Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20010509

Dossier : IMM-5178-97

Référence neutre : 2001 CFPI 454

ENTRE :

                                          DEWEY GO DEE

                                                                                                 demandeur

                                                         et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                  défendeur

                       TAXATION DES DÉPENS - MOTIFS

CHARLES E. STINSON

Officier taxateur


[1]    Le 2 décembre 1998, M. le juge Muldoon a accueilli la demande de mandamus, ordonné au défendeur de prendre une décision sur la demande de résidence permanente du demandeur au plus tard le 26 février 1999 et, en outre, ordonné au défendeur « de payer les frais de la demande sur la base procureur et client sans tenir compte de la date à laquelle ceux-ci ont été engagés » . Le demandeur a présenté son mémoire de dépens pour la période allant de mars 1983 (probablement commençant quelques mois auparavant puisque la première facture est datée du 17 mars 1983), jusqu'en février 1999 (la dernière facture est datée du 26 février 1999), pour un total de 538 531,92 $. Le défendeur s'objecte au motif que l'octroi des dépens est nécessairement limité à la procédure de mandamus introduite le 8 décembre 1997. Les parties ont convenu de traiter cette question comme une objection préliminaire, pour ensuite utiliser ces motifs comme guide dans l'évaluation subséquente des divers postes au mémoire des dépens. Il n'y a pas de controverse importante entre les parties au sujet des dates et des événements entourant la tentative du demandeur d'être admis au Canada et d'y rester, qui date de 1982.

Le contexte

[2]    À partir de 1978, le demandeur a brassé des affaires financières importantes avec le président Marcos des Philippines. Dès 1980, le demandeur a senti que les problèmes liés à ses activités pouvaient mettre en cause son bien-être. Il a donc quitté les Philippines en janvier 1981, avec sa femme et ses quatre jeunes fils, pour s'installer au Costa Rica et y travailler. Ils ont eu des difficultés professionnelles et personnelles d'adaptation au Costa Rica, suite à quoi le demandeur et sa femme ont convenu de divorcer. Ils ont effectivement divorcé en avril 1982 et elle a reçu la garde des enfants. Avec ses enfants, elle a obtenu des visas pour venir au Canada comme immigrants reçus en octobre 1982 et ils sont devenus citoyens canadiens en 1986.


[3]                 Le demandeur est venu à Vancouver en octobre 1982 et il est resté à peu près un mois pour aider son ex-femme et ses enfants à s'installer. Il est ensuite retourné au Costa Rica. Il n'a eu aucune difficulté à être admis au Canada pour cette visite, son séjour étant autorisé jusqu'en janvier 1983. Toutefois, lorsqu'il est revenu en décembre 1982, il a eu des problèmes de visa à l'aéroport de Vancouver. Il a donc dû d'abord aller à Seattle, et ensuite au Costa Rica, pour essayer dans chacun de ces endroits de régler ses problèmes. Au Costa Rica, on a reconnu que son document de voyage était tout à fait valable. Il a reçu un visa pour une entrée unique, qui expirait le 5 février 1983. Il est revenu à Vancouver en décembre 1982. En janvier 1983, le demandeur a donné des directives à son avocat afin qu'il informe le Centre d'Immigration Canada à l'aéroport de Vancouver qu'il avait l'intention de revendiquer le statut de réfugié. Il a présenté cette demande le 25 janvier 1983. Le 26 janvier 1983, le gestionnaire du Centre d'Immigration Canada lui a fait savoir par écrit que la législation ne l'autorisait pas à présenter une revendication de statut de réfugié, étant donné qu'il ne faisait pas l'objet d'une enquête en vertu de la Loi sur l'immigration de 1976 afin de déterminer s'il était resté au Canada après l'expiration de son visa. Cette même lettre faisait aussi état du fait que son statut de visiteur expirait le 5 février 1983 et le mettait en garde de quitter le Canada au plus tard à cette date, sinon il [traduction] « ferait l'objet d'une enquête qui pourrait se solder par son expulsion du Canada » .


[4]                 Le demandeur a interprété cette lettre comme une suggestion implicite de rester au Canada jusqu'après le 5 février 1983, ce qui déclencherait la procédure d'enquête au cours de laquelle il pourrait présenter sa revendication de statut de réfugié. Comme il n'avait pas quitté le 5 février au plus tard, il a fait l'objet d'une procédure d'enquête qui a débuté le 27 avril 1983. Il a alors revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention. Au départ, sur l'avis du Comité consultatif du statut de réfugié, on a conclu qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention. Il a demandé un réexamen et, le 6 février 1986, la Commission d'appel de l'immigration a conclu qu'il était un réfugié au sens de la Convention. Le 13 février 1986, le ministre de l'Emploi et de l'Immigration a déposé une demande en vertu de l'article 28 pour obtenir l'examen et l'annulation de cette décision. Étant donné la décision favorable de la Commission d'appel de l'immigration, le demandeur a présenté, en mars 1986, une demande de permis ministériel l'autorisant à travailler pendant qu'on traitait son dossier. En juin 1986, on l'a informé qu'aucun permis ministériel ne serait délivré avant que la demande en vertu de l'article 28 ne soit tranchée. Le 25 septembre 1986, le ministre de l'Emploi et de l'Immigration s'est désisté de la demande qu'il avait présentée en vertu de l'article 28. Le 26 septembre 1986, le demandeur a à nouveau sollicité la délivrance d'un permis ministériel. Le 24 octobre 1986, on l'a informé qu'on ne lui octroyait pas de permis ministériel et que son enquête allait être reprise. En décembre 1988, sa demande de bref de certiorari annulant ce refus a été rejetée, sans dépens. En juin 1991, son appel de cette décision a été rejeté avec dépens et, en février 1992, la Cour suprême du Canada a refusé de lui accorder l'autorisation d'en appeler devant elle. Une autre action du demandeur recherchant réparation par rapport à ces divers événements a été radiée par M. le juge Joyal en décembre 1987, avec dépens.


[5]                 Le 25 janvier 1988, l'arbitre a ordonné l'expulsion du demandeur au motif qu'il était resté un jour de plus que ce qui était autorisé par son visa de visiteur (qui expirait le 5 février 1983). Sa demande en vertu de l'article 28 pour faire réexaminer cette décision a été rejetée en juin 1991. Il a fait appel de la mesure d'expulsion le visant, datée du 25 janvier 1988, à la Commission d'appel de l'immigration, qui l'a accueillie en février 1994. La demande de contrôle judiciaire par la Section de première instance, déposée par le Secrétaire d'État du Canada, a été rejetée en janvier 1995.


[6]                 En juin 1989, le demandeur et son ex-femme se sont remariés à Vancouver. En octobre 1989, sa femme a présenté une demande pour le parrainer en vue de l'obtention de la résidence permanente au Canada. Bien que le demandeur ait plusieurs fois sollicité une décision, aucune n'a été rendue. En mai 1995, on l'a informé qu'il devait présenter une demande pour compléter le parrainage de sa femme. Le 14 juillet 1995, il a déposé sa demande de droit d'établissement et reçu une approbation de principe en novembre 1995, qui lui permettait de continuer à résider au Canada pendant l'examen de sa demande. En avril 1998, on a décidé qu'il était une personne non admissible par suite de la commission d'actes criminels et on lui a demandé de présenter une preuve de réadaptation, à défaut de quoi il serait jugé être une personne non admissible au Canada en vertu de la Loi sur l'immigration[1]. Il a nié catégoriquement avoir commis quelque infraction que ce soit. Le 8 décembre 1997, le demandeur a initié la présente procédure pour obtenir un bref de mandamus obligeant le défendeur à prendre une décision sur sa demande de droit d'établissement. L'ordonnance précitée a été rendue dans ce contexte, en date du 2 décembre 1998.

[7]                 Dans ses motifs datés du 4 décembre 1998, sa Seigneurie a fait des commentaires critiques au sujet du retard à prendre une décision sur la demande de droit d'établissement, ainsi que sur l'impossibilité que le demandeur puisse répondre à des allégations d'infractions alors que le défendeur ne voulait pas divulguer quelles étaient ces infractions, ni le moindre détail à leur sujet. Sa Seigneurie a fait remarquer que le demandeur n'était pas responsable du retard et qu'il avait dû assumer des frais prodigieux au fil des années, pour lesquels il devrait recevoir une compensation. Les motifs font état d'un épais dossier en notre Cour, ainsi qu'au tribunal, commentent la brièveté des allégations du défendeur au sujet du retard et concluent qu'au vu d'un retard aussi inéquitable il y avait lieu de délivrer un bref de mandamus. Les motifs abordent la question des dépens comme suit :


... Il s'agit, de bien des façons, d'un type banal de mandamus d'où ne découle aucune question grave de portée générale. Cela dit, et les frais? Il y a toute une longue et triste histoire de douces réponses et parfois de dures réponses données à M. Dee pour repousser sa tentative d'avoir une décision sur sa demande de droit d'établissement en tant qu'immigrant ayant obtenu le droit d'établissement au Canada, et M. Dee n'est pas responsable de ce retard. En fait, le retard a été si long que la santé de sa femme s'est détériorée, ainsi que ses forces. Il pourrait craindre qu'il ne meure sans avoir le statut d'immigrant ayant obtenu le droit d'établissement au Canada s'il se conformait au rythme avec lequel le Ministère parvenait à une décision. Et il a donc le sentiment d'avoir un véritable grief, pas simplement un sentiment du grief, mais il a un véritable grief contre le Ministère au cours des années, particulièrement depuis 1995, l'année où il a présenté sa dernière demande de droit d'établissement, en vue de se voir adjuger les dépens, d'obtenir un dédommagement, au moins à cet égard. Il n'a pas intenté une action pour sentiments blessés, ce qui semble populaire de nos jours, et le Ministère devrait peut-être s'estimer heureux qu'il ne l'ait pas fait. Mais il devrait être dédommagé des frais qu'il a engagés au cours de ces années. La Cour serait disposée à lui accorder les frais sur la base procureur et client. Il s'agit, selon la Cour, d'une circonstance spéciale. On a causé à M. Dee de prodigieux frais que Me Matas et Me Walsh ne s'attendent jamais à percevoir, mais on lui a causé des dépenses pendant longtemps, pendant un temps long et dur. La Cour lui adjuge donc des frais sur la base procureur et client pour cette demande de mandamus. Or, cette demande de mandamus repose sur la négligence historique du défendeur, et il me semble qu'une partie des frais précède la demande de mandamus puisque le grief de M. Dewey ne commence pas en juillet 1995, mais qu'il a déjà pris naissance bien avant cette date. La Cour va maintenant demander à M. Dee de faire preuve d'une certaine retenue. Il s'agit d'une demande de mandamus. Si le ministre avait la semaine dernière pris une décision, c'eût été une demande de mandamus qui est sans intérêt pratique, et on peut se demander pourquoi le ministre n'a pas pris cette décision, mais préfère attendre, préfère reprendre les anciennes accusations portées par Ferdinand Marcos, ou quelqu'un, et la Cour conseillerait de la modération dans la fixation du moment, dans le passé, à partir duquel des frais sur la base procureur et client pourraient être réclamés. Et l'officier taxateur sait peut-être que la Cour recommande un peu de modération. Mais la Cour ne recommande aucune modération à partir du 14 juillet 1995 pour les frais procureur et client. Ils sont clairement susceptibles d'adjugés au demandeur. Cela tranche probablement toutes les questions pendantes, sauf à dire ceci : la Cour fait l'éloge des avocats des deux parties, de l'avocat de chaque partie, pour leur degré élevé de professionnalisme louable dans la représentation de leur client. Aucune partie, particulièrement le défendeur, ne devrait se sentir de quelque façon que ce soit affligée par l'excellente représentation que le défendeur a reçue de Me Fraser, permettez-moi de le nommer. Les clients ne sont pas tous des gagnants, mais tous les avocats sont tenus de faire avancer la cause de chaque client. Si un avocat prend une partie comme client, alors il doit faire les choses jusqu'au bout, et la vraie épreuve d'un avocat consiste dans le professionnalisme avec lequel il défend la cause du client. La Cour respecte certainement Me Fraser à cet égard ...

[8]                 En février 1999, sa demande pour obtenir le droit d'établissement a été rejetée au motif que le défendeur n'était pas convaincu qu'il s'était réadapté. Il a présenté une demande de contrôle judiciaire de cette décision et, en février 2000, M. le juge MacKay a accueilli cette demande avec dépens. Sa Seigneurie a conclu que c'était une erreur que d'avoir refusé au demandeur l'occasion d'examiner et de réfuter les allégations d'infractions criminelles à son égard, et il a ordonné au défendeur de réexaminer la décision portant sur le droit d'établissement.


Le point de vue du défendeur

[9]                 Le défendeur soutient que les questions en litige dans cette taxation ne consistent pas à savoir si les frais réclamés correspondent à de vraies dépenses, mais plutôt si l'interprétation que le demandeur veut donner à l'octroi des dépens excède la compétence du tribunal. Le défendeur soutient que le mémoire de dépens réclame tous les frais juridiques depuis la date à laquelle le demandeur a présenté sa première revendication de statut de réfugié en 1983, ce qui constitue une mauvaise interprétation de l'ordonnance quant aux dépens. Le défendeur soutient que la jurisprudence, illustrée par Lubrizol Corp. c. Imperial Oil Ltd.[2], Keramchemie (Canada) Ltd. c. Keramchemie Gmbh[3] et RCP Inc. c. M.N.R. et autre[4], a établi que dans des procédures comme la demande de bref de mandamus en l'instance, la Cour n'a pas compétence pour traiter des dépens liés à d'autres événements et pour en ordonner le paiement. Le défendeur souligne qu'il n'y a que deux parties du mémoire des dépens qui sont liées à la demande de mandamus, savoir la facture du 15 décembre 1994 au 4 janvier 1996, pour une somme de 10 444,88 $ et la facture du 4 janvier 1996 au 24 février 1999, pour une somme de 38 275,06 $. De plus, ces coûts peuvent se rapporter à la demande de droit d'établissement du 14 juillet 1995, à une demande non spécifiée faite à cette date pour obtenir le contrôle judiciaire, et aux frais associés à la demande de réadaptation, parmi d'autres événements.



[10]            Le défendeur soutient que les motifs et l'ordonnance, précités, restreignent les dépens à la procédure de mandamus et qu'ils ont clairement ordonné le paiement de ces dépens sur la base avocat-client par opposition aux dépens entre un avocat et son client. Cette dernière forme de dépens peut comprendre des frais pour du travail sur des questions extérieures à la procédure, comme on le voit dans Byers Transport Ltd. c. Kosanovich[5], ainsi que des frais relatifs à toutes les décisions rendues depuis 1983, qu'elles soient judiciaires, quasi judiciaires ou administratives, avec lesquelles le demandeur n'est pas d'accord. Or, la Cour n'a pas compétence pour octroyer de tels dépens, étant donné que sa Seigneurie devait se confiner à l'événement que constitue la présente procédure en mandamus. La Cour n'a pas utilisé le terme « son » relativement aux dépens et il n'y a donc pas lieu d'interpréter l'octroi des dépens comme s'il s'y trouvait. Le défendeur a soutenu qu'il doit en être ainsi étant donné que l'objectif de la procédure pour obtenir un mandamus et les arguments présentés ne portaient que sur la demande de droit d'établissement du demandeur et sur aucun autre litige, décision de tribunal ou question administrative, car rien de tel n'a été soulevé ou plaidé dans le cadre de cette procédure. Par conséquent, de la même façon que le juge d'un procès ne peut en rendant son jugement définitif modifier les dépens octroyés dans les décisions interlocutoires, qui ne peuvent être contestés que dans le cadre d'un appel formel, la Cour en l'instance devait se limiter à la seule demande de mandamus qui lui était présentée et elle n'avait pas compétence pour modifier les décisions sur les dépens prises dans d'autres litiges ou pour étendre l'octroi des dépens afin de couvrir des questions étrangères et extérieures à la procédure. Cette limite s'appuie sur la jurisprudence, notamment sur Fegol c. Canada[6], La succession Barnabé c. Canada[7] et Agnes Frayn c. La Bande Ermineskin[8]. Le défendeur soutient qu'on peut illustrer l'incohérence et même l'absurdité de l'interprétation donnée par le demandeur à l'octroi des dépens en constatant qu'il réclame les frais liés à l'envoi d'une lettre que lui adressait son avocat pour lui recommander de payer les dépens au défendeur comme le prévoyait l'ordonnance de décembre 1987.


[11]            Le défendeur souligne que sa Seigneurie a déposé une transcription révisée de ses motifs. La terminologie qu'on y trouve, savoir « sur la base procureur-client » représente une tentative de la sténographe judiciaire de transcrire ce qui a été dit. Cette tentative doit être interprétée dans le contexte d'une Cour qui connaît les limites de sa compétence et donc non comme voulant dire qu'il s'agirait de dépens entre un avocat et son client, mais bien des dépens avocat-client comme ils sont décrits dans Byers Transport Ltd., précité. En sus des exemples donnés dans Byers Transport Ltd., précité, qui illustrent la différence entre les dépens sur la base avocat-client et les dépens entre l'avocat et son client, on peut citer les frais de représentation d'un client auprès des médias, ou auprès du Ministère sur une question administrative. De tels frais pourraient être inclus dans les dépens entre un avocat et son client au titre des questions extérieures à la procédure, mais non dans les dépens qui peuvent être indemnisés entre parties sur la base avocat-client octroyés dans cette procédure de mandamus. Le tarif B des Règles de la Cour fédérale de 1998 constitue une ligne directrice permettant de taxer les indemnités plus généreuses disponibles sur la base avocat-client.


[12]            Le défendeur soutient que la Cour n'a pas déclaré être indignée et qu'il n'y a pas lieu de donner un tel sens à ses motifs. De plus, la Cour a déclaré que cette procédure constitue « un type banal de mandamus » . Les dates mentionnées aux motifs au sujet des dépens ne sont pas pertinentes, étant donné que ce ne sont pas dans les motifs, mais bien dans l'ordonnance, que l'on trouve une définition des limites imposées aux dépens. Ces dates ne viennent que confirmer l'intention de la Cour qu'il n'y ait pas de dates arbitraires utilisées pour déterminer les dépens dans cette procédure de mandamus. Le défendeur soutient que le demandeur a certainement dépensé 538 531,92 $ depuis 1983 pour poursuivre ses diverses demandes auprès du Ministère, des tribunaux et de la présente Cour, mais que seulement les sommes de 10 444,88 $ et de 38 275,06 $ susmentionnées peuvent être retenues comme limite supérieure des dépens potentiels dans le cadre de cette procédure de mandamus. Si le demandeur était malheureux face au traitement qu'il a reçu et à l'obligation de dépenser quelque 538 000 $ au cours de ces années, il pouvait initier une action en dommages-intérêts. Le défendeur a soutenu qu'il est rare qu'on accorde les dépens sur la base avocat-client et que cela correspond généralement à un certain mécontentement de la Cour. Ils sont de toute façon limités à la procédure devant la Cour. Le défendeur fait remarquer qu'il est banal de dire que l'octroi des dépens n'est pas une rémunération mais un dédommagement.

Le point de vue du demandeur

[13]            Le demandeur rejette le point de vue du défendeur quant aux limites de la compétence. Il soutient que la mention dans les motifs de la nécessité, au vu de la « négligence historique » du défendeur, de compenser les frais autorisés bien avant qu'il ait complété sa demande de droit d'établissement en juillet 1995. Le demandeur déclare que les procédures comme celles qu'a entendue le juge MacKay, susmentionnée, sont liées à sa demande de mandamus et que cette situation, replacée dans le contexte de la mention d'une « négligence historique » , ne doit pas être vue comme une série de litiges au fil des ans, mais plutôt comme un seul litige : est-il autorisé à s'établir au Canada ou non.


[14]            Ce litige unique se reflète dans divers mauvais traitements qu'il a subis aux mains du défendeur. Il s'agit : a) de l'avis erroné qu'il a reçu en décembre 1982 au sujet de son visa, tant à l'aéroport de Vancouver qu'à l'aéroport de Seattle; b) des renseignements faux qu'on lui a donnés dans la lettre du 26 janvier 1983 au sujet de la possibilité de présenter une revendication de statut de réfugié, lettre qui contenait une suggestion implicite de rester au Canada plus tard que la date de départ prévue à son visa, soit le 5 février 1983; c) lorsqu'il s'est présenté à l'aéroport de Vancouver le 6 février 1983, et nonobstant qu'on l'ait encouragé à rester plus longtemps comme il a déjà été mentionné, le rapport délivré le même jour qui concluait qu'il était resté au Canada plus longtemps que ce qui était autorisé; d) l'ordonnance d'expulsion de l'arbitre rendue en janvier 1988, au motif de son séjour non autorisé; e) le refus en 1986, sans aucune explication ou occasion de présenter son point de vue, de lui délivrer un permis ministériel nonobstant la législation et la politique existantes voulant qu'on lui délivre un tel permis, étant donné la décision lui accordant le statut de réfugié au sens de la Convention et dans le contexte du retrait de la demande présentée en vertu de l'article 28 contestant cette décision; et f) le défaut de répondre pendant plusieurs années à la demande présentée par son épouse en octobre 1989, le parrainant dans le cadre de sa demande pour obtenir la résidence permanente au Canada.


[15]            Le demandeur soutient qu'au cours de toutes ces années de « négligence historique » , il y a un ensemble de décisions en sa faveur que le défendeur a refusé d'accepter, ce qui a causé plusieurs procédures devant les tribunaux. Les motifs, qui soulignent notamment le fait que le défendeur n'a pas réagi à la demande de droit d'établissement et qu'il n'a pas fourni les détails des infractions alléguées pour permettre à ce dernier d'y répondre de façon efficace, illustrent l'indignation de la Cour face aux mauvais traitements reçus pendant plusieurs années. Le demandeur fait remarquer que le ministère de la Justice n'a pas divulgué le fait qu'il avait fermé son dossier portant les infractions alléguées, indiquant par là-même qu'il n'avait pas l'intention d'y donner suite. Il y a eu d'autres instances de non-divulgation, notamment de la demande formelle d'extradition, que le demandeur n'a pu obtenir qu'en ayant recours à la législation sur l'accès à l'information. Dans ses motifs du 18 février 2000, précités, le juge MacKay s'accorde avec le juge Muldoon quant aux mauvais traitements infligés à M. Dee. Le demandeur déclare que la lettre du 16 juin 2000, qui confirmait que le défendeur autorisait sa résidence permanente au Canada, ainsi que le document signé lui accordant le droit d'établissement en date du 29 juin 2000, représentent le règlement final d'un seul litige qui a duré dix-sept ans et demi. Le demandeur soutient que le fait de ne pas avoir pu utiliser 538 531,92 $, plus les intérêts, pendant toutes ces années, ces sommes devant être utilisées pour payer ses avocats, représente un autre exemple des mauvais traitements que lui a infligés le défendeur étant donné qu'il n'existait aucun fondement justifiant ce retard à lui accorder le droit d'établissement au Canada pour qu'il rejoigne son épouse et ses enfants. La proposition du défendeur de lui verser quelque 48 000 $, à comparer au 538 000 $ dépensés, ne correspond pas à la compensation visée par les motifs. Ceux-ci devraient conditionner l'approche adoptée dans cette taxation.


[16]            Le demandeur soutient que la distinction faite par le défendeur entre les dépens sur la base avocat-client et les dépens entre avocat et son client n'est pas pertinente, étant donné que tous les frais réclamés étaient nécessaires et liés à la procédure de mandamus. De plus, ces frais ne correspondent pas aux exemples donnés comme étant à rejeter. Le demandeur soutient que ces deux façons d'octroyer les dépens ne peuvent peut-être pas être distinguées, mais s'il existe une distinction, la Cour avait l'intention d'accorder les dépens entre un avocat et son client au vu de l'énormité des torts qu'on lui a causés pendant dix-sept ans et demi. Byers Transport Ltd., précité, n'est pas pertinent en l'instance étant donné que dans cette affaire il y avait une admission que les dépens devaient être octroyés sur la base avocat-client. Il n'y a pas de telle admission dans cette procédure de mandamus. Dans la transcription, la Cour utilise l'expression « avocat et client » , sauf une fois, et non l'expression « avocat-client » , ce qui donne à penser que l'intention était d'octroyer les dépens entre un avocat et son client.

[17]            Le demandeur soutient que les termes « négligence historique » indiquent que la Cour a reconnu le fait que le retard de presque six ans, d'octobre 1989 au 14 juillet 1995, ne lui était pas imputable et donc qu'elle avait l'intention que les dépens soient antérieurs à juillet 1995. Si ce résultat excède la compétence de la Cour, l'officier taxateur ne peut se constituer en cour d'appel de facto et donner à l'octroi des dépens une interprétation qui en modifie la teneur. Le défendeur aurait dû porter l'affaire devant la Cour d'appel fédérale, procédure qui est maintenant hors délai. Le demandeur cite les affaires suivantes à l'appui de sa position :

« ...toute ordonnance d'une cour de première instance est exécutoire et doit être respectée tant qu'elle n'est pas déclarée nulle par une cour d'appel[9]. »

et

« À mon avis, tant qu'elle n'aura pas été annulée, l'ordonnance qui a été rendue en l'espèce par le Tribunal en 1979 et inscrite dans le livre des jugements et ordonnances de la Cour fédérale, demeure valide indépendamment de la violation de la Charte. Il doit en être ainsi. S'il est permis de désobéir aux ordonnances judiciaires parce qu'on croit que leur fondement est inconstitutionnel, on va vers l'anarchie. Le recours des citoyens est non pas de désobéir aux ordonnances illégales mais à demander en justice leur annulation. ...Pour les fins des procédures pour outrage au tribunal, l'ordonnance doit être considérée comme valide jusqu'à son annulation par les voies de justice. Par conséquent, l'invalidité éventuelle de l'ordonnance ne constitue pas un moyen de défense opposable à la déclaration de culpabilité d'outrage au tribunal[10]. »


Le demandeur a soutenu que l'arrêt Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net[11] s'applique aussi. Les décisions Keramchemie et Lubrizol, précitées, portent qu'un juge de la Section de première instance ne peut pas modifier l'octroi des dépens qui est le fait d'un autre juge, mais elles ne mettent pas en question la compétence du juge d'accorder les dépens entre un avocat et son client dans le contexte d'événements étrangers au litige devant la Cour. Le demandeur soutient que la lettre du 16 juin 2000, susmentionnée, qui a finalement confirmé l'approbation de son droit d'établissement, adopte implicitement le point de vue que les incohérences résumées dans la lettre du 10 avril 2000 au sujet de la position du Ministère sur les allégations d'infractions, le statut de réfugié, l'expulsion et l'admissibilité. La Cour a reconnu dans ses motifs que les dépens ne peuvent compenser dix-sept ans et demi de mauvais traitements, mais qu'ils peuvent au moins signifier la désapprobation de la Cour à ce sujet.


[18]            Le demandeur soutient qu'un règlement n'est pas pertinent dans le cadre de cette taxation, étant donné que le litige ne portait pas sur une somme d'argent à être ajustée, mais seulement sur la question de savoir s'il était autorisé à s'établir au Canada ou non. Le demandeur fait remarquer que tous les frais associés à l'ordonnance de décembre 1987, alors que son action a été rejetée avec dépens, devraient être exclus, mais que tout le reste est taxable et admissible. Le demandeur soutient que la mention dans les motifs de l'épais dossier et du fait que la demande se poursuit depuis longtemps fait ressortir qu'il ne s'agit pas ici d'un type banal de mandamus. Toutefois, les sommes réclamées dans le mémoire de dépens illustrent la retenue mentionnée dans les motifs. Les taux horaires facturés sont considérablement inférieurs à la norme pour les avocats de Vancouver, soit d'à peu près 50 p. 100, s'alignant plutôt sur les taux facturés par les avocats de Winnipeg. Finalement, le demandeur fait remarquer que les sommes portées au mémoire des dépens ne lui apporteront aucun profit, étant donné qu'une grande partie du travail des avocats au fil des ans ne fait l'objet d'aucune réclamation.

La taxation

[19]            Situé dans le contexte de Byers, précité, ainsi que de Wright v. Elliott[12] :

[traduction]

Dans un litige, les dépens sont adjugés à une partie en dédommagement d'une perte pécuniaire que son adversaire lui a fait subir. En l'absence d'une telle perte, la partie ayant obtenu gain de cause ne recouvre rien au chapitre des dépens, parce qu'il n'y a rien à dédommager.      

le mémoire de dépens semble représenter les frais du demandeur entre l'avocat et son client, à partir de ses difficultés initiales en 1982 et y compris les frais engagés pour d'autres litiges devant la Cour fédérale et la Cour suprême du Canada qui ne sont pas liés à cette procédure de mandamus. Dans le contexte des motifs, les dépens accordés sont sur la base avocat-client après décembre 1997 et sur la base des dépens entre avocat et client avant cette date. On peut toutefois envisager la portée de ces dépens de deux façons.


[20]            Premièrement, après avoir fait remarquer dans ses motifs que le demandeur n'avait pas intenté une action pour sentiments blessés, le juge conclut qu'il devrait être dédommagé autrement, savoir par les dépens. Par conséquent, la Cour a utilisé la procédure de mandamus en l'instance pour octroyer au demandeur des dépens visant à le dédommager des frais qu'il a engagés, avant et pendant les procédures judiciaires, dans le cadre de ses efforts consentis depuis 1982 pour obtenir le droit d'établissement au Canada. Par conséquent, dans la mesure où l'on peut démontrer que les 538 531,92 $ ont été dépensés de façon nécessaire et raisonnable, on peut les taxer sous l'empire des motifs et de l'ordonnance.

[21]            Deuxièmement, après avoir fait remarquer que le demandeur n'avait pas intenté une action pour sentiments blessés, le juge a utilisé la procédure de mandamus pour accorder des dépens visant à compenser le demandeur pour tous ses frais, engagés avant et durant les procédures judiciaires, associés à sa demande de droit d'établissement. Ceci veut dire que la Cour était consciente des limites imposées à sa compétence en vertu de l'article 400 des Règles et qu'elle avait l'intention d'accorder les dépens entre un avocat et son client jusqu'à l'introduction de la procédure de mandamus en décembre 1997, sous réserve de l'existence d'un lien direct avec la question visée dans cette procédure, par opposition au litige général de dix-sept ans et demi que l'avocat du demandeur a décrit comme « est-il autorisé à s'établir au Canada ou non » .


[22]            Je crois que la Cour savait pertinemment que l'article 400 des Règles ne l'autorisait pas à modifier les dispositions prises quant aux dépens dans les divers autres litiges, notamment la question du permis ministériel, du statut de réfugié ou des dommages-intérêts. En examinant rapidement le mémoire des dépens, j'y ai trouvé diverses références à plusieurs procédures devant la Cour fédérale du Canada et la Cour suprême du Canada au fil des ans, qui n'ont pas de lien évident avec la question visée dans cette procédure de mandamus.



[23]            Je crois que c'est le deuxième point de vue, qui fixe une portée plus étroite à l'octroi des dépens, qui s'applique en l'instance. Ceux-ci peuvent comprendre des frais qui datent de 1989, mais je veux faire remarquer qu'il ne sera pas nécessairement facile pour le demandeur de séparer ces frais de ceux qui sont liés à sa demande de droit d'établissement. Par exemple, la facture allant du 15 décembre 1994 au 4 janvier 1996 comprend un poste général décrit comme [traduction] « faire progresser la réclamation de Mme Lily Dee » . Il peut toutefois être très difficile pour le demandeur de démontrer que cet octroi des dépens lui permet de réclamer la somme indiquée pour une inscription de deux heures le 14 juillet 1995, qui vise la préparation d'une demande d'autorisation de contrôle judiciaire, lorsqu'on la compare à l'inscription que l'on trouve à la facture du 4 janvier 1996 au 24 février 1999 portant sur deux heures réclamées le 5 décembre 1997 pour la préparation de la demande d'autorisation de solliciter un mandamus. Sans bénéficier pour le moment du point de vue des avocats des deux parties quant aux détails du mémoire de dépens, je suppose que de la même façon que les frais engagés avant décembre 1997 dans le cadre de la demande de droit d'établissement peuvent être identifiés dans le mémoire des dépens comme tombant sous le coup de cet octroi des dépens, les frais engagés avant le litige relativement à des questions autres que la demande de droit d'établissement peuvent de la même façon se rapporter à d'autres litiges. Il se trouve qu'il n'y a pas eu d'octroi de dépens comparables dans les autres litiges et que ces dépens n'auraient pu être couverts dans l'octroi de dépens dans cette procédure de mandamus. Je crois qu'il est peu probable que des frais relatifs aux efforts du demandeur pour demeurer au Canada entre décembre 1982 et octobre 1989, à l'exception de la démarche de son épouse pour le parrainer en vue de la résidence permanente, pourraient être taxés dans le cadre de cet octroi de dépens. Pour la période allant d'octobre 1989 à juillet 1995, lorsqu'il a déposé sa demande complète de droit d'établissement, il peut y avoir des frais taxables dans le cadre de cet octroi de dépens. Toutefois, au vu de la documentation et des allégations présentées jusqu'ici, le lien semble ténu et ces frais pourraient être assez limités. À partir de juillet 1995, l'octroi des dépens vient refléter le mécontentement de la Cour et, dans la mesure où les sommes réclamées sont raisonnablement nécessaires et liées à la demande de droit d'établissement, elles peuvent être taxées sans référence à la date d'introduction de la procédure de mandamus. Au sens strict, l'ordonnance du 2 décembre 1998 ne semblerait pas autoriser des dépens de cet ordre, mais je ne crois pas que l'on puisse ignorer l'intention exprimée dans les motifs. Étant donné mes conclusions, les frais en cause ne peuvent inclure ceux qui ont été engagés dans d'autres procédures, tel que le contrôle judiciaire de février 2000 devant le juge MacKay. Au vu de mes conclusions, il n'est pas nécessaire que je présente des commentaires sur la classification des dépens et sur la question d'un appel de facto de l'ordonnance de dépens.

« Charles E. Stinson »

Officier taxateur

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                        SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                         AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                              IMM-5178-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :                          Dewey Go Dee

c.

Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Winnipeg (Manitoba)

DATE DE L'AUDIENCE :                              le 9 février 2001

MOTIFS DE LA TAXATION

DES DÉPENS PAR :                                        CHARLES E. STINSON

DATE DES MOTIFS :                                     le 9 mai 2001

ONT COMPARU

Harry Walsh, c.r.                                                  POUR LE DEMANDEUR

David Matas

Duncan A. Fraser                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

David Matas                                                          POUR LE DEMANDEUR

Winnipeg (Manitoba)

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)



[1]              L.R.C. (1985), ch. I-2.

[2]            [1996] 3 C.F. 40 (C.A.).

[3]            (1988), 83 C.P.R. (3d) 223 (C.A.).

[4]            [1986] 1 C.F. 485 (1re inst.).

[5]      [1996] J.C.F. no 760 (O.T.).

[6]            Dossier no T-2836-94, 19 octobre 1998 (O.T.).

[7]            [2000] J.C.C.I. no 702 (CCI).

[8]            Dossier no T-1682-99, 28 janvier 2000 (O.T.).

[9]            R. c. Curragh Inc., [1997] 1 R.C.S. 537, à la page 544 (paragraphe 8).

[10]           Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor, [1990] 3 R.C.S. 892, aux pages 974 et 975.

[11]              [1998] 1 R.C.S. 626, à la page 678 (paragraphe 74).

[12]              (1911) 17 W.L.R. 405, à la page 407.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.