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Date : 20020325

Dossier : T-1973-95

Référence neutre : 2002 CFPI 337

Ottawa (Ontario), le 25 mars 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

NORAC SYSTEMS INTERNATIONAL INC.

Demanderesse

- et -

PRAIRIE SYSTEMS AND EQUIPMENT LTD.

Défenderesse

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Norac Systems International Inc. (la demanderesse) est le cessionnaire d'un brevet sur un système de pesage embarqué, conçu pour peser avec précision la charge transportée par un camion ou par une remorque. Prairie Systems and Equipment Ltd. (la défenderesse) a aussi mis au point un système qui fait exactement la même chose. La demanderesse soutient qu'on peut voir dans le dispositif de la défenderesse une application directe des revendications du brevet, ce qui représente une contrefaçon. La défenderesse déclare que son système ne contient aucun des éléments essentiels du brevet et qu'en conséquence il n'a pas contrefait le brevet. Quoi qu'il en soit, la défenderesse avance que l'invention, telle qu'elle est décrite dans le brevet, n'a aucune valeur utile ni inventive et, donc, que le brevet est nul et sans effet. Voilà l'enjeu.

[2]                Le problème que l'invention vise à régler est celui du pesage des charges transportées par des plates-formes mobiles comme des camions ou des remorques qui ne sont pas toujours sur terrain plat. Ce qui pose problème, c'est que la gravité agit à angle droit sur la surface de la Terre (selon un axe vertical), de sorte que, si la charge n'est pas appliquée selon cet axe sur l'appareil de pesage, le poids mesuré sera inexact. Les produits fabriqués par les deux parties ciblent tous les deux le marché des systèmes de distribution agricoles montés sur camion pour des produits tels que l'ammoniac anhydre, où les charges doivent être pesées sur place, habituellement en un terrain accidenté. Le défi était donc d'arriver à peser la charge avec précision même quand la plate-forme porteuse n'est pas parallèle au sol.


[3]                Le brevet a été délivré le 4 juillet 1995 à William Strelioff, l'inventeur, par le Bureau canadien des brevets sous le no 2,096,761. Il a subséquemment été cédé par M. Strelioff à Norac, une société qu'il dirige actuellement. La revendication no 1 du brevet porte sur un système de pesage embarqué se composant d'un bâti porteur, d'un cadre de camion ou de remorque sur lequel repose le bâti porteur et de plusieurs cellules de pesée. La revendication no 2 décrit un système de pesage conforme à la revendication no 1, qui comporte une tringlerie. La revendication no 3 présente un système de pesage conforme à la revendication 2, comportant trois cellules de pesée. La revendication 4 décrit un système de pesage conforme à la revendication 3, qui comporte un mécanisme de verrouillage servant à assujettir la charge quand le mécanisme de levage de la cellule de pesage n'est pas en service. La revendication 5 décrit un système de pesage conforme à la revendication 4 dont le mécanisme de verrouillage est décrit plus en détail. On peut voir que les revendications 2 à 5 sont des revendications subordonnées qui dérivent de la revendication 1.

[4]                Les deux revendications en litige dans la présente poursuite sont les revendications 6 et 7. La revendication 6, reproduite ci-après, est une revendication indépendante qui décrit une cellule de pesage :

[TRADUCTION]

Une cellule de pesage à intégrer dans un système de pesage mobile, comprenant un mécanisme de levage ayant une position déployée et une position de repos, une cellule de pesée de traction disposée verticalement qui produit une valeur de sortie corrélée à la traction qui s'y exerce et une tringlerie qui raccorde ledit mécanisme de levage et ladite cellule de pesée de façon à exercer une force ascendante sur la première extrémité de ladite cellule de pesée lorsque ledit mécanisme de levage est en position déployée, la deuxième extrémité de ladite cellule de pesée étant configurée pour se raccorder au bâti porteur de la charge de façon que celui-ci puisse être suspendu par une pluralité desdites cellules de pesée lorsque les mécanismes de levage susmentionnés sont en position déployée.


[5]                La revendication 7 porte sur une cellule de pesage conforme à la revendication 6 dont la tringlerie est décrite plus en détail de la façon suivante :

[TRADUCTION]

Une cellule de pesage conforme à la revendication 6 où ladite tringlerie se compose d'un montant fixe et d'une traverse fixée sur ce dernier par liaison pivotante et où la première extrémité de ladite cellule de pesée est fixée à ladite traverse par liaison pivotante et où ladite cellule de pesée demeure à la verticale quand ledit mécanisme de levage est en position déployée.

[6]                La revendication 8 décrit une cellule de pesage conforme à la revendication 7 et un mécanisme de verrouillage de ladite cellule de pesage. La dernière revendication est la revendication 9 qui décrit une méthode de pesage en cinq étapes d'une charge reposant sur le plateau d'un camion ou d'une remorque. L'une de ces étapes consiste à monter plusieurs cellules de pesage conformes à la revendication 3 sur un bâti porteur de charge. De ce point de vue, la revendication 9 est subordonnée à la revendication 3 et, en fin de compte, à la revendication 1.


[7]                Le principe de base de l'invention est le suivant : on soulève la charge à peser à l'aide de 3 cellules de pesage et on la suspend de manière à ce qu'elle pende à la verticale et soit pesée pendant qu'elle est suspendue. Chaque cellule de pesage comprend un vérin hydraulique fixé à l'une des extrémités d'une traverse dont l'autre extrémité est raccordée par liaison pivotante à un montant fixe. La sortie du vérin hydraulique fait en sorte que la traverse pivote sur l'une de ses extrémités alors que l'autre suit le mouvement du vérin et se soulève. Une extrémité d'une cellule de pesée de traction de type S est fixée à la traverse par liaison pivotante, tandis que l'autre est fixée au bâti porteur sur lequel la charge est attachée, comme par exemple la citerne contenant le produit à vendre. Lorsque le vérin est sorti, la traverse se déplace vers le haut et, ce faisant, entraîne la cellule de pesée de traction qui soulève le bâti porteur de sa position sur le cadre du camion jusqu'à ce qu'il soit suspendu. La cellule de pesée est fixée à la traverse et au bâti porteur par des liaisons pivotantes de manière à pendre perpendiculairement par rapport au sol quand la charge est suspendue. Il y a trois cellules de pesage semblables sur le plateau du camion ou de la remorque, de sorte que, quand les trois cellules sont actionnées ensembles, toute la charge se trouve suspendue des 3 cellules de charge en question dont les mesures combinées indiquent le poids de la charge.


[8]                Le dispositif de la défenderesse aussi peut peser des charges reposant sur le plateau d'un camion ou d'une remorque. Il se compose de deux modules relativement étroits. On place un module, qui est plus ou moins de la même longueur que le conteneur à peser (c.-à-d. la citerne d'ammoniac anhydre), de chaque côté du plateau du camion ou de la remorque. Chaque module comporte une plaque supérieure à laquelle la charge est fixée. Il y a une cellule de pesage à chaque extrémité d'un module. Ladite cellule comprend un vérin hydraulique qui est orienté sur le plan vertical (ensemble de levage) et une barre (le levier de levage de la cellule de pesée) dont l'une des extrémités est fixée par liaison pivotante à l'extrémité du vérin hydraulique, tandis que l'autre extrémité est fixée par liaison pivotante à une structure rigide (le support de la plaque supérieure). Entre le vérin hydraulique et le support de la plaque supérieure se trouve une cellule de pesée à fléau de cisaillement à deux extrémités, relativement étroite et profonde, percée d' une ouverture dans le haut et dans le bas. La cellule de pesée est retenue en place seulement par les barres qui passent à travers ces ouvertures. Le levier de levage de la cellule de pesée passe à travers l'ouverture supérieure de la cellule de pesée. La plaque supérieure du module est configurée de manière à ce que tout le poids de la plaque et de toute charge qui s'y trouve se concentre sur la tige de levage inférieure, dont l'extrémité passe à travers l'ouverture inférieure de la cellule de pesée. Quand le vérin est sorti, le levier de levage de la cellule de pesée pivote sur sa fixation au support de la plaque supérieure et exerce une force ascendante sur la face intérieure de l'ouverture supérieure de la cellule de pesée. La force déplace la cellule de pesée vers le haut, ce qui exerce une force ascendante sur la tige de levage inférieure qui, à son tour, soulève la charge. Des surfaces spécialement usinées à cet effet sur la face intérieure de l'ouverture supérieure et sur le levier de levage de la cellule de pesée permettent à la cellule de se positionner le long du levier et de pendre verticalement pendant le levage. Quand les quatre cellules de pesage sont actionnées en même temps, toute la charge est supportée par les quatre cellules de pesage. Leurs lectures combinées indiquent le poids de la charge.


[9]                Prairie nie que son dispositif contrefasse le brevet, bien que certains éléments de sa dénégation portent sur la description de la réalisation comprise dans le mémoire descriptif du brevet ou sur le système fabriqué par la demanderesse. Il est bien établi en droit que ce sont les revendications qui déterminent le monopole conféré par le brevet, de telle sorte que la contrefaçon se définit par rapport à celles-ci et non par rapport au mémoire descriptif ou à la réalisation retenue. L'auteur reconnu Fox expose ainsi ce principe :

[TRADUCTION]

La contrefaçon doit se fonder sur l'invention telle qu'elle est revendiquée et non sur l'invention telle qu'elle est décrite par la preuve ou interprétée par la partie demanderesse. Il n'est aucunement pertinent de comparer la structure utilisée par la partie défenderesse avec celle employée par la partie demanderesse qui prétend fabriquer ses produits en application de son brevet. Il importe plutôt de comparer la structure de la partie défenderesse avec celle définie dans les revendications puisqu'il est évident que la structure de la partie demanderesse pourrait elle-même ne pas être conforme aux revendications de son brevet.

[10]            La défense se fonde sur le principe que la conclusion de contrefaçon peut être écartée si la défenderesse peut prouver qu'elle a combiné et agencé les pièces différemment de la demanderesse. Cette dernière, elle, soutient que le dispositif de la défenderesse est une contrefaçon textuelle du brevet, mais elle affirme, dans sa réponse, que même si des substitutions sont démontrées, il y a fondamentalement eu contrefaçon du brevet.

[11]            La Cour suprême a récemment abordé la théorie de la contrefaçon de la substance dans l'arrêt Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024. Le juge Binnie a examiné la question de la contrefaçon substantielle et de la contrefaçon textuelle, et il a conclu que la théorie de la contrefaçon de la substance ne pouvait pas être invoquée pour éviter les conséquences des termes employés par l'inventeur dans le brevet :


[TRADUCTION]

Limiter la portée de la « contrefaçon de l'essentiel du brevet » est manifestement une importante question d'intérêt public. L'application purement textuelle des revendications permettrait à une personne versée dans l'art d'apporter à l'appareil des modifications légères et sans importance et de s'approprier ainsi l'essentiel de l'invention en copiant l'appareil tout en échappant au monopole. Une interprétation plus large risque par contre de conférer au breveté les avantages d'inventions qui ne lui sont pas attribuables dans les faits, mais qui pourraient être jugées, avec le recul, « équivalentes » à ce qui a été inventé. Un tel résultat serait injuste pour le public et pour les concurrents. Il importe que le système de concession de brevets soit juste et que son fonctionnement soit prévisible. (Italique ajouté)

Free World Trust, précité, par. 29

Il serait injuste de permettre qu'un appareil qui ne se distingue de celui décrit dans les revendications du brevet que par la permutation de caractéristiques secondaires échappe impunément au monopole conféré par le brevet. En conséquence, les éléments de l'invention sont qualifiés soit d'essentiels (la substitution d'un autre élément ou une omission fait en sorte que l'appareil échappe au monopole), soit de non essentiels (la substitution ou l'omission n'entraîne pas nécessairement le rejet d'une allégation de contrefaçon). Pour qu'un élément soit jugé non essentiel et, partant, remplaçable, il faut établir que (i), suivant une interprétation téléologique des termes employés dans la revendication, l'inventeur n'a manifestement pas voulu qu'il soit essentiel, ou que (ii), à la date de la publication du brevet, le destinataire versé dans l'art aurait constaté qu'un élément donné pouvait être substitué sans que cela ne modifie le fonctionnement de l'invention, c.-à-d. que, si le travailleur versé dans l'art avait alors été informé de l'élément décrit dans la revendication et de la variante et [TRADUCTION] « qu'on lui avait demandé de déterminer si la variante pouvait manifestement fonctionner de la même manière » , sa réponse aurait été affirmative: Improver Corp. c. Remington, précité, à la p. 192. Dans ce contexte, je crois qu'il faut entendre par « fonctionner de la même manière » que la variante (ou le composant) accomplirait essentiellement la même fonction, d'une manière essentiellement identique pour obtenir essentiellement le même résultat ...

Free World Trust, précité, par. 55


[12]            Il ressort de ces extraits que la question de la contrefaçon substantielle est maintenant devenue celle de la contrefaçon des éléments essentiels ou non essentiels des revendications. Si les éléments remplacés ne sont pas essentiels, le remplacement par un agencement équivalent de pièces ne porte pas à conséquence; on peut encore conclure à l'existence d'une contrefaçon. Par contre, s'il s'agit d'éléments essentiels, on conclura de leur absence ou de leur remplacement qu'il n'y a pas eu contrefaçon. Ainsi, bien qu'il y ait toujours lieu de se demander si la défenderesse n'a fait que remplacer un élément par un assemblage équivalent, la réponse à cette question n'est pas déterminante pour ce qui est de la contrefaçon.

[13]            Il faut poursuivre l'examen en interprétant les termes du brevet, en particulier lorsque l'invention consiste en un assemblage nouveau de pièces connues en vue d'un résultat déterminé.

Je le répète, l'ingéniosité propre à un brevet ne tient pas à la détermination d'un résultat souhaitable, mais bien à l'enseignement d'un moyen particulier d'y parvenir. La portée des revendications ne peut être extensible au point de permettre au breveté d'exercer un monopole sur tout moyen d'obtenir le résultat souhaité. Il n'est pas légitime, par exemple, de faire breveter un procédé permettant de faire repousser les cheveux d'un homme atteint de calvitie et de prétendre ensuite que n'importe quel moyen d'obtenir ce résultat emporte la contrefaçon du brevet.

Free World Trust, précité, par. 32


[14]            Dans une affaire jugée en même temps que Free World Trust, précité, Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, la Cour suprême a abordé la question de l'interprétation des revendications. Le juge Binnie, s'exprimant encore une fois au nom de la Cour, a affirmé que la première tâche du juge appelé à se prononcer sur des revendications d'un brevet est d'interpréter le brevet, ce qui doit être fait en appliquant les principes de l'interprétation téléologique, un processus qu'il décrit ainsi :

L'interprétation téléologique repose donc sur l'identification par la cour, avec l'aide du lecteur versé dans l'art, des mots ou expressions particuliers qui sont utilisés dans les revendications pour décrire ce qui, selon l'inventeur, constituait les éléments « essentiels » de son invention.

[15]            Il convient de signaler que la Cour a jugé que l'interprétation téléologique pouvait restreindre tout autant qu'élargir la portée de la protection conférée par le brevet.

Toutefois, les personnes accusées de contrefaçon reprochent habituellement à l'interprétation téléologique d'élargir la portée des revendications écrites. En fait, l'interprétation téléologique peut avoir deux effets différents ... L'interprétation téléologique est susceptible d'élargir ou de limiter la portée d'un texte, comme Hayhurst, loc. cit., le souligne, à la p. 194, dans des mots qui laissent présager le jugement de première instance rendu en l'espèce:

                        [TRADUCTION] L'interprétation téléologique est susceptible de démontrer qu'on n'a pas voulu qu'une chose qui pourrait littéralement être visée par la revendication le soit, de sorte qu'il ne peut y avoir de contrefaçon . . .


De même, deux autres praticiens expérimentés, Carol V. E. Hitchman et Donald H. MacOdrum ont conclu qu'une [TRADUCTION] « interprétation téléologique n'est pas nécessairement plus large qu'une interprétation purement littérale, même s'il se peut qu'elle le soit » (Hitchman et MacOdrum, « Don't Fence Me In: Infringement in Substance in Patent Actions » (1990), 7 R.C.P.I. 167, à la p. 202).

Whirlpool Corp., précité, par. 49

[16]            L'interprétation téléologique doit faire plus que résumer les principaux éléments d'un dispositif (dans le cas d'un brevet mécanique). Puisque, par définition, un brevet porte sur un dispositif nouveau et utile, l'interprétation téléologique doit relever les éléments fonctionnels générateurs de la nouveauté et de l'inventivité. Et comme le brevet protège les moyens par lesquels un résultat est obtenu plutôt que le résultat lui-même, l'interprétation téléologique doit relever les éléments fonctionnels qui produisent un résultat utile d'une façon nouvelle et inventive. Dans cette mesure, on ne saurait affirmer que tous les éléments d'une revendication sont pareillement essentiels parce que l'invention ne pourrait fonctionner en l'absence de l'un d'eux. L'examen doit principalement permettre de mettre en évidence les éléments dont l'absence priverait le dispositif d'inventivité.

[17]            Gardant cela à l'esprit, considérons l'interprétation des revendications 6 et 7. La revendication 6 est reproduite ci-après par souci de commodité :

[TRADUCTION]


Une cellule de pesage à intégrer dans un système de pesage mobile, comprenant un mécanisme de levage ayant une position déployée et une position de repos, une cellule de pesée de traction disposée verticalement qui produit une valeur de sortie corrélée à la traction qui s'y exerce et une tringlerie qui raccorde ledit mécanisme de levage et ladite cellule de pesée de façon à exercer une force ascendante sur la première extrémité de ladite cellule de pesée lorsque ledit mécanisme de levage est en position déployée, la deuxième extrémité de ladite cellule de pesée étant configurée pour se raccorder au bâti porteur de la charge de façon que celui-ci puisse être suspendu par une pluralité desdites cellules de pesée lorsque les mécanismes de levage susmentionnés sont en position déployée.

[18]            La revendication 6 décrit un dispositif par lequel une charge positionnée au-dessus d'un appareil de pesage peut être soulevée et pesée. La charge est fixée à un bâti porteur qui est mieux adapté pour être soulevé que la charge elle-même en raison de son positionnement et de sa configuration. Un mécanisme de levage est configuré de manière à ce que sa force de levage agisse par l'entremise d'une cellule de pesée de traction pour soulever le bâti porteur, en conséquence de quoi les forces de traction agissant sur la cellule de pesée produisent une valeur de sortie qui peut servir à déterminer le poids de la charge exercée sur la cellule. La cellule de pesée doit demeurer à la verticale pour éviter les erreurs provoquées par un mesurage en dehors de l'axe vertical. Les éléments essentiels de la revendication 6 sont le bâti porteur, le mécanisme de levage et une tringlerie par laquelle la force de levage du mécanisme de levage s'exerce sur une cellule de pesée de traction qui, en restant à la verticale, soulève et suspend le bâti porteur et produit une valeur de sortie corrélée à la charge de traction à partir de laquelle le poids de la charge peut être déterminé.

[19]            La revendication 7 décrit la tringlerie par laquelle la force de levage du mécanisme de levage est transmise à la cellule de pesée de traction de manière à soulever le bâti porteur tout en restant à la verticale.


[TRADUCTION]

Une cellule de pesage conforme à la revendication 6 où ladite tringlerie se compose d'un montant fixe et d'une traverse fixée sur ce dernier par liaison pivotante et où la première extrémité de ladite cellule de pesée est fixée à ladite traverse par liaison pivotante et où ladite cellule de pesée demeure à la verticale quand ledit mécanisme de levage est en position déployée.

[20]            La revendication 7 décrit un levier dont le point d'appui est une liaison pivotante avec un objet fixe et sur lequel une force est exercée par le mécanisme de levage. La force produite par le mécanisme de levage est transmise de la cellule de pesée de traction par l'entremise d'une liaison pivotante avec la cellule de pesée, de manière que le mouvement ascendant du levier applique une force ascendante sur la cellule de pesée de traction tout en lui permettant de demeurer à la verticale. Les éléments essentiels de la revendication 7 sont la liaison pivotante de la cellule de pesée de traction avec le levier par laquelle la force ascendante produite par le mécanisme de levage est transmise à la cellule de pesée de traction et à la charge, qui pend librement à la verticale.

[21]            Après cette interprétation du brevet, la première question à trancher est celle de l'invalidité. La défenderesse invoque trois causes d'invalidité. Elle soutient d'abord que les revendications sont ambiguës, puis que l'invention ne peut fonctionner selon la description donnée dans le brevet et, enfin, que l'invention était évidente et que d'autres brevets, en particulier le brevet no EP476778B1délivré par l'Union européenne à Nuyts le 13 décembre 1995, créaient antériorité.


[22]            Je trouve sans fondement l'allégation voulant que les revendications soient ambiguës. La demanderesse allègue que la tringlerie de la revendication 6 est constituée des extrémités de la bielle de la cellule de pesée et que, dans la revendication 7, elle se compose d'un montant fixe et d'une traverse. Or, si on examine attentivement les sections pertinentes de la revendication 6, la phrase suivante ressort :

            « ...et une tringlerie qui raccorde ledit mécanisme de levage et ladite cellule de pesée... »

[23]            Et dans la revendication 7, c'est la phrase suivante :

            « ...ladite tringlerie se compose d'un montant fixe et d'une traverse fixée sur ce dernier par liaison pivotante... »

[24]            La revendication 6 décrit donc la fonction de la tringlerie alors que la revendication 7 décrit les éléments de la tringlerie. Il n'y a donc pas d'ambiguïté ni de confusion.


[25]            La question litigieuse suivante relative à la validité du brevet porte sur l'allégation que l'invention telle qu'elle est décrite dans le brevet ne fonctionne pas. La question se pose à cause du mouvement latéral qui affecte le point de fixation de la cellule de pesée de traction lorsque la traverse est soulevée. Durant son contre-interrogatoire, le professeur Schoenau, témoin expert de la demanderesse, a admis que l'extrémité de la traverse décrivait un arc lors de son ascension, tout comme le point de fixation entre la cellule de pesée et la traverse. En conséquence, le point de fixation se rapproche donc du montant fixe lors de son ascension. Et à la suite de son point de fixation, la cellule de pesée de traction se trouve à exercer des forces latérales sur le bâti porteur. Ces forces s'opposent aux forces appliquées par la cellule de pesage contre la première, et par la rigidité du bâti porteur même, ce qui devrait être suffisant pour désaxer la cellule de pesée par rapport à la verticale et fausser les résultats.

[26]            M. Smith, témoin expert de la défenderesse, soutient que le mouvement latéral du point de fixation se produit du fait qu'à la suite du pivotement de la traverse la distance verticale entre le point de fixation et l'axe d'articulation entre la traverse et le montant fixe change, forçant le bâti porteur à se déplacer latéralement. Il s'agit du même phénomène que celui qu'a décrit le professeur Schoenau, mais exprimé en termes différents.


[27]            Dans son réinterrogatoire, le professeur Schoenau a indiqué qu'il était suffisant que la charge soit suspendue, sans toucher au plateau de camion, pour que la pesée se fasse. Il a dit croire que le déplacement vertical se traduirait par un déplacement latéral très minime qui n'aurait aucune incidence sur le fonctionnement de l'appareil. Il a aussi fait remarquer qu'on pouvait voir, sur le dessin no 2 du brevet, qu'au repos la traverse se trouvait à un angle inférieur à l'horizontale. Ce qui lui a fait dire que, si la traverse se déplaçait vers le haut selon un angle supérieur à l'horizontale égal à l'angle qu'il avait au repos, le point de fixation devrait être dans le même axe aux deux endroits, ce qui signifie qu'il n'y a pas de déplacement horizontal par rapport au point de départ. Une objection a été élevée à l'égard de cette déposition, mais, tout compte fait, elle ne semble pas aider la demanderesse. M. Smith a fait ressortir dans son témoignage que le degré de levage est dicté par l'ampleur du déploiement du vérin hydraulique, non par la distance de levage minimale requise pour que la charge soit suspendue. Il a affirmé qu'une fois en marche le vérin hydraulique se déploie complètement et que c'est l'ampleur de ce déploiement qui détermine la distance du levage. En conséquence, le fait que l'appareil puisse fonctionner même avec une amplitude de levage minimale n'est pas une réponse. L'argument fondé sur l'angle de la traverse au repos prête aux mêmes critiques.

[28]            Le professeur Schoenau a aussi admis qu'à moins que le vérin hydraulique soit fixé par liaison pivotante au plateau du camion ou de la remorque, l'arc décrit par la traverse exercera des forces latérales sur le vérin hydraulique qui éventuellement fléchira sous l'effort. À mesure que le vérin se déploie vers le haut, le mouvement en arc de la traverse amènera l'extrémité du vérin hors de son plan de déploiement et le fera fléchir. Les revendications et le mémoire descriptif ne nous apprennent rien au sujet de la liaison pivotante entre le mécanisme de levage et le plateau sous-jacent. De fait, le mémoire descriptif semble favoriser l'utilisation d'une fixation rigide sur le mécanisme de levage.

[TRADUCTION]


Le montant fixe 105 de la tringlerie et le mécanisme de levage 80 sont tous deux fixés au cadre 50 du plateau (et par le fait même au cadre 60 du camion) au moyen de barres d'armature transversales 110 auxquelles ils sont fixés par des fixations appropriées.

[29]            Le professeur Schoenau n'est pas allé jusqu'à dire que l'invention ne fonctionnerait pas en l'absence de ces mesures, mais c'est la seule conclusion qui peut être tirée de son témoignage. Il existe des arguments convaincants voulant que l'invention décrite dans le brevet ne tient pas compte des forces latérales agissant sur la cellule de pesée de traction. Si l'on se fie au principe de base de l'invention, cette lacune fausse les mesures de poids.

[30]            Même si l'on pouvait démontrer que l'appareil pourrait fonctionner comme prévu en fixant certaines limites d'exploitation[1], c'est un fait qu'il n'est jamais fait mention de telles limites dans les revendications ni dans le mémoire descriptif. Il est établi depuis passablement longtemps que le mode de fonctionnement d'une machine doit être divulgué tout autant que sa conception, de manière qu'à la fin de la période de monopole une personne de métier puisse non seulement concevoir et construire cette machine, mais aussi la faire fonctionner. Ce principe est énoncé dans la décision Noranda Mines Ltd. c. Minerals Separation North American Corp., [1947] R.C.É. 306, aux pages 316 et 317, de la façon suivante :

[TRADUCTION]


Les divulgations d'un mémoire descriptif doivent décrire deux choses : l'invention et le fonctionnement ou l'utilisation de l'invention ainsi que l'a conçue l'inventeur et relativement à chacune, la description doit être exacte et complète.

...

La description doit aussi fournir tous les renseignements nécessaires pour le bon fonctionnement ou la bonne utilisation de l'invention, sans que ce résultat soit laissé au hasard d'une expérience réussie, et si des avertissements sont nécessaires pour éviter l'échec, ces avertissements doivent être présents.

[31]            Par conséquent, si les restrictions indiquées par la demanderesse ont les effets revendiqués, leur absence du brevet est fatale, sinon le dispositif décrit dans les revendications ne peut fonctionner de toute manière.

[32]            Un dispositif qui ne fonctionne pas n'est pas utile, or il doit l'être pour qu'un brevet soit délivré. Le paragraphe 27(1) de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4, régit la délivrance des brevets d'invention. L'invention y est ainsi définie : « Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l'un d'eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l'utilité » [2]. La cellule de pesée mentionnée dans les revendications 6 et 7 n'est pas utile, les revendications sont donc invalides.


[33]            La défenderesse invoque également l'évidence et l'antériorité comme causes d'invalidité. M. Strelioff a témoigné qu'aucun des éléments del'invention n'était nouveau non plus que la façon dont ils étaient employés. Il n'est pas nouveau, par exemple, d'avoir recours à un levier et à un vérin hydraulique pour lever une charge. Selon M. Strelioff, la nouveauté résidait dans l'agencement des éléments connus en vue de produire un résultat utile, c'est-à-dire le moyen de peser des charges lorsque le terrain n'est pas plat. Le professeur Shoenau a déclaré dans son témoignage que bien que tous les éléments de l'invention soient bien connus, la suspension d'une charge située au-dessus de la cellule de pesée était un procédé unique et inventif. Selon lui, la simplicité de l'invention était une caractéristique particulière, mais il a reconnu qu'elle s'obtenait au prix du problème des forces latérales.

[34]            Le professeur Schoenau a aussi exprimé l'avis qu'aucun des brevets cités à titre d'antériorité constituent une antériorité par rapport à l'invention. Selon lui, ils portent tous sur l'usage de cellules de pesée pour mesurer les forces de compression, alors que l'invention mise sur une cellule de pesée de traction pour peser la charge. À son avis, l'invention [TRADUCTION] « représente une déviation par rapport aux systèmes de pesage décrits dans les brevets cités en renvoi par la défenderesse » .


[35]            Dans son rapport écrit, M. Smith mentionne plusieurs brevets qui, selon lui, constituent une antériorité par rapport à l'invention. Mais, parmi ceux-ci, seuls le brevet Harvill et le premier brevet Nuyts, no EP476778B1, précédaient l'invention et pouvaient donc constituer une réalisation antérieure. Le rapport Smith allègue que le brevet Harvill [TRADUCTION] « fait usage d'un mécanisme de levage pour suspendre la citerne à des cellules de pesée » . En contre-interrogatoire, il a admis que le brevet Harvill mesurait la compression et non la traction pour arriver à déterminer le poids de la charge. Le brevet Nuyts révèle l'utilisation de joints universels, une forme de connecteurs flexibles, pour peser la charge. De l'avis de M. Smith, le fait de combiner le mécanisme de levage et le mécanisme de verrouillage dans le brevet en instance constitue une nouveauté et [TRADUCTION] « démontre une certaine ingéniosité » .

[36]            En contre-preuve, le professeur Schoenau a fait remarquer, à propos du brevet Nuyts, que l'invention avait pour objet [TRADUCTION] « de réduire la distance qu'il faut habituellement atteindre entre un portique de chargement et la structure environnante à laquelle il est fixé par des éléments de connexion » . Après avoir analysé le brevet, il en est venu à la conclusion qu'il révèle quelque chose de différent de la structure de la cellule de pesée décrite dans le brevet en litige :

[TRADUCTION]

Comme le montre la figure 2 représentant la cellule de pesée du brevet en cause, que l'on trouvera annexée au présent affidavit comme « pièce B » , la cellule de pesée (90), le porte-cellule (20) et la tringlerie (100) sont tous situés dans un espace qui se trouve entre le mécanisme de levage (80) et le montant fixe (105). Si l'on se fie aux propositions de la référence Nuyts, il y aura trop de mouvement horizontal entre le porte-cellule (20) et son bâti d'appui (qui consiste en partie du mécanisme de levage (80) et d'un montant fixe (105)), ce qui devrait rendre le système de pesage très imprécis à de très petits angles obliques. Mais ce n'est pas nécessairement le cas, et le dispositif divulgué dans le brevet en cause peut peser avec précision des charges à des angles communément rencontrés en pratique.


[37]            La demanderesse s'en remet aussi sur la Notice of Allowability que remet le United States Patent Office (USPO) lors de la délivrance d'un brevet. Quand la demande de brevet américain visant l'invention a été déposée, le USPO a fourni la Notice of Allowability suivante :

[TRADUCTION]

L'antériorité invoquée ne divulgue pas une cellule de pesée de traction qui est soulevée par un mécanisme de levage déployé et qui met en action une tringlerie qui soulève l'extrémité supérieure de la cellule de pesée de traction jusqu'à ce qu'elle supporte une charge accrochée à l'extrémité inférieure de la cellule de pesée de traction.

[38]            La référence à « l'antériorité invoquée » fait qu'il est difficile de savoir ce que cela signifie, puisque cela dépend de ce qui a été invoqué. L'avis d'antériorité (Notice of References Cited) mentionne trois documents, mais ils n'ont pas été déposés devant la Cour. Par conséquent, aucune conclusion ne peut être tirée de cette pièce.

[39]            Aucune preuve permettant de tirer une conclusion relative à l'évidence de l'invention n'a été présentée relativement au niveau de connaissance requis, à la date pertinente, d'une personne versée dans l'art. Le critère applicable en cette matière a été énoncé par le juge Huguessen dans l'arrêt Beloit Canada Ltd c. Valmet Oy (1986) 8 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.), à la p. 294 :


Pour établir si une invention est évidente, il ne s'agit pas de se demander ce que des inventeurs compétents ont ou auraient fait pour solutionner le problème. Un inventeur est par définition inventif. La pierre de touche classique de l'évidence de l'invention est le technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d'esprit inventif ou d'imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d'intuition; un triomphe de l'hémisphère gauche sur le droit. Il s'agit de se demander si, compte tenu de l'état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l'invention aurait été faite, cette créature mythique (monsieur tout-le-monde du domaine des brevets) serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet. C'est un critère auquel il est très difficile de satisfaire.

[40]            J'estime qu'il n'y a pas eu anticipation de l'invention dans les brevets antérieurs à la date « d'accessibilité au public » cités comme exemples d'antériorité (Free World Trust c. Électro Santé Inc., précité, au par. 54). Relativement à l'évidence, je ne dispose d'aucun élément de preuve me permettant de conclure qu'une personne versée dans l'art, s'appuyant sur les connaissances générales dont disposent normalement ces personnes, aurait pu concevoir l'invention sans avoir à faire preuve d'imagination ou d'intuition. Compte tenu de la présomption de validité, rien ne m'autorise, en l'absence de preuve contraire, à conclure à l'invalidité du brevet pour cause d'invention évidente.

[41]            En résumé, j'ai conclu que l'invention décrite dans le brevet n'est pas utile parce que, si l'appareil est construit conformément au brevet, il ne fonctionnera pas ou il ne fonctionnera qu'à certaines conditions non décrites dans le brevet. Dans cette mesure, le brevet est invalide faute d'utilité. Pour le cas, toutefois, où je serais dans l'erreur, je conclus que le brevet n'est pas invalide pour cause d'antériorité ou d'évidence.


[42]            Se pose ensuite la question de la contrefaçon. La demanderesse soutient qu'on peut voir dans le dispositif de la défenderesse une application directe des revendications 6 et 7 du brevet, ce qui représente clairement une contrefaçon. La meilleure façon d'illustrer cet argument est peut-être d'analyser chaque élément des revendications en indiquant la position de la demanderesse au sujet des éléments correspondants du dispositif de la défenderesse :

Une cellule de pesage à intégrer dans un système de pesage mobile, comprenant un mécanisme de levage ayant une position déployée et une position de repos [...]

Le dispositif de la défenderesse est doté d'un vérin hydraulique que l'on peut déplacer entre une position déployée et une position de repos.

[...] une cellule de pesée de traction disposée verticalement qui produit une valeur de sortie corrélée à la traction qui s'y exerce [...]

La cellule de pesée de la défenderesse est construite de manière à ce que les forces de traction créées par la sortie du vérin hydraulique agissent à la verticale sur ladite cellule. La force de levage est appliquée au niveau de l'ouverture supérieure par le levier de levage de la cellule de pesée et le poids s'exerce en-dessous du levier, au niveau de l'ouverture inférieure, par la tige de levage inférieure. La cellule de pesée se trouve donc à la verticale et produit une valeur de sortie qui est corrélée aux forces de traction qui s'exercent sur elle. La cellule est dite de pesage de traction parce que les forces exercées sur elle sont des forces de traction.

[...] une tringlerie qui raccorde ledit mécanisme de levage et ladite cellule de pesée de façon à exercer une force ascendante sur la première extrémité de ladite cellule de pesée lorsque ledit mécanisme de levage est en position déployée [...]


La tringlerie du dispositif de la défenderesse comporte un levier de levage de la cellule de pesée qui s'articule au vérin hydraulique et à la cellule de pesée de manière à ce que le mouvement ascendant du levier, provoqué par la sortie du vérin hydraulique, se traduise par le mouvement ascendant de la cellule de pesée.

[...] la deuxième extrémité de ladite cellule de pesée étant configurée pour se raccorder au bâti porteur de la charge de façon que celui-ci puisse être suspendu par une pluralité desdites cellules de pesée lorsque les mécanismes de levage susmentionnés sont en position déployée.

La deuxième extrémité de la cellule de pesée est l'ouverture inférieure de la cellule de pesée qui est faite pour recevoir la tige de levage inférieure. Cette dernière est une partie intégrante de la plaque de soutien supérieure, en ce sens que tout l'ensemble peut être soulevé en exerçant une force sur la tige de levage inférieure. Quand les quatre vérins des deux modules qui doivent être présents pour constituer le système de pesage de la défenderesse sont actionnés, c'est toute la charge qui est suspendue à la cellule de pesée.


[43]            L'avocat de la défenderesse s'est efforcé de démontrer que le dispositif de sa cliente ne contenait aucun des éléments constitutifs de l'invention. Il s'est demandé si le dispositif de la défenderesse avait un bâti porteur, un vérin hydraulique à double action, un fléau à deux extrémités, une cellule de pesée de traction disposée verticalement, une tringlerie. Certains de ces éléments ne sont pas mentionnés dans les revendications, et leur absence du dispositif ne permettrait pas d'étayer un verdict de non-contrefaçon. Par exemple, la revendication 6 prévoit un mécanisme de levage ayant une position de repos et une position déployée. Il n'est pas indiqué qu'il doit y avoir un vérin hydraulique à double action. De même, il n'est pas fait mention d'un fléau à deux extrémités, ni dans la revendication 6, ni dans la revendication 7. M. Smith a témoigné que la plaque de soutien supérieure du dispositif de la défenderesse n'est pas un bâti porteur parce qu'il n'est pas construit de tubes en acier de 4 H 6 po comme le mentionne le mémoire descriptif. Les revendications 6 et 7 n'en font pas mention. Tout cela pour dire qu'on ne peut pas se soustraire à une accusation de contrefaçon simplement en montrant qu'il y un écart entre le produit de la défenderesse et la réalisation privilégiée de l'invention mentionnée dans le mémoire descriptif de la demanderesse.

[44]            Deux questions se posent toutefois au sujet des revendications, et elles portent sur la présence (ou l'absence) d'une cellule de pesée disposée verticalement qui produit une valeur de sortie proportionnelle à la traction qui s'y exerce et d'une cellule de pesée de traction qui est soit raccordée, soit fixée à liaison pivotante à une traverse. Il s'agit de déterminer si ces éléments sont présents dans le dispositif de la défenderesse et si leur absence (le cas échéant) peut se traduire par un verdict de non-contrefaçon d'après l'interprétation des revendications établie plus haut dans les présents motifs.


[45]            La défenderesse nie vigoureusement que son dispositif a une cellule de pesée de traction ou que les valeurs de sortie de cette cellule ont un rapport avec l'effort de traction exercé sur la cellule. Dans son témoignage, M. Strelioff a déclaré que les cellules de pesée de traction se présentent dans plusieurs dimensions et sous plusieurs formes selon l'utilisation que l'on veut en faire. Ce qu'elles ont toutes en commun toutefois, quand on les utilise à la verticale, c'est qu'elles mesurent les forces de traction entre un point supérieur et un point inférieur. La question de savoir par quel moyen exactement les forces de traction sont mesurées n'est que secondaire. Si le dispositif fonctionne quand il est soumis à des forces de traction et que les valeurs de sortie varient selon les forces exercées, il s'agit effectivement d'une cellule de pesée de traction.

[46]            Le professeur Schoenau a témoigné que le terme [TRADUCTION] « cellule de pesée de traction » désignait une catégorie de dispositifs qui mesurent l'ampleur d'une force de tirage exercée à chaque extrémité du dispositif, ce qui semble indiquer qu'il s'agit d'un dispositif linéaire, c'est-à-dire que la cellule est le lien entre une force et une autre force ou charge contraire.

[47]            M. Elliott décrit la pièce 8, la cellule de pesée du dispositif de la défenderesse, comme étant une cellule de pesée à fléau de cisaillement à deux extrémités dotée d'une tringlerie. Il a décrit le fonctionnement d'une cellule de pesée de fléau de cisaillement de la façon suivante : une charge appliquée à l'extrémité d'un fléau supporté horizontalement produit une force de cisaillement qui est mesurée sur les extensomètres de la cellule. Pour qu'une cellule de pesée à fléau de cisaillement fonctionne, il faut que les charges soient appliquées à l'extrémité du fléau supporté en son centre. Dans le cas d'un fléau à deux extrémités, la force à mesurer peut être appliquée à l'une ou l'autre extrémité du fléau. Quand est venu le temps de choisir une cellule de pesée pour son dispositif, la défenderesse s'est tournée vers un dispositif à profil bas puisque son principal marché est l'installation en rattrapage sur les plates-formes de livraison existantes.


[48]            Elle a choisi de souder à la partie inférieure de sa cellule de pesée à fléau de cisaillement à deux extrémités une tringlerie destinée à transmettre les charges appliquées à un point inférieur aux extrémités du fléau, produisant ainsi des forces de cisaillement que les extensomètres pourraient alors mesurer. La tringlerie est l'ensemble triangulaire qui se trouve dans la partie inférieure de la pièce 8 et qui comprend deux ouvertures à travers lesquelles passent le levier de levage de la cellule de pesée et la tige de levage inférieure. En soudant la tringlerie à la cellule de pesée à fléau de cisaillement, le poids de la charge qui s'applique sur la tringlerie est déplacé aux extrémités du fléau de la cellule de pesée. M. Elliott soutient que la partie fléau de l'ensemble n'est jamais soumise à des tractions, parce que la force est appliquée à l'extrémité de la cellule de pesée.

[49]            Dans son témoignage, M. Elliott a soutenu que l'on pouvait arriver au même résultat en utilisant un assemblage boulonné pour transférer la charge à la partie supérieure de la cellule de pesée à fléau de cisaillement, mais qu'une telle solution était peu pratique compte tenu que la défenderesse voulait que son dispositif ait un profil bas.

[50]            On a demande à M. Elliott de fournir des explications sur la pièce 25, une brochure préparée par la défenderesse qui décrit une cellule de pesée à fléau de cisaillement à deux extrémités. La brochure mentionne que le dispositif est destiné aux [TRADUCTION] « applications sous forte traction » . Il a été forcé d'admettre que le dispositif est utilisé dans les applications sous traction.


[51]            La position de la demanderesse telle qu'elle a été exposée dans les témoignages de M. Strelioff et du professeur Schoenau est la suivante : le dispositif dans son ensemble est sous traction en raison de la force de levage appliquée à l'ouverture supérieure et du poids contraire de la charge qui est appliqué au niveau de l'ouverture inférieure. Selon le professeur Schoenau, le fait que la cellule soit sous traction peut être démontré en coupant théoriquement la cellule entre les ouvertures supérieure et inférieure et en observant ce qui arrive aux deux parties. Elles s'éloigneraient l'une de l'autre, ce qui indique un élément sous traction. Puisque cette traction se traduit en une valeur de sortie qui sert à mesurer le poids, il va de soi que la valeur de sortie est proportionnelle aux forces de traction appliquées. Ce principe de fonctionnement entre dans la définition de cellule de pesée de traction proposée par M. Strelioff. La véritable façon par laquelle les forces de traction sont converties en valeurs de sortie qui sont proportionnelles aux forces de traction n'est pas importante à leurs yeux.

[52]            À mon avis, la cellule de la défenderesse, pièce 8, produit une valeur de sortie qui varie avec l'ampleur des forces de traction qui s'y appliquent. Puisque le poids de la charge applique des forces de traction sur la cellule et que ces forces varient selon le poids appliqué, la valeur de sortie varie alors selon les charges de traction appliquées. La valeur de sortie de la cellule doit varier avec le poids de la charge qui s'y exerce parce qu'en cas contraire elle serait inutile à titre d'appareil de pesage.


[53]            Mais le fait que la pièce 8 produise une valeur de sortie proportionnelle aux forces de traction qui s'y exercent ne nous en apprend pas plus sur la nature de la pièce 8, à savoir s'il s'agit ou non d'une cellule de pesée de traction. Il y a une différence entre une cellule de pesée de traction et un dispositif dont la valeur de sortie varie proportionnellement aux forces de traction qui s'y appliquent. Considérons le problème de la détermination du poids d'une quantité d'eau quelconque. On peut placer le récipient rempli d'eau sur une balance, ce qui produirait une valeur de sortie en livres ou en kilogrammes. En contrepartie, puisque le poids d'un volume d'eau donné (à une température donnée) est connu, on devrait donc pouvoir mesurer le volume de l'eau, multiplier le volume par l'unité de poids et arriver au poids de la quantité d'eau. Le volume de l'eau varierait proportionnellement au poids de l'eau. Mais cette proportion ne fait pas une balance d'un becher gradué. Le même principe s'applique ici. Le fait que les forces de cisaillement puissent varier dans une proportion prévisible avec les forces de traction ne transforme pas un dispositif qui mesure les forces de cisaillement en cellule de pesée de traction.


[54]            Compte tenu de la définition large de cellule de pesée de traction donnée par M. Strelioff, et considérant que la cellule est sous traction et que sa valeur de sortie varie selon la force de traction qui s'y applique, on devrait en venir à la conclusion qu'il s'agit d'une cellule de pesée de traction. M. Elliott répondrait sans doute que la cellule de pesée même n'est pas sous traction même si des forces de traction sont produites par le transfert de poids entre la charge et les extrémités de la cellule de pesée à fléau de cisaillement à deux extrémités. La définition du professeur Schoenau en ce qui concerne la cellule de pesée de traction est quelque peu restrictive en ce sens qu'elle porte surtout sur le fait qu'une cellule de pesée de traction est soumise à des forces de tirage qui sont appliquées aux extrémités de la cellule. La cellule de la défenderesse n'a pas d'extrémités au même sens du terme, bien que l'on puisse identifier certains points où des forces contraires s'appliquent.

[55]            En réponse à une question de la Cour, le professeur Schoenau a témoigné que, quand on parle de cellule de pesée de traction, on parle d'un type de dispositif plutôt que d'un dispositif. À mon sens, cela veut dire qu'il peut y avoir toute une gamme de cellules de pesée de traction plutôt qu'une seule version du concept. En réponse à la question de savoir qu'est-ce qui en faisait une cellule de pesée de traction, il a répondu que, quand on achète une cellule de pesée de traction, on s'attend à ce qu'elle puisse raccorder des forces contraires aux deux extrémités du dispositif et produire une valeur de sortie qui correspond à la quantité de force appliquée. Ce qui semble indiquer que la cellule de pesée doit être orientée dans le sens de l'application des forces et que les forces doivent être appliquées par son entremise. Il s'agit d'un dispositif linéaire. Le mémoire descriptif fait référence à une cellule de pesée de traction d'une marque et d'un modèle spécifiques, avec des extrémités, qui sert à prendre et à suspendre le bâti porteur de la charge.


[56]            À mon avis, la cellule de la défenderesse n'est pas une cellule de pesée de traction. Elle ne mesure pas la traction, bien que ses valeurs de sortie varient avec les forces de traction qui y sont appliquées. Elle ne comporte pas d'extrémités sur lesquelles des forces contraires s'exercent. En ce qui concerne la pièce 8, j'accepte la description de M. Elliott voulant qu'elle comprenne une cellule de pesée à fléau de cisaillement à deux extrémités sur laquelle on a fixée une tringlerie qui transfère le poids de la charge à la partie supérieure des fléaux.

[57]            La question qui se pose alors est de savoir si le fait de substituer la cellule de pesée de la défenderesse à la cellule de pesée de traction est suffisant pour éviter un verdict de contrefaçon. Dans le sens large de la définition de cellule de pesée de traction soumise par M. Strelioff, du fait que la cellule soit sous traction et que ses valeurs de sortie varient selon la force de traction qui s'y exerce, la seule conclusion qui s'impose est qu'il s'agit d'une cellule de pesée de traction. M. Elliott répondrait que la cellule de pesée, en elle-même, n'est pas sous traction même si des forces de traction sont créées par le transfert du poids de la charge aux extrémités de la cellule de pesée à fléau de cisaillement à deux extrémités. La définition du professeur Schoenau d'une cellule de pesée de traction est quelque peu plus restrictive en ce sens qu'elle met l'accent sur le fait que, sur une cellule de pesée de traction, les forces de traction s'exercent sur les extrémités. La cellule de la défenderesse n'a pas d'extrémités au sens de cette définition, même s'il est possible d'identifier des points sur lesquels des forces contraires s'appliquent.


[58]            Appliquant les principes d'interprétation téléologique, j'ai conclu que la cellule de pesée de traction était un élément essentiel de l'invention de la demanderesse. Je conclus maintenant que la cellule de pesée de la défenderesse n'est pas une cellule de pesée de traction, mais une cellule dont la valeur de sortie varie en fonction des forces de traction exercées. Par conséquent, comme il manque au dispositif un élément essentiel de la revendication, il n'y a pas de contrefaçon. La demanderesse ne manquerait certes pas de faire valoir que mon interprétation du brevet est erronée, car l'élément essentiel de l'invention réside dans l'exigence que la valeur de sortie varie selon les forces de traction exercées, et la cellule de pesée de traction est redondante et non-essentielle, de sorte que la substitution d'un autre type de cellule de pesée constitue toujours une contrefaçon.

[59]            Dans l'arrêt Free World Trust, précité, le juge Binnie a fait état de la nécessité de protéger le monopole de l'inventeur tout en veillant à ce que le public puisse se fier aux termes employés pour décrire le monopole revendiqué. Dans ce contexte, le juge a parlé de la responsabilité que doit assumer l'inventeur :

            [au par. 51] ...Cependant, l'inventeur qui s'exprime mal ou qui crée par ailleurs une restriction inutile ou complexe ne peut s'en prendre qu'à lui-même. Le public doit pouvoir s'en remettre aux termes employés à condition qu'ils soient interprétés de manière équitable et éclairée.


[60]            Bien que l'on comprenne le but poursuivi par le juge Binnie, le principe sous-jacent peut se révéler, en pratique, beaucoup plus complexe qu'il l'avait prévu. Selon le juge, un élément n'est pas essentiel lorsqu'il appert clairement des termes du brevet que l'inventeur ne le considérait pas essentiel ou lorsqu'une personne versée dans l'art reconnaîtrait qu'il est possible de remplacer un élément choisi par l'inventeur par un autre sans nuire au fonctionnement de l'invention. Dans l'un ou l'autre cas, la substitution d'un autre élément à celui qui est décrit ne fera pas conclure à la contrefaçon. Il ne peut y avoir restriction inutile ou complexe que si l'inventeur s'aperçoit que les termes employés laissent entendre qu'un élément donné est essentiel alors que l'expérience subséquente démontre qu'il ne l'est pas. Il faut pouvoir conclure que l'inventeur, lorsqu'il a rédigé les revendications, estimait l'élément essentiel même s'il a changé d'avis ou que la Cour ne partage pas cet avis.


[61]            Le degré de précision de la description de l'élément peut être un indice. Par exemple, le brevet peut parler d'un mécanisme de levage sans en indiquer les modalités fonctionnelles; cela pourrait définir un vérin hydraulique comme un vérin pneumatique. Par conséquent, l'imprécision donne à penser que c'est la fonction du dispositif que l'inventeur considère essentielle et non le type de dispositif particulier. Lorsque, dans une catégorie de dispositifs, un inventeur se reporte à une sous-catégorie, on peut présumer qu'il estimait ce degré de précision nécessaire. Aussi, lorsque le présent inventeur dépasse la catégorie des cellules de pesée pour mentionner une cellule de pesée de traction, il faut conclure qu'il voulait exiger une telle cellule et non simplement une cellule de pesée. On ne peut écarter le problème en définissant la cellule de pesée de traction comme toute cellule de pesée dont la valeur de sortie varie en fonction des forces de traction exercées. Je conclus donc que même s'il peut apparaître, en rétrospective, que l'inventeur n'avait pas à mentionner la cellule de pesée de traction s'il précisait pas ailleurs que sa valeur de sortie devait varier selon les forces de traction qui y étaient appliquées, il a choisi de préciser le type de cellule de pesée. Par conséquent, cette exigence est « une restriction inutile ou complexe » dont il est lui-même responsable et qui a pour effet d'écarter le verdict de contrefaçon puisque le dispositif de la défenderesse ne présente pas de cellule de pesée de traction.

[62]            La prochaine question, en ce qui concerne la contrefaçon, est celle de la tringlerie et de la nature du dispositif par lequel la cellule de pesée est en mesure de se maintenir dans l'axe vertical. Comme on l'a fait remarquer plus tôt dans ces motifs, c'est cette caractéristique qui contribue à l'inventivité du dispositif. C'est la position de la demanderesse que le dispositif de la défenderesse comprend une tringlerie qui correspond à la description qu'on en donne aux revendications 6 et 7. Ainsi, on peut lire à la revendication 6 que :

[TRADUCTION]

[...] une cellule de pesée de traction disposée verticalement [...] une tringlerie qui raccorde ledit mécanisme de levage et ladite cellule de pesée de façon à exercer une force ascendante sur la première extrémité de ladite cellule de pesée lorsque ledit mécanisme de levage est en position déployée [...]


[63]            La demanderesse dit que cette exigence est satisfaite par le levier de levage de la cellule de pesée qui est fixé au support de la plaque supérieure et par le vérin hydraulique, de sorte que, quand le vérin hydraulique est sorti, le levier de levage de la cellule de pesée soulève la cellule de pesée à fléau de cisaillement à deux extrémités.

[64]            La revendication 7 décrit aussi la tringlerie de la façon suivante :

[TRADUCTION]

« ladite tringlerie se compose d'un montant fixe et d'une traverse fixée sur ce dernier par liaison pivotante et où la première extrémité de ladite cellule de pesée est fixée à ladite traverse par liaison pivotante et où ladite cellule de pesée demeure à la verticale quand ledit mécanisme de levage est en position déployée » .

[65]            La demanderesse allègue que le montant fixe correspond au support de la plaque supérieure et que la traverse correspond au levier de levage de la cellule de pesée, et que cette dernière est fixée par liaison pivotante sur le support de la plaque supérieure, comme le mentionne la revendication 7. Selon la demanderesse, la première partie de la cellule de pesée de la défenderesse est fixée par liaison pivotante sur le levier de levage de la cellule de pesée quand le poids de la charge assied la cellule de pesée sur le levier de levage de la cellule de pesée et les surfaces usinées de l'ouverture de la cellule de pesée et la surface du levier de levage de la cellule de pesée sont en contact, permettant à la cellule de pesée de se placer en position verticale.


[66]            La défenderesse nie que le mécanisme de levage et sa cellule de pesée sont raccordés et que le levier de levage de la cellule de pesée et la cellule de pesée sont fixées par liaison pivotante. Dans son témoignage, M. Smith a déclaré qu'il n'y avait pas de raccordement au sens où ce terme est employé dans le brevet. Selon M. Smith, raccorder signifie fixer. Dans le cas du dispositif de la demanderesse, le terme raccorder (ou raccordement) désigne la fixation de l'extrémité de la bielle auto-centreuse au bâti porteur et à la traverse. La cellule de pesée peut se déplacer par rapport au montant fixe et au bâti porteur, en ce sens qu'elle est en mesure de se maintenir à la verticale, mais elle y est aussi fixée en permanence. M. Smith ne croit pas que le brevet indique que l'on pourrait se servir d'autres genres de raccordements. En revanche, le levier de levage de la cellule de pesée et la tige de levage inférieure ne sont pas fixés en permanence à la cellule de pesée de la défenderesse (pièce 8). Ils sont mis en prise par la cellule de pesée quand le levier est sorti, mais, autrement, ils ne sont pas fixés en permanence.


[67]            Le professeur Schoenau définit un raccordement comme étant une connexion qui permet aux deux éléments de rester ensemble pendant la partie levage de l'opération. Il utilise l'exemple de deux crochets de boucherie qui sont accrochés l'un à l'autre pendant le levage d'une charge mais néanmoins libres de pivoter. À son avis, la relation de la cellule de charge de la défenderesse avec le levier de levage de la cellule de pesée pendant le levage est la même que celle des crochets de boucherie de son exemple. Le professeur Schoenau est d'avis que la différence dans le choix des pièces de la demanderesse et de la défenderesse et dans la disposition des cellules de pesée par rapport à la traverse dans un cas et au levier de levage de la cellule de pesée dans l'autre cas signifie que les dispositifs sont raccordés différemment dans les deux cas, mais qu'ils sont néanmoins tous deux raccordés.

[68]            L'expression « fixé par liaison pivotante » et les différentes formes du verbe « pivoter » ont été librement utilisées par les témoins au cours du procès, mais aucune définition de « fixé par liaison pivotante » ne se dégage de la preuve. Cependant l'emploi de l'expression tout au cours de la preuve laisse supposer une forme de liaison entre deux objets par laquelle ils gardent leur capacité à se déplacer l'un par rapport à l'autre tout en restant liés. Il est important de noter que le libellé de la revendication 7 mentionne que les pièces sont fixées par liaison pivotante, de sorte qu'on doit présumer que la liaison est destinée à avoir un caractère continu, par opposition à un contact transitoire où les pièces continuent à pouvoir se déplacer l'une par rapport à l'autre.


[69]            J'estime que les parties et leurs experts se sont mépris quant au sens de « raccorder » . Il appartient au juge de première instance d'interpréter le brevet comme le comprendrait une personne versée dans l'art. Des experts peuvent lui expliquer comment une telle personne comprendrait certains termes, mais cela ne veut pas dire que chaque mot d'un brevet soit un terme technique que le juge est tenu d'interpréter selon le témoignage des experts. Les brevets renferment aussi des termes de la langue courante que le juge peut tout aussi bien interpréter que des experts. À mon avis, les questions posées aux témoins relativement à la signification de « raccorder » n'étaient pas d'ordre technique mais visaient l'interprétation d'une section précise du brevet. Dans cette mesure, je ne suis pas lié par les avis des experts quant à la signification de ce mot.

[70]            Avec cette entrée en matière, j'exprime l'opinion que raccordement et fixation par liaison pivotante sont deux concepts différents. Quand on lit la revendication 6, on peut voir que raccorder désigne un lien par lequel une action de la part du mécanisme de levage se traduit par une valeur de sortie de la part de la cellule de pesée. Raccorder n'est pas une description d'un lien mécanique, mais plutôt d'un lien fonctionnel. La revendication 6 identifie un mécanisme de levage, une cellule de pesée disposée verticalement et une tringlerie qui raccordent les deux « de façon à exercer une force ascendante sur la première extrémité de la cellule de pesée lorsque le mécanisme de levage est en position déployée » . Les termes utilisés communiquent un fait au lecteur, à savoir qu'une force ascendante est transmise du mécanisme de levage à la cellule de pesée, mais non les modalités de cette transmission. Le terme « se raccorde » est censé véhiculer ce lien fonctionnel sans nécessairement décrire le dispositif mécanique qui réalise ce lien.


[71]            Le terme « raccorder » apparaît une deuxième fois dans la revendication 6 pour indiquer que la deuxième extrémité de la cellule de pesée est « configurée pour se raccorder au bâti porteur de la charge de façon que celui-ci puisse être suspendu par une pluralité desdites cellules de pesée lorsque les mécanismes de levage susmentionnés sont en position déployée » . Encore une fois, on ne désigne pas un dispositif mécanique, mais plutôt un lien fonctionnel. La deuxième extrémité est configurée de manière à ce que le bâti porteur soit suspendu par les cellule de pesée quand le mécanisme de levage est déployé.

[72]            On retrouve les détails du dispositif mécanique dans la revendication 7 qui fait mention d'une tringlerie qui se compose « d'un montant fixe et d'une traverse fixée sur ce dernier par liaison pivotante et où la première extrémité de ladite cellule de pesée est fixée à ladite traverse par liaison pivotante et où ladite cellule de pesée demeure à la verticale quand ledit mécanisme de levage est en position déployée » . En d'autres termes, le raccordement est réalisé par un levier actionné par le vérin hydraulique sur lequel une cellule de pesée est fixée par liaison pivotante. Le point de suspension ou la liaison pivotante est le moyen par lequel le pesage se fait dans l'axe vertical. À mon avis, liaison pivotante désigne une connexion (une liaison) qui permet le mouvement d'un de ses éléments par rapport à l'autre (le pivot).

[73]            J'en arrive donc à la conclusion que la liaison pivotante mentionnée à la revendication 7 est le raccordement mentionné à la revendication 6. Et puisque c'est la liaison pivotante qui permet le pesage des charges dans l'axe vertical, j'estime que cette liaison pivotante est un élément essentiel de l'invention revendiquée. C'est le dispositif par lequel on obtient un résultat nouveau et utile. À mon avis, l'inventeur a revendiqué un appareil sur lequel une cellule de pesée est suspendue en permanence à un levier d'une façon qui lui permet de demeurer dans l'axe vertical quand le levier se soulève, de manière à ce que les charges soient pesées même si le véhicule n'est pas de niveau.


[74]            L'appareil de la défenderesse ne fait pas usage d'une cellule de pesée fixée par liaison pivotante pour peser des charges avec précision quand le terrain n'est pas de niveau. Il est doté d'une cellule de pesée suspendue à un levier auquel elle n'est pas fixée, mais sur lequel elle est libre de pivoter. Elle est gardée en contact avec le levier par le poids de la charge et non par une fixation quelconque. Elle n'est pas suspendue au levier en permanence comme l'envisage la revendication 7. En conséquence, la cellule de pesée de la défenderesse n'est pas fixée par liaison pivotante comme l'exige la revendication 7 et l'appareil de la défenderesse ne contrefait donc pas la revendication 7. Si ce n'était de la mention d'une cellule de pesée de traction dans la revendication 6, il y aurait contrefaçon de la revendication 6.

[75]            En définitive, je conclus à l'invalidité du brevet pour inutilité mais, s'il est valide, je suis d'avis qu'il n'a pas été contrefait parce que le dispositif de la défenderesse ne comporte pas de cellule de pesée de traction et que la cellule de pesée n'est pas fixée par liaison pivotante à la tringlerie.


[76]            La défenderesse soutient qu'elle a droit à des dommages-intérêts sur la base procureur-client parce que l'action était vexatoire et qu'elle a été intentée pour d'autres raisons que la protection des droits de la demanderesse sur le brevet. Il a été fait mention de lettres envoyées par la demanderesse à des clients de la défenderesse et laissant entendre que des poursuites seraient intentées contre eux. M. Carson a mis en preuve que MM. Strelioff et Elliott étaient d'anciens partenaires commerciaux qui s'étaient querellés. Il a prétendu que la présente action avait été intentée dans le seul but de nuire à l'entreprise de la défenderesse, et qu'elle était frivole et vexatoire, raisons pour lesquelles cette dernière avait droit aux dépens sur la base procureur-client.

[77]            Bien que la défenderesse ait obtenu gain de cause, je ne vois rien en l'espèce qui justifie l'octroi de dépens sur la base procureur-client. Il n'y a personne qui ne trouve choquant d'être poursuivi, encore plus lorsque le poursuivant est un ancien associé doublé d'un concurrent. Le rejet des allégations de contrefaçon ne signifie pas qu'elle étaient frivoles. Les dépens de la défenderesse seront taxés sur la base des frais entre parties.

       « J.D. Denis Pelletier »       

Juge

TRADUCTION CERTIFIÉE CONFORME

                                                                   

Ghislaine Poitras, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                      SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                       

DOSSIER :                                  T-1973-95

INTITULÉ :                                 NORAC SYSTEMS INTERNATIONAL INC. c.

PRAIRIE SYSTEMS AND EQUIP. LTD.

LIEU DE L'AUDIENCE :          Saskatoon

DATE DE L'AUDIENCE :         19, 20, 21 et 22 février 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE PELLETIER

DATE DES MOTIFS :               25 mars 2002

COMPARUTIONS :

Lynn Cassan                                  POUR LA DEMANDERESSE

Marcus Gallie

Grant Carson                                 POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cassan MacLean                           POUR LA DEMANDERESSE

Ottawa

Carson & Co.                                POUR LA DÉFENDERESSE

Melfort



[1]Il faudrait par exemple que la traverse soit soulevée juste assez pour que la charge soit suspendue et, de toute façon, soulevée au-delà de la position horizontale ou, si c'est le cas, qu'elle ne se déploie que jusqu'à ce que l'angle de la traverse au-dessus de l'horizontale soit égal à l'angle initial sous l'horizontale.

[2] ... any new and useful art, process, machine, manufacture or composition of matter, or any new and useful improvement in any art, process, machine, manufacture or composition of matter.


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