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     T-734-96

OTTAWA (ONTARIO), LE 15 OCTOBRE 1997

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE J.E.DUBÉ

         AFFAIRE INTÉRESSANT une demande en vue d'obtenir une ordonnance en vertu du paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets et de l'article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité)         

ENTRE :

     ELI LILLY AND COMPANY, ELI LILLY CANADA

     INC. et SHIONOGI & CO. LTD.,

     requérantes,

     - et -

     NOVOPHARM LIMITED et LE

     MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL,

     intimés.

     O R D O N N A N C E

     La requête est rejetée avec dépens.

                        

                                 Juge

Traduction certifiée conforme         
                             Raymond Trempe, B.C.L.

     T-734-96

         AFFAIRE INTÉRESSANT une demande en vue d'obtenir une ordonnance en vertu du paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets et de l'article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité)         

ENTRE :

     ELI LILLY AND COMPANY, ELI LILLY CANADA

     INC. et SHIONOGI & CO. LTD.,

     requérantes,

     - et -

     NOVOPHARM LIMITED et LE

     MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL,

     intimés.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE DUBÉ :

     Les requérantes (Eli Lilly) ont, le 29 mars 1996, déposé un avis de requête introductive d'instance sollicitant une ordonnance en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (DORS/93-133) (le Règlement) interdisant au ministre de la Santé nationale et du Bien-être social (le ministre) de délivrer un avis de conformité (AC) à l'intimée Novopharm Limited (Novopharm) relativement au médicament cefaclor avant l'expiration de chacun des 18 brevets détenus par Eli Lilly et présentés par elle sur une liste de brevets conformément au paragraphe 4(1) du Règlement.

     À titre subsidiaire, Eli Lilly sollicite une ordonnance qui porterait que l'énoncé détaillé (l'énoncé détaillé) et les allégations datés du 7 février 1996 et fournis par Novopharm à l'égard du même médicament sont nuls et non avenus puisqu'ils n'ont pas été fournis conformément au Règlement.

     Comme autre moyen subsidiaire, Eli Lilly sollicite une ordonnance qui l'autorise à retirer la présente instance ou à la suspendre de façon permanente.

1.      Analyse du Règlement

     Le Règlement est entré en vigueur le 12 mars 1993 et a fait l'objet de plusieurs décisions de cette Cour comme de la Cour d'appel fédérale. Toutefois, ses dispositions sont quelque peu complexes et méritent une analyse susceptible de faciliter la compréhension des présents motifs. Le Règlement a été promulgué par le Gouverneur général en conseil en vertu des dispositions de la Loi de 1992 modifiant la Loi sur les brevets (L.C. 1993, ch. 2) qui a aboli le régime d'octroi de licences obligatoires pour les médicaments brevetés pour les inscrire dans le cadre du régime de contrôle réglementaire établi par le Règlement sur les aliments et drogues (CRC, ch. 870). Le Règlement vise à fournir une protection accrue aux titulaires de brevets délivrés à l'égard d'une drogue qui contient un médicament.

     Un AC certifie la salubrité, l'innocuité et l'efficacité d'une drogue. Il constitue l'approbation du ministre à la commercialisation d'une drogue. En vertu du Règlement, il est interdit au ministre de délivrer un AC pour un médicament qui s'inspire d'un médicament déjà approuvé tant que les brevets relatifs au produit original et à son utilisation sont encore en vigueur.

     La "première personne" (un fabricant de médicaments d'origine) est le titulaire d'un brevet canadien qui a obtenu la délivrance d'un AC à l'égard d'une drogue qui contient un "médicament". La "seconde personne" est un fabricant de produits génériques qui dépose une demande d'avis de conformité à l'égard d'une drogue qui a été commercialisée au Canada aux termes d'un avis de conformité.

     En vertu du paragraphe 4(1) du Règlement, la première personne soumet au ministre une liste de brevets. Sur cette liste doivent figurer tout brevet canadien dont le fabricant de médicaments d'origine est propriétaire pour le médicament en soi ou pour son utilisation (4(2)a)), une déclaration portant qu'il en est le propriétaire (4(2)b)), la date d'expiration de chaque brevet (4(2)c)) et son adresse au Canada (4(2)d)).

     La seconde personne qui dépose une présentation de drogue nouvelle (PDN) afin d'obtenir un AC en vertu du paragraphe 5(1) doit, à l'égard de chaque brevet énuméré dans la liste de brevets, soit déclarer qu'elle accepte que l'avis de conformité ne sera pas délivré avant l'expiration du brevet en vertu de l'alinéa 5(1)a), soit faire une ou plusieurs des quatre allégations suivantes en vertu de l'alinéa 5(1)b), portant que :

     (i) la déclaration faite par la première personne aux termes de l'alinéa 4(2)b) est fausse,
    
     (ii) le brevet est expiré,
    
     (iii) le brevet n'est pas valide,
    
     (iv) aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l'utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle de la drogue faisant l'objet de la demande d'avis de conformité.

     En vertu du paragraphe 5(2), la seconde personne doit modifier sa demande lorsque la première personne a modifié sa liste de brevets existants.

     Aux termes du paragraphe 5(3), lorsque la seconde personne a fait l'une des quatre allégations visées à l'alinéa 5(1)b), ou a modifié sa demande conformément au paragraphe 5(2), elle doit fournir un énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquels elle fonde ses allégations (5(3)a)) et signifier un avis (avis d'allégation) à la première personne de même qu'une preuve de cette signification au ministre (5(3)b)).

     Dans les 45 jours suivant la signification de cet avis, la première personne peut, en vertu du paragraphe 6(1), demander au tribunal de rendre une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité avant l'expiration d'un ou de plusieurs des brevets visés par une allégation.

     S'il conclut qu'aucune des allégations de la seconde personne n'est fondée, le tribunal rend une ordonnance en vertu du paragraphe 6(2).

     Selon le résumé de l'étude d'impact de la réglementation qui accompagne le Règlement, il est interdit au ministre de délivrer un avis de conformité tant que les brevets relatifs au produit original et à son utilisation sont encore en vigueur. Aux termes du Règlement toutefois, les demandeurs (l'inventeur et ses représentants légaux) peuvent indiquer le numéro et la date d'expiration de tous les brevets pertinents. Le ministre doit maintenir l'enregistrement public des renseignements contenus dans ce brevet. Lorsque les fabricants de médicaments génériques présentent des demandes d'avis de conformité, ils doivent confirmer l'état de tous les brevets en question. S'ils allèguent que certains de ces brevets sont nuls ou qu'il n'y a pas de contrefaçon, ils doivent signifier un avis en ce sens au propriétaire du ou des brevets. Ce dernier dispose alors de 45 jours, à compter de la date de réception de l'avis, pour entamer des poursuites contre les fabricants de médicaments génériques et pour faire appliquer le brevet contesté. Si le titulaire d'un brevet intente des poursuites dans ce délai, la délivrance de l'avis de conformité pourra être retardée pendant 30 mois au maximum, jusqu'à ce que les poursuites soient réglées.

     À l'heure actuelle, les titulaires de brevets ont le droit d'engager des poursuites en contrefaçon devant les tribunaux, et, en règle générale, les recours judiciaires suffisent pour régler les cas de contrefaçon.

     Le projet de loi C-91 et le présent Règlement font une exception dans ce domaine en permettant à des fabricants de médicaments génériques concurrents d'entreprendre les démarches nécessaires pour obtenir l'approbation réglementaire d'un produit. Cela permet aux fabricants de médicaments d'origine de jouir d'une protection intégrale pendant toute la durée du brevet, tout en assurant aux fabricants de médicaments génériques la possibilité d'entrer dans le marché dès l'expiration du brevet pertinent.

     Toutefois, selon son analyse du présent Règlement, la Cour d'appel fédérale a conclu, dans l'affaire Merck Frosst Canada Inc. c. Apotex Inc.1 que l'ordonnance interdisant au ministre d'autoriser des fabricants de médicaments génériques à mettre en marché un produit qui emporterait censément contrefaçon constitue un moyen extraordinaire de protection des brevetés. Le juge Strayer a dit, à la p. 175, que "le pouvoir du ministre de refuser de délivrer un avis de conformité, qui visait initialement à protéger la santé individuelle des Canadiens, sert dorénavant à protéger les intérêts financiers des titulaires de brevets portant sur des médicaments."

2. Historique de la "première instance"

     Dans une lettre du 30 juillet 1993, Novopharm a signifié à Eli Lilly un avis d'allégation au sujet de sa PDN au Ministre à l'égard du cefaclor. En réponse à ce premier avis d'allégation, Eli Lilly a engagé une instance (la première instance) devant cette Cour le 15 septembre 1993, conformément au paragraphe 6(1) du Règlement, demandant qu'une ordonnance interdise au ministre de délivrer un avis de conformité à Novopharm.

     Dans le premier avis d'allégation, Novopharm a allégué que le procédé utilisé par ses propres fournisseurs pour la préparation du cefaclor ne contreferait pas les revendications des brevets d'Eli Lilly. Novopharm n'a pas allégué à ce moment que les brevets ne comportaient pas de "revendications pour le médicament en soi" au sens de la définition donnée à l'article 2 du Règlement.

     Toutefois, le 28 juin 1994, Novopharm a demandé la permission de modifier son premier avis d'allégation en substituant à l"allégation antérieure de non-contrefaçon la prétention en droit selon laquelle les brevets d"Eli Lilly ne comportent pas de [TRADUCTION] "revendication pour le médicament en soi ou de revendication pour l'utilisation du médicament". Dans une ordonnance rendue le 30 juin 1994, le juge Noël a refusé à Novopharm la permission de modifier le premier avis d'allégation. Novopharm a interjeté appel de cette ordonnance, mais faute d'avoir poursuivi cette démarche, l"appel a été rejeté.

    

     À la suite de la réception du premier énoncé détaillé, Eli Lilly a produit l"affidavit de son propre expert, Robin D.G. Cooper, assermenté le 28 novembre 1995, indiquant que le procédé des fournisseurs de Novopharm entraînerait la contrefaçon de quatre brevets. Novopharm n"a produit aucun élément de preuve pour contredire la déclaration de M. Cooper ni contre-interrogé ce dernier sur son affidavit.

3. Historique de la "deuxième instance"

     Le 7 février 1996, Novopharm a remis à Eli Lilly un document intitulé "énoncé détaillé du droit et des faits". Dans ce deuxième énoncé, Novopharm reprend les allégations de la première instance, à savoir qu" [TRADUCTION] "aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites par la drogue de Novopharm." Pour le compte d"Eli Lilly, M. Cooper a réitéré son opinion que le procédé des fournisseurs entraînera la contrefaçon de quatre des brevets d"Eli Lilly. Novopharm n"a produit aucun élément de preuve pour contredire cette conclusion. Le deuxième énoncé détaillé ne prétend pas que les fournisseurs de Novopharm utilisent un procédé qui ne donne lieu à aucune contrefaçon, mais il soulève essentiellement les motifs pour lesquels le juge Noël a refusé la demande de modification, à savoir que les brevets ne devraient pas figurer sur la liste de brevets d"Eli Lilly.

     Par conséquent, eu égard au délai de 45 jours prescrit par le Règlement, Eli Lilly a engagé la deuxième instance pour s"assurer que le ministre n'agisse pas en se fondant sur le deuxième énoncé détaillé.

4.      La décision du juge Campbell dans la première instance

     Le 4 avril 1997, après l"introduction de la deuxième instance, mon collègue le juge Campbell a rendu, dans le cadre de la première instance, une ordonnance interdisant au ministre de délivrer l'avis de conformité demandé par Novopharm avant l'expiration des brevets canadiens détenus par Eli Lilly à l"égard du cefaclor.

     Dans les motifs de son ordonnance, le juge fait mention de la modification proposée par Novopharm, du rejet de sa requête par le juge Noël et du rejet de l"appel de Novophar devant la Cour d'appel fédérale pour défaut de poursuivre. Il conclut que l"ordonnance du juge Noël demeure en vigueur et empêche de soulever la nouvelle question. Il conclut par conséquent que le point en litige qui reste est l"allégation selon laquelle Novopharm ne contrefera pas les brevets en cause puisque ses fournisseurs fabriqueront les drogues au moyen d'un procédé différent.

     Toutefois, dans les documents qu"elle a produits, Novopharm avance que ses observations [TRADUCTION] "se limiteront à la question de savoir si les dix-huit brevets mentionnés dans l'avis de requête introductive d'instance figurent à juste titre sur la liste de brevets de la requérante." Comme Novopharm n'avait pas présenté d'éléments permettant de conclure que les brevets ne seraient pas contrefaits, le juge Campbell a statué qu'elle ne s"était pas acquittée du fardeau de la preuve qui lui incombait et que, partant, la Cour rendrait l"ordonnance d"interdiction à l"endroit du ministre. La décision a été portée en appel.

5.      Les arguments d"Eli Lilly

     Compte tenu de la décision susmentionnée du juge Campbell (rendue après l"engagement de la deuxième instance), Eli Lilly a laissé tomber le premier volet de sa requête sollicitant une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité puisque celui-ci est maintenant visé par une telle ordonnance. Eli Lilly sollicite toutefois une ordonnance qui porterait que le deuxième énoncé détaillé en date du 7 février 1996 est nul et non avenu puisqu"il n"a pas été fourni en conformité avec le Règlement en cause.

     Eli Lilly fait valoir qu"un avis d'allégation définit les points en litige dans une instance d"interdiction et que, faute pour un fabricant de médicaments génériques de soulever un point dans son avis d'allégation, ce point ne fait pas partie de l'instance. La personne qui ne dépose pas un avis d'allégation en règle doit en subir les conséquences. Le sous-alinéa 5(1)b )(iv) du Règlement établit clairement un lien entre un avis d'allégation et la PDN existante pour un avis de conformité.

     En engageant une instance sous le régime du Règlement, la requérante Eli Lilly demande à la Cour de déterminer si les plans de fabrication ou de commercialisation de la seconde personne, Novopharm, lesquels sont énoncés dans la PDN, entraîneront la contrefaçon des droits de brevet de la requérante. Un avis d"allégation et un énoncé détaillé sont inextricablement liés à la PDN d"un fabricant de médicaments génériques. Le Règlement ne prévoit qu"un seul avis d"allégation, sauf si le breveté a modifié sa liste de brevets en vertu du paragraphe 5(2) du Règlement. De plus, il serait abusif pour Novopharm de tenter de contourner l"ordonnance d"une Cour en signifiant à Eli Lilly un deuxième énoncé détaillé.

     L"article 5 permet à une seconde personne, Novopharm en l"espèce, d"invoquer des moyens multiples pour fonder une allégation dans sa déclaration suivant le formulaire V. Des moyens multiples pour chaque allégation peuvent être compris dans l"énoncé détaillé, c"est-à-dire qu"une seconde personne peut invoquer l"invalidité d"un brevet et inclure dans l"énoncé détaillé des fondements juridiques et factuels multiples, comme l"antériorité et l"insuffisance de la divulgation. Le paragraphe 7(1) ne prévoit pas de procédure ultérieure à la délivrance d"une ordonnance d'interdiction. Par conséquent, l'économie du Règlement prévoit que tous les points en litige peuvent et devraient être soulevés par la seconde personne en une seule occasion afin d"éviter des instances multiples. Novopharm ne peut poursuivre une action par échelonnement.

     Dans la première instance, Novopharm a cherché à modifier son premier avis d'allégation : la Cour l"a déboutée. Il ne lui est pas loisible de contourner l"ordonnance du juge Noël par le biais d"un deuxième avis d'allégation. Dans l"affaire Schering Canada Inc. c. Nu-Pharm Inc.2, où un fabricant de médicaments génériques avait expédié trois avis d'allégation, la Section de première instance de la Cour fédérale a déclaré que les deuxième et troisième avis n"étaient pas valides.

     Eli Lilly prétend aussi que la deuxième instance est chose jugée. Les deux avis d'allégation à l"égard du cefaclor portent sur le sous-alinéa 5(1)b )iv) et tous deux prétendent qu""aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l'utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle de la drogue faisant l'objet de la demande d'avis de conformité." Si Novopharm considérait que la décision du juge Noël était erronée, elle aurait dû poursuivre son appel. Les deux instances découlent de la PDN de Novopharm pour le cefaclor. Le fondement factuel de l"allégation n"a pas changé et, dans les deux demandes, Eli Lilly sollicite une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à Novopharm à l"égard du cefaclor : l"objet des deux instances est identique. Il y identité des parties, de l"objet et de la cause d"action : la deuxième instance est chose jugée3.

     Le principe de l"extinction par confusion s"appliquerait aussi, selon Eli Lilly. Les parties à un litige doivent soumettre toute leur cause et il ne leur sera pas loisible de rouvrir le débat sur un point qui aurait pu être soulevé lors du litige mais qui ne l"a pas été par négligence, par inadvertance ou même par accident. Les décisions judiciaires doivent avoir un caractère définitif4.

6.      Les arguments de Novopharm

     Dans son argumentation écrite, Novopharm ne tente pas de répondre aux arguments invoqués par Eli Lilly, mais elle se limite à la deuxième instance et prétend qu"aucun des brevets d"Eli Lilly figurant sur la liste ne comporte de revendications pour le médicament cefaclor en soi. Il ne s"agirait que de revendications de procédé et celles-ci n'apportent aucune protection à Eli Lilly.

     Indépendamment des allégations que Novopharm a faites dans ses deux énoncés détaillés, il ressort clairement de la preuve produite par Eli Lilly et par Novopharm, du contre-interrogatoire au cours des instances et des arguments d"Eli Lilly qu"aucun des 18 brevets mentionnés dans la liste de brevets et dans l'avis de requête introductive d'instance ne comporte de revendications pour le médicament cefaclor en soi ou pour son utilisation : ces brevets ne comportent que des revendications de procédé ou d"intermédiaires. De plus, certains des brevets sont expirés. Eli Lilly n"a inscrit aucun brevet pour le médicament cefaclor en soi ou pour son utilisation. Il ressort clairement de la preuve que le cefaclor n"est pas un nouveau produit. Il a fait l"objet de brevets canadiens et américains expirés depuis. En fait, Novopharm avait une licence obligatoire en vertu d"un brevet canadien qui est maintenant expiré.

     Robert G. Hirons, l'expert de Novopharm, a passé en revue tous les brevets d'Eli Lilly inscrits sur sa liste et examiné l"affidavit de Robin D.G. Cooper, l'expert d"Eli Lilly. Il en a conclu qu"aucun des brevets d"Eli Lilly figurant sur la liste ne comporte de revendications pour le médicament cefaclor en soi. Même la déposition de M. Cooper établit que les brevets d"Eli Lilly ne comportent que des revendications pour des procédés ou pour des intermédiaires dans les procédés à étapes multiples.

     Eli Lilly n"a donc pas établi à l"égard d"aucun de ses brevets qu"elle a un droit d"action au sens de l"article 6 du Règlement. Les éléments obligatoires de la liste de brevets sont énumérés au paragraphe 4(2) du Règlement. La liste de brevets produite par la première personne, Eli Lilly, doit faire l'objet d'une attestation quant à son exactitude et il doit y être déclaré que le brevet "comporte une revendication pour le médicament en soi ou une revendication pour l'utilisation du médicament". Il est maintenant établi, en ce qui concerne la Section de première instance5 de cette Cour, que les brevets qui ne comportent que des revendications de procédé, ou des revendications à l"égard d'un intermédiaire, ne figurent pas à juste titre sur la liste de brevets parce qu"ils ne comportent pas, en fait comme en droit, une revendication pour le médicament en soi ou pour son utilisation ainsi que l"exige le Règlement.

     En fait, à la suite de l"arrêt de la Cour d"appel fédérale dans l"affaire Deprenyl Research Ltd. c. Apotex Inc.6, Eli Lilly a retiré ses brevets qui ne comportaient que des revendications de procédé7.

     Lorsqu"une seconde personne dépose une demande d'avis de conformité relativement à une drogue, elle doit, à l"égard de chaque brevet énuméré dans la liste, soit déclarer qu'elle accepte que l'avis de conformité ne sera pas délivré avant l'expiration du brevet conformément à l"alinéa 5(1)a ), soit faire l"une des quatre allégations visées à l"alinéa 5(1)b ). Les allégations faites par Novopharm sont les allégations en vertu du sous-alinéa 5(1)b)(iv), à savoir qu""aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l'utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle de la drogue faisant l'objet de la demande d'avis de conformité." Aucune revendication pour le médicament en soi ne pouvait être contrefaite puisqu"aucune n"était comprise dans les brevets d"Eli Lilly figurant sur la liste.

     La seconde personne qui dépose un avis d'allégation doit fournir un énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquels elle se fonde en vertu de l"alinéa 5(3)a ), et le signifier au ministre en vertu de l"alinéa 5(3)b ) . Le Règlement ne prescrit pas de format ou de contenu particulier pour l"énoncé détaillé et cette Cour n"aurait aucune compétence à cet égard, selon les prétentions de Novopharm. L"interprétation d"un brevet est une question de droit. Les changements à l"énoncé détaillé fondés sur l"interprétation du brevet sont des changements du fondement légal, et non du fondement factuel de l"allégation.

     Un fabricant de médicaments d'origine peut demander à un tribunal de rendre une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à un fabricant de médicaments génériques, demande que le tribunal n'accueille que s'il conclut qu'aucune des allégations faites par le fabricant de médicaments génériques n'est fondée. Par conséquent, l'ordonnance d'interdiction prononcée sous le régime du présent Règlement constitue un recours extraordinaire : il suffit au requérant d'engager cette instance pour obtenir ce qui équivaut à une injonction interlocutoire d'une durée maximale de 30 mois sans devoir satisfaire à aucun des critères qu'un tribunal exigerait normalement qu'il respecte avant d'accorder une injonction. Il n'est loisible à un fabricant de médicaments d'origine d'engager ces instances d'interdiction spéciales que s'il s'agit d'une première personne au sens du Règlement, c'est-à-dire si celle-ci a déposé une liste de brevets comportant des revendications pour le médicament en soi ou pour son utilisation. Il n'existe aucune preuve établissant que Eli Lilly a obtenu, voire demandé, un avis de conformité pour une drogue contenant du cefaclor qui est visée par l'un ou l'autre des brevets figurant sur la liste de brevets.

     Ces instances en vue d'obtenir une interdiction sous le régime du Règlement sont des instances en contrôle judiciaire. Elles ne prévoient pas l'introduction d'une instance par voie d'action. Le Règlement confère au breveté le droit de présenter une demande d'interdiction contre le ministre et il s'agit là d'une question de droit public et non de droits privés.

     En sa qualité de requérante qui a l'initiative du procès, Eli Lilly est chargée de la conduite de l'instance. Elle doit s'acquitter de la charge initiale de la preuve. Elle doit donc d'abord établir qu'elle a le droit de présenter la demande, puis produire des éléments de preuve tendant à contester ou à infirmer les allégations contenues dans l'avis d'allégation. À l'égard de chacun des brevets d'Eli Lilly, Novopharm a produit des éléments de preuve portant qu'aucun ne comportait des revendications pour le médicament en soi. Eli Lilly n'a présenté aucune preuve établissant le contraire. Novopharm a prétendu dans son avis d'allégation qu"aucune revendication pour le médicament en soi ni pour son utilisation ne seraient contrefaites par l'action qu'elle envisageait parce qu'aucun des brevets énumérés dans la liste ne comporte de revendications de cette nature, mais uniquement des revendications de procédé.

     Par conséquent, avant de rendre une ordonnance d'interdiction sous le régime du Règlement, la Cour doit être convaincue que la délivrance d'un avis de conformité entraînerait la contrefaçon d'un brevet valide. En d'autres termes, la Cour doit être convaincue qu'il y aurait contrefaçon de revendications autres que des revendications de procédé ou des revendications d'intermédiaires.

7.      L'incidence d'un arrêt récent de la Cour d'appel fédérale

     L'avocat d'Eli Lilly a concédé à la fin de son argumentation orale qu'advenant la confirmation, par la Cour d'appel fédérale, de la décision du juge en chef adjoint Jerome dans l'affaire Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social)8, la base fondamentale de son argumentation s'écroulerait : [TRADUCTION] "Alors je perds ... Ce serait la chute du rideau" (à la page 77 de la transcription). Dans sa décision, le juge a conclu que des avis d'allégation multiples pouvaient être produits puisque les premier et deuxième avis n'étaient pas essentiellement les mêmes et que les arguments relatifs à l'autorité de la chose jugée n'étaient pas convaincants.

     Le 29 septembre 1997, soit peu de temps après l'audition de la présente requête, la Cour d'appel fédérale a rendu un arrêt9 confirmant la décision du juge de première instance. Dans ses motifs, le juge Marceau a analysé la nature et la portée du Règlement et confirmé qu'"il est de jurisprudence constante que l'instance introduite par le fabricant breveté en vue d'obtenir une interdiction est une instance en contrôle judiciaire." Il a précisé que ces "instances ne visent que des fins administratives". Il a déclaré que l'appel soulevait essentiellement deux questions, la question de fond essentielle étant celle de savoir si le juge des requêtes pouvait ordonner au ministre de procéder et de délivrer un AC alors qu'une ordonnance d'interdiction prononcée par un premier juge était encore en vigueur. Il a dit que cela était possible lorsque l'ordonnance "a manifestement été prononcée dans un contexte donné, qu'elle a été rendue pour donner effet aux motifs qui ont été exposés et que son libellé général peut être expliqué". Il a développé plus à fond sa pensée dans l'extrait suivant (aux pages 11 et 12) :

     Je ne crois pas que quiconque pourrait contester le caractère tout à fait unique de l'instance qui s'est soldée par le prononcé de l'ordonnance en cause en l'espèce, instance qui s'inscrit dans le cadre de la procédure administrative qui est suivie pour délivrer un avis de conformité. Ce dont la Cour est saisie, c'est d'une allégation particulière et l'ordonnance, qui, selon le Règlement, doit être libellée en des termes généraux, est prononcée dans le seul but de donner effet à la conclusion suivant laquelle l'allégation n'est pas fondée. Les conditions permettant d'évaluer la portée et la signification de l'ordonnance sont, à mon avis, manifestement réunies. Le fait que cette évaluation ne déborde pas le cadre d'une procédure de la nature de celle dont il est question en l'espèce ne pose pas de problème, étant donné qu'il ne s'agit pas d'annuler ou de modifier l'ordonnance, mais de l'interpréter.         
     En revanche, il ne me semble pas qu'en imposant cette série de règles spéciales, le législateur pouvait prévoir que la délivrance d'un avis de conformité sur le fondement de la conclusion qu'une allégation déterminée n'est pas fondée serait absolue et qu'elle serait réputée viser toute allégation future, aussi nouvelle et distincte qu'elle puisse être. On donnerait ainsi à une procédure sommaire un effet qui irait bien au-delà de sa signification et de son objet. Ainsi que l'avocat d'Apotex l'a affirmé : [TRADUCTION] " Il serait véritablement abusif de condamner une seconde personne (le second fabricant) à formuler "une fois pour toutes" une allégation de non-contrefaçon dans une seule instance, alors qu'il reste peut-être encore 17 années ou plus avant que le brevet en question n'expire, et que des procédés nouvellement découverts qui ne violent aucun droit de brevets ne sont élaborés qu'après qu'une décision a été rendue au sujet de l'allégation initiale ". Je souscris aux vues exprimées dans les nombreuses décisions que le juge des requêtes a citées et dans lesquelles la Section de première instance a affirmé qu'il est possible de soumettre des allégations successives et que chacune doit être traitée indépendamment, à condition qu'elle soit distincte des autres et que sa présentation devant la Cour ne puisse être considérée comme un abus de procédure.         
     À mon sens, le moyen de fond invoqué par l'avocat d'Eli Lilly au soutien de l'appel est mal fondé. Le juge des requêtes a eu raison de se prononcer sur la portée de l'ordonnance du juge McGillis en tenant compte du contexte dans lequel elle avait été rendue et des motifs exposés à son appui. Il avait également raison d'estimer que, dès lors qu'elle est distincte de la première allégation, comme c'est le cas en l'espèce, la seconde allégation doit être examinée en faisant abstraction de la première.         
     (non souligné dans l'original)

     Par conséquent, il est maintenant établi que des avis d'allégation multiples peuvent être produits et que le ministre peut délivrer un AC même si une ordonnance d'interdiction est encore en vigueur, pourvu que l'interdiction ait été prononcée dans un contexte particulier et que les nouvelles allégations soient distinctes des allégations précédentes.

     En la présente espèce, le juge Campbell a interdit au ministre de délivrer un avis de conformité parce que Novopharm n'avait produit aucune preuve établissant que les brevets ne seraient pas contrefaits et en raison d'une ordonnance antérieure du juge Noël qui excluait la question de droit soulevant que les brevets d'Eli Lilly ne comportaient pas de revendications pour le médicament en soi. Le juge Noël n'a toutefois pas dit que la question de droit ne pouvait pas être relancée au moyen d'un autre avis d'allégation. C'est précisément ce que Novopharm vient de faire. Et une preuve écrasante et incontestée établit que les brevets figurant sur la liste d'Eli Lilly sont expirés ou qu'ils ne comportent pas de revendications pour le médicament cefaclor en soi mais uniquement des revendications pour les procédés de fabrication. Il est manifestement inconvenant de couper un fabricant de médicaments génériques du marché en énumérant des brevets qui ne devraient pas figurer sur la liste.

     L'arrêt de la Cour d'appel fédérale tranche aussi la question relative à l'autorité de la chose jugée. Le juge en chef adjoint Jerome a conclu que l'argument fondé sur le principe de l'autorité de la chose jugée n'était pas convaincant et son jugement a été confirmé par la Cour d'appel fédérale. De plus, l'avis d'allégation n'est pas l'équivalent d'une déclaration comportant allégués, laquelle sert à intenter une action, ni d'un avis de requête introductive d'instance, lequel conduit à un contrôle judiciaire : il s'agit uniquement d'un document présenté "en guise de preuve"10 qui donne une cause d'action au titulaire d'un brevet. Le document qui engage l'instance est l'avis de requête introductive d'instance que dépose le titulaire d'un brevet pour demander une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à une seconde personne, le fabricant de médicaments génériques. Comme l'avis d'allégation n'est qu'une déclaration en guise de preuve, le principe de l'autorité de la chose jugée ne s'applique pas.

    

     Par conséquent, compte tenu de l'arrêt de la Cour d'appel fédérale, Novopharm avait le droit de présenter un deuxième avis d'allégation parce que la deuxième allégation est distincte de la première. La première allégation portait sur la non-contrefaçon par Novopharm, tandis que la deuxième fait valoir que les brevets figurant sur la liste d'Eli Lilly ne pouvaient être contrefaits soit parce qu'ils sont expirés, soit parce qu'ils sont des brevets de procédé, lesquels ne peuvent figurer à juste titre sur la liste. Ces nouvelles allégations n'ont pas été contestées par Eli Lilly, qui n'a pas non plus présenté d'éléments de preuve établissant que ses brevets figurant sur la liste comportent des revendications pour le médicament en soi. Eli Lilly n'est donc pas une première personne habilitée à demander une interdiction sous le régime de l'article 6 du Règlement.

8.      Dispositif

     La requête est rejetée avec dépens.

O T T A W A

Le 15 octobre 1997

                                                          Juge

Traduction certifiée conforme          Raymond Trempe, B.C.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              T-734-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :      Eli Lilly and Company et al. c. Novopharm Limited et al.
LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :          Le 25 septembre 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. LE JUGE DUBÉ

DATE :                  Le 15 octobre 1997

ONT COMPARU :

Me Anthony G. Creber

Me Patrick Smith

                     pour les requérantes

Me Douglas N. Deeth

                     pour l'intimée Novopharm Limited
                    

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling Strathy & Henderson

Ottawa (Ontario)

                     pour les requérantes

Deeth Williams Wall

Toronto (Ontario)

                     pour l'intimée Novopharm Limited

George Thomson

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

                     pour l"intimé, le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social

    

__________________

1      (1997), 72 C.P.R. (3d) 170 (C.A.F.).

2      (1994), 58 C.P.R. (3d) 14 (C.F. 1re inst.).

3      Diamond v. Western Realty Co., [1924] 2 D.L.R. 922, à la p. 929 (C.S.C.); Rocois Construction c. Québec Ready Mix, [1990] 2 R.C.S.. 440, à la p. 451.

4      Grandview c. Doering, [1976] 2 R.C.S. 621, aux p. 634 et 636; Vautour v. Attorney General of New Brunswick (1985), 62 N.B.R. (2d) 162, à la p. 165 (C.A.N.B.); General Foods Ltd. c. Struthers Scientific Corp. (1971), 4 C.P.R. (2d) 97, à la p. 105 (R.C.S.); Midway Mfg. Co. c. Bernstein (1988), 23 C.P.R. (3d) 272, à la p. 274 (C.F. 1re inst.); Labrie c. Uniformes Town & Country Inc. (1992), 141 N.R. 159, à la p. 160 (C.A.F.); Metodieva c. M.E.I (1991), 132 N.R. 38, aux p. 39 à 43 (C.A.F.) et Saywack c Canada (M.E.I.), [1986] 3 C.F. 189, à la p. 201 (C.A.F.).

5      Deprenyl Research Ltd. c. Apotex Inc. (1994), 55 C.P.R. (3d) 171 (C.F. 1re inst.).

6      (1995), 60 C.P.R. (3d) 501 (C.A.F.).

7      Voir Eli Lilly and Co. c. Apotex Inc. (1995), 63 C.P.R. (3d) 245, à la p.246 (C.F. 1re inst.).

8      (1997), 72 C.P.R. (3d) 421 (C.F. 1re inst.).

9      Eli Lilly et al. et Apotex Inc. et Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social, A-339-97 (C.A.F.).

10      Voir Pharmacia Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), A-410-94, 18 octobre 1994, cité dans Bayer AG c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1995), 60 C.P.R. (3d) 129 (C.A.F.), à la p.133.

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