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Date : 20000114


Dossier : T-394-99


ENTRE :

     LE COMMISSAIRE À L"INFORMATION DU CANADA

     demandeur

     - et -

     LE MINISTRE D"INDUSTRIE CANADA

     défendeur

     - et -

     PATRICK MCINTYRE

     nouvelle partie


     MOTIFS DE L"ORDONNANCE


LE JUGE GIBSON :


LA NATURE DE LA DEMANDE

[1]      Les présents motifs s"inscrivent dans le cadre d"une demande présentée par le Commissaire à l"information (ci-après le commissaire) en vertu de l"alinéa 42(1)a ) de la Loi sur l"accès à l"information1 (ci-après la Loi). Les passages pertinents de l"article 42 de la Loi prévoient :

42. (1) The Information Commissioner may

(a) apply to the Court, within the time limits prescribed by section 41, for a review of any refusal to disclose a record requested under this Act or a part thereof in respect of which an investigation has been carried out by the Information Commissioner, if the Commissioner has the consent of the person who requested access to the record;

...

42. (1) Le Commissaire à l'information a qualité pour_:

a) exercer lui-même, à l'issue de son enquête et dans les délais prévus à l'article 41, le recours en révision pour refus de communication totale ou partielle d'un document, avec le consentement de la personne qui avait demandé le document;

...

(2) Where the Information Commissioner makes an application under paragraph (1)(a) for a review of a refusal to disclose a record requested under this Act or a part thereof, the person who requested access to the record may appear as a party to the review.

(2) Dans le cas prévu à l'alinéa (1)a), la personne qui a demandé communication du document en cause peut comparaître comme partie à l'instance.




[2]      Constitue une nouvelle partie la personne qui a demandé communication des documents en question dans la présente affaire. Les parties ont convenu que M. McIntyre consentait à l"introduction de la demande. Ce dernier a comparu à titre de partie à l"instance aux termes du paragraphe 42(2) de la Loi .

[3]      La nouvelle partie n"a déposé aucune preuve relativement à la présente affaire. Bien qu"il ait assisté en grande partie au déroulement de l"audition de la demande, il n"a présenté aucune observation.

LES FAITS

[4]      Le 4 novembre 1996, la nouvelle partie a sollicité le défendeur pour une communication de renseignements aux termes de la Loi. Le 6 juin 1997, le défendeur a procédé à la divulgation de certains renseignements, mais a refusé de communiquer un nombre considérable de documents en se fondant sur diverses exceptions à la communication prévues à la Loi, notamment à l"article 15 (affaires internationales et défense), à l"article 20 (renseignements de tiers), à l"article 21 (activités du gouvernement), à l"article 23 (secret professionnel des avocats) et à l"article 69 (documents confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada).

[5]      Le 3 juillet 1997, la nouvelle partie a déposé une plainte au commissaire relativement au refus du défendeur de communiquer certains documents, ce dernier invoquant les diverses exceptions énoncées précédemment. Le commissaire a nommé un enquêteur pour amorcer un long processus de négociation et de consultation au cours duquel des documents additionnels ont été communiqués. Cependant, par une lettre du 17 décembre 1998 confirmée par une autre lettre du 3 juin 1999, le défendeur a finalement refusé de divulguer des renseignements relatifs à certains documents à l"égard desquels le commissaire estimait que l"exception à la communication ne pouvait s"appliquer, soit pour le motif qu"invoque le défendeur, soit pour tout autre motif.

[6]      Par une lettre datée du 22 janvier 1999, le commissaire a informé la nouvelle partie aux termes de l"article 37 de la Loi qu"il consentait à certaines exceptions invoquées par le défendeur, mais qu"il était en désaccord avec ce dernier quant à la communication de certains renseignements précis, à savoir le poids en pourcentage accordé aux critères d"évaluation des propositions soumises au défendeur (ci-après les poids en pourcentage). Le commissaire a sollicité le consentement de la nouvelle partie pour le dépôt d"une demande de contrôle auprès de la Cour quant au refus du défendeur de divulguer les poids en pourcentage. Le consentement de la nouvelle partie ne s"est pas fait attendre et la présente demande a été déposée le 5 mars 1999.

[7]      Les poids en pourcentage n"ont été consignés que sur six pages de l"ensemble de la preuve, soit les pages 505 à 510 pour les fins de la présente demande. Bien que chacune de ces pages ait été communiquée à la nouvelle partie, les poids en pourcentage tels qu"ils apparaissaient sur ces pages n"ont pas été divulgués. Ce processus de " prélèvement " a été effectué conformément à l"article 25 de la Loi , reproduit ci-dessous :

25. Notwithstanding any other provision of this Act, where a request is made to a government institution for access to a record that the head of the institution is authorized to refuse to disclose under this Act by reason of information or other material contained in the record, the head of the institution shall disclose any part of the record that does not contain, and can reasonably be severed from any part that contains, any such information or material.

25. Le responsable d'une institution fédérale, dans les cas où il pourrait, vu la nature des renseignements contenus dans le document demandé, s'autoriser de la présente loi pour refuser la communication du document, est cependant tenu, nonobstant les autres dispositions de la présente loi, d'en communiquer les parties dépourvues des renseignements en cause, à condition que le prélèvement de ces parties ne pose pas de problèmes sérieux.



[8]      L"exception sur laquelle se fonde le défendeur pour motiver son refus de communiquer les poids en pourcentage relève de l"alinéa 21(1)a ) de la Loi. Les passages pertinents du paragraphe 21(1) prévoient :

21. (1) The head of a government institution may refuse to disclose any record requested under this Act that contains

(a) advice or recommendations developed by or for a government institution or a minister of the Crown,

...

21. (1) Le responsable d'une institution fédérale peut refuser la communication de documents datés de moins de vingt ans lors de la demande et contenant_:

a) des avis ou recommandations élaborés par ou pour une institution fédérale ou un ministre;

...



LE CADRE LÉGISLATIF

[9]      Classé sous le titre " OBJET DE LA LOI ", le paragraphe 2(1) est ainsi libellé :

2. (1) The purpose of this Act is to extend the present laws of Canada to provide a right of access to information in records under the control of a government institution in accordance with the principles that government information should be available to the public, that necessary exceptions to the right of access should be limited and specific and that decisions on the disclosure of government information should be reviewed independently of government.

2. (1) La présente loi a pour objet d'élargir l'accès aux documents de l'administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication, les exceptions indispensables à ce droit étant précises et limitées et les décisions quant à la communication étant susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif.



[10]      Classé sous le sous-titre Droit d"accès, le paragraphe 4(1) de la Loi est ainsi libellé :

4. (1) Subject to this Act, but notwithstanding any other Act of Parliament, every person who is

(a) a Canadian citizen, or

(b) a permanent resident within the meaning of the Immigration Act,

has a right to and shall, on request, be given access to any record under the control of a government institution.

4. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi mais nonobstant toute autre loi fédérale, ont droit à l'accès aux documents relevant d'une institution fédérale et peuvent se les faire communiquer sur demande_:

a) les citoyens canadiens;

b) les résidents permanents au sens de la Loi sur l'immigration.


[11]      Dans l"arrêt Dagg c. Canada (Ministre des Finances)2, le juge LaForest, s"exprimant au nom des juges minoritaires, a écrit aux pages 432 et 433 :

La loi en matière d"accès à l"information a [...] pour objet général de favoriser la démocratie, ce qu"elle fait de deux manières connexes. Elle aide à garantir, en premier lieu, que les citoyens possèdent l"information nécessaire pour participer
utilement au processus démocratique, et, en second lieu, que les politiciens et bureaucrates demeurent comptables envers l"ensemble de la population. [...]
[...]
Les lois sur l"accès à l"information présupposent que les renseignements pertinents sur le plan politique devraient faire l"objet d"une diffusion aussi large que raisonnablement possible. [...]
[...]                         
Les droits aux renseignements détenus par l"État visent à améliorer les rouages du gouvernement, de manière à le rendre plus efficace, plus réceptif et plus responsable. En conséquence, bien que la Loi sur l"accès à l'information reconnaisse un droit d"accès général aux " documents des institutions fédérales " [...], il importe de tenir compte de l"objectif général de cette loi pour déterminer s"il y a lieu de reconnaître une exception à ce droit général. [renvois et citations omis]

[12]      Le juge Cory, s"exprimant au nom des juges majoritaires, a écrit à la page 412 :

Ayant pris connaissance des motifs minutieux et approfondis du juge La Forest, je suis d"accord avec sa façon d"aborder l"interprétation de la Loi sur l"accès à l"information [...].

[13]      Dans l"arrêt Rubin c. Canada (Ministre des Transports)2, le juge McDonald a écrit aux paragraphes 22 à 24 :

Dans l"affaire Rubin c. Canada (Greffier du Conseil privé) , la Cour a également confirmé l"importance du paragraphe 2(1) de la Loi. La Cour suprême du Canada a aussi mis en lumière l"importance de l"objet fondamental de la Loi pour interpréter ses dispositions. Dans l"arrêt Dagg c. Canada (Ministre des Finances) , le juge LaForest a fait les remarques suivantes :
[extrait, reproduit plus haut, de la citation des motifs du juge LaForest dans l"arrêt Dagg ]
Selon moi, donc, toutes les exceptions doivent être interprétées à la lumière de cette disposition [le paragraphe 2(1)]. C"est-à-dire que toutes les exceptions au droit d"accès doivent être précises et limitées. Cela signifie que lorsque deux interprétations sont possibles, la Cour doit, vu l"intention déclarée du législateur, choisir celle qui porte le moins atteinte au droit d"accès du public. C"est seulement de cette façon que la réalisation de l"objet de la Loi est possible. Il s"ensuit qu"une interprétation (d"une exception) qui permet au gouvernement de cacher des renseignements au public affaiblit l"objet déclaré de la Loi.
Il importe de souligner que cela ne signifie pas que la Cour doit remanier les exceptions prévues par la Loi afin de créer des exceptions plus limitées. Un tribunal doit toujours travailler avec le libellé qui lui a été soumis. Si le sens est manifeste, il n"appartient pas à la Cour ou à un autre tribunal de le modifier. Toutefois, si une disposition renferme une ambiguïté, c"est-à-dire qu"elle peut être interprétée de deux façons [...], alors la Cour doit, vu la présence
de l"article 2, choisir l"interprétation qui porte le moins atteinte au droit du public à l"accès à des documents qui est prévu à l"article 4 de la Loi. [renvois omis]

[14]      Conformément à ce qui précède, l"article 48 de la Loi prévoit que la charge d"établir le bien-fondé du refus de communiquer un document demandé aux termes de la Loi incombe à l"instance fédérale concernée, en l"espèce le défendeur.

[15]      Dans l"affaire Canada (Commissaire à l"information) c. Canada (Premier ministre)3, le juge Rothstein, maintenant juge à la Cour d"appel, a écrit à la page 476 :

[...] En bref, la partie qui cherche à protéger la confidentialité doit s"acquitter de la lourde charge qui lui incombe d"administrer formellement des preuves claires et directes établissant la prépondérance des probabilités. Je reviendrai plus loin sur cette question.

Il a continué à la page 478 :

La jurisprudence pose que le gouvernement ou la partie qui cherche à protéger la confidentialité doit justifier ses prétentions par des preuves claires et directes. La Loi elle-même, en son paragraphe 2(1), prévoit que les exceptions à la communication doivent être limitées et précises. J"en conclus qu"une approche générale ne suffit pas pour justifier la confidentialité.

[16]      L"article 49 de la Loi établit l"éventail des mesures de redressement que peut accorder la Cour à l"égard de demandes comme celle en l"espèce. Cet article prévoit :

49. Where the head of a government institution refuses to disclose a record requested under this Act or a part thereof on the basis of a provision of this Act not referred to in section 50, the Court shall, if it determines that the head of the institution is not authorized to refuse to disclose the record or part thereof, order the head of the institution to disclose the record or part thereof, subject to such conditions as the Court deems appropriate, to the person who requested access to the record, or shall make such other order as the Court deems appropriate.

49. La Cour, dans les cas où elle conclut au bon droit de la personne qui a exercé un recours en révision d'une décision de refus de communication totale ou partielle d'un document fondée sur des dispositions de la présente loi autres que celles mentionnées à l'article 50, ordonne, aux conditions qu'elle juge indiquées, au responsable de l'institution fédérale dont relève le document en litige d'en donner à cette personne communication totale ou partielle; la Cour rend une autre ordonnance si elle l'estime indiqué.

                


L"article 50 n"est pas pertinent pour les fins de la présente demande.

LA NORME DE CONTRÔLE

[17]      Dans l"affaire Le Conseil canadien des oeuvres de charité chrétiennes c. Le ministre des Finances4, le juge Evans, maintenant juge à la Cour d"appel, a écrit aux paragraphes 11 à 14 :

Il semble que ce soit la première affaire dans laquelle la Cour soit tenue d"examiner la portée des exceptions énoncées aux alinéas 18d ) et 21(1)a) de la Loi sur l"accès à l"information. Je m"acquitterai de cette tâche en respectant le cadre des principes juridiques bien établis qui nous renseignent sur le déroulement des procédures de contrôle fondées sur l"article 41, en
fonction des faits de l"espèce.
Tout d"abord, il est nécessaire d"examiner la norme de contrôle applicable au refus du ministre de communiquer les renseignements en question. Contrairement à certaines lois provinciales analogues, la Loi sur l"accès à l"information de régime fédéral ne confère pas au commissaire canadien à l"information le pouvoir de décider si un document particulier doit ou non être
communiqué. Il lui confère plutôt le pouvoir d"enquêter sur les refus de communiquer les renseignements demandés et de faire des recommandations au responsable d"une institution fédérale, en l"espèce, le ministre des Finances. Étant donné que les recommandations du commissaire n"ont pas d"effet obligatoire, la décision qui fait l"objet du contrôle par la Cour fédérale en
vertu de l"article 41 est la décision du ministre et non pas celle du commissaire à l"information.
Les responsables des institutions fédérales ont tendance à justifier les raisons qu"ils invoquent pour ne pas communiquer les renseignements en faisant valoir l"intérêt public et ainsi à interpréter et appliquer la Loi d"une façon qui assure une protection maximale aux renseignements qui sont en leur possession. Par conséquent, il n"y a pas lieu en l"espèce de faire preuve à l"égard de l"interprétation du ministre ou de l"application des exceptions prévues par la Loi du genre de retenue judiciaire que les tribunaux ont quelquefois témoigné à l"égard des décisions prises par les commissaires à l"information et à la protection de la vie privée nommés en vertu de lois provinciales qui confèrent à ces derniers, et non au ministre, le pouvoir de déterminer si les renseignements devraient être communiqués ou non: voir, par exemple, John Doe v. Ontario (Information & Privacy Commissioner) (1993), 13 O.R. (3d) 767 (Cour div.).
Toutefois, même si la Cour est tenue de revoir les décisions du ministre en respectant la norme de la décision correcte, il est certainement approprié de tenir compte du rapport et des recommandations du commissaire à l"information. Le commissaire n"est pas lié au pouvoir exécutif, il est comptable directement au Parlement et il possède une compétence certaine dans l"application de la Loi du fait de son expérience dans la tenue d"enquêtes sur les plaintes faisant suite aux refus de communication.

J"estime que ce qui précède est entièrement applicable en l"espèce.

[18]      Par opposition à la norme de contrôle judiciaire susmentionnée, si le responsable de l"institution fédérale, en l"espèce le défendeur, se voit accorder le pouvoir discrétionnaire de refuser la communication d"un document ou des parties de celui-ci, le contrôle relatif à l"exercice discrétionnaire du refus constitue une chose distincte. À cet égard, le juge Sharlow, maintenant juge à la Cour d"appel, a écrit dans l"affaire 3430901 Canada Inc. et Telezone Inc. c. Le ministre d"Industrie Canada5, (ci-après Telezone) au paragraphe 93 :

L"étendue du contrôle judiciaire de l"exercice du pouvoir discrétionnaire de refuser de communiquer des renseignements a été décrite de la façon suivante :

À mon sens, en révisant une telle décision [discrétionnaire] la Cour ne devrait pas tenter elle-même d"exercer de nouveau le pouvoir discrétionnaire, mais plutôt examiner le document en question et les circonstances qui l"entourent et se demander simplement si le pouvoir discrétionnaire semble avoir été exercé de bonne foi et pour un motif qui se rapporte de façon logique à la raison pour laquelle il a été accordé.6

QUESTIONS EN LITIGE

[19]      Dans son exposé des faits et du droit, le demandeur a résumé les questions en litige devant la Cour de la manière suivante :

a)      [TRADUCTION] Les renseignements en cause ont-ils, à bon droit, fait l"objet d"une exception à titre d"avis ou de recommandations aux termes de l"alinéa 21(1)a ) de la Loi sur l"accès à l"information?
b)      [TRADUCTION] Le défendeur s"est-il acquitté de son fardeau d"établir qu"il lui est loisible de refuser la divulgation des renseignements en cause?

[20]      Dans son exposé des faits et du droit, le défendeur a décrit la seule question en litige en ces termes :

[TRADUCTION] La seule question en litige dont la Cour est saisie consiste à savoir si le défendeur avait des motifs de refuser, aux termes de l"alinéa 21(1)a ) de la Loi sur l"accès à l"information, la communication de certaines parties du dossier qui demeure toujours litigieux.

ANALYSE

[21]      Les poids en pourcentage qui n"ont pas été dévoilés apparaissent sur ce qui semble être une version papier de diapositives préparées en vue d"une [TRADUCTION] " séance d"information ministérielle ", tenue le 4 novembre 1996. La note d"information en date du 1er novembre 1996 qui a été transmise au défendeur comportait une recommandation claire selon laquelle les critères d"évaluation, ainsi que leur poids en pourcentage, pouvaient faire l"objet d"une approbation lors de la réunion du 4 novembre7.

[22]      Dans le contexte dans lequel les critères d"évaluation et leur poids respectif en pourcentage ont été présentés au défendeur, je suis convaincu qu"à la lumière de la norme de la décision correcte ils peuvent à bon droit être qualifiés d"avis ou de recommandations formulés par une institution fédérale pour un ministre, les assujettissant ainsi à l"application de l"alinéa 21(1)a ) de la Loi. Il était par conséquent raisonnablement loisible au défendeur d"exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur du refus de la communication des poids en pourcentage.

[23]      Le 4 novembre, ou aux environs de cette date, le défendeur approuvé les critères d"évaluation et les poids en pourcentage tels qu"ils lui avaient été recommandés. Voici un extrait du contre-interrogatoire de M. Ronald Amero relativement à son affidavit public déposé au nom du défendeur :

[TRADUCTION]     
53. Q.      Alors le prochain document de la pièce protégée B constitue le document final qui résume les critères d"évaluation et leur poids respectif en pourcentage; est-ce exact?
R.      Oui.
54. Q.      Alors, après que le personnel du ministre eut discuté de la première ébauche du document protégé, le deuxième document a par la suite été préparé, puis soumis au ministre pour approbation, vrai?
R.      Oui.
55. Q.      Et a-t-il été approuvé?
R.      Oui.
...
79. Q.      Vous avez dit précédemment que la pièce protégée B, soit les poids en pourcentage accordés aux critères d"évaluation, avait été -- les critères d"évaluation et les poids en pourcentage ont été approuvés par le ministre?
R.      Oui.
80. Q.      Avant que la demande de production ait été émise le 7 novembre?
R.      Oui.
81. Q.      Exact?
R.      Exact.
82. Q.      Si je me réfère au paragraphe 10 de votre affidavit public, ils ont été approuvés le 4 novembre 1996, exact?
R.      Exact.8

Comme je l"ai indiqué précédemment, le 1er novembre 1996, les critères d"évaluation et leur poids respectif en pourcentage constituaient des avis ou des recommandations qu"avaient formulés des fonctionnaires du ministère pour le ministre défendeur. Cependant, le 4 novembre 1996, ou aux environs de cette date, les critères d"évaluation et les poids en pourcentage ont changé de nature, passant d"avis ou de recommandations adressés au défendeur à des décisions émanant du défendeur même. De ce fait, je suis convaincu qu"ils n"étaient plus assujettis à l"alinéa 21(1)a ) de la Loi et que ce statut est demeuré inchangé pour les fins de la présente affaire.

[24]      Après enquête exhaustive menée par le demandeur, et après un certain nombre de conversations entre le demandeur et le défendeur, un haut fonctionnaire du ministère du défendeur a écrit au demandeur le 10 septembre 1998 pour l"informer du maintien de l"exception à la communication des poids en pourcentage. Il a écrit :

[...]
[TRADUCTION] Si les renseignements du type que l"on retrouve dans la présente affaire étaient automatiquement divulgués, on peut s"attendre à ce que les avis et les recommandations qui seraient présentés aux cadres supérieurs à l"avenir diffèrent, en termes de contenu et de forme, de ce qui constituerait le meilleur intérêt du public. Il pourrait se dessiner, en particulier, une tendance à l"auto-censure et à la suppression des options controversées pour le bénéfice du ministre, étant donné les difficultés que ce dernier pourrait rencontrer s"il devait fournir des explications publiques pour justifier ces options. J"ajouterais ici que le ministre a pleine discrétion lorsqu"il s"agit de traiter des questions relatives aux licences aux termes de la Loi sur la Radiocommunication . Il importe que le pouvoir discrétionnaire du ministre ne soit pas entravé par la divulgation des avis internes. Ce sont des problèmes réels et nous estimons que les fonctionnaires ministériels sont les mieux placés pour évaluer les conséquences qu"entraînerait une divulgation dans ce genre de situation.
[...]

[...] la documentation qui a été portée à notre attention a fait l"objet d"un réexamen, compte tenu de l"esprit plénier de la Loi. Sans aller jusqu"à renoncer à notre argument selon lequel l"alinéa 21(1)a ) s"applique de la manière dont l"a envisagé le législateur, nous sommes prêts à divulguer les renseignements en cause, à l"exception des poids en pourcentage recommandés. Il est possible de déduire les critères de l"évaluation à partir des documents qui sont déjà publics, et, par conséquent, il n"y a plus d"intérêt de nature privée à protéger.
Il est clair que personne à l"extérieur du ministère ne connaît les poids en pourcentage recommandés. Ces pourcentages ne sont pas divulgués en raison de la possibilité que les parties intéressées modifient leurs propositions en fonction de ce qu"ils croient que le ministère aimerait voir, plutôt que ce qu"elles veulent véritablement entreprendre. Par conséquent, il existe clairement un intérêt public dans la non-communication de ce renseignement, vu en particulier qu"on m"a mis au courant que le ministère avait l"intention de recommander au ministre une approche similaire dans le cadre d"un processus d"évaluation prochain.9

Je suis d"avis que les observations précédentes renvoient précisément au type de raisonnement sur lequel s"est appuyé le juge Evans dans l"affaire Le conseil canadien des oeuvres de charité chrétiennes c. Le ministre des Finances10 pour justifier le recours à la norme de la décision correcte quant à l"applicabilité de l"alinéa 21(1)a ) de la Loi. Il convient alors de dire, pour reprendre un extrait précédemment cité de cette décision, qu" :

[...] il n"y a pas lieu de faire preuve à l"égard de l"interprétation du ministre de l"application des exceptions prévues par la Loi du genre de retenue judiciaire que les tribunaux ont quelquefois témoigné à l"égard des décisions prises par les commissaires à l"information et à la protection de la vie privée nommés en vertu de lois provinciales qui confèrent à ces derniers, et non au ministre, le pouvoir de déterminer si les renseignements devraient être communiqués ou non [...].

[25]      Le commissaire a fait parvenir une réponse au défendeur le 9 décembre 1998, dont voici un extrait :

[TRADUCTION] Après avoir examiné en détail les observations de [le défendeur] et du plaignant, je conclus que les poids en pourcentage ne peuvent en soi bénéficier de l"exception au droit d"accès aux termes de l"alinéa 21(1)a ) de la Loi sur l"accès à l"information. À mon avis, ces pourcentages ne constituent pas des " avis " ou des " recommandations ". Ils forment plutôt le cadre contextuel dans lequel le ministre s"attend à recevoir des recommandations portant sur le bien-fondé des demandes.11

[26]      Bien que je sois en désaccord avec le fondement sur lequel le commissaire s"est appuyé pour s"opposer au refus de communication des poids en pourcentage, je suis arrivé à la même conclusion que le commissaire en ce qui concerne la justesse du refus de communication des poids en pourcentage aux termes de l"alinéa 21(1)a ) de la Loi; c"est-à-dire que les pourcentages ne peuvent, à proprement parler, donner ouverture à l"exception au droit d"accès prévue à l"alinéa 21(1)a ) de la Loi. Bien que je sois convaincu que les poids en pourcentage, tels qu"ils apparaissent aux pages 505 à 510 du dossier du demandeur, constituaient initialement des " avis " ou des " recommandations " adressés au ministre, ils ont changé de nature lorsque le ministre a accepté ces " avis " ou ces " recommandations ". Lorsque le ministre les a acceptés, les pourcentages sont devenus des " décisions " émanant du ministre même et ont cessé d"être des " avis " ou des " recommandations " lui étant adressés. Si un [TRADUCTION] " dossier de décisions " distinct avait été préparé, ma conclusion relativement aux pages 505 à 510 aurait peut-être été différente. Cependant, la Cour n"a pas été saisie de cette possibilité. La Cour ne dispose d"aucune preuve établissant l"existence d"un " dossier de décisions " distinct.

[27]      Dans l"affaire Telezone12, le juge Sharlow s"était notamment penchée sur la question du défaut, par le même défendeur qu"en l"espèce, de communiquer des poids en pourcentage. Dans l"affaire dont elle était saisie, apparemment après une conversation avec le défendeur, " [...] la pondération des pourcentages a été changée à la demande du ministre afin de refléter d"autres priorités ". À la lumière des faits dont disposait le juge Sharlow, les recommandations ou les avis concernant les poids en pourcentage envisagés n"ont jamais été de la nature des décisions ministérielles. Ils n"ont jamais dépassé le stade de l"avis ou de la recommandation. Par conséquent, le fait que le juge Sharlow ait tiré une conclusion différente de la mienne, vu les faits de l"espèce, n"équivaut pas à une divergence interprétative.

[28]      Le juge Sharlow a écrit aux paragraphes 55 et 56 de ses motifs :

Les demandeurs soutiennent tous que la pondération des pourcentages et les documents s"y rapportant sont essentiellement de nature factuelle, et qu"on ne peut donc les décrire comme des " avis ou recommandations ". Les demandeurs soutiennent que ces renseignements sont simplement une partie de l"ensemble de faits qui est à la base des avis ou recommandations au ministre, et non des recommandations particulières quant aux décisions à prendre. Par conséquent, ces renseignements ne constitueraient pas par eux-mêmes des avis ou recommandations. Les demandeurs soutiennent aussi qu"une discussion de politique générale ne cadre pas dans cette catégorie, à moins qu"on y présente des options de politique et qu"on y recommande une façon d"agir.
Je traiterai d"abord du dernier point. Il me semble qu"une discussion des options de politique qui se solde par une recommandation est une " recommandation " au sens de l"alinéa 21(1)a ), mais que le terme " avis " recouvre un concept beaucoup plus large. Dans son sens ordinaire, le terme " avis " peut comprendre la discussion de questions de politique générale ou d"options de politique, même si on n"y trouve pas de conclusion ou de résolution au débat.

[29]      Il y avait, en l"espèce, une recommandation particulière quant à la résolution de toute discussion de politique générale qui aurait pu être soulevée sur la question des poids en pourcentage appropriés. Je suis convaincu que, mis à part les faits différents de l"espèce, le raisonnement adopté par le juge Sharlow et mon propre raisonnement en l"espèce sont identiques. En effet, le juge Sharlow est finalement arrivée à la conclusion, au paragraphe 59, que les poids en pourcentage dont elle a été saisie constituaient :

[...] une composante essentielle et importante des avis ou recommandations présentés au ministre dans le cadre de sa décision d"octroyer des licences. Il s"ensuit que cette documentation recouvre une information que le ministre peut refuser de communiquer.

[30]      Je serais arrivé à la même conclusion à la lumière des faits en l"espèce si les avis ou les recommandations concernant les poids en pourcentage n"avaient pas changé de nature lorsque le défendeur les a acceptés comme étant ses propres décisions. Ils ont, à ce moment-là, cessé de n"être que des avis ou recommandations.

CONCLUSION

[31]      Étant donné tout ce qui précède, et étant donné la flexibilité qu"accorde l"article 49 de la Loi à la Cour, précité, l"ordonnance que je prononce porte divulgation par le défendeur, pour le bénéfice de la nouvelle partie, des pourcentages consignés aux pages 505 à 510 du dossier du demandeur.

DÉPENS

[32]      L"article 53 de la Loi prévoit des lignes directrices concernant l"attribution des dépens dans le cadre de procédures comme celle en l"espèce. L"article est libellé dans les termes suivants :


53. (1) Subject to subsection (2), the costs of and incidental to all proceedings in the Court under this Act shall be in the discretion of the Court and shall follow the event unless the Court orders otherwise.

(2) Where the Court is of the opinion that an application for review under section 41 or 42 has raised an important new principle in relation to this Act, the Court shall order that costs be awarded to the applicant even if the applicant has not been successful in the result.

53. (1) Sous réserve du paragraphe (2), les frais et dépens sont laissés à l'appréciation de la Cour et suivent, sauf ordonnance contraire de la Cour, le sort du principal.

(2) Dans les cas où elle estime que l'objet des recours visés aux articles 41 et 42 a soulevé un principe important et nouveau quant à la présente loi, la Cour accorde les frais et dépens à la personne qui a exercé le recours devant elle, même si cette personne a été déboutée de son recours.


[33]      À la lumière du paragraphe 53(1), je me prévaux du pouvoir discrétionnaire dont jouit la Cour pour accorder les dépens au commissaire. Aucuns dépens ne sont adjugés en ce qui concerne la nouvelle partie.





                             __________________________

                                 Juge         



Ottawa (Ontario)

Le 14 janvier 2000


Traduction certifiée conforme


Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU GREFFE :              T-394-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :      LE COMMISSAIRE À L"INFORMATION DU                      CANADA c. LE MINISTRE D"INDUSTRIE                      CANADA ET PATRICK McINTYRE

LIEU DE L"AUDIENCE :          CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L"AUDIENCE :          LE 14 DÉCEMBRE 1999

MOTIFS DE L"ORDONNANCE EXPOSÉS PAR LE JUGE GIBSON

EN DATE DU :              14 JANVIER 2000


ONT COMPARU :

DANIEL BRUNET                          POUR LE DEMANDEUR

CHRISTOPHER RUPAR                      POUR LE DÉFENDEUR     

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

COMMISSAIRE À L"INFORMATION DU CANADA      POUR LE DEMANDEUR

112, RUE KENT

OTTAWA (ONTARIO)

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA          POUR LE DÉFENDEUR

MINISTÈRE DE LA JUSTICE

OTTAWA (ONTARIO)

Date : 20000114

Dossier : T-394-99

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON

ENTRE :

LE COMMISSAIRE À L"INFORMATION DU CANADA

demandeur

-et-

LE MINISTRE D"INDUSTRIE CANADA

défendeur

-et-

PATRICK MCINTYRE

nouvelle partie


ORDONNANCE

     VU la demande présentée par le Commissaire à l"information du Canada en vertu de l"alinéa 42(1)a ) de la Loi sur l"accès à l"information;

LA COUR ORDONNE PAR LA PRÉSENTE :

     La présente demande est accueillie. Le défendeur est tenu de communiquer à la nouvelle partie les pourcentages consignés aux pages 505 à 510 du dossier du demandeur en l"espèce.

     Le défendeur paiera au demandeur les dépens de la demande, calculés de la façon ordinaire. Aucuns dépens ne sont adjugés en ce qui concerne la nouvelle partie.

                            

                                     Juge

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.

__________________

1      L.R.C. (1985), ch. A-1.

     [1997] 2 R.C.S. 403.

2      [1998] 2 C.F. 430 (C.A.).

3      [1993] 1 C.F. 427 (1re inst.).

4      (1999), 99 D.T.C. 5337 (C.F. 1re inst.).

5      [1999] A.C.F. no 1859 (Q.L.)(C.F. 1re inst.). Avis d"appel déposé le 16 décembre 1999, dossier en Cour d"appel no A-832-99.

6      Le juge Strayer, dans Kelly c. Canada (Solliciteur général) (1992), 53 F.T.R. 147, à la page 149, confirmé dans (1993), 154 N.R. 319 (C.A.F.), Dagg, précité, note 2; Congrès juif canadien c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration), [1996] 1 C.F. 268 (1re inst.).

7      Le volume 4 du dossier du demandeur comprend un affidavit protégé et des pièces protégées relatives à cet affidavit, pages 474 et 505 à 510.

8      Dossier du demandeur, vol. VII, onglet B, aux pages 12 et 19.

9          Dossier du demandeur, vol. II, onglet 14, aux pages 2 et 3.

10          Supra, note 5.

11          Dossier du demandeur, vol. II, onglet 17, page 2.

12          Supra, note 6.

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