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Date : 20040330

Dossier : IMM-4009-03

Référence : 2004 CF 486

Toronto (Ontario), le 30 mars 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

ENTRE :

                      GYUNG CHAN JANG, EUN YOUNG JANG et SUNG MIN JANG

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                                                                                                                           

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Il a été décidé qu'il y avait eu désistement relativement aux demandes d'asile de la famille Jang. Ils visent maintenant à obtenir l'annulation de cette décision, prétendant que la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié n'a pas motivé suffisamment sa décision. L'absence de motifs sérieux est d'autant plus inacceptable, selon les demandeurs, que la Commission a rendu deux décisions contradictoires concernant la question du désistement.

Le contexte

[2]                M. Jang et ses deux enfants mineurs sont arrivés au Canada le 12 décembre 2001 en provenance de la République de Corée. Le 17 février 2003, M. Jang a présenté une demande d'asile en son propre nom et au nom de ses enfants. Le 21 février 2003, la Commission a fourni à M. Jang un formulaire de renseignements personnels. Il a retourné son formulaire rempli à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié le 28 mars 2003, soit sept jours après le délai de 28 jours prescrit par la Commission.

[3]                Dans son affidavit, M. Jang explique qu'il avait rempli un formulaire détaillant la situation de sa famille relativement à une demande de dispense pour des raisons d'ordre humanitaire et qu'il avait eu l'impression que ce formulaire suffirait également aux fins de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié.


[4]                M. Jang a reçu un avis, daté du 14 avril 2003, l'avisant qu'il devrait comparaître devant la Commission pour expliquer les raisons pour lesquelles il n'avait pas fourni à la Commission son formulaire rempli dans le délai prescrit. Dans son affidavit, M. Jang déclare que le 7 mai 2003, il a comparu devant la Commission, que des personnes qu'il a pris pour des membres du personnel de l'immigration l'ont emmené dans une salle d'entrevue et qu'ils lui ont posé des questions au sujet de sa demande d'établissement. Il déclare qu'en aucun moment on ne lui a demandé d'expliquer le retard qu'il a mis pour déposer son FRP. À la fin de ce qu'il croyait être une entrevue, il a quitté les lieux.

[5]                M. Jang a par la suite reçu un Avis de décision-Désistement de la demande d'asile, daté du 13 mai 2003, qui mentionnait ce qui suit :

[traduction]

Le 21 février 2003, la Section de la protection des réfugiés (SPR) a été saisie de votre demande d'asile.

Vous avez reçu votre FORMULAIRE DE RENSEIGNEMENTS PERSONNELS (FRP) le 21 février 2003. Vous n'avez pas transmis à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR) votre FRP dûment rempli dans le délai prévu.

Sur avis daté du 14 avril 2003, la SPR vous a informé qu'une audience aurait lieu le 7 mai 2003, pour vous donner la possibilité d'expliquer pourquoi la SPR ne devrait pas prononcer le désistement de votre demande.

Vous n'avez pas comparu à l'audience.

EN CONSÉQUENCE, LA SECTION DE LA PROTECTION DES RÉFUGIÉS PRONONCE LE DÉSISTEMENT DE VOTRE DEMANDE D'ASILE.

[Non souligné dans l'original]           

[6]                M. Jang a par la suite retenu les services d'un avocat et une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire a été déposée auprès de la Cour le 29 mai 2003. M. Jang a également demandé à la Commission de motiver la décision.

[7]                Le 16 juin 2003, l'avocat de M. Jang a reçu un [traduction] « Avis modifié de décision-Désistement de la demande d'asile » , daté du 10 juin 2003. Là où l'avis original mentionnait : [traduction] « Vous n'avez pas comparu à l'audience » , l'avis modifié mentionne : [traduction] « Vous avez comparu à l'audience, mais vous n'avez pas démontré pourquoi la SPR ne devrait pas prononcer le désistement de votre demande » . Pour le reste, la deuxième décision était identique à la première.

La question en litige

[8]                La question centrale de la présente demande est de savoir si les motifs fournis par la Commission pour justifier sa décision de déclarer qu'il y avait eu désistement de la demande d'asile de la famille Jang étaient suffisants, compte tenu de l'ensemble des circonstances.

Analyse

[9]                Une question qui concerne la suffisance des motifs amène une question d'équité procédurale. Ainsi, la norme de contrôle est celle de la décision correcte: Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CAF 49.


[10]            Le défendeur prétend que la Commission n'était pas tenue de motiver sa décision. À cet égard, l'avocat cite l'article 61 des Règles de la Section de la protection des réfugiés et il prétend que l'article n'exige des motifs écrits pour les décisions de la Commission que dans certaines situations précises. En l'espèce, selon lui, il ne s'agit pas d'une de ces situations.

[11]            De plus, le défendeur affirme que, selon le paragraphe 58(1) des Règles, la Commission n'est même pas obligée de tenir une audience relativement à une question de désistement. Le défendeur affirme que, étant donné que la Commission aurait pu déclarer qu'il y avait eu désistement de la demande sans entendre les demandeurs, les motifs fournis par la Commission sont suffisants.

[12]            Le défendeur cite également la décision de la Cour dans l'affaire Ressam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 110 F.T.R. 50, pour appuyer la proposition selon laquelle le type de motifs fournis en l'espèce suffit.

[13]            Plusieurs années après la décision dans l'affaire Ressam, la Cour suprême du Canada a fourni des éclaircissements relativement à l'étendue de l'obligation d'équité en ce qui concerne l'obligation de donner des motifs. Dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 174 D.L.R. (4th) 193, la Cour suprême a statué que dans certaines circonstances, lorsque par exemple la décision en cause porte sur une question d'une importance considérable pour une partie, l'équité exigera que l'on fournisse une explication écrite de la décision.

[14]            Comme la décision en matière de raisons d'ordre humanitaire en cause dans l'arrêt Baker, il ne fait aucun doute qu'une conclusion selon laquelle il y a eu désistement d'une demande d'asile constitue une décision d'une importance cruciale pour un demandeur d'asile. Bien qu'il existe d'autres avenues possibles pour la famille Jang, comme la dispense pour des raisons d'ordre humanitaire, en ce qui concerne le processus applicable aux réfugiés, une décision selon laquelle il y a eu désistement de leur demande d'asile constitue une impasse. Par conséquent, je suis convaincue que l'équité exige que des motifs sérieux soient fournis pour une telle décision.

[15]            À cet égard, je fais remarquer que ma conclusion est compatible avec la récente décision de la Cour dans l'affaire Szabo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 68.

[16]            Toutefois, contrairement à la décision Szabo, aucune transcription de l'audience relative au désistement n'a été fournie en l'espèce et nous n'avons donc aucun moyen de savoir si la Commission a élaboré de vive voix les motifs de sa décision. À l'exception des deux avis de désistement, le seul autre renseignement dont dispose la Cour relativement à l'opinion de la Commission consiste en un [traduction] « Formulaire d'audience de justification du défaut de présenter le FRP » , qui a évidemment été rempli par le président de l'audience. Dans la section intitulée [traduction] « Notes à l'appui de la décision » , le membre de la Commission a écrit : [traduction] « 7 jours en retard. Aucune explication suffisante » .

[17]            Il était loisible à la Commission d'accepter ou de rejeter toute explication que M. Jang peut avoir fournie pour expliquer pourquoi il avait déposé son FRP en retard. En l'espèce, toutefois, nous n'avons aucun moyen de savoir pour quelle raison la Commission a rendu la décision qu'elle a rendue, puisqu'elle n'a fourni aucun motif sérieux de sa conclusion.

[18]            Je n'accepte pas l'argument du défendeur selon lequel la Commission n'était pas tenue de tenir une audience en l'espèce et que cela a pour effet de limiter l'obligation de la Commission de fournir des motifs. Le paragraphe 58(1) s'applique quand la Commission n'a pas reçu le FRP ni les coordonnées du demandeur d'asile dans le délai de 28 jours et lorsque ni ministre ni le conseil du demandeur d'asile ne connaissent ses coordonnées. En d'autres mots, la Commission n'est pas obligée de donner au demandeur d'asile un avis de son intention de conclure au désistement de la demande lorsque la Commission n'a aucun moyen d'entrer en contact avec lui. Ce n'est pas le cas en l'espèce. L'avis de renvoi du ministère reçu par la Commission le 24 février 2003 mentionne clairement les coordonnées de la famille Jang.


[19]            De même, je n'accepte pas l'observation du défendeur selon laquelle l'article 61 devrait être interprété de manière à signifier que des motifs écrits ne sont pas requis en l'espèce. L'article 61 stipule que des motifs écrits doivent être fournis dans certaines situations. Il ne dit pas que des motifs écrits ne sont requis que dans les circonstances identifiées dans l'article. Comme l'a fait remarquer la Cour suprême dans l'arrêt Baker, lorsqu'une décision est d'une importance cruciale pour un plaideur, l'obligation d'équité peut exiger le prononcé de motifs. Comme je l'ai souligné précédemment, j'ai conclu que c'était le cas en l'espèce.

[20]            Par conséquent, la décision de la Commission devrait être annulée et la question du désistement est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci statue à nouveau sur la question.

Certification

[21]            Comme aucune question n'a été suggérée par les parties pour la certification, aucune ne sera certifiée.


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         Pour les motifs exposés ci-dessus, la présente demande est accueillie et la question du désistement est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci statue à nouveau sur la question;

2.          Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

                                                                                  « A. Mactavish »                      

                                                                                                     Juge                      

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                                                 IMM-4009-03

INTITULÉ :                                                                GYUNG CHAN JANG , EUN YOUNG JANG et SUNG MIN JANG

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 29 MARS 2004

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :                                               LE 30 MARS 2004

COMPARUTIONS :

John Weisdorf, c.r.                                                        POUR LES DEMANDEURS

Marcel Larouche                                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Weisdorf McCallum Tatsiou                                          POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)


             COUR FÉDÉRALE

                                 Date : 20040330

                    Dossier : IMM-4009-03

ENTRE :

GYUNG CHAN JANG , EUN YOUNG JANG, et SUNG MIN JANG

                                        demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                           défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

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