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Date : 20011031

Dossier: T-1028-00

Référence neutre : 2001 CFPI 1184

Toronto (Ontario), le mercredi 31octobre 2001

EN PRÉSENCE DE :             Monsieur le juge John A. O'Keefe

ENTRE :

ROGER SARK, REGINALD BERNARD, SHEILA BERNARD,

JAMES SARK, JR., MARY CATHERINE SARK,

KELLY BERNARD, BRIAN FRANCIS, CAROLYN SARK,

GEORGINA FRANCIS, BENNY SARK, DANNY SARK,

JENENE SARK, KATERI FRANCIS, JIM SARK

demandeurs

- et -

LE CONSEIL DE LA BANDE ABEGWEIT REPRÉSENTÉ PAR LE CHEF FRANCIS JADIS, LES CONSEILLERS JOSEPH JADIS et DANNY LEVI,

ET LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE


[1]    Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire fondée sur l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7. Les demandeurs réclament le contrôle judiciaire d'une décision de William Montour, directeur général régional et délégué du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (le délégué du ministre), en date du 16 mai 2000, par laquelle le délégué du ministre a refusé la requête en division de la bande Abegweit présentée par les demandeurs.

Ordonnance recherchée

[2]    Les demandeurs recherchent une ordonnance infirmant la décision précitée et renvoyant la question au ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien pour que celle-ci soit décidée conformément au droit et aux directives que la présente Cour juge appropriées.

Le contexte


[3]                 La bande de la Première nation Abegweit (la bande Abegweit), qui a été constituée par décret ministériel le 6 avril 1972, compte trois réserves dans le centre de l'Île-du-Prince-Édouard. Ces trois réserves sont la réserve Morell, la réserve Scotchfort et la réserve Rocky Point. La réserve Rocky Point est située à quelques 54 kilomètres de la réserve Scotchfort. Il y a environ 158 membres qui vivent dans ces trois réserves. Trente-neuf de ces membres habitent la réserve Rocky Point, et la presque totalité des autres membres habitent la réserve Scotchfort. Les quelques membres qui restent résident dans la réserve Morell.

[4]                 Le conseil de la bande Abegweit se compose d'un chef et de deux conseillers. Avant les élections de la bande Abegweit le 25 mai 1999, James Sark, qui habite la réserve Rocky Point, avait été réélu chef pour des mandats successifs totalisant près de 22 ans. Francis Jadis et son frère Joseph Jadis, habitant tous deux la réserve Scotchfort, étaient membres du conseil de bande avant l'élection de mai.

[5]                 À l'élection de mai 1999, Francis Jadis a été élu nouveau chef de la bande Abegweit. Il est entré en fonction en août 1999. Le conseil de bande se compose maintenant du chef Jadis, de Joseph Jadis et de Danny Levi qui habitent tous dans la réserve Scotchfort.

[6]                 Entre l'élection de mai et la date à laquelle le chef Jadis est entré en fonction en août 1999, James Sark lui a indiqué qu'il avait l'intention de demander au ministre de créer une nouvelle bande en séparant la réserve Rocky Point de la bande Abegweit (la proposition de séparation).


Chronologie des événements ayant suivi l'élection

[7]                 Cette chronologie a été établie grâce à la consultation du dossier du ministre (qui se trouve à l'onglet 5 du dossier des demandeurs) et aux affidavits produits.

1.          Le 14 juin 1999 : Une requête signée par 13 résidents de la réserve Rocky Point, demandant que le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien constitue une nouvelle bande pour la réserve Rocky Point, est envoyée par James Sark à M. Montour. La lettre déclare ce qui suit : [TRADUCTION] « Nos raisons d'agir sont nombreuses et légitimes et nous aimerions les discuter avec vous, au besoin, à votre convenance » .

2.          Le 13 juillet 1999 : Le chef élu Jadis écrit à James Sark au sujet d'une proposition de résolution du conseil de bande concernant la séparation de la réserve Rocky Point. La lettre indique ce qui suit :

[TRADUCTION] J'ai le regret de vous annoncer que je ne peux donner suite à votre demande pour le moment. L'avocat de la bande m'a déjà informé que ce genre de résolution du conseil de bande signée en dehors d'une réunion dûment convoquée n'est pas valide. Les conseillers de la bande vous ont déjà demandé de convoquer une réunion du conseil de bande, mais vous ne l'avez pas fait. Il n'y a pas d'autre façon de signer une demande ayant pour but de séparer la collectivité de Rocky Point de la bande Abegweit.

Mon mandat ne me permet pas de prendre des décisions en dehors d'une réunion du conseil de bande, même si vous insistez pour dire que la transition se fera difficilement. Vous êtes le seul à pouvoir rectifier cette situation en convoquant dûment une réunion. Quelles que soient les difficultés que vous entrevoyiez, je ne peux prendre sur moi de compromettre les intérêts des membres de la bande en signant une résolution du conseil de bande à l'extérieur d'une réunion dûment convoquée.


3.          Le 15 juillet 1999 : Roger Sark envoie une lettre au chef élu Jadis concernant un [TRADUCTION] « changement dans la pêche commerciale » . La lettre porte également sur une proposition de résolution du conseil de bande visant à séparer la réserve Rocky Point :

[TRADUCTION] Au moment d'écrire cette lettre, j'apprends que vous, Francis, et votre frère, Joseph Jadis, en tant que conseillers de la bande avez refusé de signer une résolution du conseil de bande appuyant la décision d'une large majorité des membres ayant droit de vote de la réserve Rocky Point, y compris moi-même, de séparer cette réserve de la bande Abegweit afin de constituer notre propre bande qui sera connue sous le nom de bande de Rocky Point. D'après ce que je comprends également, votre frère Joseph et vous-même n'auriez pas signer cette demande parce qu'il n'y a pas eu de réunion du conseil dûment convoquée.

Comme bien d'autres membres probablement, je ne peux trouver les mots pour qualifier l'absurdité de votre raisonnement étant donné qu'il n'y a jamais eu pendant toutes ces années, d'aussi loin que bien d'autres membres et moi-même puissions nous souvenir, de réunion du conseil de bande dûment convoquée pour signer une résolution du conseil de bande. Je me souviens de bon nombre d'autres occasions où je suis allé moi-même vous voir votre frère Joseph et vous pour vous faire signer ces résolutions.

[. . .]

Nous continuerons de déployer des efforts afin d'établir une bande pour Rocky Point, quel que soit le temps que cela nous prendra, étant donné que notre vision concernant les aspects sociaux, économiques et éducatifs de notre collectivité et de nos enfants est très éloignée de la vôtre, et vous savez fort bien que je peux donner un grand nombre d'exemples, notamment les valeurs familiales...

Une copie de cette lettre a également été envoyée à Mme Jane Stewart, ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien.

4.          Le 19 juillet 1999 : James Sark envoie une lettre au chef élu Jadis indiquant que la décision de convoquer une réunion du conseil de bande est acceptable. Une demande pour tenir une telle réunion est faite.


5.          Le 19 juillet 1999 : Le chef élu Jadis envoie un facsimilé à Roger Sark en réponse à sa lettre du 15 juillet 1999. Concernant la proposition de séparation, la lettre indique ce qui suit :

[TRADUCTION] C'EST AVEC BEAUCOUP DE REGRET QUE J'APPRENDS QUE CERTAINS MEMBRES DE LA BANDE POURSUIVENT LEURS EFFORTS EN VUE DE DIVISER NOTRE BANDE. MON DEVOIR À L'ÉGARD DE L'ÉLECTORAT EST D'ASSURER L'UNITÉ DE LA BANDE. JE N'AI PAS SIGNÉ LA RCB PROPOSANT LA SÉPARATION DE ROCKY POINT DE LA BANDE (EN DEHORS D'UNE RÉUNION DU CONSEIL DE BANDE). JE N'ÉTAIS PAS NON PLUS AU COURANT QUE LE RÔLE DU COORDONNATEUR DES PÊCHES ÉTAIT D'OBTENIR DES SIGNATURES POUR LES RCB, CE QUE VOUS PRÉTENDEZ AVOIR FAIT À DE NOMBREUSES OCCASIONS.

6.          Le 19 juillet 1999 : Le chef élu Jadis envoie une « lettre ouverte » à tous les membres de la bande concernant des renseignements inexacts au sujet de la proposition de RCB, et de l'hésitation du conseil à signer cette résolution en dehors d'une réunion du conseil de bande. La lettre se lit en partie comme suit :

[TRADUCTION] CETTE RCB LIMITE LE DROIT DE VOTE AUX RÉSIDENTS DE LA RÉSERVE ROCKY POINT, ET NE PERMET PAS AUX RÉSERVES SCOTCHFORT ET MORELL D'EXPRIMER LEURS OPINIONS SUR LE DÉMEMBREMENT DE LEUR BANDE. NOUS SOUSSIGNÉS, LE CONSEIL ÉLU, N'APPUYONS PAS LE DÉMEMBREMENT DE LA BANDE DE LA FAÇON PROPOSÉE. NOUS AVONS RENCONTRÉ À DEUX REPRISES LES REPRÉSENTANTS DES SERVICES FONCIERS ET FIDUCIAIRES DES AFFAIRES INDIENNES ET AVONS DISCUTÉ PRÉCISÉMENT DE CETTE QUESTION. LES SERVICES FONCIERS ET FIDUCIAIRES NOUS ONT DIT QUE LE MINISTÈRE DES AFFAIRES INDIENNES N'ÉTAIT PAS FAVORABLE À CETTE SÉPARATION, ET QUE, PAR LE PASSÉ, CELA AVAIT ÉTÉ UNE ERREUR DE SÉPARER LA BANDE ABEGWEIT DE L'ÎLE LENNOX.

7.          Le 20 juillet 1999 : Roger Sark accuse réception du facsimilé du chef élu Jadis daté du 19 juillet 1999. Au sujet de la proposition de séparation, il écrit ceci :


[TRADUCTION] [...] Je ne comprends pas votre appréhension à l'idée que les membres de Rocky Point aient leur propre bande. Ce sont les membres de Rocky Point, dont je fais partie, qui veulent leur propre bande et nous sommes déterminés à parvenir à nos fins, d'une façon ou d'une autre. Nous croyons sincèrement que c'est la meilleure façon dont nous puissions utiliser nos capacités pour promouvoir le bien-être de notre collectivité dans tous les domaines, notamment dans les domaines social, économique, éducatif et spirituel.

8.          Le 4 août 1999 : Roger Sark fait parvenir au chef élu Jadis une lettre traitant de différentes questions, dont la proposition de séparation. Au sujet de cette dernière proposition, Roger Sark indique que même s'il n'a pas été mandaté par le conseil de bande, il a été mandaté par une [TRADUCTION] « forte majorité de résidents de Rocky Point ayant le droit de vote » . La lettre indique que son attitude n'est pas une réaction de dépit aux résultats de l'élection de mai, mais plutôt une attitude qui reconnaît qu'un développement sérieux visant à améliorer les conditions sociales, économiques et autres, ne peut se faire que dans le cadre de chaque collectivité.

9.          Le 8 août 1999 : Le chef élu Jadis entre en fonction.

10.        Le 9 août 1999 : Le conseil de bande adopte une résolution pour ramener dans la réserve Scotchfort le bureau de la bande et son service d'administration des programmes. Ce déménagement englobe tous les renseignements financiers et administratifs, de même que les éléments d'actif de la bande.


11.        Le 18 août 1999 : Wendy Petrus, agent de l'administration des bandes et des successions, région de l'Atlantique, ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, envoie une politique intitulée « Nouvelles bandes/Fusions de bandes » , datée de novembre 1991, au conseil de la bande Abegweit.

12.        Le 16 septembre 1999 : James Sark écrit à M. Montour et joint à sa lettre un projet d'entente cadre qui [TRADUCTION] « propose un calendrier et une procédure pour guider les négociations relatives à l'autonomie gouvernementale entre les membres de Rocky Point et le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien » . Il demande à rencontrer les représentants du gouvernement pour conclure l'entente cadre. La lettre se lit en partie comme suit :

[TRADUCTION] [...] Nous ne demandons à personne la permission d'affirmer et d'exercer ce droit. Nous sommes parfaitement conscients que notre demande constitue une question de politique pour vos représentants. Toutefois, avec égards, nous ne considérons pas qu'il s'agit d'une question interne de nature fédérale et celle-ci ne nie pas et ne peut pas nier notre droit à l'autonomie gouvernementale.

13.        Le 8 octobre 1999 : Le prédécesseur de Jane Stewart au poste de ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, qui était alors Robert Nault, répond à la lettre de Roger Sark en date du 15 juillet 1999. Cette lettre incluait la politique sur la constitution et la fusion de bandes (Nouvelles bandes/Fusions de bandes). La lettre indique ce qui suit sur ce point :


[TRADUCTION] En vertu de la politique, votre nouveau groupe doit essentiellement parvenir à une entente avec une Première nation existante sur le partage des éléments d'actif et de passif. Habituellement, les discussions portant sur une telle entente se tiennent avec le groupe qui forme alors la Première nation.

14.        Le 26 octobre 1999 : M. Montour répond à la lettre de James Sark en date du 16 septembre 1999, et l'informe que le bureau régional de l'Atlantique du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien n'est pas en mesure de recommander que le gouvernement du Canada entame des négociations d'autonomie gouvernementale avec sa collectivité. La lettre indique que le gouvernement ne croit pas qu'il soit pratique de négocier les questions d'autonomie gouvernementale avec la collectivité, et préférerait que ces négociations se fassent à l'échelle de la Nation.

15.        Le 15 décembre 1999 : L'avocat représentant les membres qui demandent la séparation de la bande écrit à M. Brian Dorey, Services fonciers et fiduciaires, ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. La lettre se lit en partie comme suit :

[TRADUCTION] Les représentants de la réserve Rocky Point ont tenté à plusieurs reprises de négocier directement une séparation de la bande, mais en vain. L'avocat des représentants de la réserve Rocky Point a communiqué avec l'avocat du conseil de bande et a demandé un traitement équitable pour la réserve Rocky Point ou, subsidiairement, le consentement à la division de la bande. Malgré plusieurs contacts avec l'avocat de la bande, aucune réponse n'a été reçue.

La réserve Rocky Point estime que le conseil de bande actuel a manqué à ses obligations morales et fiduciaires envers les membres de la réserve Rocky Point [...] qui ne voient d'autre solution que de demander la séparation de la bande[...]

La politique sur la division des bandes (Chapitre 11 - Nouvelles bandes/Fusions de bandes) prévoit que le consentement à la création d'une nouvelle bande se fait au moyen de résolutions du conseil de bande. Manifestement, aucune résolution de la bande ou entente de ce genre ne peut être obtenue dans les circonstances. En fait, il y a absence totale de communication ou de coopération entre le nouveau conseil de bande et la réserve Rock [sic] Point.


À notre avis, le ministre a le pouvoir discrétionnaire de constituer la nouvelle bande, malgré l'absence d'entente avec la bande existante, surtout lorsque la situation exige l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire. Nous croyons que la situation difficile dans laquelle se trouve maintenant la réserve Rocky Point exige que le ministre exerce son pouvoir discrétionnaire comme il y est tenu par l'article 17 de la Loi sur les Indiens.

16.        Le 18 février 2000 : M. Brendon Drake, [TRADUCTION] « directeur adjoint, Services fonciers et fiduciaires, région de l'Atlantique » , répond à la lettre du 15 décembre 1999. Il réitère la position exprimée dans des lettres antérieures adressées à James Sark et à d'autres membres qui ont demandé la séparation. Il écrit en partie ce qui suit :

[TRADUCTION] Le ministère n'appuie pas cette demande et ne recommandera pas au ministre que la séparation se fasse. Le gouvernement du Canada s'est engagé à constituer des Premières nations fortes. La division d'une bande est par définition un affaiblissement du tissu social et ne devrait se produire qu'après des consultations avec tous les membres de la bande Abegweit.

17.        Le 31 mars 2000 : Les membres de la réserve Rocky Point qui cherchent à se séparer écrivent à M. Drake. La lettre traite de nombreuses préoccupations, par exemple l'absence d'administrateurs des programmes de la bande ou d'employés à Rocky Point, les services aux enfants, et la représentation politique. La lettre indique également que le chef Jadis force au chômage les résidents de Rocky Point. La lettre réitère la position antérieure de la collectivité sur la séparation et indique ce qui suit à la page 4 :

[TRADUCTION] [...] il n'est pas nécessaire d'être bien futé pour se rendre compte que le conseil et les membres de la bande Abegweit qui résident à Scotchfort et à Morell ne manifestent aucun intérêt véritable à l'égard de notre séparation et de la constitution de notre nouvelle bande, autrement que pour garder notre collectivité en otage et faire de nous des victimes en se servant d'une politique rédigée par le ministère des Affaires indiennes, qui n'a même pas force de loi.


18.        Le 31 mars 2000 : Trois représentants du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien rencontrent les résidents de la réserve Rocky Point.

19.        Le 6 avril 2000 : Un facsimilé est envoyé à M. Montour par l'avocat représentant les membres qui souhaitent se séparer; ce facsimilé contient des observations sur la réunion du 31 mars 2000. Le facsimilé exprime de la colère et de la consternation à l'égard de deux articles parus dans la presse locale dans lesquels M. Bill Nye est cité comme déclarant que la position du ministère n'a pas changé. La lettre réitère que le conseil de la bande Abegweit refuse de communiquer avec Rocky Point.

20.        Le 18 avril 2000 : M. Montour répond au facsimilé du 6 avril 2000, en indiquant qu'il a parlé à M. Drake et que la position du ministère reste la même. M. Montour signale également que les déclarations de M. Nye à la presse étaient exactes. M. Montour ajoute les observations suivantes :

[TRADUCTION] Vos clients ont identifié un certain nombre de questions qui, à leur avis, ne peuvent être résolues que par la séparation et la création d'une nouvelle bande. D'après ce que je comprends, M. Nye a offert d'animer une réunion entre vos clients et le conseil de la bande Abegweit pour discuter de ces questions. Cette offre a été rejetée par les résidents de Rocky Point.

Nous vous répétons que le bureau offre ses services pour convoquer une réunion entre le conseil de la bande Abegweit et vos clients.


21.        Le 28 avril 2000 : L'avocat des membres qui demandent la séparation répond à la lettre de M. Montour, et traite de plusieurs questions. Sur le point de la convocation de la réunion avec la bande Abegweit, l'avocat écrit ceci :

[TRADUCTION] À la réunion du 31 mars 2000, les résidents de la réserve Rocky Point ont indiqué clairement la raison pour laquelle l'offre de M. Nye d'animer une réunion avec le conseil de bande ne servait à rien. De nombreux efforts ont été faits, directement par l'entremise des avocats, pour avoir des communications avec le conseil de bande, mais sans succès [...]

[...] il est difficile de voir comment une réunion entre les deux groupes pourrait amener un changement de la position intraitable du conseil de bande et de sa politique d'exclusion délibérée. Encore une fois, ce n'est pas comme si le conseil de bande (ou en fait le ministère) n'était pas au courant de l'absence de services, d'emplois et ainsi de suite - et pourtant ces problèmes persistent et leurs conséquences s'aggravent.

22.        Le 16 mai 2000 : M. Montour répond à la lettre du 28 avril 2000 et réitère qu'il n'appuie pas la séparation de la réserve Rocky Point. Il indique également ceci :

[TRADUCTION] Notre bureau s'est engagé à construire des Premières nations fortes. Je réaffirme donc notre offre de faciliter les discussions entre les résidents de Rocky Point et le conseil de bande.

[8]                 Les questions en litige

1.          La lettre du 16 mai 2000 de M. Montour n'est-elle pas une « décision ou une ordonnance d'un office fédéral » et par conséquent n'est-elle pas assujettie au contrôle judiciaire aux termes de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7?

2.          Les demandeurs ont-ils respecté la règle 81 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, concernant la preuve par affidavit déposée à l'appui des demandes?


3.          Les demandeurs recherchent-ils le contrôle judiciaire d'une décision qui a été prise aux termes de l'article 17 de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5?

4.          S'agit-il d'un différend justiciable?

5.          Le ministre ou son délégué a-t-il préjugé de la requête visant la division de la bande?

6.          Le ministre ou son délégué a-t-il fait obstacle à l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en appliquant strictement la politique du ministère ayant trait à la constitution des nouvelles bandes et sans examiner comme il convient l'ensemble des éléments de preuve présentés à l'appui de la requête?

7.          Le ministre ou son délégué a-t-il commis une erreur de droit en ne donnant pas de motifs adéquats pour refuser la requête?

Droit et politique applicables - Nouvelles bandes/Fusions de bandes

[9]                 L'article 17 de la Loi sur les Indiens, précitée, est rédigé dans les termes suivants :



17. (1) Le ministre peut, lorsqu'il l'estime à propos_:

a) fusionner les bandes qui, par un vote majoritaire de leurs électeurs, demandent la fusion;

b) constituer de nouvelles bandes et établir à leur égard des listes de bande à partir des listes de bande existantes, ou du registre des Indiens, s'il lui en est fait la demande par des personnes proposant la constitution de nouvelles bandes.

(2) Si, conformément au paragraphe (1), une nouvelle bande a été constituée à même une bande existante ou une partie de cette dernière, la fraction des terres de réserve et des fonds de la bande existante que le ministre détermine est détenue à l'usage et au profit de la nouvelle bande.

(3) Aucune protestation ne peut être formulée en vertu de l'article 14.2 à l'égard d'un retranchement d'une liste de bande ou d'une addition à celle-ci qui découle de l'exercice par le ministre de l'un de ses pouvoirs prévus au paragraphe (1).

17. (1) The Minister may, whenever he considers it desirable,

(a) amalgamate bands that, by a vote of a majority of their electors, request to be amalgamated; and

(b) constitute new bands and establish Band Lists with respect thereto from existing Band Lists, or from the Indian Register, if requested to do so by persons proposing to form the new bands.

(2) Where pursuant to subsection (1) a new band has been established from an existing band or any part thereof, such portion of the reserve lands and funds of the existing band as the Minister determines shall be held for the use and benefit of the new band.

(3) No protest may be made under section 14.2 in respect of the deletion from or the addition to a Band List consequent on the exercise by the Minister of any of the Minister's powers under subsection (1).


[10]            Le terme « bande » est défini comme suit dans la Loi sur les Indiens :


« bande » Groupe d'Indiens, selon le cas_:

a) à l'usage et au profit communs desquels des terres appartenant à Sa Majesté ont été mises de côté avant ou après le 4 septembre 1951;

b) à l'usage et au profit communs desquels, Sa Majesté détient des sommes d'argent;

c) que le gouverneur en conseil a déclaré être une bande pour l'application de la présente loi.

"band" means a body of Indians

(a) for whose use and benefit in common, lands, the legal title to which is vested in Her Majesty, have been set apart before, on or after September 4, 1951,

(b) for whose use and benefit in common, moneys are held by Her Majesty, or

(c) declared by the Governor in Council to be a band for the purposes of this Act;



[11]            Le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale stipule ce qui suit :


(2) Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication, par l'office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance au bureau du sous-procureur général du Canada ou à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu'un juge de la Section de première instance peut, avant ou après l'expiration de ces trente jours, fixer ou accorder.

(2) An application for judicial review in respect of a decision or order of a federal board, commission or other tribunal shall be made within thirty days after the time the decision or order was first communicated by the federal board, commission or other tribunal to the office of the Deputy Attorney General of Canada or to the party directly affected thereby, or within such further time as a judge of the Trial Division may, either before or after the expiration of those thirty days, fix or allow.


[12]            L'expression « office fédéral » est défini comme suit à l'article 2 :


« office fédéral » Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d'une prérogative royale, à l'exclusion d'un organisme constitué sous le régime d'une loi provinciale ou d'une personne ou d'un groupe de personnes nommées aux termes d'une loi provinciale ou de l'article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867.

"federal board, commission or other tribunal" means any body or any person or persons having, exercising or purporting to exercise jurisdiction or powers conferred by or under an Act of Parliament or by or under an order made pursuant to a prerogative of the Crown, other than any such body constituted or established by or under a law of a province or any such person or persons appointed under or in accordance with a law of a province or under section 96 of the Constitution Act, 1867;


[13]            La règle 81 des Règles de la Cour fédérale (1998) est rédigée dans les termes suivants :



81. (1) Les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, sauf s'ils sont présentés à l'appui d'une requête, auquel cas ils peuvent contenir des déclarations fondées sur ce que le déclarant croit être les faits, avec motifs à l'appui.

(2) Lorsqu'un affidavit contient des déclarations fondées sur ce que croit le déclarant, le fait de ne pas offrir le témoignage de personnes ayant une connaissance personnelle des faits substantiels peut donner lieu à des conclusions défavorables.

81. (1) Affidavits shall be confined to facts within the personal knowledge of the deponent, except on motions in which statements as to deponent's belief, with the grounds therefor, may be included.

(2) Where an affidavit is made on belief, an adverse inference may be drawn from the failure of a party to provide evidence of persons having personal knowledge of material facts



Extraits de la politique Nouvelles bandes/Fusions de bandes

(en date de novembre 1991)

11.1.2                                        Définitions

Nouvelle bande :                       Groupe d'Indiens auxquels le ministre a accordé la qualité de bande en vertu de l'article 17 de la Loi sur les Indiens (s'applique aux divisions de bande et aux bandes nouvellement constituées).

Division de bande : Proposition d'un groupe de membres d'une bande désireux de se séparer de la bande à laquelle il appartient, pour former une nouvelle bande.

Bande nouvellement                 

constituée:                                 Proposition, de la part d'un groupe d'Indiens n'appartenant pas à une bande existante, de former une nouvelle bande.

Fusion de bande:                      Fusion de deux bandes ou plus afin de n'en former qu'une seule, en conformité avec l'article 17 de la Loi sur les Indiens.

11.1.3                                        APPROBATION DE PRINCIPE DU SM

Les représentants du ministère ne doivent pas prendre de mesures pouvant être interprétées comme un engagement de la part du ministère envers une proposition de former une nouvelle bande ou de fusionner des bandes, sans le consentement écrit du sous-ministre (approbation de principe du SM)

11.2                                             JUSTIFICATIONS EN VERTU DE LA POLITIQUE

On peut soumettre une demande d'approbation de principe au SM lorsqu'on peut fournir les justifications suivantes, en vertu de la politique.

11.2.1                        Nouvelles bandes

11.2.1.1                     Division de bande - À la demande de membres de la bande

Le ministère peut recommander au sous-ministre d'approuver une demande de reconnaissance de la qualité de nouvelle bande présentée par des membres d'une bande qui souhaitent se séparer d'une bande existante et former leur propre bande, lorsque les conditions décrites ci-après peuvent être remplies :

i)              Préalablement à l'étude de la proposition, la (les) bande(s), les membres de la nouvelle bande proposée et des représentants du ministère ont exploré divers moyens de résoudre les questions litigieuses qui ont abouti à la demande de division;


ii)              Le ministère exige une assise territoriale pour la nouvelle bande et une entente sur le partage des ressources des bandes existantes (actif et financement), de telle sorte que toutes les bandes concernées (existantes et proposées) puissent dispenser des programmes et des services uniformes à leurs membres. En conséquence, une nouvelle bande proposée désireuse de s'établir au sud du 60e parallèle doit négocier la libération de terres de réserve, sans frais pour le ministère, dans le cadre d'une entente avec la (les) bande(s) existante(s). De la même façon, lorsque la bande qui propose de se constituer souhaite s'établir au Yukon ou dans les Territoires du Nord-Ouest, elle doit chercher à s'entendre avec la (les) bande(s) existante(s) à propos de la libération de terres de réserve ou de terres mises en réserve par notification, en vertu de la Loi sur les terres territoriales, selon le cas, sans frais pour le ministère. Les assiettes territoriales existantes et proposées doivent être pourvues de l'infrastructure et des services suffisants pour que le ministère n'ait pas à engager de dépenses extraordinaires pendant les cinq à dix années à venir.

Toutefois, lorsqu'il n'est possible d'obtenir la libération de terres de la (des) bande(s) existante(s), la nouvelle bande à être constituée doit soumettre, dans le cadre de sa proposition, une demande en vue d'acquérir des terres de réserve ou des terres mises en réserve par notification, selon le cas, en conformité avec les dispositions du paragraphe 9.2.2 (propositions foncières provinciales) ou de la partie 9.2.9.1 (bandes ne possédant pas de terres), du chapitre 9 du présent Guide. Dans le cas de terres acquises par notification, l'alinéa 9.2.2 ne s'applique pas, puisqu'il a trait à des terres provinciales, tandis qu'il faut interpréter le paragraphe 9.2.9.1, avec les modifications qui s'imposent.

11.3                           LIGNES DIRECTRICES

11.3.1                        Généralités

Les lignes directrices qui suivent s'appliquent aussi bien aux nouvelles bandes qu'aux bandes désireuses de fusionner, la seule petite variante étant celle de l'étape 1, par laquelle se distinguent les deux types de propositions.

Comme nous l'avons indiqué au paragraphe 11.1.3 qui précède, les régions ne doivent pas prendre de mesures qui donneraient à penser que le ministère accepte une proposition, sans avoir préalablement obtenu l'approbation de principe du sous-ministre.

11.3.2           Étape 1 : Demande officielle

11.3.2.1        Nouvelles bandes - Demande de collectivité/RCB

Les représentants des groupes désireux de former la nouvelle bande doivent présenter par écrit une demande officielle dans ce sens à la région. Dans le cas de la division d'une bande, la demande doit indiquer les raisons de la division et les solutions de rechange envisagées. De plus, lorsque les ressources en cause et que le nombre de membres de la bande qui proposent de se séparer de la bande d'origine sont importants, la (les) bande(s) d'origine est (sont) tenue(s) de soumettre des RCB (résolutions du conseil de bande) indiquant clairement que leur(s) conseil(s) de bande consent(ent) à la création de la nouvelle bande et à tout transfert d'actif proposé.


Dans le cas de la division d'une bande, il est recommandé que les groupes forment un comité mixte afin de faciliter la négociation du partage des ressources et de l'actif avec les bandes existantes.

11.3.2.2        Fusions de bandes - RCB

Toutes les bandes qui demandent la fusion doivent soumettre à la région des RCB pertinentes, devant faire état des motifs de la demande, des solutions de rechange envisagées et du plan d'administration de l'actif élaboré par les conseils de bande en prévision de la fusion. Au besoin, les RCB préciseront que les bandes adopteront un régime d'appartenance commun, avant la prise du décret ministériel prévu en vertu de l'article 17 de la Loi.

Il est recommandé aux bandes de former un comité mixte, afin de faciliter la négociation des modalités de la fusion proposée.

11.3.3           Étape 2 : Analyse par la région et recommandation

Les représentants es districts ou des régions, y compris les membres du Comité régional d'examen des ajouts (constitué de représentants de Terres, Revenus et Fiducie (TRF), des Services aux Indiens, des Finances et d'autres programmes, s'il y a lieu), doivent analyser la proposition en profondeur, à la lumière des justifications fournies en regard de la politique et des critères exposés précédemment. Pour les besoins de cette analyse et de l'exposé à l'intention du sous-ministre, le Comité doit utiliser le document intitulé Nouvelle bande/Fusion de bandes - Liste de contrôle (Appendice A du présent chapitre). Tous les représentants de programme siégeant au Comité apporteront leur contribution à la préparation de la Liste de contrôle, quant aux répercussions de la proposition sur leur programme respectif. Le DGR produira un rapport énonçant sa recommandation au sujet de la proposition, à l'intention du sous-ministre associé (SMA) de TRF.

11.3.4           Étape 3 : Examen par l'AC

Le rapport de la région, accompagné de la Liste de contrôle - Nouvelle bande/Fusion de bandes, sera expédié au Comité d'examen des ajouts de l'AC, qui l'examinera à la lumière des justifications et des critères exposés précédemment. Le Comité prépare ensuite une recommandation, d'après les indications des SMA de TRF et des Services aux Indiens, à l'intention du sous-ministre, en vue d'obtenir son approbation de principe.

11.3.5           Étape 4 : Approbation de principe du SM

À cette étape, le principe de la proposition est soit rejeté, soit approuvé par le sous-ministre. Si l'approbation donnée est assortie de conditions, ces dernières devront avoir été remplies avant que le ministre donne effet à la création de la nouvelle bande ou à la fusion de bandes.

Nota :          L'approbation de principe donnée par le sous-ministre ne constitue pas un engagement exécutoire envers l'approbation de la proposition. Seul un décret ministériel pris en vertu de l'article 17 de la Loi peut effectivement créer une nouvelle bande ou donner effet à une fusion de bandes.


11.3.6           Étape 5 : Consultation avec les électorats

Une fois l'approbation de principe obtenue du SM, les électorats concernés doivent confirmer leur accord avec les modalités de la proposition. Ainsi, lorsque la création d'une nouvelle bande est proposée, la collectivité qui formera la nouvelle bande doit être consultée. De plus, lorsqu'un nombre assez considérable de membres d'une collectivité se séparent d'une bande existante ou que des ressources importantes sont transférées à la nouvelle bande, la partie de l'électorat demeurant avec la bande existante doit aussi approuver les modalités de la séparation. De la même manière, lorsqu'on propose la fusion de bandes, la majorité de l'électorat de chaque bande concernée doit en approuver les modalités.

La Loi ne renferme aucune disposition particulière en matière de consultation des électorats concernés. Toutefois, on peut tenir une consultation par voie de plébiscite organisé par la région, selon les procédures comparables à celles que décrit le Règlement sur les référendums des Indiens. Dans le cas d'une proposition visant à créer une nouvelle bande (par opposition à une fusion), il faut produire une déclaration confirmant l'intention des membres de la bande de passer à l'effectif de la nouvelle bande, qui établira la liste de ses membres de foi de ces déclarations. Il faut dresser une liste d'électeurs (d'après l'effectif de départ) énumérant les membres admissibles à voter conformément aux règles établies pour le scrutin (voir Modèles de la « Déclaration d'intention » et du document intitulé « Effectif des nouvelles bandes » , constituant respectivement les annexes B et C du présent chapitre).

En ce qui a trait aux propositions, de nouvelles bandes comme de fusion de bandes, il faut ensuite tenir un scrutin, de préférence en conformité avec les règles pertinentes énoncées dans le Règlement sur les référendums des Indiens, notamment en ce qui a trait aux avis préalables. De plus, des bureaux de scrutin devront être établis dans chaque collectivité visée par un projet de création de bande ou de fusion de bandes (voir les modèles d' « Avis de plébiscite » et de « Scrutin » constituant respectivement les appendices D et E du présent chapitre).

Après la lecture du plébiscite, il faut transmettre à l'administration centrale un document énonçant les règles et les résultats du scrutin dans chaque collectivité consultée, accompagné d'un rapport de la région et de la liste de l'effectif de la nouvelle bande proposée (voir en appendice F du présent chapitre, le modèle de « Résultats du scrutin » ).

La consultation des électorats concernés peut se faire, sinon par voie plébiscitaire, selon la coutume en usage dans les bandes concernées. Si la consultation se tient selon la coutume, la région doit en indiquer les résultats dans son rapport à l'Administration centrale.

11.3.7           Étape 6 : Décret ministériel

Une fois que les électorats concernés se sont prononcés en faveur de la proposition, qu'une assiette territoriale a été attribuée (si la présente politique l'exige) et que toutes les conditions énoncées dans l'approbation de principe du SM ont été remplies, l'Administration centrale rédigera un décret ministériel, en conformité avec l'article 17 de la Loi, portant création de la nouvelle bande ou fusion de bandes, selon le cas, pour signature par le ministre.


Au besoin, le décret ministériel peut prévoir la mise en réserve de terres de réserve existantes à l'usage et au profit de la nouvelle bande proposée ou de la bande issue de la fusion (un décret d'attestation du Conseil n'étant pas nécessaire pour opérer le transfert de terres dan de tels cas). Toutefois, lorsqu'on fait l'acquisition de l'assiette territoriale destinée à une nouvelle bande proposée, en conformité avec le paragraphe 9.2.2 (propositions foncières des provinces) ou du sous-paragraphe 9.2.9.1 (bandes ne possédant pas de terres) du chapitre 9, il faut également se conformer aux dispositions des paragraphes 9.4.2 à 9.4.9 du chapitre 9.

Analyse et décision

[14]                   Première question

La lettre du 16 mai 2000 de M. Montour n'est-elle pas une « décision ou une ordonnance d'un office fédéral » et par conséquent n'est-elle pas assujettie au contrôle judiciaire aux termes de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7?

L'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, précitée, est rédigé dans les termes suivants :



18.1 (1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l'objet de la demande.

(2) Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication, par l'office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance au bureau du sous-procureur général du Canada ou à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu'un juge de la Section de première instance peut, avant ou après l'expiration de ces trente jours, fixer ou accorder.

(3) Sur présentation d'une demande de contrôle judiciaire, la Section de première instance peut_:a) ordonner à l'office fédéral en cause d'accomplir tout acte qu'il a illégalement omis ou refusé d'accomplir ou dont il a retardé l'exécution de manière déraisonnable;

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu'elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l'office fédéral.

18.1 (1) An application for judicial review may be made by the Attorney General of Canada or by anyone directly affected by the matter in respect of which relief is sought.

(2) An application for judicial review in respect of a decision or order of a federal board, commission or other tribunal shall be made within thirty days after the time the decision or order was first communicated by the federal board, commission or other tribunal to the office of the Deputy Attorney General of Canada or to the party directly affected thereby, or within such further time as a judge of the Trial Division may, either before or after the expiration of those thirty days, fix or allow.

(3) On an application for judicial review, the Trial Division may

(a) order a federal board, commission or other tribunal to do any act or thing it has unlawfully failed or refused to do or has unreasonably delayed in doing; or

(b) declare invalid or unlawful, or quash, set aside or set aside and refer back for determination in accordance with such directions as it considers to be appropriate, prohibit or restrain, a decision, order, act or proceeding of a federal board, commission or other tribunal.                    


L'intimé fait instamment valoir à la Cour que la lettre du 16 mai 2000 n'est pas une « décision ou ordonnance d'un office fédéral » . Il semble, d'après la décision du juge Evans (maintenant juge à la Cour d'appel) dans Markevich c. Canada (C.F. 1re inst.) [1999] 3 C.F. 28 (C.F., 1re inst.) qu'il ne soit pas nécessaire que la lettre soit une « décision ou ordonnance » pour pouvoir faire l'objet du recours en contrôle judiciaire. Le juge Evans (maintenant juge à la Cour d'appel) a déclaré ce qui suit aux paragraphes 9 à 14 :

La défenderesse conteste la compétence de la Cour en la matière, par ce motif que seule une " décision ou ordonnance " peut faire l'objet du recours en contrôle judiciaire prévu à l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale. La lettre envoyée au nom du ministre, identifiée dans la requête introductive d'instance du demandeur comme étant l'objet du recours en contrôle judiciaire, n'était qu'un moyen d'information et n'entendait délimiter ou affecter ses droits ou obligations de quelque manière que ce soit. Elle n'était pas une " décision ou ordonnance " et, de ce fait, échappait au contrôle de la Cour. D'ailleurs, le juge Teitelbaum a tiré dans Fuchs c. Canada, [1997] 2 C.T.C. 246 (C.F., 1re inst.), la même conclusion sur des faits fort semblables.

Je ne partage pas cette conception plutôt restrictive de ce qui peut relever du pouvoir de contrôle de la Cour. Les mots " décision ou ordonnance " se trouvent au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale, aux termes duquel la demande de contrôle judiciaire doit être présentée dans les 30 jours qui suivent la première communication, par l'office fédéral, de " sa décision ou de son ordonnance ". À mon avis, ce paragraphe ne fait que prévoir le délai dans lequel la demande de contrôle judiciaire contre une décision ou ordonnance doit normalement être introduite, sous peine de prescription. Il ne dit pas que seules les décisions ou ordonnances peuvent faire l'objet d'un recours en contrôle judiciaire, il ne dit pas non plus qu'une mesure administrative autre qu'une décision ou ordonnance est soumise au délai de prescription de 30 jours; voir Krause c. La Reine (C.A.F., A-135-98, 8 février 1999).


Il me semble que les matières sujettes à contrôle judiciaire sont prévues au paragraphe 18.1(3), aux termes duquel la Section de première instance, saisie du recours, peut ordonner à l'office fédéral concerné d'accomplir tout acte qu'il a illégalement omis ou refusé d'accomplir, ou déclarer nul ou illégal, renvoyer pour jugement, ou prohiber ou restreindre " toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l'office fédéral ". Les mots " procédure ou tout autre acte " ont clairement une portée générale et peuvent comprendre une grande diversité d'actions administratives qui ne sont pas pour autant des " décisions ou ordonnances ", par exemple les règlements, rapports ou recommandations relevant de pouvoirs légaux, les énoncés de politique, lignes directrices et guides, ou l'une quelconque des formes multiples que peut prendre l'action administrative dans la prestation d'un programme public par un organisme public; voir Krause c. La Reine , précité.

N'est cependant considéré comme " procédure ou tout autre acte " susceptible de contrôle judiciaire que l'acte administratif qui représente une " procédure ou tout autre acte " d'un " office fédéral ", savoir un conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne " ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale " (paragraphe 2(1) de la Loi sur la Cour fédérale ). La lettre envoyée au demandeur au nom du ministre, et qui fait l'objet de ce recours en contrôle judiciaire, n'était certes ni un acte ni une procédure d'un office fédéral dans l'exercice d'un pouvoir légal, mais le ministre est une personne ayant les pouvoirs légaux, qu'il tient de la Loi de l'impôt sur le revenu.

Même si elle ne s'inscrit pas dans l'exercice d'un pouvoir légal, la mesure administrative prise par une personne ayant des pouvoirs légaux peut être soumise au contrôle judiciaire à titre de " procédure ou autre acte " par application de l'alinéa 18.1(3)b ) si elle touche aux droits ou intérêts d'individus. La lettre en question ne comportait aucune décision prise en application d'un pouvoir légal, ni n'était expressément censée porter atteinte à un droit ou intérêt quelconque du demandeur. Cependant, on peut raisonnablement interpréter ce document ainsi que les communications entre le demandeur et Mme Kara, sa rédactrice, comme signifiant que Revenu Canada avait décidé de procéder au recouvrement de l'impôt en souffrance et entendait faire le nécessaire pour recouvrer la dette fiscale antérieurement " radiée ". Et tel était effectivement le cas, comme en témoignent les sommations de payer envoyées par la suite.

Ce serait, à n'en pas douter, potentiellement très dommageable pour l'entreprise et la réputation professionnelle du contribuable si Revenu Canada envoyait des sommations de payer qui révèlent que celui-ci est en défaut de paiement d'une dette fiscale considérable et obligeait son créancier à payer à Revenu Canada ce qu'il doit au contribuable. La Loi de l'impôt sur le revenu ne prévoit aucune voie de droit que pourrait exercer le contribuable pour contester la validité de la sommation de payer. À mon avis, ce serait une grave lacune dans le pouvoir de contrôle de la Cour si elle ne pouvait connaître du recours contre la sommation de payer dans les cas où, comme en l'espèce, le contribuable est dans l'impossibilité de faire valoir le motif de contestation à la réception de l'avis de cotisation.

[15]                   Le dossier renferme un extrait de la politique établie vraisemblablement par le ministre et son ministère et qui traite en détail de la procédure à suivre pour traiter d'une demande d'établissement de nouvelles bandes. En résumé, la procédure est la suivante :


Étape 1    Le groupe de la nouvelle bande proposée doit présenter par écrit une demande à la région à cette étape, si les ressources et le nombre de membres qui proposent de se séparer de la bande d'origine sont importants, la bande d'origine est tenue de soumettre des résolutions du conseil de bande indiquant qu'elle consent à la création de la nouvelle bande et à tout transfert d'actif proposé.

Étape 2    Analyse par la région et recommandation

À cette étape, les représentants du district et de la région (y compris les membres du Comité régional d'examen des ajouts, les représentants de Terres, Revenus et Fiducie (TRF), les Services aux Indiens et d'autres programmes au besoin) doivent analyser la proposition en profondeur à la lumière de certaines justifications fournies en regard de la politique et des critères énoncés dans cette dernière. Pour les besoins de cette analyse et de l'exposé à l'intention du sous-ministre, le Comité doit utiliser le document intitulé Nouvelle bande/Fusion de bandes - Liste de contrôle qui devait être joint au chapitre énonçant la politique relative aux nouvelles bandes. Tous les représentants de programme doivent apporter leur contribution à la préparation de la liste de contrôle, quant aux répercussions de la proposition sur les programmes. Le directeur général régional doit produire un rapport, énonçant sa recommandation au sujet de la proposition, à l'intention du sous-ministre associé de TRF.


Étape 3    Examen par l'administration centrale

Le rapport de la région, accompagné du document Nouvelle bande/Fusion de bandes - Liste de contrôle dûment rempli, est transmis au Comité d'examen des ajouts de l'administration centrale qui l'examinera à la lumière des justifications et des critères de politique susmentionnés. Le Comité prépare ensuite une recommandation, d'après les indications du sous-ministre associé de TRF et des Services aux Indiens, à l'intention du sous-ministre en vue d'obtenir son approbation de principe.

Étape 4    Approbation de principe du sous-ministre

« À cette étape, le principe de la proposition est soit rejeté, soit approuvé par le sous-ministre » . L'approbation peut être assortie de conditions.

Étape 5    Consultation avec l'électorat

À cette étape, il y a consultation après que l'approbation de principe a été obtenue du ministre.

Étape 6    Décret ministériel

Il s'agit du décret par lequel la nouvelle bande sera créée.


[16]                   L'analyse de la lettre de M. Montour fait clairement ressortir que la région de l'Atlantique n'appuie pas la création de la nouvelle bande. Un examen du dossier indique que la proposition ne s'est pas rendue à l'étape 2 de la procédure recommandée dans la politique établie par le ministre, étant donné que le dossier ne révèle pas l'existence d'une liste de contrôle concernant la création d'une nouvelle bande ou la fusion de bandes et ne renferme pas non plus de rapport énonçant la recommandation du directeur général régional adressée au sous-ministre associé de TRF. Je suis convaincu que la lettre de M. Montour a eu pour effet de mettre fin à l'établissement de la nouvelle bande proposée à moins que l'offre visant à faciliter les discussions entre les résidents de Rocky Point et le conseil de bande aient pu apporter une solution à cette proposition. Il n'est pas raisonnable de croire que cela aurait pu se produire puisque, comme l'indique le dossier, des tentatives avaient été faites en vue de discuter de la proposition, mais en vain. Pour les motifs précités, je suis d'avis que la lettre du 16 mai 2000 peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire aux termes de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, précitée, et particulièrement, aux termes du paragraphe 18.1(3).

[17]                   Deuxième question

Les demandeurs ont-ils respecté la règle 81 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, concernant la preuve par affidavit déposé à l'appui des demandes?

La règle 81 des Règles de la Cour fédérale (1998) est rédigée dans les termes suivants :



81. (1) Les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, sauf s'ils sont présentés à l'appui d'une requête, auquel cas ils peuvent contenir des déclarations fondées sur ce que le déclarant croit être les faits, avec motifs à l'appui.

(2) Lorsqu'un affidavit contient des déclarations fondées sur ce que croit le déclarant, le fait de ne pas offrir le témoignage de personnes ayant une connaissance personnelle des faits substantiels peut donner lieu à des conclusions défavorables.

81. (1) Affidavits shall be confined to facts within the personal knowledge of the deponent, except on motions in which statements as to the deponent's belief, with the grounds therefor, may be included.

(2) Where an affidavit is made on belief, an adverse inference may be drawn from the failure of a party to provide evidence of persons having personal knowledge of material facts.


Le défendeur a fait valoir que l'affidavit de Brian Francis renferme des interprétations du droit (paragraphes 28 à 33), des avis personnels (paragraphes 7, 9, 12 à 14, 17 à 19, 20 à 22, 26, 30 à 34) et des renseignements obtenus de seconde main (paragraphes 9, 13, 20, 21, 34). Je suis disposé à rayer la première phrase du paragraphe 28, des paragraphes 7, 9, 12, 13, 14, 17, 19, 32, 33, 34 ainsi que la dernière phrase des paragraphes 21 et 22. Toutefois, je ne suis pas disposé à tirer des conclusions défavorables du fait qu'on a omis d'appeler d'autres témoins. Après un rapide examen du dossier, y compris de la note de service du défendeur, je suis convaincu que la Cour dispose des faits substantiels nécessaires pour se prononcer sur cette demande.

[18]                   Troisième question

Les demandeurs recherchent-ils le contrôle judiciaire d'une décision qui a été prise aux termes de l'article 17 de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5?


Le défendeur fait valoir que le ministre n'a pas encore pris de décision et que, par conséquent, les demandeurs ont intenté cette procédure prématurément. Dans l'arrêt La Reine c. Harrison [1977] 1 R.C.S. 238, le juge Dickson (plus tard juge en chef de la Cour suprême) a déclaré ce qui suit à la page 244 :

[...] La Division d'appel de la Cour suprême de l'Alberta en est arrivée à une conclusion différente et, à mon avis, préférable sur des faits identiques dans l'affaire R. c. Wiens où l'avis d'appel avait été autorisé, semble-t-il, par J.M. Bentley du ministère de la Justice. La Cour a renvoyé aux déclarations du juge Jenkins et de lord Denning (tel était alors son titre) dans l'affaire Metropolitan Borough and Town Clerk of Lewisham c. Roberts, où ce dernier déclarait à la page 621 :

[TRADUCTION] [...] J'estime qu'il est maintenant tout à fait clair qu'un ministre chargé de fonctions administratives, par opposition à des fonctions législatives, a le droit d'agir par l'intermédiaire de tout fonctionnaire autorisé de son ministère. Le Ministre n'est pas tenu de s'occuper personnellement de la question. Cela est implicite dans les rouages modernes du gouvernement.

Il poursuit aux pages 245 et 246 :

[...] Bien qu'il existe une règle générale d'interprétation de la loi selon laquelle une personne doit exercer personnellement le pouvoir discrétionnaire dont elle est investie (delegatus non potest delegare), elle peut être modifiée par les termes, la portée ou le but d'un programme administratif donné. Le pouvoir de délégation est souvent implicite dans un programme qui donne au ministre le pouvoir d'agir. Comme le remarque le professeur Willis dans « Delegatus Non Potest Delegare » , (1943), 21 Can. Bar Rev. 257 à la p. 264 :

[TRADUCTION] [...] dans leur application du principe delegatus non postest delegare aux organismes du gouvernement, les tribunaux ont préféré le plus souvent s'éloigner de l'interprétation étroite du texte de loi qui les obligerait à y voir le mot « personnellement » et adopter l'interprétation qui convient le mieux aux rouages modernes du gouvernement qui, étant théoriquement le fait des représentants élus mais, en pratique, celui des fonctionnaires ou des agents locaux, leur commandent sans aucun doute d'y voir l'expression « ou toute personne autorisée par lui » .


Voir aussi S. A. DeSmith, Judicial Review of Administrative Action, 3e éd., à la p. 271. Lorsque l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire est confié à un ministre du gouvernement, on peut alors supposer que les mesures nécessaires seront prises par les fonctionnaires responsables du ministère et non par le ministre lui-même : Carltona Ltd. v. Commissioners of Works. De nos jours, les fonctions d'un ministre du gouvernement sont si nombreuses et variées qu'il serait exagéré de s'attendre à ce qu'il les remplisse personnellement. On doit présumer que le ministre nommera des sous-ministres et des fonctionnaires expérimentés et compétents et que ceux-ci, le ministre étant responsable de leurs actes devant la législature, s'acquitteront en son nom de fonctions ministérielles dans les limites des pouvoirs qui leur sont délégués. Toute autre solution n'aboutirait qu'au chaos administratif et à l'incurie. Il est vrai qu'en l'espèce rien ne prouve que le procureur général de la Colombie-Britannique ait donné personnellement des instructions à M. McDiarmid d'agir en son nom ou en appeler des jugements ou des verdicts d'acquittement prononcés par les tribunaux de première instance. Toutefois, il est raisonnable de présumer que le « Directeur de la section de droit pénal » de la province est autorisé à donner ces instructions.

Mon interprétation de la décision du juge Evans (maintenant juge à la Cour d'appel) dans l'affaire Markevich, précitée, m'amène à la conclusion que la lettre du 16 mai 2000 de M. Montour peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire. Par conséquent, il n'est pas nécessaire de déterminer si une décision a ou non été prise aux termes de l'article 17 de la Loi sur les Indiens, précitée, en suivant le raisonnement énoncé dans l'arrêt La Reine c. Harrison, précité. D'après ma conclusion, la procédure n'a pas été intentée prématurément.

[19]                   Quatrième question

1.                       S'agit-il d'un différend justiciable?


Je suis d'avis qu'il s'agit d'une question justiciable? Les défendeurs ont fait valoir que la décision du ministre est une décision discrétionnaire et que la Cour n'a pas le droit de substituer sa décision à celle du ministre. Je suis d'accord avec cette déclaration générale, mais la Cour ne substitue pas son opinion à celle du ministre, décision qui peut fort bien être prise pour des raisons de politique. En l'espèce, c'est la décision de ne pas suivre la procédure énoncée par la politique traitant d'une demande de création d'une nouvelle bande qui est en cause. La décision prise, par suite de l'application de la politique, relève du pouvoir du ministre, dans la mesure où elle respecte les principes juridiques applicables à ce genre de décisions. La Cour n'a pas l'intention de dicter au ministre la décision à prendre.

[20]                   Cinquième question

Le ministre ou son délégué a-t-il préjugé de la requête visant la division de la bande?

Sixième question

Le ministre ou son délégué a-t-il fait obstacle à l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en appliquant strictement la politique du ministère ayant trait à la constitution des nouvelles bandes et sans examiner comme il convient l'ensemble des éléments de preuve présentés à l'appui de la requête?


Je propose de traiter des questions 5 et 6 simultanément étant donné que les demandeurs font essentiellement valoir que les défendeurs ont manqué à l'obligation d'équité procédurale, en raison de la manière dont la demande a été traitée. Il n'est pas contesté que le ministère défendeur a mis en place une procédure en six étapes pour traiter des demandes, en l'espèce, de création d'une nouvelle bande au moyen de la division d'une bande existante. Il est raisonnable de supposer, à tout le moins, que les demandes de ce genre devraient être traitées conformément à la politique établie par le ministère. Le dossier indique que la demande actuelle n'a pas été traitée de cette façon. Un examen du dossier m'amène à conclure que la demande actuelle n'a pas dépassé l'étape 2. Il y a eu une tentative de négociation concernant la création de la nouvelle bande à partir de la bande existante, mais cette tentative a été infructueuse en raison de la rupture des communications entre les deux parties. J'ai examiné le dossier et je ne peux conclure que l'analyse prévue à l'étape 2 a été effectuée. Le dossier ne contient aucun document intitulé Nouvelle bande/Fusion de bandes - Liste de contrôle. Aucun rapport énonçant la recommandation du directeur général régional (DGR) au sujet de la proposition n'a été préparé à l'intention du sous-ministre associé (SMA) de TRF. Tout ce dont dispose la Cour, c'est une lettre du DGR en date du 16 mai 2000 qui indique en partie ce qui suit : [TRADUCTION[ « Je dois réitérer la position de la région de l'Atlantique qui n'appuie pas cette proposition » . Je conclus que la décision a été prise de ne pas suivre jusqu'au bout les étapes nécessaires prévues dans la politique. Il convient de noter que ce n'est qu'à l'étape 4 que le rejet de la proposition par le sous-ministre est prévu dans cette politique. Le ministre a certainement cru que la politique serait suivie pour l'étude des demandes de création de bandes étant donné que le ministre de l'époque a déclaré en partie ce qui suit dans une lettre adressée à Roger Sark en date du 8 octobre 1999 :

[TRADUCTION] Le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (MAINC) peut envisager de reconnaître un groupe en tant que « bande » en vertu de la Loi sur les Indiens si le groupe respecte les conditions de la politique intitulée Nouvelles bandes/Fusions de bandes. Je joins une copie de la politique pour votre information.

[21]                   Dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigraiton) [1999] 2 R.C.S. 817, Madame le juge L'Heureux-Dubé a déclaré ce qui suit aux pages 840 à 844 :


Quatrièmement, les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision peuvent également servir à déterminer quelles procédures l'obligation d'équité exige dans des circonstances données. Notre Cour a dit que, au Canada, l'attente légitime fait partie de la doctrine de l'équité ou de la justice naturelle, et qu'elle ne crée pas de droits matériels: Vieux St-Boniface, précité, à la p. 1204; Renvoi relatif au Régime d'assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525, à la p. 557. Au Canada, la reconnaissance qu'une attente légitime existe aura une incidence sur la nature de l'obligation d'équité envers les personnes visées par la décision. Si le demandeur s'attend légitimement à ce qu'une certaine procédure soit suivie, l'obligation d'équité exigera cette procédure :

En l'espèce, les demandeurs pouvaient à tout le moins s'attendre à ce que la politique relative à la constitution de nouvelles bandes soit suivie comme l'a indiqué l'ancien ministre.

[22]                   Pour les motifs précités, je suis d'avis qu'il y a eu manquement à l'obligation d'équité procédurale du fait que, à tout le moins, la demande des demandeurs n'a pas été traitée conformément à la politique que le ministère a établie pour traiter des demandes comme celle qui est visée en l'espèce. À tout le moins, les demandeurs ont droit à ce que leur demande soit traitée conformément à la politique établie à cette fin. Je n'ai pas à me préoccuper dans la présente demande de la décision qui en résultera. À cause de la décision à laquelle je suis parvenu, il n'est pas nécessaire de traiter de la question de savoir si l'affaire a été préjugée. Toutefois, je pourrais ajouter que des observations comme celles qui ont été faites en l'espèce peuvent créer une apparence de chose préjugée, surtout si ces observations sont faites sans faire référence au déroulement des étapes énoncées dans la politique.


[23]                   Encore une fois, au vu de ma décision selon laquelle la politique n'a pas été appliquée comme elle aurait dû l'être en l'espèce, il est difficile de déterminer si le ministre ou son délégué a fait obstacle à l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Certainement, dans la mesure où la procédure n'a pas été complètement suivie en l'espèce, le ministre ou son délégué a fait obstacle à l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Je ne ferai aucune observation quant à savoir si la politique elle-même fait obstacle à l'exercice du pouvoir du ministre ou de son délégué.

[24]                   Septième question

Le ministre ou son délégué a-t-il commis une erreur de droit en ne donnant pas de motifs adéquats pour refuser la requête?

Les demandeurs ont fait valoir que le fait de ne pas donner de motif pour la décision prise en l'espèce constitue un manquement à l'obligation d'équité procédurale. L'argument se fondait sur la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), précitée. J'ai examiné cet arrêt et j'en viens à la conclusion qu'en l'espèce, si des motifs étaient nécessaires, ils peuvent se déduire de la correspondance. Il est évident que le défendeur n'a pas poursuivi l'étude de la demande parce qu'il n'appuyait tout simplement pas la création d'une nouvelle bande au moyen de la division de la bande existante.

[25]                   La demande de contrôle judiciaire est accueillie et elle devra être décidée conformément aux dispositions de la Loi sur les Indiens, précitée, et aux clauses de toute politique applicable. Les demandeurs ont droit aux frais de la demande.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

1.            La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la demande doit être décidée conformément aux dispositions de la Loi sur les Indiens, précitée, et aux clauses de toute politique applicable. Les demandeurs ont droit aux frais de la demande.

                                                                                 « John A. O'Keefe »                 

                                                                                                             Juge                             

Toronto (Ontario)

le 31 octobre 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                               T-1028-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                          ROGER SARK ET AL.

- et -

LE CONSEIL DE LA BANDE ABEGWEIT ET AL.

LIEU DE L'AUDIENCE :                   CHARLOTTETOWN (ÎLE-DU-PRINCE-ÉDOUARD)

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE VENDREDI 11 MAI 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :            LE JUGE O'KEEFE

DATE :                                      LE MERCREDI 31 OCTOBRE 2001

COMPARUTIONS :

Paul D. Michael, c.r.                   POUR LES DEMANDEURS

Shawn Kelly

Jonathan Tarlton                         POUR LES DÉFENDEURS, LE MINISTRE DES

Marie Scagliola                           AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD

CANADIEN ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

Brian McKenna                          POUR LE DÉFENDEUR, LE CONSEIL DE LA BANDE ABEGWEIT


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Campbell, Lea, Michael, McConnell & Pigot     POUR LES DEMANDEURS

15, rue Queen

Charlottetown (Î.-du-P.-É.) C1A 4A2

Ministère de la Justice du Canada                 POUR LES DÉFENDEURS

5251, rue Duke

Halifax (N.-É.) B3J 1P3

Diamond McKenna

224, rue Queen

Charlottetown (Î.-du-P.-É.) C1A 7K2


                                                  

                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

             SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

Date : 20011031

Dossier : T-1028-00

ENTRE :

ROGER SARK, REGINALD BERNARD,

SHEILA BERNARD, JAMES SARK, JR.,

MARY CATHERINE SARK, KELLY BERNARD,

BRIAN FRANCIS, CAROLYN SARK,

GEORGINA FRANCIS, BENNY SARK,

DANNY SARK, JENENE SARK,

KATERI FRANCIS, JIM SARK

demandeurs

- et -

LE CONSEIL DE LA BANDE ABEGWEIT REPRÉSENTÉ PAR LE CHEF FRANCIS JADIS, LES CONSEILLERS JOSEPH JADIS et DANNY LEVI,

LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

                                                                                                                              

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                                                                              


                                                                                                                               Date : 20011101

                                                                                                                          Dossier : T-1028-00

ENTRE :

                                                         

ROGER SARK, REGINALD BERNARD, SHEILA BERNARD,

JAMES SARK, JR., MARY CATHERINE SARK,

KELLY BERNARD, BRIAN FRANCIS, CAROLYN SARK,

GEORGINA FRANCIS, BENNY SARK, DANNY SARK,

JENENE SARK, KATERI FRANCIS, JIM SARK

demandeurs

- et -

LE CONSEIL DE LA BANDE ABEGWEIT REPRÉSENTÉ PAR LE CHEF FRANCIS JADIS, LES CONSEILLERS JOSEPH JADIS et DANNY LEVI,

LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

                                              CERTIFICAT D'ORDONNANCE

JE CERTIFIE PAR LES PRÉSENTES que la Cour (le juge O'Keefe) a ordonné le 31 octobre 2001 à la fin du document intitulé Motifs de l'ordonnance et ordonnance ce qui suit :

« 1.                                 La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la demande doit être décidée conformément aux dispositions de la Loi sur les Indiens, précitée, et aux clauses de toute politique applicable. Les demandeurs ont droit aux frais de la demande. »

                                               

Greffier

CERTIFIÉ À TORONTO (Ontario), le 1er novembre 2001.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.

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