reine c. York Marble, Tile & Terrazzo Ltd. , précité, exigeait la création d'articles pour un usage quelconque. À cet égard, il a dit ce qui suit à la page 285 :

         Dans la définition de l'affaire York Marble, il est fait mention de " [...] la production d'articles pour un usage quelconque à partir de matières brutes ou préparées [...] " (c'est moi qui souligne). Il semble donc clair que la mention des matières préparées signifie que les matières servant à la production d'un produit final et utile peuvent être des matières brutes ou des matières intermédiaires comme les marchandises en cause qui, suivant la déposition de M. Persson, n'avaient aucune utilité finale en soi.                 

    

[30]      Enfin, d'autres affaires ont souligné le critère voulant que la " fabrication " résulte de la création d'un article possédant de " ...nouvelles formes, qualités et propriétés ou combinaisons ". À cet égard, dans Enseignes Imperial Signs Ltée c. Canada (M.R.N.) (1990), 116 N.R. 235 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale s'est demandée si la remise en état d'enseignes usagées en vue de les vendre constituait de la " fabrication ou production ". Au nom de la Cour, le juge Pratte a cité la définition de " fabrication " tirée de l'arrêt La Reine c. York Marble, Tile & Terrazzo Ltd. , précité, et a conclu que cette activité constituait de la " fabrication ou production " en ce qu'elle consistait à transformer les enseignes en quelque chose de nouveau ou susceptible de remplir une fonction différente. À cet égard, le juge Pratte a dit ce qui suit à la page 239 :

         [7] Le juge Spence conclut que, en l'espèce, il y avait fabrication parce qu'on avait donné aux dalles de marbre importées d'Italie une nouvelle forme, une nouvelle qualité et de nouvelles propriétés. Puis le juge ajouta que, même si cette première conclusion était erronée, il faudrait dire que les carreaux de marbre dont il s'agissait avaient été produits au Canada. En effet, suivant le juge Spence, les verbes " produire " et " fabriquer ", tels que les utilise la Loi sur la taxe d'accise , ne sont pas synonymes de sorte qu'une chose qui n'a pas été fabriquée au Canada peut néanmoins y avoir été produite. À ce sujet, le juge cita en l'approuvant une décision de la Haute Cour d'Ontario à l'effet que celui qui importe séparément des boîtiers et des mouvements de montres produit des montres au Canada, même s'il ne les manufacture pas, lorsqu'il place les mouvements dans les boîtiers.                 
                         
         [8] Cette dernière décision montre que l'on peut produire une chose en accomplissant une opération très simple. Ce n'est pas la complexité de l'opération qui importe, mais son résultat. Il y a production si ce que fait une personne a pour résultat de produire une chose nouvelle. Et une chose est nouvelle lorsqu'elle peut remplir une fonction que ne pouvaient remplir les choses qui existaient auparavant.                 
         [9] En l'espèce, je n'ai aucune difficulté à conclure que l'intimée, contrairement à ce qu'a jugé le premier juge, a produit les enseignes usagées qu'elle a vendues. Ces enseignes, l'intimée ne les a pas seulement remises à neuf, mais elle les a transformées pour qu'elles transmettent un nouveau message publicitaire. Transformer l'enseigne d'un restaurant en une enseigne annonçant une épicerie ou une pharmacie, c'est, à mon avis, produire une enseigne nouvelle.                 
         [10] L'avocat de l'intimée a soutenu que sa cliente avait, en recyclant les enseignes usagées, joué un rôle semblable à celui du garagiste qui revend des automobiles usagées après les avoir réparées et repeintes. Cela est inexact. La voiture que le garagiste a réparée et repeinte a exactement le même rôle qu'auparavant, c'est la même voiture; les enseignes usagées de l'intimée, une fois refaites, ne jouent plus le même rôle qu'avant, ce sont de nouvelles enseignes. [Notes de bas de page omises].                 

[31]      Dans Ford Motor Co. of Canada, Ltd. c. M.R.N., [1997] 3 C.F. 103 (C.A.), aux pages 114 et 115, la Cour d'appel fédérale a récemment confirmé que " ...pour qu'on puisse considérer qu'un objet est " fabriqué " par une personne, il faut qu'il acquière de nouvelles formes, qualités ou propriétés par suite de l'activité de cette personne ".

[32]      La jurisprudence relative à la définition du mot " fabrication " a donc établi que le procédé de fabrication peut comporter plus d'une étape. De plus, la " fabrication " doit résulter de la création d'un article qui a un usage quelconque ou qui peut remplir une fonction nouvelle ou différente.

[33]      En appliquant aux faits de l'espèce les principes énoncés par la jurisprudence, je n'ai aucune hésitation à conclure que les services de gaufrage et d'encodage fournis par S.C.S. à l'égard des cartes qu'elle a fabriquées sont visés par la définition de " fabrication " énoncée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt La Reine c. York Marble, Tile & Terrazzo Ltd. , précité. Selon le système de S.C.S., les cartes de plastique créées à l'étape initiale du procédé de fabrication ne peuvent remplir aucune fonction utile. Toutefois, par suite du procédé de gaufrage et d'encodage, la carte acquiert de nouvelles caractéristiques qui lui permettent de remplir des fonctions qu'elle ne pouvait remplir auparavant. Autrement dit, le procédé de gaufrage et d'encodage a entraîné la création d'une carte pleinement fonctionnelle, personnalisée en vue de son utilisation finale. Les services de gaufrage et d'encodage fournis par S.C.S. font donc partie intégrante de la fabrication des cartes de plastique. Dans ces circonstances, S.C.S. ne peut séparer artificiellement les services de gaufrage et d'encodage du procédé de fabrication au moyen de ses pratiques de comptabilité et de facturation ou d'une autre manière. En d'autres termes, le fait que S.C.S. a enregistré une vente pour les besoins de sa comptabilité interne à la fin de ce qu'elle considère être le procédé de fabrication n'établit pas que le client est devenu le propriétaire légal des cartes à ce moment2. De plus, la preuve versée au dossier, considérée objectivement et dans son ensemble, n'appuie pas la thèse générale avancée par l'avocat de S.C.S. selon laquelle le transfert du titre de propriété des cartes au client a toujours lieu au moment de la facturation et que les services de gaufrage et d'encodage constituent une activité commerciale séparée et distincte relative à des marchandises dont les clients sont propriétaires. En résumé, je suis convaincu, sur la foi de tous les éléments de preuve présentés à l'instruction, que S.C.S. est le fabricant véritable ou réel des cartes de plastique gaufrées et encodées d'utilisation finale.

     ii) les clients de S.C.S. étaient-ils des " fabricants ou producteurs " au sens de l'alinéa 2(1)b)?

[34]      Il faut ensuite se demander si les clients de S.C.S. étaient redevables du paiement de la taxe de vente fédérale sur les cartes de plastique fabriquées réellement, gaufrées et encodées par S.C.S. au motif que ceux-ci étaient des " fabricants ou producteurs " au sens de la définition élargie de l'alinéa 2(1)b ) de la Loi sur la taxe d'accise.

[35]      L'alinéa 2(1)b) de la Loi sur la taxe d'accise dispose :

2. (1) In this Act, other than section 121, Part IX and Schedules V, VI and VII,

     ...

"manufacturer or producer" includes

     ...

(b) any person, firm or corporation that owns, holds, claims or uses any patent, proprietary, sales or other right to goods being manufactured, whether by them, in their name or for or on their behalf by others, whether that person, firm or corporation sells, distributes, consigns or otherwise disposes of the goods or not,

2.(1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi, exception faite de l'article 121, de la partie IX et des annexes V, VI et VII.

     ...

"fabricant ou producteur" Y sont assimilés:

     ...

b) toute personne, firme ou personne morale qui possède, détient, réclame ou emploie un brevet, un droit de propriété, un droit de vente ou autre droit à des marchandises en cours de fabrication, soit par elle, en son nom, soit pour d'autres ou en son nom par d'autres, que cette personne, firme ou personne morale vende, distribue, consigne ou autrement aliène les marchandises ou non;

[36]      Pour déterminer si les clients de S.C.S. étaient des " fabricants ou producteurs ", il faut examiner la jurisprudence relative à l'alinéa 2(1)b ) de la Loi sur la taxe d'accise. Bien que les décisions pertinentes traitent toutes des dispositions remplacées par l'actuel aliéna 2(1)b), la définition des mots " fabricant ou producteur " prévue par ces dispositions est identique à tous égards importants à celle de l'actuelle Loi sur la taxe d'accise .

[37]      Dans The King v. Shore, [1949] Ex. C.R. 225, le juge Cameron a examiné la question de savoir si le défendeur Shore, qui avait acheté des fers jouets fabriqués aux termes d'un contrat en vue de les vendre à des magasins de jouets et à des revendeurs, était un " fabricant ou producteur ", au sens du sous-alinéa 2c )(ii) de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1927), ch. 1793. Le juge Cameron a conclu qu'il n'y avait [TRADUCTION] " aucun doute " que Shore était visé par la définition élargie des mots " fabricant ou producteur " au motif qu'il disposait d'un [TRADUCTION] " droit de vendre ou d'un autre droit " à l'égard des marchandises fabriquées pour son compte. Dans son analyse, le juge Cameron a dit ce qui suit, à la page 228 :

         [TRADUCTION] Il ressort clairement du contrat et des éléments de preuve que English et Metcalf fabriquaient les jouets pour [Shore] exclusivement. Les moules devant servir à leur fabrication ont été préparés par English et Metcalf suivant les instructions et aux frais de [Shore] et ils appartiennent encore à [Shore]. English et Metcalf ne pouvaient vendre les jouets à une personne autre que [Shore] et, pendant les deux années suivant la fin du contrat, ils ne pouvaient fabriquer un article similaire... [Shore] disposait d'un droit de vente ou d'un autre droit à l'égard des marchandises fabriquées pour son compte par English et Metcalf et, à mon avis, il était donc le fabricant ou le producteur de ces marchandises.                 

[38]      Dans Rexair of Canada Ltd. v. The Queen, [1958] R.C.R. 577, la Cour suprême du Canada était saisie de l'appel d'un jugement de la Cour de l'Échiquier qui avait appliqué la décision rendue dans l'affaire The King v. Shore, précitée. Pour déterminer si Rexair était un " fabricant ou producteur " au sens du sous-alinéa 2a )(ii) de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1952), ch. 100, le juge en chef Kerwin a, au nom de la majorité, examiné le contrat en vertu duquel Canadian Radio Manufacturing Corporation Limited (Canadian Radio) avait convenu de fabriquer des tubes à vide pour Rexair4. Le contrat précisait que Rexair allait devenir propriétaire de tous les outils requis pour la fabrication et que ceux-ci ne serviraient qu'à la production de ses marchandises. De plus, aucun changement de matériaux ou de dessins ne pouvait être apporté sans l'approbation de Rexair. Rexair avait aussi le droit d'avoir un inspecteur présent à l'usine de Canadian Radio, lequel avait le pouvoir de rejeter toute pièce ou machine assemblée qui n'étaient pas conformes à certaines normes de finition et spécifications. Enfin, Rexair s'était engagée à indemniser Canadian Radio de toutes réclamations en contrefaçon de brevet. Le juge en chef Kerwin a aussi souligné que la preuve versée au dossier établissait que la société mère de Rexair avait permis à Rexair et à Canadian Radio d'utiliser ses droits afférents à un brevet et à une marque de commerce.

[39]      En concluant que Rexair était le " fabricant ou producteur " au sens large du terme, le juge en chef Kerwin s'est fondé sur l'entente contractuelle en vertu de laquelle Canadian Radio devait fabriquer les marchandises pour Rexair, sur le contrôle de Rexair sur la production et sur les droits de propriété intellectuelle de Rexair sur les marchandises fabriquées. À cet égard, le juge en chef Kerwin dit ce qui suit à la page 580 :

     [TRADUCTION] D'après les éléments de preuve susmentionnés, il faut répondre par l'affirmative à cette question. Canadian Radio a accepté de les fabriquer " pour le compte " de l'appelante et le contrôle qui pouvait être exercé et qui a de fait été exercé par l'appelant sur la production mène à la même conclusion. Même si l'appelante n'était pas propriétaire ni titulaire d'un droit afférent à un brevet (qui est un droit positif et non simplement un droit négatif), elle a exercé ce droit afférent à un brevet et disposait aussi d'un " autre droit " afférent à une marque de commerce; et ces deux droits à l'égard des marchandises fabriquées pour le compte de Canadian Radio font en sorte que l'appelante est visée par la définition élargie de " fabricant ou producteur ".         

[40]      À la page 581, le juge en chef Kerwin a aussi dit qu'il souscrivait à la décision rendue dans l'affaire The King v. Shore, précitée.

[41]      Dans Turnbull Elevator Co. of Canada Ltd. v. The Queen, [1963] R.C. de l'É. 221, le juge Cameron a examiné à nouveau la définition élargie de " fabricant ou producteur ". En étudiant un contrat intervenu entre les parties dans cette affaire, il a souligné que Dominion Rubber Co. Ltd. (Dominion) s'était engagée à fabriquer des chaussures pour Turnbull. Le contrat renfermait, notamment, des garanties de qualité, une formule de fixation du prix, un droit de vérification de la part de Turnbull, des clauses relatives à la facturation et à l'expédition, une clause d'indemnisation et une clause exigeant de Turnbull qu'elle achète la totalité des chaussures et du matériel connexe qu'elle avait commandés. Le juge Cameron a aussi souligné que Turnbull fournissait à l'occasion de l'équipement à Dominion, mais qu'elle conservait le titre de propriété sur ces équipements et versait les primes d'assurance à l'égard de ceux-ci.

[42]      Le juge Cameron n'a eu aucune difficulté à conclure que Turnbull était le " fabricant " des chaussures, au sens large donné à ce mot au sous-alinéa 2a )(ii) de la Loi sur la taxe d'accise. En particulier, il a conclu que Dominion avait fabriqué les marchandises [TRADUCTION] " pour le compte de " Turnbull, qui disposait d'un droit de propriété, de vente ou d'un autre droit à l'égard des chaussures. Il a en outre conclu que Turnbull disposait d'un autre droit à l'égard des marchandises, lequel était fondé sur ses droits afférents à des marques de commerce qui étaient utilisées suivant ses instructions sur toutes les chaussures fabriquées pour elle par Dominion. Dans son analyse, le juge Cameron dit ce qui suit, à la page 229 :

         [TRADUCTION] D'après cette preuve, il est indubitable qu'en fabriquant la totalité des chaussures, Dominion fabriquait ces marchandises pour le compte de [Turnbull]. J'ai aussi conclu que [Turnbull] était le " fabricant " de la totalité des chaussures au sens large donné à ce mot " fabricant " prévu au sous-alinéa 2a )(ii) (précité), parce qu'elle est une société propriétaire ou détentrice d'un droit de propriété, de vente ou d'un autre droit à l'égard des chaussures fabriquées, et qu'elle utilise ce droit.                 
         Premièrement, j'estime que [Turnbull] détient un droit de vente sur les marchandises qui sont fabriquées. D'après ce que j'ai déjà dit, il ressort clairement que Dominion ne pouvait vendre les marchandises à d'autres personnes, mais qu'elle était tenue par contrat de les vendre à [Turnbull] exclusivement et de les livrer à [Turnbull] ou aux clients de [Turnbull], s'il lui était ordonné de le faire. De même, non seulement [Turnbull] avait-elle le droit d'acheter les marchandises fabriquées, mais encore elle était tenue par contrat de le faire. Il est particulièrement significatif que [Turnbull] finançait le stock de marchandises détenu par Dominion après 30 jours. Les faits essentiels sont similaires à de nombreux égards à ceux de l'affaire King v. Shore, [1949] R.C. de l'É. 225 [49 DTC 570], dans laquelle j'ai statué que [Shore] disposait d'un droit de vente ou d'un autre droit à l'égard des marchandises fabriquées pour lui par une société, et qu'il était par conséquent le fabricant ou le producteur de ces marchandises. Cette décision a expressément été approuvée dans l'arrêt Rexair.                 
         Mais à mon avis, [Turnbull] a aussi utilisé un autre droit à l'égard des marchandises, soit ses droits afférents à des marques de commerce qui ont été employées suivant ses instructions sur la totalité des chaussures fabriquées pour elle par Dominion.                 

[43]      La jurisprudence qui traite des dispositions remplacées par l'alinéa 2(1)b) de la Loi sur la taxe d'accise a confirmé que l'existence d'un " droit de vente ou d'un autre droit " est l'un des facteurs prépondérants pour déterminer si l'acheteur de marchandises fabriquées est un " fabricant ou producteur " au sens large. En particulier, il a été jugé qu'un " droit de vente " existe lorsque les circonstances établissent que l'acheteur des marchandises fabriquées avait le droit exclusif d'acheter les marchandises en cause. Au nombre des autres facteurs permettant d'établir l'existence d'un droit de vente figure la mesure dans laquelle l'acheteur donnait des instructions précises, achetait ou fournissait de l'équipement utilisé en vue de la fabrication des marchandises ou exerçait par ailleurs un contrôle sur le procédé de fabrication.

[44]      En l'espèce, les faits établissent sans équivoque que les clients de S.C.S. jouissaient du droit unique et exclusif d'acheter les cartes gaufrées et encodées fabriquées par elle. S.C.S. ne pouvait vendre les cartes à une autre personne. En fait, S.C.S. ne pouvait vendre les cartes qu'au client qui les avait commandées et elle était tenue de les livrer conformément à ses instructions. De plus, le client exerçait un degré élevé de contrôle sur l'ensemble du procédé de fabrication, y compris l'étape du gaufrage et de l'encodage. Par exemple, il fournissait un négatif de film dont il était propriétaire et sur lequel figurait le modèle du dessin exclusif de sa carte, il précisait la dimension et l'épaisseur des cartes et indiquait si un hologramme ou une plage de signature devaient être apposés. La représentation graphique de la carte, préparée par S.C.S., devait être approuvée par le client pour que le procédé d'impression puisse commencer. Les clichés d'imprimerie servant à fabriquer les cartes étaient payés par le client qui en était propriétaire et pouvait procéder en tout temps à un contrôle de qualité ou à une vérification. Pour les besoins du gaufrage et de l'encodage, le client fournissait à S.C.S. ses rubans informatiques contenant les renseignements personnalisés pour chaque carte, ainsi que les renseignements nécessaires à la livraison. Le client était propriétaire des rubans informatiques et des renseignements; S.C.S. ne pouvait vendre les renseignements ni les utiliser à une fin autre que le gaufrage et l'encodage des cartes. Le client était aussi propriétaire et fournissait à S.C.S. les cartons de présentation sur lesquels les cartes étaient apposées, les enveloppes et tous documents publicitaires à insérer dans les enveloppes. En résumé, le dessin exclusif, les renseignements, le matériel et l'équipement dont le client est propriétaire occupaient une place prééminente tout au cours de l'étape de gaufrage et d'encodage du procédé de fabrication.

[45]      Au cours de l'instruction, l'avocat de la défenderesse a fait valoir que l'alinéa 2(1)b) de la Loi sur la taxe d'accise exige l'existence d'une relation de mandat entre S.C.S. et ses clients pour que ces derniers soient visés par la définition élargie de " fabricant ou producteur ". Je ne peux souscrire à cet argument. Selon moi, rien dans le libellé de l'alinéa 2(1)b ) de la Loi sur la taxe d'accise ou la jurisprudence n'exige une preuve de l'existence d'une relation de mandat comme élément de la définition large de " fabricant ou producteur ".

[46]      Dans les circonstances, je suis convaincue que les clients de S.C.S. étaient des " fabricants ou producteurs " au sens large donné à cette expression à l'alinéa 2(1)b ) de la Loi sur la taxe d'accise, au motif qu'ils disposaient d'un droit de vente sur les marchandises. J'ai donc conclu que S.C.S. a versé par erreur la taxe de vente fédérale sur les services de gaufrage et d'encodage des cartes qu'elle fabriquait.

     iii) S.C.S. était-elle redevable du paiement de la taxe de vente fédérale sur les cartes qu'elle a fabriquées, gaufrées et encodées à titre de " fabricant marginal "?

[47]      L'avocat de la défenderesse a fait valoir, à titre subsidiaire, que S.C.S. était réputée être un " fabricant marginal " des cartes au sens de l'alinéa 2(1)f ) de la Loi sur la taxe d'accise, qui dispose :


2. (1) In this Act, other than section 121, Part IX and Schedules V, VI and VII,

"manufacturer or producer" includes

     ...

(f) any person who, by himself or through another person acting for him, prepares goods for sale by assembling, blending, mixing, cutting to size, diluting, bottling, packaging or repackaging the goods or by applying coatings or finishes to the goods, other than a person who so prepares goods in a retail store for sale in that store exclusively and directly to consumers,

2.(1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi, exception faite de l'article 121, de la partie IX et des annexes V, VI et VII.

"fabricant ou producteur" Y sont assimilés:

     ...

f) toute personne qui, y compris par l'intermédiaire d'une autre personne agissant pour le compte de celle-ci, prépare des marchandises pour la vente en les assemblant, fusionnant, mélangeant, coupant sur mesure, diluant, embouteillant, emballant ou remballant, ou en les enduisant ou les finissant, à l'exclusion d'une personne qui prépare ainsi des marchandises dans un magasin de détail afin de les y vendre exclusivement et directement aux consommateurs.

[48]      L'objectif législatif de l'alinéa 2(1)f) de la Loi sur la taxe d'accise a été décrit dans l'arrêt Ford Motor Co. of Canada, Ltd. c. M.R.N., précité, par les juges Linden et McDonald, à la page 108 :

         À compter du 1er janvier 1981, la définition du " fabricant ou producteur " contenue dans la Loi a été élargie pour englober ce qu'on appelle généralement les " fabricants marginaux ". La modification visait à corriger ce que le gouvernement estimait être l'iniquité découlant des points d'imposition différents applicables aux importateurs et aux fabricants canadiens. Avant cette modification, les importateurs payaient une taxe calculée en fonction de la valeur à l'acquitté des marchandises, et ils n'étaient assujettis à aucune taxe pour le travail effectué sur les marchandises une fois qu'elles étaient importées au Canada. En revanche, les fabricants canadiens, qui effectuaient souvent tout le travail eux-mêmes, payaient une taxe calculée en fonction du prix de vente des biens manufacturés et ne pouvaient se soustraire à la taxe imposée sur la valeur qui était ajoutée aux marchandises par suite des travaux de finition effectués en vue de la vente. Les conséquences discriminatoires de cette iniquité étaient doubles, selon les documents budgétaires déposés pour présenter la modification :                 
         D'abord, les fabricants qui effectuaient eux-mêmes ces opérations sont désavantagés par rapport à ceux qui vendent leur production en vrac, non assemblée ou non emballée. Ensuite, les producteurs canadiens sont désavantagés par rapport aux importateurs, ces activités marginales étant plus fréquentes dans le cas des articles importés.                 

[49]      L'avocat de la demanderesse a fait valoir que les activités de gaufrage et d'encodage de S.C.S. [TRADUCTION] " ...constituent un procédé d'application d'un fini aux cartes et de préparation des marchandises en vue de la vente ". Je ne peux souscrire à cet argument au motif qu'il n'est pas étayé par la preuve présentée à l'instruction et qu'il est incompatible avec l'objectif législatif exprès de l'alinéa 2(1)f ) de la Loi sur la taxe d'accise.

II.      Obligation à l'égard de la taxe de vente fédérale pour les cartes fournies à S.C.S. par un client fabricant non titulaire de licence pour des services de gaufrage et d'encodage.
     i) contrat visant la main-d'oeuvre

[50]      Au cours de l'instruction, les avocats des parties ont convenu que l'article 45.1 de la Loi sur la taxe d'accise s'appliquait aux circonstances où S.C.S. gaufrait et encodait des cartes qui lui étaient fournies par un client fabricant non titulaire de licence. L'article 45.1 de la Loi sur la taxe d'accise dispose :


45.1 For the purposes of this Part, a person who, pursuant to a contract for labour, manufacturers or produces goods from any article or material supplied by another person, other than a licensed manufacturer, for delivery to that other person shall be deemed to have sold the goods, at a sale price equal to the charge made under the contract in respect of the goods, at the time they are delivered to that other person, R.S., 1985, c. 15 (1st Supp.), s.17.

45.1 Pour l'application de la présente partie, quiconque fabrique ou produit, dans le cadre d'un contrat visant la main-d'oeuvre, des marchandises à partir d'un article ou d'une matière fournis par une personne autre qu'un fabricant titulaire de licence, pour livraison à cette autre personne, est réputé avoir vendu les marchandises à la date à laquelle elles sont livrées, à un prix de vente égal au montant exigé dans le cadre du contract pour les marchandises. L.R. (1985), ch.15 (1er suppl.), art. 17.

     ii) les clients fabricants non titulaires de licence étaient-ils des " fabricants ou producteurs " des cartes fournies à S.C.S. aux termes d'un contrat visant la main-d'oeuvre?

[51]      L'article 45.1 de la Loi sur la taxe d'accise impose l'obligation de payer la taxe de vente fédérale à un fabricant réel dans les circonstances où, en vertu d'un contrat visant la main-d'oeuvre, un fabricant non titulaire de licence fournit l'article ou le matériel à partir duquel les marchandises sont fabriquées ou produites. Pour atteindre cet objectif législatif, l'article 45.1 crée une présomption d'égalité entre le prix de vente des marchandises et le coût de la main-d'oeuvre employée aux termes du contrat.

[52]      L'avocat de S.C.S. a fait valoir que l'article 45.1 de la Loi sur la taxe d'accise n'aborde pas la question de l'identité du fabricant légal pour les besoins de l'obligation de verser la taxe de vente fédérale. Il a donc fait valoir qu'en vertu de la définition de l'alinéa 2(1)b) de la Loi sur la taxe d'accise, les clients non titulaires de licence qui fournissaient des cartes à S.C.S. en vue de leur gaufrage et de leur encodage étaient des " fabricants ou producteurs ". Je ne peux souscrire à cet argument au motif qu'il priverait de sens les mots " autre qu'un fabricant titulaire de licence " de l'article 45.1 de la Loi sur la taxe d'accise , dans la mesure où tant les fabricants titulaires de licence que les fabricants non titulaires de licence seraient redevables du versement de la taxe de vente fédérale lorsqu'il y a contrat visant la main-d'oeuvre malgré l'intention législative manifestement contraire. De plus, l'interprétation proposée par l'avocat de S.C.S. est incompatible avec l'intention législative expresse de l'article 45.1 d'imposer une obligation à l'égard de la taxe de vente fédérale au fabricant réel dans les circonstances indiquées.

[53]      Pour ces motifs, je suis convaincu que l'article 45.1 de la Loi sur la taxe d'accise impose à S.C.S. l'obligation de verser la taxe de vente fédérale lorsqu'un contrat visant la main-d'oeuvre a été conclu entre elle et un fabricant non titulaire de licence pour des services de gaufrage et d'encodage. J'ai donc conclu que S.C.S. n'avait pas erronément versé la taxe de vente fédérale pour le gaufrage et l'encodage de cartes de plastique qui lui étaient fournies par un fabricant non titulaire de licence aux termes d'un contrat visant la main-d'oeuvre.

DÉCISION

[54]      L'appel est accueilli en partie. S.C.S. a versé par erreur la taxe de vente fédérale sur les services de gaufrage et d'encodage de cartes de plastique qu'elle a fabriquées. Toutefois, S.C.S. était redevable de la taxe de vente fédérale pour le gaufrage et l'encodage de cartes de plastique qui lui avaient été fournies par un fabricant non titulaire de licence en vertu d'un contrat visant la main-d'oeuvre, et elle n'a pas payé cette taxe par erreur. Compte tenu du succès partiel de l'appel, il n'y aura pas d'ordonnance d'adjudication des dépens.

OTTAWA                                  ______________________

3 juillet 1998                                          Juge

Traduction certifiée conforme

C. Bélanger, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NE DU GREFFE :              T-2728-95
INTITULÉ DE LA CAUSE :          GIESECKE & DEVRIENT SECURITY CARD SYSTEMS, INC. c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :          15 JUIN 1998

MOTIFS DU JUGEMENT DE MADAME LE JUGE McGILLIS

EN DATE DU :              3 JUILLET 1998

ONT COMPARU :

Me Robert Taylor

Me Paul E. Hawa              POUR LA DEMANDERESSE

Me Brian Tittemore              POUR LA DÉFENDERESSE

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

GARDINER ROBERTS          POUR LA DEMANDERESSE

40, King Street West

Bureau 3100

Toronto (Ontario)

M5H 3Y2

Me Morris Rosenberg              POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

__________________

     1      La définition de fabrication tirée de l'arrêt La Reine c. York Marble, Tile & Terrazzo Ltd. , précité, a été expressément confirmée dans Banque Royale du Canada c. Sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise, [1981] 2 R.C.S. 139, 143.

     2      Voir, par analogie, le raisonnement suivi dans Ford Motor Co. of Canada, Ltd. c. M.R.N. , précité, à la page 118.

     3      Le sous-alinéa 2c )(ii) de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1927), ch. 179, est identique à tous égards importants à l'alinéa 2(1)b) de l'actuelle Loi sur la taxe d'accise.

     4      Le sous-alinéa 2a )(ii) de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1952), ch. 100, est identique à la disposition qu'il a remplacée, le sous-alinéa 2c)(ii) de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1927), ch. 179, et il est identique à tous égards importants à l'alinéa 2(1)b) de la Loi sur la taxe d'accise actuelle.

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