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Date : 20040506

Dossier : T-1432-03

Référence : 2004 CF 666

Ottawa (Ontario), le 6 mai 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

ENTRE :

                                                               HENSLEY ORIJI

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                M. Hensley Oriji demande le contrôle judiciaire d'une décision datée du 17 juillet 2003 rendue par une agente d'enquête de la Commission de la fonction publique (CFP) en application de l'article 7.1 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-33 (LEFP). Par sa décision, l'agente d'enquête a rejeté la plainte du demandeur voulant que le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux du Canada (Travaux publics) lui ait fait une offre d'emploi pour ensuite l'annuler de façon irrégulière. Le demandeur sollicite la Cour de prononcer une ordonnance annulant cette décision ainsi qu'une ordonnance de mandamus enjoignant à la CFP et à Travaux publics de respecter le principe du mérite et de maintenir l'offre d'emploi qui lui a été présentée. Il demande en outre à la Cour, à titre subsidiaire, de donner des directives portant que le présent contrôle judiciaire soit instruit comme s'il s'agissait d'une action, par la « réunion » de celui-ci et de son action, T-49-03, introduite le 13 janvier 2003 et actuellement en instance devant la Cour fédérale.

CONTEXTE

[2]                La décision visée par le présent contrôle judiciaire consiste en le réexamen de la plainte du demandeur effectué conformément à l'ordonnance rendue par Monsieur le juge Gibson de la Cour fédérale le 7 novembre 2002. Dans cette décision, le juge Gibson a conclu que l'agente d'enquête de la CFP a mal interprété l'article 22 de la LEFP et violé l'obligation d'agir équitablement lorsqu'elle a tranché la plainte de M. Oriji. Cette décision est publiée : Oriji c. Canada (Procureur général), [2003] 2 C.F. 423 (C.F. 1re inst.).


[3]                La plainte de M. Oriji intéresse un concours public tenu afin de combler un poste de commis aux systèmes et à la comptabilité CR-04 du service des systèmes et de la comptabilité de Travaux publics. Le 6 février 2001, le demandeur et plusieurs autres candidats ont subi un examen écrit en vue de permettre la vérification des habiletés mentionnées dans l'énoncé des qualités requises pour le poste en question. Avant le début de l'examen, le demandeur et les autres candidats ont été informés que l'on communiquerait avec la personne ayant obtenu la meilleure note et que cette dernière devrait passer un test linguistique et obtenir l'autorisation de sécurité avant d'être nommée au poste de CR-04. Le demandeur soutient que l'agent responsable de l'examen a affirmé que le poste à pourvoir était un poste de durée déterminée, à savoir un an, renouvelable pour une autre année et qu'après deux ans, le poste serait transféré à la Gendarmerie royale du Canada.

[4]                Plus tard le jour même de l'examen, soit le 6 février 2001, une fonctionnaire de Travaux publics, Mme Diotte, a téléphoné au demandeur pour lui apprendre qu'il avait obtenu la meilleure note à l'examen et, qu'en réalité, il était le seul à l'avoir réussi. Une des questions litigieuses soulevées dans la plainte du demandeur concerne le point de savoir si on lui a alors offert le poste de CR-04.

[5]                Le demandeur affirme avoir considéré que les renseignements qui lui ont été communiqués au cours de cette conversation téléphonique constituaient une offre d'emploi qu'il a acceptée sur-le-champ. On lui a dit que l'emploi débuterait au plus tard le 2 avril 2001, à la condition qu'il subisse avec succès les tests linguistiques et le contrôle des références et qu'il obtienne l'autorisation de sécurité. Cette offre n'a jamais été confirmée par écrit.


[6]                Au mois de mars 2001, aucune date n'avait encore été fixée pour faire subir les tests linguistiques au demandeur. Le 8 mars 2001, Mme Diotte a envoyé par courrier électronique à Mme Desjardins, agente de dotation, un message lui demandant de prendre les dispositions nécessaires pour que le demandeur soit soumis aux tests linguistiques. Vers la même époque, la direction des ressources humaines de Travaux publics a appris qu'un certain nombre d'employés allaient être déclarés excédentaires. Une fois avisés en bonne et due forme de leur situation sous le régime de la politique gouvernementale sur le réaménagement des effectifs, ces employés pourraient alors bénéficier d'une nomination « par priorité » aux postes à pourvoir. Parmi ces employés se trouvaient plusieurs agents de niveau CR-03 possédant de l'expérience professionnelle connexe, bien qu'à un niveau inférieur. Mme Desjardins a informé Mme Diotte que ces personnes devraient être prises en compte pour le poste de CR-04. Le lendemain, par courrier électronique, Mme Desjardins a écrit à une de ces employés, Mme Dumouchel, parce qu'elle jugeait que cette dernière pourrait être une candidate qualifiée pour le poste de CR-04. Elle lui a donc proposé de communiquer avec Mme Diotte au sujet de l'emploi. La demande concernant les tests linguistiques à faire subir au demandeur a alors été suspendue.

[7]                Le 26 mars 2001, un fonctionnaire de la Commission de la fonction publique a téléphoné au demandeur pour l'informer que le poste de CR-04 n'était plus vacant en raison d'une mesure de dotation prioritaire, à savoir que le poste allait être comblé par une employée de Travaux publics déclarée excédentaire. Selon le demandeur, le fonctionnaire lui a dit que Travaux publics annulait l'offre d'emploi faite le 6 février 2001.


[8]                Bien que son poste d'attache ait été classé au niveau CR-03, Mme Dumouchel avait acquis de l'expérience en occupant des postes intérimaires relevant d'autres classifications et niveaux, y compris à titre de CR-04. Mme Diotte avait déjà contrôlé le travail de cette employée et estimait qu'elle avait les compétences nécessaires pour accomplir les fonctions du poste à pourvoir. Mme Dumouchel a donc été nommée au poste de CR-04 à titre intérimaire et elle a commencé ce travail le 2 avril 2001. Cette nomination devait durer jusqu'au 31 décembre 2002. Or, en juin 2001, Mme Dumouchel a quitté le poste de CR-04 afin de combler un poste pour une période indéterminée ailleurs au sein du gouvernement fédéral. Par conséquent, le poste de CR-04 se trouvait à nouveau vacant et Travaux publics a décidé de l'offrir au demandeur à la condition qu'il réussisse les tests linguistiques du niveau pertinent.

[9]                Le 10 avril 2001, le demandeur a déposé une plainte alléguant que Travaux publics avait irrégulièrement annulé l'offre d'emploi verbale qu'il lui avait faite relativement au poste particulier pour lequel il avait posé sa candidature. Une enquête a été effectuée en application de l'article 7.1 de la LEFP. L'agente d'enquête a décidé le 23 novembre 2001 que la plainte du demandeur n'était pas fondée. Elle a conclu qu'aucune offre d'emploi en bonne et due forme n'avait été faite à M. Oriji par une personne à laquelle on aurait dûment délégué les pouvoirs pertinents.

[10]            Un certain temps après avoir déposé sa plainte, le demandeur s'est vu offrir un contrat d'une durée de six mois, à la condition qu'il réussisse les tests linguistiques et abandonne sa plainte. Comme il estimait avoir droit au poste d'un an, renouvelable, à l'égard duquel il avait posé sa candidature avec succès, le demandeur n'a pas voulu renoncer à sa plainte.

[11]            En juin 2001, Travaux publics a consenti à ce que le demandeur poursuive sa plainte et lui a fait savoir que, s'il réussissait les tests linguistiques, on lui offrirait le poste d'une durée de six mois. À deux occasions, Travaux publics a fixé une date pour la tenue des tests linguistiques, mais le demandeur ne s'est jamais présenté. Le 3 août 2001, le demandeur a informé Travaux publics qu'il n'était plus intéressé par ce poste. Il avance que cette perte d'intérêt tenait au fait qu'il n'aurait pas commencé à travailler avant la mi-septembre 2001 et qu'il aurait donc occupé le poste pour une période de moins de trois mois, alors qu'il estimait être en droit d'obtenir le poste pour la période plus longue mentionnée au moment où il a passé l'examen. En outre, il allègue qu'on lui demandait de se soumettre aux tests linguistiques dans l'espoir qu'il échoue et que Travaux publics utilisait cette stratégie pour l'empêcher de poursuivre sa plainte.

[12]            Comme il est mentionné plus haut, le demandeur a obtenu gain de cause dans le cadre du contrôle judiciaire relatif à la décision de l'agente d'enquête datée du 23 novembre 2001. La Cour a conclu que l'agente d'enquête avait mal interprété l'article 22 de la LEFP et violé les principes d'équité procédurale en omettant de donner au demandeur une possibilité raisonnable d'examiner la preuve présentée par Travaux publics et d'y répondre. À la suite de ce contrôle judiciaire, la plainte du demandeur a été renvoyée pour être examinée à nouveau.


[13]            Dans l'affidavit qu'il a produit en l'espèce, le demandeur affirme que la CFP a fait preuve d'un manque de coopération, qu'elle a tardé à procéder au nouvel examen de sa plainte et que ce n'est qu'après le dépôt de sa déclaration auprès de la Cour le 13 janvier 2003, dans le cadre d'une action en dommages-intérêts contre Travaux publics fondée sur la responsabilité délictuelle et le manquement à une obligation contractuelle, dossier T-49-03, que la CFP a entrepris le réexamen.

Décision visée par le contrôle judiciaire

[14]            Lors du nouvel examen de l'affaire, une autre agente d'enquête de la CFP a tenu plusieurs séances de recherche des faits, soit le 28 janvier, le 5 février et les 6 et 19 mars 2003. Le demandeur a agi pour son propre compte et Travaux publics était représenté par avocat. Quatre fonctionnaires de Travaux publics ont en outre témoigné au sujet des événements liés à la dotation du poste de CR-04.

[15]            Selon les motifs donnés par l'agente d'enquête, le demandeur a soulevé la question de savoir si la personne « excédentaire » mutée à qui on a offert le poste de CR-04 était en droit d'obtenir une nomination par priorité suivant la LEFP et les politiques de la CFP.

[16]            L'agente d'enquête a estimé que la plainte de M. Oriji était dénuée de fondement et tiré les conclusions suivantes à l'appui de sa décision :

[traduction]


-            Le demandeur n'a jamais reçu d'offre d'emploi parce que le processus de sélection visant le poste de CR-04 n'était pas terminé. En effet, il restait certaines étapes à franchir, comme passer les tests linguistiques et obtenir l'autorisation de sécurité. Par conséquent, aucune liste d'admissibilité relative au poste de CR-04 n'a jamais été établie. De plus, comme Mme Diotte n'était pas investie des pouvoirs délégués nécessaires pour présenter des offres d'emploi et qu'elle ne l'avait jamais fait dans le passé, l'agente d'enquête a conclu qu'elle ne pouvait avoir présenté une offre au demandeur le 6 février 2001;

-            Mme Dumouchel n'avait pas droit à une nomination par priorité puisque, au moment de sa nomination au poste de CR-04, elle ne répondait pas à la définition d' « employé excédentaire » ; en effet, elle n'avait pas reçu un avis écrit l'informant de sa situation d'employée excédentaire et la nomination au poste de CR-04 constituait une promotion en regard de son poste précédent;

-           Même s'il n'y a pas eu de nomination par priorité, la nomination de Mme Dumouchel était conforme à la LEFP et au Règlement sur l'emploi dans la fonction publique (2000), DORS/2000-80 (le Règlement), puisqu'on a respecté le principe de la nomination au mérite énoncé au paragraphe 10(1) de la LEFP en procédant à une nomination intérimaire. Mme Diotte connaissait les habiletés et l'expérience de travail de Mme Dumouchel parce qu'elle avait déjà travaillé avec elle dans le passé. Compte tenu de l'article 11 de la LEFP, il n'était pas déraisonnable pour Travaux publics de décider qu'elle était la candidate la plus qualifiée pour combler le poste de CR-04. Le fait que Mme Dumouchel n'avait pas droit à une nomination par priorité n'avait aucune incidence sur la situation du demandeur puisque le processus de sélection touchant le poste de CR-04 n'a jamais été mené à terme et qu'une liste d'admissibilité n'a jamais été établie.

QUESTIONS EN LITIGE


[17]       1. Quelle est la norme de contrôle pertinente en l'espèce?

2. L'agente d'enquête a-t-elle commis une erreur de droit ou tiré une conclusion de fait abusive, non étayée par les éléments de preuve dont elle était saisie?

ANALYSE

Norme de contrôle

[18]       Le demandeur a soulevé en l'espèce un certain nombre de questions liées en grande partie aux trois conclusions susmentionnées de l'agente d'enquête. Le demandeur s'est représenté lui-même au cours de la présente instance et n'a avancé aucune thèse relativement à la norme de contrôle applicable. Le défendeur soutient que la norme appropriée quant aux conclusions de fait tirées par l'agente d'enquête est celle du caractère manifestement déraisonnable puisque la Cour a déjà reconnu l'expertise des fonctionnaires de la CFP en ce qui touche l'examen des faits liés aux plaintes en matière d'emploi : Adams c. Canada (Procureur général), [2002] A.C.F. no 98 (C.F. 1re inst.) (QL). Le défendeur avance en outre que la norme de contrôle applicable à la conclusion d'un enquêteur tranchant une question de droit est celle de la décision correcte.


[19]       J'estime que la norme générale du caractère raisonnable simpliciter est la norme de contrôle pertinente pour trancher la question de savoir si l'agente d'enquête a commis une erreur en tirant ses trois conclusions - à savoir, l'absence d'offre d'emploi; l'absence de nomination par priorité; et le caractère néanmoins légitime de la nomination de Mme Dumouchel à titre intérimaire, lequel fait en sorte qu'une erreur dans la qualification de cette nomination n'aurait aucune incidence sur la situation du demandeur. Je signale toutefois que, lorsque des questions de droit particulières peuvent se dégager des conclusions de fait de l'enquêteur, compte tenu de la nature de la question et de l'expertise de la Cour en matière d'analyse des règles de droit applicables à l'enquêteur, j'aurai recours à la norme de la décision correcte.

[20]       Selon l'approche pragmatique et fonctionnelle, la Cour doit s'appuyer sur quatre facteurs pour décider de la norme applicable au contrôle d'une décision administrative donnée : (1) les objets visés par le texte législatif dans son ensemble et les dispositions législatives en cause en particulier, (2) la nature de la question : de droit, de fait ou mixte de droit et de fait, (3) l'expertise du tribunal en regard de celle de la cour de révision appelée à exercer le contrôle judiciaire au titre de la question en litige, et (4) l'existence d'une clause privative ou d'un droit d'appel prévu par la loi. Voir les arrêts Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, et Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982. Comme l'a énoncé la Cour suprême du Canada dans ce dernier arrêt, au paragraphe 26, l'analyse touchant la norme de contrôle applicable est centrée sur le point de savoir dans quelle mesure le législateur avait l'intention d'assujettir la décision administrative en cause au contrôle judiciaire.


[21]       Tout d'abord, la LEFP a « principalement pour objet » de faire en sorte que la sélection et la nomination de candidats à l'Administration fédérale se font suivant le mérite : voir les arrêts Bambrough c. Comité d'appel de la Commission de la fonction publique, [1976] 2 C.F. 109 (C.A.), à la page 115, et Buttar c. Canada (Procureur général), [2000] A.C.F. no 437 (C.A.) (QL). L'enquête menée en application de l'article 7.1 de la LEFP a pour objet de fournir une recommandation à la CFP afin qu'elle puisse prendre les mesures de redressement qu'elle juge indiquées (voir l'article 7.5 de la LEFP). Le pouvoir de présenter une telle recommandation est de nature discrétionnaire plutôt qu'obligatoire.

[22]       Selon Renée Caron, dans son ouvrage intitulé Employment in the Federal Public Service (Aurora, Ontario : Canada Law Book Inc., 2003), à la page 6-70, l'article 7.1 confère à la Commission une [traduction] « compétence générale non attribuée » qui l'autorise à effectuer des enquêtes dans des domaines où aucun droit d'appel n'est déjà prévu par la LEFP, notamment sur des questions primordiales comme les nominations à la suite d'un concours public et les litiges liés aux nominations par priorité. Ce facteur indique qu'il faut recourir à un degré de retenue moyen puisque l'enquêteur assume l'importante fonction de décider si les candidatures présentées dans le cadre d'un concours public ont été traitées conformément au principe du mérite et aux autres exigences prévues par la LEFP. En revanche, l'enquêteur jouit uniquement d'un pouvoir consultatif lui permettant de formuler des recommandations à la CFP.


[23]       Deuxièmement, les questions en litige dans le cadre du présent contrôle judiciaire consistent à décider si le demandeur a réellement reçu une offre d'emploi pour le poste en cause, si l'autre « nomination par priorité » a été faite par erreur et si une telle nomination fautive a eu une incidence sur la situation du demandeur. À mon avis, le problème soulève donc des questions mixtes de droit et de fait, ce qui nécessite une évaluation de la LEFP et du Règlement ainsi que l'application de leurs dispositions aux circonstances factuelles de la présente affaire. Il s'ensuit également qu'un degré moyen de retenue doit être maintenu.

[24]       Troisièmement, il faut considérer que l'enquêteur possède une expertise appréciable en matière de décisions factuelles portant sur des questions reliées à l'emploi et que ce genre de conclusions factuelles appellent un haut degré de retenue : Adams, précitée. Les questions en litige en l'espèce sont des questions mixtes de droit et de fait et font donc en partie appel à l'expertise du décideur administratif qui en est saisi. Par contre, comme la LEFP ne prévoit aucune exigence voulant que les enquêteurs possèdent une quelconque formation juridique, la Cour est mieux placée pour analyser les règles de droit applicables.

[25]       Enfin, la LEFP ne prévoit ni clause privative, ni droit d'appel. À mon sens, ce facteur ne joue en faveur d'aucun degré de retenue particulier applicable par une cour de révision.

Légitimité de la conclusion relative à l'absence d'offre d'emploi

[26]       Le demandeur soutient que l'agente d'enquête a commis une erreur lorsqu'elle a conclu à l'absence d'offre d'emploi parce qu'une telle conclusion relevait de la chose jugée en raison de la décision rendue par le juge Gibson le 7 novembre 2002.


[27]       J'estime que cet argument est dénué de fondement. La première agente d'enquête a conclu qu'il n'y a pas eu d'offre d'emploi en se fondant sur son interprétation de l'article 22 de la LEFP. Or, la Cour a décidé que la conclusion tirée par l'agente d'enquête constituait une erreur de droit. Cette conclusion, tirée par un tribunal judiciaire, n'avait pas pour effet de subséquemment empêcher le nouvel agent d'enquête, après avoir entendu l'affaire, de décider, à la lumière d'un raisonnement différent, qu'aucune offre d'emploi n'a été faite au demandeur. Dans la mesure où ce nouvel agent d'enquête ne s'appuyait pas sur l'interprétation fautive antérieure de l'article 22, laquelle a été corrigée par la Cour, il lui était loisible de tirer de nouvelles conclusions sur le fondement d'une analyse distincte.

[28]       Le demandeur fait en outre valoir que, si l'agente d'enquête n'a pas excédé sa compétence lorsqu'elle a « réexaminé » ce point, sa conclusion n'était alors pas étayée par la preuve dont elle était saisie. Il affirme qu'il était tout simplement abusif pour l'agente d'enquête d'accepter les volte-face de Travaux publics, lequel a d'abord admis avoir présenté une offre verbale qui n'était pas valide du fait qu'elle n'était pas écrite ni signée, pour ensuite changer sa version au moment du réexamen de l'affaire et soutenir qu'aucune offre n'a jamais été faite.


[29]       Le défendeur avance que, compte tenu de la preuve dont l'agente d'enquête était saisie, cette dernière pouvait raisonnablement conclure qu'aucune offre d'emploi n'a été présentée au demandeur. Les motifs donnés par l'agente d'enquête à l'appui de cette conclusion étaient légitimement fondés sur des éléments de preuve permettant de croire que le demandeur n'avait pas franchi toutes les étapes du processus de concours et que Travaux publics n'était pas en mesure de lui offrir le poste tant qu'il n'aurait pas réussi les tests linguistiques de manière satisfaisante. Le défendeur affirme que l'agente d'enquête était la mieux placée pour évaluer la crédibilité et le comportement des témoins, et qu'elle était autorisée à préférer la déposition de Mme Diotte en ce qui concerne la conversion téléphonique du 6 février 2001.

[30]       À mon avis, la conclusion tirée par l'agente d'enquête selon laquelle aucune offre d'emploi n'a été faite au demandeur reposait sur une interprétation correcte de la LEFP et du Règlement, et cette interprétation a été appliquée de façon raisonnable aux circonstances factuelles de la présente affaire. L'agente d'enquête a conclu que, comme aucune liste d'admissibilité n'avait été établie et que le demandeur ne satisfaisait pas à une des exigences du poste - soit la réussite des tests de langue seconde -, il était impossible qu'on lui ait « offert » le poste de CR-04 en conformité avec la LEFP et le Règlement. L'agente d'enquête est également arrivée à la conclusion que Mme Diotte n'était pas investie des pouvoirs nécessaires pour faire une telle offre, et elle a préféré le témoignage de cette dernière relatif au contenu de la conversation téléphonique, à savoir qu'elle a sans équivoque mentionné au demandeur que la nomination au poste était conditionnelle à ce qu'il subisse avec succès les tests linguistiques et le contrôle des références et qu'il obtienne l'autorisation de sécurité.


[31]       Les dispositions pertinentes de la LEFP sont celles qui définissent et précisent l'expression « concours public » , soit les paragraphes 2(1), 16(1), 17(1), 17(1.1), 17(4) et 18(1) et l'article 20. Ces dispositions énoncent la marche à suivre pour établir une liste d'admissibilité dans le cadre d'un concours public :



« concours public » Concours ouvert tant aux personnes faisant partie de la fonction publique qu'aux autres;

...

16. (1) La Commission étudie toutes les candidatures qui lui parviennent dans le délai fixé à cet égard. Après avoir pris connaissance des autres documents qu'elle juge utiles à leur égard, et après avoir tenu les examens, épreuves, entrevues et enquêtes qu'elle estime souhaitables, elle sélectionne les candidats qualifiés pour le ou les postes faisant l'objet du concours.

...

17. (1) Parmi les candidats qualifiés à un concours, la Commission sélectionne ceux qui occupent les premiers rangs et les inscrit sur une ou plusieurs listes, dites listes d'admissibilité, selon le nombre de vacances auxquelles elle envisage de pourvoir dans l'immédiat ou plus tard.

(1.1) Un candidat peut être inscrit sur une liste d'admissibilité pendant la vérification de la conformité de son cas aux conditions d'emploi établies par le Conseil du Trésor en matière de sécurité, de fiabilité ou médicale.

...

(4) Dans le cas d'un concours public, la Commission, après avoir mis en oeuvre l'article 16 et effectué toute autre recherche qu'elle juge nécessaire, établit la liste d'admissibilité en se fondant sur les principes suivants :

a) à l'intérieur de chacune des catégories définies au paragraphe 16(4), les candidats qualifiés sont classés selon leur mérite;

b) sont placés en tête de liste les candidats qualifiés visés par l'alinéa 16(4)a), immédiatement suivis de ceux qui sont visés par l'alinéa 16(4)b), eux-mêmes précédant les candidats qualifiés visés par l'alinéa 16(4)c);

c) les candidats qualifiés n'entrant dans aucune des catégories définies au paragraphe 16(4) sont placés par ordre de mérite, après tout candidat relevant de l'une de ces catégories.

...

18. (1) Les nominations à des postes pourvus par voie de concours sont effectuées d'après la liste d'admissibilité conformément aux règlements de la Commission.

...

20. Les fonctionnaires affectés à un ministère ou à un autre secteur de la fonction publique, ou à une partie seulement de l'un de ceux-ci, doivent posséder, en ce qui concerne la connaissance et l'usage soit du français, soit de l'anglais, soit des deux langues, les qualifications que la Commission estime nécessaires pour que leur organisme d'affectation puisse remplir son office et fournir au public un service efficace.

[Non souligné dans l'original.]

"open competition" means a competition that is open to persons who are employed in the Public Service as well as to persons who are not employed in the Public Service;

...

16. (1) The Commission shall examine and consider all applications received within the time prescribed by it for the receipt of applications and, after considering such further material and conducting such examinations, tests, interviews and investigations as it considers necessary or desirable, shall select the candidates who are qualified for the position or positions in relation to which the competition is conducted.

...

17. (1) From among the qualified candidates in a competition the Commission shall select and place the highest ranking candidates on one or more lists, to be known as eligibility lists, as the Commission considers necessary to provide for the filling of a vacancy or anticipated vacancies.

(1.1) A candidate may be placed on an eligibility list while it is being determined if the candidate meets the security, reliability and medical conditions of employment established by the Treasury Board.

...

(4) When establishing an eligibility list in the case of an open competition, the Commission shall, after complying with section 16 and after conducting such further investigations as it considers necessary, proceed in accordance with the following principles:

(a) persons who come within paragraph 16(4)(a) and who are qualified shall be placed, in order of merit, ahead of other successful candidates;

(b) persons who come with paragraph 16(4)(b) and who are qualified shall be placed, in order of merit, on the list immediately following any candidates mentioned in paragraph (a) of this subsection;

(c) persons who come within paragraph 16(4)(c) and who are qualified shall be placed, in order of merit, after any candidates mentioned in either paragraph (a) or (b) of this subsection; and

(d) persons who do not come within paragraph 16(4)(a), (b) or (c) and who are qualified shall be placed, in order of merit, after any candidates who come within those paragraphs.

...

18. (1) An appointment under this Act made to a position by competition shall be made from an eligibility list in accordance with the regulations of the Commission.

...

20. Employees appointed to serve in any department or other portion of the Public Service, or part thereof, shall be qualified in the knowledge and use of the English or French language or both, to the extent that the Commission deems necessary in order that the functions of the department, portion or part can be performed adequately and effective service can be provided to the public.

[Emphasis mine]


[32]       Le paragraphe 15(1) du Règlement est également pertinent. Voici le texte de cette disposition :


15. (1) Si une liste d'admissibilité a été établie pour un poste, toute nomination à ce poste doit être faite d'après cette liste à moins que celle-ci soit épuisée ou expirée, avant qu'une nomination soit faite selon un autre mode de sélection.

[Non souligné dans l'original]

15. (1) If an eligibility list has been established for a position, an appointment to the position must be made according to the list, unless it has been exhausted or has expired, before an appointment shall be made as a result of any other process of personnel selection.

[Emphasis mine]



[33]       Selon le régime législatif applicable, le demandeur, après avoir établi qu'il satisfaisait à toutes les exigences du poste, aurait eu le droit d'être placé sur une liste d'admissibilité, selon son mérite : voir aussi l'arrêt Evans c. Comité d'appel de la Commission de la Fonction publique, [1983] 1 R.C.S. 582, à la page 597. À mon sens, aucune liste d'admissibilité n'a été établie en l'espèce parce que le demandeur n'était pas encore considéré comme « qualifié » . En effet, il n'avait pas subi les tests de langue seconde, alors que la Commission estime cette exigence nécessaire pour qu'il soit fait preuve des compétences linguistiques conformément aux dispositions de l'article 20 de la LEFP.

[34]       De plus, le paragraphe 17(1.1) de la LEFP mentionne qu'un candidat peut être placé sur une liste d'admissibilité pendant la vérification de la conformité de son cas aux conditions d'emploi en matière de sécurité, de fiabilité ou médicale. En revanche, cette disposition ne prévoit pas qu'un candidat peut être inscrit sur une liste d'admissibilité dans l'attente des résultats des tests linguistiques. L'absence de mention concernant les tests de langue seconde au paragraphe 17(1.1) me donne à penser que les compétences linguistiques exigées pour un poste sont considérées comme une partie intégrante du poste lui-même et qu'elles influent sur le point de savoir si un candidat est en réalité « qualifié » pour le poste.


[35]       La description de travail relative au poste CR-04 précise clairement que l'exigence linguistique du poste est « bilingue BBB/BBB » . Bien que M. Oriji ait été la seule personne à réussir l'examen écrit, il n'avait pas encore passé les tests de langue seconde qui lui auraient permis d'établir qu'il répondait à l'exigence linguistique « BBB » . Dans les circonstances, je suis convaincu que Travaux publics n'était nullement tenu d'établir une liste d'admissibilité, laquelle sert à nommer une personne dans le cadre d'un concours public.

[36]       M. Oriji allègue aussi que l'énoncé de qualités visant le poste de CR-04 portait à un certain moment la mention « bilingue » . Or, plus tard dans le processus, cette mention a été modifiée pour « bilingue impératif » . À mon sens, ce point n'a aucune pertinence en l'espèce puisque le poste de CR-04 n'a jamais été considéré comme un poste de durée « indéterminée » , mais plutôt comme un poste à doter pour une période déterminée; en effet, le demandeur soutient qu'on lui a initialement précisé qu'il s'agissait d'un poste d'une durée d'un an, susceptible d'être renouvelé pour une autre année, tandis que Travaux publics affirme que le poste visait une période différente. Peu importe la durée acceptée par la Cour, Mme Dumouchel n'a pas été nommée pour une période indéterminée. Au contraire, sa nomination portait sur une période déterminée. Suivant le Décret d'exclusion sur les langues officielles dans la Fonction publique, DORS/81-787, une nomination bilingue « non impérative » est possible seulement dans le cas de nominations pour une période indéterminée. Le poste de CR-04 en cause ici n'a jamais été présenté comme un poste de durée indéterminée et l'exigence linguistique « bilingue BBB/BBB » signifiait donc que les exigences linguistiques étaient de nature impérative. Voir aussi Caron, précité, aux pages 2-82 et 2-83.


[37]       Un aspect troublant de la présente affaire tient au retard de Travaux publics à prendre les arrangements nécessaires pour faire subir les tests de langue seconde au demandeur entre le moment de son examen le 6 février 2001 et les événements de mars 2001. La possibilité de nommer une personne à titre intérimaire n'a été soulevée qu'après le 8 mars 2001, lorsque Mme Diotte a appris que la candidature de personnes occupant des postes de CR-03 au sein du Ministère pouvait être prise en compte pour pourvoir le poste de CR-04. On a donc suspendu le processus de vérification des connaissances linguistiques du demandeur et ce dernier n'a jamais eu l'occasion de remplir les exigences linguistiques du poste avant la découverte d'un candidat qualifié en la personne de Mme Dumouchel. Bien qu'on puisse reprocher au demandeur de ne pas s'être plus tard présenté aux tests linguistiques tenus en juillet et août 2001, il n'en demeure pas moins que, pendant la période antérieure susmentionnée, soit entre le 6 février et le 26 mars 2001, il est resté sur la touche dans l'attente que Travaux publics fixe une date pour la tenue des tests linguistiques, croyant qu'il débuterait son nouveau travail le 2 avril 2001. Mme Diotte était apparemment réticente à appeler elle-même le demandeur pour lui expliquer la situation et elle a demandé à un fonctionnaire de la CFP de lui faire part de la mauvaise nouvelle. Il est facile de comprendre pourquoi M. Oriji estime ne pas avoir été traité équitablement.


[38]       Malheureusement, cette situation ne donne pas au demandeur le droit d'obtenir une réparation puisqu'on ne m'a renvoyé à aucun précédent ni à aucune disposition de la LEFP ou du Règlement laissant croire que Travaux publics avait l'obligation de fixer, en temps utile, une date à laquelle le demandeur serait soumis aux tests linguistiques. Les dispositions de la LEFP qui régissent l'examen des candidatures présentées dans le cadre d'un concours accordent à la CFP une certaine souplesse pour prendre connaissance d'autres documents et tenir les examens et enquêtes qu'elle juge nécessaires ou souhaitables [voir le paragraphe 16(1)]. La LEFP n'assujettit la durée du processus de sélection à aucun délai et Travaux publics a donc agi dans le cadre de la mission que lui confie la loi lorsqu'il a retardé la tenue des tests linguistiques que devait subir le demandeur aux mois de février et mars 2001.

[39]       Il semble que les fonctionnaires de Travaux publics, à tout le moins au début, ont mal compris la nature des obligations que leur impose l'appendice sur le réaménagement des effectifs, lequel constitue une partie d'application obligatoire de la convention collective des fonctionnaires. L'article 1.1.1 de cet appendice porte que, lorsque des employés comme Mme Dumouchel sont touchés par un réaménagement des effectifs, tous les ministères doivent alors veiller, « dans la mesure du possible » à ce qu'on « leur offre toutes les possibilités raisonnables » de poursuivre leur carrière dans la fonction publique. Cette obligation, conjuguée au pouvoir exprès conféré à l'article 11 de la LEFP, voulant que les postes soient pourvus par nomination interne sauf si la Commission en juge autrement dans l'intérêt de la fonction publique, fondait Travaux publics à suspendre le processus de sélection avant qu'une liste d'admissibilité ne soit établie, et à procéder par voie de la nomination intérimaire de Mme Dumouchel. J'estime qu'aucune erreur de droit n'a été commise lorsque Travaux publics a nommé Mme Dumouchel, à titre intérimaire, au poste en cause. Je reviendrai plus loin sur cette question.


[40]       Comme fondement supplémentaire à sa conclusion portant que le demandeur ne pouvait avoir reçu une offre d'emploi de Mme Diotte au cours de la conversation du 6 février 2001, l'agente d'enquête a accepté la preuve présentée par Travaux publics ainsi que la déposition de Mme Diotte elle-même voulant qu'elle ne soit pas investie du pouvoir délégué nécessaire pour faire une telle offre. À mon avis, cette conclusion est légitime et étayée par la preuve versée au dossier. L'agente d'enquête, dans l'exercice de ses fonctions en qualité d'agente d'enquête préliminaire, était en droit de conclure que Mme Diotte était un témoin « crédible et sincère » . Sa conclusion sur ce point était raisonnable, puisqu'il ressort sans équivoque du dossier que Mme Diotte n'avait pas la compétence, suivant la LEFP, pour faire une offre d'emploi au demandeur. Il était loisible à l'agente d'enquête de croire Mme Diotte lorsque celle-ci a affirmé qu'elle n'avait pas présenté d'offre au demandeur, mais qu'elle avait insisté sur le fait qu'il devait encore satisfaire à certaines exigences pour obtenir le poste. Même si on reconnaissait qu'il est raisonnable d'interpréter les propos tenus par Mme Diotte au cours de la conversation téléphonique du 6 février 2001 comme une offre d'emploi faite au demandeur, une promesse d'emploi outrepassant les pouvoirs délégués sous le régime de la LEFP ne constitue pas un engagement contractuel de la part de la CFP : voir la décision Panagopoulos c. Canada, [1990] A.C.F. no 234 (1re inst.) (QL).


[41]       Par conséquent, la conclusion de l'agente d'enquête voulant que le demandeur n'ait pas reçu une offre d'emploi est légitime. Elle est étayée par le fait que la LEFP et le Règlement n'exigeaient pas l'établissement d'une liste d'admissibilité puisqu'on n'avait pas encore décidé si le demandeur était qualifié pour le poste. Elle s'appuie également sur la conclusion selon laquelle Mme Diotte n'a pas offert d'emploi au demandeur au cours de la conversation téléphonique du 6 février 2001 parce qu'elle n'avait pas compétence pour ce faire et que son témoignage relatif à cette conversation a été préféré à celui du demandeur par l'agente d'enquête.

Bien-fondé de la conclusion d'absence de nomination par priorité

[42]       Le demandeur soutient que la conclusion de l'agente d'enquête sur ce point contredit les arguments antérieurement invoqués par Travaux publics. Il paraît avancer que c'est avec raison qu'on a jugé Mme Dumouchel inadmissible à une nomination par priorité, bien que l'agente d'enquête ait commis une erreur en concluant qu'il ne s'agissait pas réellement d'une nomination par priorité, mais plutôt d'une nomination faite en application du paragraphe 10(1) de la LEFP.

[43]       Le défendeur avance que la conclusion de l'agente d'enquête à cet égard était légitime puisque Travaux publics avait admis qu'au moment de sa nomination au poste de CR-04, Mme Dumouchel ne répondait pas à la définition du terme « employé excédentaire » puisqu'elle a seulement reçu l'avis écrit de sa mise en disponibilité environ un mois après avoir commencé à occuper le poste de CR-04 et que sa nomination à ce poste constituait, en réalité, une promotion. Le défendeur allègue que, contrairement au point de vue avancé par le demandeur, l'agente d'enquête n'a pas inventé des excuses pour justifier la conduite de Travaux publics, mais a plutôt conclu, avec raison, que Mme Dumouchel a été nommée à titre intérimaire en application du paragraphe 10(1) de la LEFP.


[44]       À mon avis, l'agente d'enquête était fondée à interpréter les règles de droit applicables comme elle l'a fait. Il est exact que Mme Dumouchel ne respecte pas la définition du terme « employé excédentaire » ni les exigences en matière de nomination par priorité énoncées dans le Règlement et les politiques connexes de la CFP. Elle n'a reçu l'avis écrit l'informant de sa situation d'employé excédentaire que le 26 avril 2001, après avoir commencé à occuper le poste de CR-04 et, comme la nomination à ce poste constituait une promotion, elle ne pouvait être nommée par priorité en raison des articles 35 et 40 du Règlement.

Légitimité de la conclusion voulant que le fait qu'il s'agisse d'une nomination « par priorité » ou non n'avait aucune incidence sur la situation du demandeur

[45]       D'après le demandeur, l'agente d'enquête a commis une erreur lorsqu'elle a conclu que la non-admissibilité de Mme Dumouchel à une nomination par priorité n'avait aucune incidence sur sa situation. Le demandeur fait valoir que l'agente d'enquête a irrégulièrement conclu que Mme Dumouchel a été nommée au poste à titre intérimaire en application du paragraphe 10(1) de la LEFP. Il affirme que l'offre d'emploi que lui a faite Travaux publics en juin 2001, à la condition qu'il réussisse les tests linguistiques, a été présentée pour dissimuler la nomination frauduleuse de Mme Dumouchel. Selon lui, cette offre n'était pas authentique puisqu'elle visait un poste d'une durée de six mois seulement plutôt qu'un poste de la durée plus longue mentionnée lorsqu'il a passé son examen le 6 février 2001.


[46]       Le défendeur avance que l'agente d'enquête a, à juste titre, conclu que Mme Dumouchel n'a pas été nommée par priorité et que ce fait n'a aucune incidence sur la situation du demandeur. La conclusion de l'agente d'enquête voulant que Travaux publics soit autorisé à combler des postes par voie de nominations intérimaires, à la condition de respecter les dispositions de la LEFP et du Règlement, était légitime.

[47]       Je suis convaincu, à la lumière de la preuve versée au dossier, que Mme Dumouchel a été nommée à titre intérimaire. Il faut donc maintenant se demander si sa nomination est conforme à la LEFP et au Règlement. L'article 10 de la LEFP énonce le « principe du mérite » . L'agente d'enquête a renvoyé à cette disposition de même qu'à l'article 11 de la LEFP pour conclure que la nomination intérimaire de Mme Dumouchel a été effectuée conformément à la LEFP et au Règlement. Ces dispositions sont rédigées de la façon suivante :



10. (1) Les nominations internes ou externes à des postes de la fonction publique se font sur la base d'une sélection fondée sur le mérite, selon ce que détermine la Commission, et à la demande de l'administrateur général intéressé, soit par concours, soit par tout autre mode de sélection du personnel fondé sur le mérite des candidats que la Commission estime le mieux adapté aux intérêts de la fonction publique.

(2) Pour l'application du paragraphe (1), la sélection au mérite peut, dans les circonstances déterminées par règlement de la Commission, être fondée sur des normes de compétence fixées par celle-ci plutôt que sur un examen comparatif des candidats.

11. Les postes sont pourvus par nomination interne sauf si la Commission en juge autrement dans l'intérêt de la fonction publique.

10. (1) Appointments to or from within the Public Service shall be based on selection according to merit, as determined by the Commission, and shall be made by the Commission, at the request of the deputy head concerned, by competition or by such other process of personnel selection designed to establish the merit of candidates as the Commission considers is in the best interests of the Public Service.

(2) For the purposes of subsection (1), selection according to merit may, in the circumstances prescribed by the regulations of the Commission, be based on the competence of a person being considered for appointment as measured by such standard of competence as the Commission may establish, rather than as measured against the competence of other persons.

11. Appointments shall be made from within the Public Service except where, in the opinion of the Commission, it is not in the best interests of the Public Service to do so.


[48]       À mon sens, il était raisonnablement loisible à l'agente d'enquête de conclure, à la lumière de la preuve, que la nomination à titre intérimaire de Mme Dumouchel n'avait aucune incidence sur la situation du demandeur, même si c'est à tort qu'il a été décidé, à un certain stade du processus de sélection, qu'elle était une employée nommée « par priorité » .

[49]       La preuve versée au dossier étaye la conclusion de l'agente d'enquête selon laquelle Mme Dumouchel a fait l'objet d'une « nomination intérimaire » au poste de CR-04. Elle établit en outre que cette nomination a été effectuée en conformité avec la LEFP et le Règlement. Le terme « nomination intérimaire » est défini de la façon suivante dans le Règlement :


« nomination intérimaire » Le fait pour un fonctionnaire d'exercer temporairement les fonctions d'un autre poste, dans le cas où l'exercice de ces fonctions aurait constitué une promotion, si ce fonctionnaire avait été nommé à ce poste. (acting appointment)

"acting appointment" means when an employee temporarily performs the duties of another position, if the performance of those duties would have constituted a promotion had the employee been appointed to the position. (nomination intérimaire);



[50]       Comme Mme Dumouchel a initialement été nommée pour une période de plus de quatre mois, elle n'était pas soustraite à l'application de l'article 10 de la LEFP : voir les paragraphes 7(1) et (2) du Règlement. Les circonstances déterminées visées au paragraphe 10(2) sont énoncées au paragraphe 5(2) et à l'article 42 du Règlement et ne s'appliquent pas en l'espèce. Dans sa déposition, Mme Diotte a déclaré qu'elle avait travaillé avec Mme Dumouchel et supervisé son travail pendant assez longtemps et qu'elle savait que cette dernière était parfaitement qualifiée au regard des exigences du poste de CR-04. S'appuyant sur ce fait, Travaux publics a conclu qu'il était inutile de demander à Mme Dumouchel de subir l'examen puisque son mérite pouvait être évalué sans recourir à celui-ci.

[51]       À mon avis, l'agente d'enquête était fondée à conclure que le principe du mérite a été respecté en l'espèce, tant en ce qui concerne le paragraphe 10(1) que l'obligation énoncée à l'article 11 de la LEFP selon lequel les postes sont pourvus par nomination interne. Je signale que, pour analyser la façon dont l'agente d'enquête a appliqué le principe du mérite, j'ai moi-même appliqué la norme de la décision correcte énoncée dans l'arrêt Boucher c. Canada (Procureur général), [2000] A.C.F. no 86 (C.A.) (QL). De même, à la lumière des circonstances de la présente affaire, il était légitime pour l'agente d'enquête de conclure que le fait de qualifier, à tort, la nomination de Mme Dumouchel de nomination « par priorité » n'a pas d'incidence sur la situation du demandeur puisque Mme Dumouchel avait valablement été l'objet d'une « nomination intérimaire » . Cette conclusion n'est donc pas susceptible de contrôle par la Cour.

Autres points litigieux

[52]       Selon l'agente d'enquête, il y avait lieu de faire une distinction entre l'arrêt Procureur général du Canada c. Sharpe et al. de la Cour d'appel fédérale, [1983] 1 C.F. 292, et la situation de M. Oriji parce que, dans le cas de ce dernier, aucune liste d'admissibilité n'a été établie. Le défendeur soutient qu'il s'agit d'une interprétation correcte de l'arrêt Sharpe, précité, et que l'agente d'enquête n'a pas commis d'erreur de droit sur ce point.


[53]       Le demandeur prétend que l'agente d'enquête a fait erreur en concluant que l'arrêt Sharpe, précité, ne vise pas les concours publics. Selon lui, cette décision s'applique à tous les concours tenus sous le régime de la LEFP et du Règlement et intéresse la pratique déloyale en matière d'emploi suivie dans son cas.

[54]       À cet égard, j'estime que l'agente d'enquête a correctement interprété l'arrêt Sharpe, précité. Dans cette affaire, une liste d'admissibilité avait été établie et les candidats avaient été classés par ordre de mérite après la tenue d'un concours visant à pourvoir un poste donné. Le fait d'avoir affecté à ce poste une personne qui n'avait pas participé au concours n'était pas conforme à la LEFP ni, en particulier, au principe du mérite prévu à l'article 10. Cette situation est différente de celle dont je suis saisi en l'espèce. En effet, dans la présente affaire, aucune liste d'admissibilité n'a été établie puisque le demandeur, n'ayant pas subi avec succès les tests linguistiques, n'a pu montrer qu'il était parfaitement qualifié pour le poste.


[55]       Le demandeur avance, contre Travaux publics, un certain nombre d'autres allégations touchant la dissimulation et la falsification d'éléments de preuve, l'abus de pouvoir et le parjure dans le cadre de l'enquête. Il conteste l'omission, par l'agente d'enquête, d'avoir assigné à comparaître aux rencontres de recherche des faits d'autres candidats ayant passé l'examen avec lui en février 2001, lesquels auraient pu confirmer les affirmations faites à ce moment au sujet de la durée du poste de CR-04. Le demandeur soutient également que le défaut de Travaux publics de divulguer l'identité des autres personnes ayant subi l'examen avec lui le 6 février 2001, par le biais du noircissement de certaines parties des documents qu'il a reçus, ne visait pas à respecter la législation relative à la protection de la vie privée comme l'affirme Travaux publics, mais bien à dissimuler le fait que Mme Dumouchel était un des candidats à avoir subi, sans succès, l'examen écrit.

[56]       Bien que la frustration du demandeur soit dans une certaine mesure justifiée en raison de la conclusion du juge Gibson selon laquelle Travaux publics a irrégulièrement refusé de lui communiquer certains éléments de preuve au cours de la première enquête, j'estime, après nouvelle audition de la présente affaire, qu'il appert que le demandeur avait accès à l'ensemble de la preuve pertinente à sa plainte. Un examen minutieux du dossier dont je suis saisi m'incite à conclure que ses allégations de fraude, de falsification d'éléments de preuve, d'abus de pouvoir et de parjure sont dénuées de tout fondement. De même, rien ne me permet d'étayer son assertion voulant que Travaux publics l'ait sciemment induit en erreur ou ait sciemment dissimulé des faits se rapportant à la nomination de Mme Dumouchel.

[57]       Le demandeur a sollicité la Cour, à titre de réparation subsidiaire, de donner des directives portant « réunion » du présent contrôle judiciaire à l'action en instance qu'il a introduite auprès de la Cour le 13 janvier 2003. À mon sens, le paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, ne s'applique pas en l'espèce puisque l'action du demandeur, T-49-03, est déjà en instance devant la Cour.


[58]       Enfin, sur la question des dépens, je suis d'avis, compte tenu de mon pouvoir discrétionnaire à cet égard et des facteurs énoncés à l'article 400 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, que, même si le demandeur n'obtient pas gain de cause en l'espèce, Travaux publics, même s'il n'a pas désobéi à la loi, a été mal dirigé en ce qu'il a attendu jusqu'à ce que le processus de sélection auquel participait le demandeur soit à moitié terminé pour reconnaître que certains employés étaient qualifiés pour une nomination intérimaire. Par conséquent, je refuse d'adjuger les dépens en faveur du défendeur.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Les parties assument leurs propres dépens.

   « Richard G. Mosley »

     Juge

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        T-1432-03

INTITULÉ :                                       HENSLEY ORIJI

ET

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                             

LIEU DE L'AUDIENCE :                OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 26 AVRIL 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :                     LE 6 MAI 2004

COMPARUTIONS :

Hensley Oriji                                                                             POUR LE DEMANDEUR

Tatiana Sander                                                                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

HENSLEY ORIJI                                                                     POUR LE DEMANDEUR

(Agissant pour son propre compte)

Ottawa (Ontario)

MORRIS ROSENBERG                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)


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