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Date : 19980930


Dossier : IMM-466-96

ENTRE :

     LEUNG LUN Li,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE TREMBLAY-LAMER :

[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire d"une décision d"un agent des visas de rejeter la demande d"établissement du demandeur au motif qu"il n"est pas admissible en raison de son état de santé, en vertu de l"alinéa 19(1)a )(ii) de la Loi sur l"immigration1 (la Loi). La Loi prévoit que :

19. (1) No person shall be granted admission who is a member of any of the following classes:

(a) persons, who are suffering from any disease, disorder, disability or other health impairment as a result of the nature, severity or probable duration of which, in the opinion of a medical officer concurred in by at least one other medical officer,

[...]

(ii) their admission would cause or might reasonably be expected to cause excessive demands on health or social services;

19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible_:

a) celles qui souffrent d'une maladie ou d'une invalidité dont la nature, la gravité ou la durée probable sont telles qu'un médecin agréé, dont l'avis est confirmé par au moins un autre médecin agréé, conclut_:

[...]

(ii) soit que leur admission entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé;

[2]      Le demandeur a demandé le droit d"établissement à titre de " travailleur autonome " et a été invité à se présenter à une entrevue de sélection. Bien que le demandeur n"ait pu obtenir son admission à titre de " travailleur autonome ", l"agent des visas a décidé, avec l"autorisation du gestionnaire adjoint de programme, d"exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le par. 11(3) du règlement d"application de la Loi et d"approuver sa demande dans la catégorie des " immigrants indépendants ".

[3]      À la suite de sa demande, le demandeur a été examiné à Hong Kong par le Dr Ngai, un médecin désigné. Comme le Dr Ngai l"indique dans son rapport2, le demandeur a subi l"ablation du rein gauche en 1982. L"analyse de l"urine du demandeur a révélé la présence de protéines (+4) et son pronostic a été déclaré " passable " . En raison du résultat anormal de l"analyse d"urine, d"autres examens ont été demandés et effectués, à la suite desquels le médecin agréé a conclu : [TRADUCTION] " la preuve médicale dont je dispose démontre clairement que le demandeur souffre d"une insuffisance rénale. [...] La preuve médicale indique aussi que le demandeur excrète des protéines dans son urine (c.-à-d. qu"il y a protéinurie), ce qui indique une insuffisance globale du rein qui reste au demandeur "3.

[4]      Selon le médecin agréé, dont l"avis a été confirmé par un autre médecin agréé, l"admission du demandeur entraînerait ou risquerait d"entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé.

[5]      Avant la lettre lui signifiant le refus, le demandeur a reçu une [TRADUCTION] " lettre d"équité " en date du 12 juillet 1994, qui l"informait qu"il y avait [TRADUCTION] " un avis médical selon lequel [il] souffrait d"une insuffisance rénale qui, selon le médecin agréé, "risquait d"entraîner un fardeau excessif pour les services de santé canadiens" "4 et qu"il avait 60 jours pour fournir d"autres renseignements au médecin qui l"avait examiné, qu"il devait obtenir de son médecin de famille ou d"un spécialiste de son choix.

[6]      Le 7 septembre 1995, le demandeur a présenté d"autres renseignements médicaux, soit les rapports des Drs Hui et Chan.

[7]      La note de service qui confirme que les renseignements médicaux supplémentaires fournis ont été pris en considération, mais n"ont pas changé l"opinion des médecins agréés, n"a été signée ni par le Dr Davies ni par le Dr Beltran, les médecins agréés, et porte la date du 2 janvier 19965.

[8]      Dans la lettre de refus, en date du 20 décembre 1995, l"agent des visas a accusé réception des renseignements supplémentaires fournis par le médecin du demandeur, mais a affirmé que la décision médicale n"était pas modifiée.

[9]      Par conséquent, le demandeur a été déclaré non admissible pour des raisons médicales, en vertu du sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi.

ANALYSE

[10]      La question principale que soulève l"espèce est de savoir si le demandeur a été privé de l"équité procédurale?

[11]      Le sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi ne confère à l"agent des visas aucun droit de réviser le diagnostic du médecin agréé. Il a toutefois la responsabilité d"intervenir lorsque l"opinion est fondée sur une erreur de fait évidente, qu"elle est incompatible ou incohérente ou qu"un élément de preuve important n"a pas été pris en considération6.

[12]      En outre, l"équité exige que l"agent des visas informe le demandeur en cas d"évaluation défavorable et qu"il lui accorde une véritable possibilité de répondre aux préoccupations des médecins agréés, avant de prendre la décision que ce demandeur est une personne non admissible7.

[13]      Le demandeur soutient que plusieurs erreurs ont été commises dans la procédure tant par l"agent des visas que par les médecins agréés, lors de son rejet pour des raisons médicales. J"ai décelé deux fautes importantes qui, selon moi, sont assez graves pour justifier l"annulation de la décision de l"agent des visas :

     1)      l"agent des visas a envoyé la lettre de rejet 13 jours avant que le dossier ne porte mention que les médecins agréés ont examiné les renseignements médicaux supplémentaires fournis;
     2)      dans la lettre d"équité, qui demandait des renseignements médicaux supplémentaires, l"agent des visas a omis d"exposer les critères sur lesquels l"opinion des médecins agréés était fondée et de préciser la nature des services auxquels le demandeur risquait d"imposer un fardeau excessif.

     a) Examen des renseignement médicaux supplémentaires

[14]      L"affidavit du Dr Davies donne les grandes lignes de son examen des deux rapports préparés par le Dr Chan8 et le Dr Hui9. Le Dr Davies affirme que :

             [TRADUCTION] Ces renseignements nous ont confirmé, au Dr Beltran et à moi-même, que notre première évaluation et opinion, soit que l"admission du demandeur imposerait vraisemblablement un fardeau aux services de santé du Canada, était exacte. [...] Les renseignements médicaux supplémentaires fournis n"ont pas apporté de preuve concluante qui justifierait un changement de l"évaluation médicale originale10.             

    

[15]      Cependant, la note manuscrite confirmant que les renseignements supplémentaires avaient été examinés n"était pas dans le dossier médical certifié, qui se trouvait en la possession de l"agent des visas au moment de sa décision11. En outre, la note officielle indiquant que les renseignements médicaux supplémentaires demandés avaient été examinés n"a été signée ni par le Dr Davies ni par le Dr Beltran, les deux médecins agréés. Finalement, cette note porte la date du 2 janvier 1996, alors que la lettre de rejet final porte la date du 20 décembre 1995. En d"autres termes, la note officielle confirmant que les médecins agréés avaient examiné les renseignements supplémentaires n"a été écrite que 13 jours après que la lettre de rejet eut déjà été envoyée. Cela est inacceptable.

[16]      Comme le juge Cullen l"a affirmé dans la décision Poste12, lorsque des agents de l"immigration demandent des renseignements médicaux supplémentaires dans la lettre d"équité, ils doivent examiner sérieusement ces renseignements avant de rendre leur décision et d"envoyer la lettre de rejet :

             Lorsqu'un organisme gouvernemental tel qu'Immigration Canada demande des renseignements à une personne, il est tenu de les examiner lorsqu'il les reçoit. [...] Même si les décideurs avaient examiné les renseignements demandés et les avaient situés dans le contexte des circonstances de l'espèce, au vu du dossier communiqué au requérant, rien n'indique qu'un examen sérieux des documents favorables a été fait. Il n'y a pas apparence de justice. En l'espèce, pour ce qui est du requérant, les décideurs ont manqué à leurs devoirs élémentaires d'équité procédurale et de justice naturelle13.             

[17]      En l"espèce, l"agent des visas avait l"obligation de s"assurer, avant d"envoyer la lettre de rejet final, que, au vu du dossier, les médecins agréés avaient examiné sérieusement les rapports des Drs Hui et Chan. Le fait que la lettre de rejet porte une date antérieure de 13 jours à celle de la note confirmant l"examen effectué par les médecins agréés des renseignements médicaux supplémentaires fait planer un grave doute quant à savoir si cela a effectivement été fait.

[18]      En outre, les actes de l"agent des visas donnent à l"opinion des médecins agréés un caractère déraisonnable, étant donné qu"au vu du dossier, le demandeur a été rejeté comme non admissible pour des raisons médicales avant même que les médecins agréés aient examiné tous les renseignements médicaux pertinents.

     b) Exhaustivité de la lettre d"équité

[19]      Le demandeur soutient que la lettre d"équité, qui demandait les renseignements médicaux supplémentaires, ne révélait pas les critères utilisés par les médecins agréés pour déterminer qu"il y aurait fardeau excessif et ne précisait pas non plus à quels services le demandeur risquait d"imposer un fardeau excessif, et que, par conséquent, elle ne permettait pas de donner une réponse valable.

[20]      Dans l"affaire Wong14, la fille du demandeur, qui était à sa charge, avait été déclarée ne pas être admissible en vertu du sous-alinéa 19(1)a)(ii), parce qu"on avait diagnostiqué qu"elle souffrait du syndrome de Down. Le juge Reed avait annulé la décision de l"agent des visas au motif que le fondement sur lequel la décision rendue reposait n"avait pas été révélé au demandeur.

             Mais ce qui est encore plus important, c'est qu'on n'a pas communiqué au requérant des renseignements concernant le fondement sur lequel cet avis a été rendu. Le requérant et son avocat souhaitaient répondre à la conclusion selon laquelle l'admission de la fille du requérant au Canada entraînerait, en raison de son état de santé, un fardeau excessif pour les services sociaux. Pour être en mesure de le faire d'une façon logique et intelligente, ils devaient être informés des facteurs considérés comme pertinents. À mon avis, la non-communication des renseignements demandés constitue un manquement aux principes de justice naturelle et aux règles d'équité15.             

[21]      Je suis d"accord avec le juge Reed. Selon moi, l"équité exige que la " lettre d"équité " envoyée au demandeur fasse mention des critères qui ont été utilisés de fait par les médecins agréés pour se former une opinion et précise la nature des services auxquels le demandeur risquerait d"imposer un fardeau excessif, de manière à garantir au demandeur une véritable possibilité de réfuter l"opinion qu"ils se sont déjà faite.

CONCLUSION

[22]      L"agent des visas a omis de s"assurer en se fondant sur le dossier que les renseignements médicaux supplémentaires demandés avaient été examinés sérieusement par les médecins agréés, avant d"envoyer la lettre de rejet. Cette omission ne constitue pas seulement un manquement à l"obligation d"équité procédurale, mais elle donne aussi à l"opinion des médecins agréés un caractère déraisonnable, étant donné que cette opinion a été exprimée avant examen de tous les renseignements médicaux pertinents.

[23]      Deuxièmement, dans la lettre d"équité, l"agent des visas a manqué à l"obligation d"équité procédurale en omettant d"indiquer sur quels critères l"évaluation de fardeau excessif était fondée et en omettant de préciser la nature des services auxquels le demandeur risquait d"imposer un fardeau excessif. Ces omissions minent l"objet de la lettre d"équité en n"accordant pas au demandeur une véritable possibilité de faire changer d"opinion les médecins agréés.

[24]      La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision prise par l"agent des visas, Jeffrey Barr, en date du 20 décembre 1995, sera annulée et l"affaire sera renvoyée le plus rapidement possible à un autre agent des visas afin d"être tranchée.

[25]      L"avocat du défendeur a demandé que la preuve médicale soit gelée et que le demandeur soit réévalué sans être assujetti à d"autres examens médicaux. Sur ce point, l"affaire Wong16 est à nouveau invoquée. Dans cette affaire, le juge Reed avait conclu que le diagnostic de retard mental léger ou moyen n"était pas en cause et que l"état de santé de la fille du demandeur n"allait pas en se détériorant. Ce n"est pas le cas en l"espèce. L"état de santé du demandeur va en se détériorant .

[26]      En vertu de l"article 8 de la Loi , il incombe au demandeur de prouver que son admission ne contrevient pas à la Loi ou à ses règlements. Par conséquent, le demandeur doit convaincre les médecins agréés qu"il est en bon état de santé quant au risque de constituer un fardeau excessif pour les services sociaux et de santé, au moment de l"examen de sa demande. Il est malheureux pour le demandeur que les erreurs de procédure commises par les agents de l"immigration aient prolongé le délai d"examen de son dossier. Cependant, la demande doit être réexaminée sur la base des renseignements médicaux actuels.

[27]      Étant donné que l"avocat du défendeur a demandé qu"il lui soit accordé de présenter après que les motifs sont prononcés des observations quant à savoir si une question devrait être certifiée, la délivrance de l"ordonnance finale est ajournée. L"avocat du défendeur a 7 jours, après le prononcé des présents motifs, pour présenter par écrit ses observations sur la question qui devrait être certifiée. S"il y a demande de certification d"une question, l"avocat du demandeur pourra répondre par écrit dans les 7 jours. Le défendeur aura alors 7 jours pour répliquer.

     " Danièle Tremblay-Lamer "

                                     JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

30 septembre 1998.

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DE DOSSIER :                          IMM-466-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :                  LEUNG LUN LI
                                 c.
                                 LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE :                      TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE :                      21 SEPTEMBRE 1998
MOTIFS D"ORDONNANCE PRONONCÉS PAR :      LE JUGE TREMBLAY-LAMER
DATE :                              30 SEPTEMBRE 1998

ONT COMPARU :

M. CECIL L. ROTENBERG, c.r.                  POUR LE DEMANDEUR
Mme MARIE-LOUISE WCISLO                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

M. CECIL L. ROTENBERG, c.r.                  POUR LE DEMANDEUR

TORONTO (ONTARIO)

M. MORRIS ROSENBERG                      POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

__________________

1      L.R.C. (1985), ch. I-2.

2      Dossier de la demande constitué par le défendeur, aux pp. 47 et 48.

3      Affidavit du Dr William Anthony Mostyn Davies (30 juillet 1996), à la p. 4.

4      Dossier de la demande constitué par le défendeur, à la p. 32.

5      Dossier de la demande constitué par le défendeur, à la p. 76.

6      Ajanee v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration) et al. (1996), 110 F.T.R. 172 (1re inst.); Ahir v. Canada (Minister of Employment & Immigration) (1983), 49 N.R. 185 (C.A.F.); Ismaili v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration) (1995), 29 Imm. L.R. (2d) 1; Gao v. Canada (Minister of Employment & Immigration) (1993), 61 F.T.R. 65 (1re inst.).

7      Gao, décision précitée, note 6.

8      Voir l"affidavit du Dr W.A.M. Davies, précité, note 3, au par. 3.

9      Ibid., au par. 5.

10      Ibid.

11      Transcription du contre-interrogatoire du Dr W.A.M. Davies (26 mai 1997), aux Q. 259 à 261.

12      Poste v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration) (1995), 101 F.T.R. 145 (1re inst.).

13      Ibid., aux pp. 98 et 99.

14      Wong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration), IMM-3366-96 (14 janvier 1998) (C.F. 1re inst.).

15      Ibid., au par. 26.

16      Wong, précitée, note 13.

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