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     T-1153-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 27 OCTOBRE 1997

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE DUBÉ

Entre :

     LA BANDE INDIENNE DE BEGETIKONG ANISHNABE

     (alias les " Ojibways de Pic River "),

     requérante,

     - et -

     LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES

     ET DU NORD CANADIEN, RON IRWIN,

     intimé.

     ORDONNANCE

         La demande est rejetée avec dépens.

     ________________________________

     Juge

Traduction certifiée conforme      ________________________________

     F. Blais, LL. L.

     T-1153-97

Entre :

     LA BANDE INDIENNE DE BEGETIKONG ANISHNABE

     (alias les " Ojibways de Pic River "),

     requérante,

     - et -

     LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES

     ET DU NORD CANADIEN, RON IRWIN,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge DUBÉ

     La requérante, qui est une bande indienne (la bande), conclut à ordonnance à l'intimé (le ministre) de lui communiquer, ainsi qu'elle l'avait demandé dans son avis de requête introductive d'instance déposé le 30 mai 1997, la copie certifiée d'une consultation juridique que celui-ci a reçue du ministère de la Justice au sujet de la revendication qu'elle avait soumise en application de la Politique des revendications territoriales globales (la Politique).

     En juin 1995, la bande avait fait une revendication dans le cadre de cette Politique. Les modalités d'application de la Politique de 1986 prescrivent ce qu'il faut faire à la réception d'une revendication de ce genre. La disposition intitulée " Acceptation de la revendication " prévoit ce qui suit :

     Après qu'il aura reçu l'énoncé de la revendication, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien examinera la revendication accompagnée des pièces à l'appui, et demandera au ministre de la Justice de le conseiller au sujet de l'acceptabilité de la revendication selon des critères juridiques. Il indiquera au groupe requérant, dans les douze mois qui suivent la réception de l'énoncé, si la revendication est acceptée ou si elle est refusée. Dans ce dernier cas, il en communiquera par écrit les motifs au groupe requérant.         

                                             [non souligné dans l'original]

     Le 2 juillet 1997, le ministre a refusé de produite la consultation juridique reçue du ministère de la Justice par ce motif que le document est protégé du fait qu'il renferme des conseils juridiques donnés par un avocat qualifié à son client, savoir lui-même. À l'origine, la bande ne contestait pas qu'il y eût secret des communications entre client et avocat, mais soutenait que le ministre y a renoncé. Cependant, dans son mémoire déposé à l'appui de la requête en instance ainsi que dans son argumentation de vive voix à l'audition de cette requête, elle conteste qu'il y ait secret et ajoute, à titre de motif supplémentaire de divulgation, que l'obligation fiduciaire de la Couronne vis-à-vis des Indiens fait que le ministre doit lui communiquer la consultation juridique en cause.

1.      Le secret des communications entre avocat et client

     La bande soutient que le document en question ne saurait bénéficier du secret des communications entre avocat et client parce que la communication y contenue n'a pas été faite à titre confidentiel.

     Cet argument n'est pas valide. Il est de droit établi que le secret des communications est subordonné à trois conditions. En premier lieu, il doit s'agir d'une communication entre un avocat qualifié dans l'exercice de sa profession et son client; en deuxième lieu, la communication doit être vraiment une consultation juridique; enfin, elle doit avoir été faite à titre confidentiel.

     La bande soutient que le ministre ne satisfaisait pas à la troisième condition : il n'y a aucun témoignage par affidavit qu'il entendait garder ce document confidentiel. En fait, celui-ci n'a pas déposé un affidavit à cet effet, mais pareil affidavit n'est pas indispensable. Le document en question porte le cachet " Protégé/Communications avocat-clent " et tout au long de l'instance, le ministre a tenu pour la protection de son caractère confidentiel. Le document a été déposé auprès de la Cour sous pli cacheté en vue de la protection de sa confidentialité conformément à l'ordonnance qu'elle avait rendue le 25 juillet 1997 à cet effet. Rien n'indique que le ministre ait eu, à un moment quelconque, l'intention de divulguer ce document confidentiel.

2.      Renonciation au secret

     La bande soutient que le ministre a expressément renoncé au secret lorsqu'il lui envoya la lettre par laquelle il divulguait volontairement la teneur de la communication entre avocat et client et que, de ce fait, il a fait intervenir dans la cause la consultation juridique reçue. Plus spécifiquement, elle invoque les passages suivants de cette lettre :

     [TRADUCTION]

     a)      " Nous avons l'honneur de vous communiquer par la présente les résultats de l'examen par le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (MAINC) de la revendication territoriale globale de la bande de Begetikong Anishnabe. "         
     b)      " Notre ministère conclut que la bande de Begetikong Anishnabe ne peut faire valoir des droits ancestraux non éteints sur les terres et ressources sur la rive nord du lac Supérieur parce que la Première nation a adhéré au Traité Robinson-Lac Supérieur de 1850. "         
     c)      " Le ministère de la Justice nous a fait savoir qu'il ressort de l'analyse des pièces produites à l'appui de la revendication que la bande de Begetikong Anishnabe est partie au Traité Robinson-Lac Supérieur. "         
     d)      " Le chef et les conseillers " n'ont certes pas participé directement aux négociations du Traité Robinson-Lac Supérieur, mais le fait que le chef et les membres de la bande de Begetikong Anishnabe ont, par la suite, accepté la rente découlant de ce Traité, et demandé et reçu une réserve, vaut déclaration de la bande de Begetikong Anishnabe qu'elle est partie au Traité Robinson-Lac Supérieur. Cette déclaration produit les mêmes effets juridiques que si la bande avait effectivement signé ce traité. "         
     e)      " Il s'ensuit que notre ministère ne voit, sur le plan juridique, aucune raison de donner suite à la revendication globale de la bande de Begetikong Anishnabe. "         

     La bande soutient qu'il ressort des passages ci-dessus de la lettre du ministre que celui-ci entendait communiquer le raisonnement qu'il tenait en la matière, qu'il faisait valoir l'argument juridique que la bande adhérait au Traité, que le ministère de la Justice a transmis au ministre ses conclusions juridiques, et que celui-ci les a communiquées de façon assez détaillée, comme en témoignent les alinéas d) et e) des extraits ci-dessus. Il a donc volontairement exposé la teneur des communications et fait intervenir dans la cause la question de savoir quels conseils juridiques il a reçus1. Il a fait valoir un moyen de défense nouveau impliquant son dessein et sa connaissance des règles de droit applicables2. Lorsqu'une partie fait intervenir dans la cause son dessein et sa connaissance des règles de droit applicables, ce fait peut être considéré comme une renonciation expresse ou tacite3.

     S'il n'y a pas eu renonciation expresse, la bande soutient qu'il y a eu renonciation tacite étant que, après avoir tant divulgué dans sa lettre, le ministre ne saurait être admissible à garder par devers lui le reste de la consultation juridique. Lorsqu'une partie fait d'une consultation juridique un élément de sa demande ou de ses moyens de défense, elle perd le droit au secret qui s'y attache normalement. La bande soutient que le ministre n'est pas admissible à s'abriter derrière ce secret pour l'empêcher de tester la validité de la consultation juridique qu'il a reçue : l'équité et la cohérence en requièrent la communication intégrale4.

     Dans la décision Evans5, mon collègue le juge Rothstein a jugé que les facteurs suivants entraient en ligne de compte lorsqu'il s'agissait d'examiner si la divulgation d'une partie devait entraîner la divulgation du tout :

     1.      Il y a eu divulgation considérable de consultations "         
     2.      Il appert que l'intimé a divulgué des fractions de consultations juridiques, qu'il considère comme inoffensives ou même favorables à sa cause, et a gardé confidentiels d'autres renseignements qu'il considère manifestement comme dommageables "         
     3.      Certains renseignements pour lesquels le secret est revendiqué au titre des communications entre avocat et client ne sont que des rappels des règles de droit en vigueur "         
     4.      Dans un cas, deux recommandations sont faites, mais une seule est divulguée "         
     5.      Certains renseignements occultés pour cause de secret des communications entre avocat et client sont divulgués autre part.         

     Le juge Rothstein fait observer que ces facteurs sont signes de contradiction. Et de conclure en page 7 :

     La contradiction résultant de la divulgation de certaines communications entre avocat et client et du maintien du secret d'autres consultations qui ont elles aussi un rapport avec les questions soulevées par la requérante, ne laisse pas d'être troublante. Dans les circonstances de la cause, pour garantir que la Cour et la requérante ne soient pas induites en erreur et au nom de la cohérence, l'intimé doit être considéré comme ayant renoncé à tous ses droits en matière de secret des communications entre avocat et client.         

     En l'espèce, j'ai pris connaissance de la consultation juridique reçue par le ministre et ne peux conclure qu'il a gardé par devers lui les renseignements confidentiels qu'il considérait comme dommageables, ou qu'il ne retenait que l'une des multiples recommandations reçues. La consultation en question comprend l'examen sous l'angle juridique des revendications globales faites par la bande, un sommaire de ces revendications, les arguments de la bande, une analyse juridique, et la conclusion que rien ne justifie, sur le plan juridique, l'acceptation de la revendication.

     Dans l'ensemble, je conviens avec l'avocat du ministre que celui-ci n'a jamais renoncé à son droit au secret, que ce soit expressément ou tacitement. Le simple fait pour lui de faire état de la consultation juridique sur laquelle il se fondait ne vaut pas renonciation. Dans cette lettre, il faisait savoir qu'il avait reçu une consultation juridique du ministère de la Justice, à la lumière de laquelle il concluait que rien ne justifiait, sur le plan juridique, l'acceptation de la revendication de la bande. Il s'acquittait ainsi des obligations qu'il tenait de la disposition supra de la Politique sur l'acceptation de la revendication.

     Dans l'affaire Evans6 citée par la bande, certaines fractions d'un document protégé ont été divulguées et d'autres refusées à la requérante. Le juge Rothstein a décidé à juste titre qu'il fallait soit divulguer le document tout entier soit ne rien divulguer du tout, pour que la Cour puisse saisir la question dans son ensemble. Essentiellement, c'est une question d'équité. Dans les autres causes citées par la bande, un témoin invoquait une consultation juridique comme moyen de défense mais refusait de la révéler. En l'espèce, la décision du ministre repose entièrement sur les motifs pris dans sa lettre, et il ne se cache derrière aucune consultation juridique.

     On ne peut dire non plus que par inadvertance, il a renoncé7 au secret attaché au document ou a divulgué ce dernier du fait qu'il l'a mentionné au procès, dans une plaidoirie, à l'interrogatoire préalable, dans un affidavit ou de toute autre manière. Il a tout juste fait savoir qu'il avait demandé et reçu une consultation juridique du ministère de la Justice, consultation qu'il avait le droit d'obtenir et sur laquelle il s'était fondé. Son cas ne s'apparente pas du tout à celui de la partie dans une action qui mentionne un document dans sa déclaration et qui peut être sommée de produire ce document. Le ministre n'a fait que se conformer à la disposition supra sur l'acceptation de la revendication, à savoir qu'" après qu'il aura reçu l'énoncé de la revendication ", il a demandé " au ministre de la Justice de le conseiller sur l'acceptabilité de la revendication selon des critères juridiques ".

3.      Les relations fiduciaires spéciales

     La bande soutient qu'en raison des relations fiduciaires très spéciales entre la Couronne et les Indiens, elle a légitimement droit d'accès à la consultation juridique obtenue par le ministre.

     Les deux parties invoquent à ce sujet la même jurisprudence, en particulier une cause jugée en 1995 par la Cour d'appel fédérale, Buffalo c. Canada8, dans laquelle la Couronne, arguant du secret pour cause de litispendance et de secret des consultations juridiques, appelait de la décision du juge des requêtes au sujet de la production de certains documents. Les bandes intimées soutenaient que les relations fiduciaires entre la Couronne et les bandes primaient la prétention au secret, si les communications en cause étaient reçues ou préparées pendant que la Couronne remplissait ses obligations de fiduciaire. Il a été jugé que des relations très spéciales liaient les Indiens et la Couronne et que celle-ci devait être tenue à une norme très rigoureuse d'agissements honorables envers les peuples autochtones.

     La Cour d'appel fédérale a également jugé que le secret des communications entre avocat et client ne devait pas être considéré simplement comme participant d'une règle de preuve, mais qu'il s'agissait d'une règle de fond applicable indépendamment du contexte contentieux. Le secret des communications entre avocat et client peut être invoqué dans tous les cas où ces communications pourraient être révélées sans le consentement du client. S'il y a des relations fiduciaires, on ne peut opposer aux bénéficiaires le secret des communications entre un avocat et le fiduciaire. Cependant, il ne s'ensuit pas nécessairement que la consultation demandée par le fiduciaire appartient de plein droit aux Indiens quand elle a été demandée dans l'intérêt de toutes les parties. Ainsi que la Cour l'a fait remarquer (page 25), " non seulement [la Couronne agit] au nom ou dans l'intérêt des Indiens, mais encore [elle doit] rendre compte à l'ensemble de la population canadienne ".

     Dans une affaire plus récente entre les mêmes parties, Nation et bande des Indiens Samson c. Canada9, le juge MacKay de cette Cour, se prononçant sur le secret revendiqué pour des documents de la Couronne, n'était pas convaincu en cet état de la cause que les rapports généraux entre les parties justifient une ordonnance de produire davantage de documents que prévu. Parlant de la Couronne qui était la défenderesse se réclamant du secret, il a tiré la conclusion suivante en page 195 :

     À mon avis, la défenderesse, qui revendique le privilège en l'espèce, n'est pas tenue, au bout du compte, d'établir les motifs pour lesquels il ne faut pas présumer qu'un document visé par la revendication doit être communiqué. Il n'y a pas de présomption qui favorise la divulgation de conseils juridiques demandés ou reçus par la Couronne du fait de ses rapports généraux avec les demandeurs. Il en est autrement, selon moi, des documents dont j'ai ordonné la production et qui ont trait aux arrangements spéciaux de nature fiduciaire découlant des cessions de 1946.         

Décision

     Je conclus que la consultation juridique que le ministre a reçue du ministère de la Justice conformément aux dispositions de la Politique relatives à l'acceptation de la revendication, est un document confidentiel. Le ministre n'a renoncé au secret ni expressément ni tacitement. Les relations fiduciaires spéciales entre la Couronne et les Indiens ne sont pas en l'espèce un motif de divulgation.

     La demande est rejetée avec dépens.

OTTAWA,

le 27 octobre 1997

     ________________________________

     Juge

Traduction certifiée conforme      ________________________________

     F. Blais, LL. L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :          T-1153-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      La bande indienne de Begetikong Anishnabe

                     (alias les " Ojibways de Pic River ")

                     c.

                     Le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, Ron Irwin

LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :      16 octobre 1997

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR LE JUGE DUBÉ

LE :                      27 octobre 1997

ONT COMPARU :

David Nahwegahbow              pour la requérante

Geoffrey S. Lester                  pour l'intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Nahwegahbow, Nadjiwan              pour la requérante

Ottawa (Ontario)

George Thomson                  pour l'intimé

Sous-procureur général du Canada

__________________

1      Smith v. Smith, [1958] O.W.N. 135 (H.C.J.), page 136; et Chertsey Developments Inc. v. Red Carpet Inns Ltd. (1990), 74 O.R. (2d) 665, pages 669 et 670 (protonotaire siégeant en référé).

2      Alberta Wheat Pool v. Estrin, [1987] 2 W.W.R. 532 (B.R. Alb.).

3      Manes et Silver, Solicitor-Client Privilege in Canadian Law (1993), page 190.

4      K.F. Evans Ltd. c. Canada (Ministre des Affaires étrangères), [1996] A.C.F. no 30 (jugement non rapporté en date du 11 janvier 1996) (C.F. 1re inst., le juge Rothstein); S & K Processors v. Campbell Avenue Herring Producers Ltd. (1983), 35 C.P.C. 146 (C.S.C.-B.); Hunter v. Rogers, [1982] 2 W.W.R. 189, 34 B.C.L.R. 206 (C.S.); Harich v. Stamp (1979), 27 O.R. (2d) 395 [Demande d'autorisation de pourvoi en C.S.C. rejetée 106 D.L.R. (3d) 340n (C.S.C.)] et Toronto-Dominion Bank v. Leigh Instruments, [1997] O.J. No. 1177, 5 mars 1997 (C.O. Div. gén.) (non rapporté).

5      Supra, note 4.

6      Supra, note 4.

7      Manes et Silver, supra, note 3, page 194.

8      [1995] 3 C.N.L.R. 18.

9      [1997] 1 C.N.L.R. 180.

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