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Date : 20000229


Dossier : IMM-1977-98



ENTRE :

     JOHN JOSEPH GOODMAN

     demandeur

     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION

     défendeur



     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX :


1.0      INTRODUCTION



[1]          John Joseph Goodman (le demandeur), un catholique né en 1951 à Belfast, en Irlande du Nord, et citoyen du Royaume-Uni (R.-U.), a introduit la présente demande de contrôle judiciaire, avec l"autorisation de la Cour, pour contester une décision par laquelle la Section du statut de réfugié (SSR) a rejeté, en date du 1er avril 1998, sa revendication du statut de réfugié dans laquelle il disait craindre avec raison d"être persécuté au R.-U. et en Irlande du Nord du fait de ses opinions politiques. Le demandeur se considère comme un nationaliste et il appartient à un groupe qui souhaite voir l"Irlande gouvernée par le peuple d"Irlande plutôt que par l"Armée britannique.



[2]          Les conclusions de la SSR qui sont au coeur de sa décision portent sur la capacité du R.-U. de protéger le demandeur et sur les exclusions du statut de réfugié parce que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur a été complice de la perpétration de crimes contre l"humanité, de crimes graves de droit commun et de crimes contraires aux buts et aux principes des Nations Unies (l"ONU).



[3]          L"appel soulève des questions touchant l"application du critère approprié pour évaluer l"incapacité de l"État de protéger ses ressortissants et, peut-être, la signification, la portée et les facteurs d"application des exclusions prévues par les alinéas 1Fa ), b) et c) dans le contexte de l"espèce, notamment parce que la décision de la SSR a été rendue avant que la Cour suprême tranche l"affaire Pushpanathan c. Canada (M.C.I.) , [1998] 1 R.C.S. 1222. L"appel soulève aussi la question de savoir s"il y a eu manquement à la justice naturelle du fait de l"impossibilité d"avoir accès à la transcription d"une partie du contre-interrogatoire du demandeur dont l"enregistrement n"a pas fonctionné.



[4]          Entre 1969 et 1974, le demandeur était membre de l"Armée républicaine irlandaise (IRA) officielle. Il a ensuite été membre de l"Irish National Liberation Army (INLA) de 1975 à 1982. Il a gravi les échelons dans chacune de ces organisations. Le demandeur est arrivé au Canada en 1986 et n"est jamais retourné au R.-U. ni en Irlande du Nord. L"audition de sa revendication du statut de réfugié a débuté en février 1996 et s"est échelonnée sur plusieurs jours, pour se terminer le 5 novembre 1997.



[5]          Voici la définition de l"expression " réfugié au sens de la Convention " figurant dans la Loi sur l"immigration :

"Convention refugee" means any person who

     (a) by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,
         (i) is outside the country of the person's nationality and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to avail himself of the protection of that country, or
         (ii) not having a country of nationality, is outside the country of the person's former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to return to that country, and
     (b) has not ceased to be a Convention refugee by virtue of subsection (2),

but does not include any person to whom the Convention does not apply pursuant to section E or F of Article 1 thereof, which sections are set out in the schedule to this Act;


" réfugié " au sens de la Convention" Toute personne _:

     a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques _:
         (i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,
         (ii) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner;
     b) qui n'a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe (2).

Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l'annexe de la présente loi.

[6]          La section F de l"article premier de la Convention des Nations Unies reproduite dans l"annexe de la Loi sur l"immigration est libellée comme suit :


F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

     (a) he has committed a crime against peace, a war crime, or a crime against humanity, as defined in the international instruments drawn up to make provision in respect of such crimes;
     (b) he has committed a serious non-political crime outside the country of refuge prior to his admission to that country as a refugee;
     (c) he has been guilty of acts contrary to the purposes and principles of the United Nations.

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser_:

     a) Qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;
     b) Qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiés;
     c) Qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

2.0      LA DÉCISION DE LA SSR

     2.1      Le contexte



[7]          Pour trancher la question de la protection dont le demandeur pouvait bénéficier, comme élément constitutif de sa crainte bien fondée d"être persécuté incluse dans la définition de l"expression " réfugié au sens de la Convention ", et celle des exclusions prévues par les alinéas 1Fa ) à c) de la Convention incorporée au droit canadien, la SSR a tiré des conclusions fondées sur son appréciation des éléments suivants : le formulaire de renseignements personnels (FRP) du demandeur, son témoignage oral à l"audience, le témoignage oral de Jack Holland, un témoin expert qui a beaucoup écrit sur les troubles survenus en Irlande du Nord à l"époque et qui est notamment l"auteur d"un ouvrage intitulé INLA Deadly Divisions, et des éléments de preuve documentaire présentés par l"avocate du demandeur, par l"avocat du ministre et par l"agent chargé de la revendication (ACR). L"expression " troubles survenus en Irlande du Nord " renvoie au conflit civil et au soulèvement armé qui ont éclaté en Irlande du Nord à la fin des années 1960 et qui se sont poursuivis pendant les années 1970 et 1980, jusqu"au début des années 1990, lors de la mise en oeuvre et des progrès du processus de paix.



[8]          La SSR a conclu que le conflit en Irlande du Nord se caractérisait par des attentats à la bombe, des attaques paramilitaires contre l"armée britannique et contre les forces policières d"Irlande du Nord, l"assassinat de civils, des attaques contre les établissements civils, des enlèvements, etc.



[9]          La principale question que la SSR a dû résoudre relativement aux exclusions était l"étendue de la participation personnelle du demandeur aux nombreux événements du conflit civil, de son rôle au sein de l"IRA et de l"INLA (à quel niveau de la hiérarchie il se situait) en regard de la preuve selon laquelle le mouvement lui-même n"était pas uni ni sur le plan politique ni sur le plan des méthodes à employer pour atteindre ses fins politiques; il existait différentes factions au sein de l"IRA et de l"INLA. Le point de vue du demandeur sur le rôle qu"il a joué est exposé dans son FRP. La SSR en a cité le passage suivant à la page 3 de sa décision :

Dans son exposé des faits contenu dans son FRP, M. Goodman déclare :
     [Traduction]      Pendant que je militais dans l"INLA et l"IRA officielle, je n"ai jamais participé à des actions contre les civils. Mes fonctions au sein de ces organisations étaient surtout d"ordre administratif. J"ai participé à la coordination et à la planification d"interventions armées contre la police et l"armée à certains moments pendant la guerre civile, mais je n"occupais pas un poste de combat actif. Je n"ai jamais pris part à des interventions contre des civils ni même contre des organisations paramilitaires loyalistes.

         2.2      Les activités de M. Goodman



[10]          Les principaux faits marquants de l"histoire de M. Goodman en qualité de membre de l"IRA et de l"INLA entre 1970, année où il s"est joint à l"IRA, et 1982 ne sont pas contestés. En 1971, il a été détenu à plusieurs reprises, en vertu de la Prevention of Terrorism Act (PTA), sans que des accusations soient portées contre lui,. En 1972, il a été interné à la prison de Longkesh pendant huit mois; sa détention a plus tard été jugée illégale. En 1974, il est devenu officier commandant (OC) dans la région de Ballymurphy, où il était responsable de 25 hommes. Il a quitté l"IRA cette année-là et il est demeuré inactif quelque temps. Il a joint les rangs de l"INLA en 1975 pendant qu"il se trouvait en détention. En 1976, il a été arrêté et déclaré coupable de possession illégale d"une arme à feu, puis condamné à une peine de 12 ans et demi d"emprisonnement dont il a purgé 2 ans et demi. M. Goodman a été libéré en 1978 et n"a fait l"objet d"aucune détention ni accusation importante depuis.



[11]          Après sa libération en 1978, et une courte pause, M. Goodman a poursuivi son travail au sein de l"INLA. Il est devenu membre du personnel de la Brigade de l"INLA à Belfast. Il était organisateur de la brigade. Le personnel de la brigade était composé, en ordre hiérarchique, de l"officier commandant (OC), de son adjoint, du quart-maître responsable des armes; au niveau de M. Goodman, on retrouvait l"officier du renseignement, l"officier des finances, l"officier des opérations, l"officier de l"éducation et M. Goodman. Il est aussi devenu organisateur de la brigade pour les six comtés et, en 1982, il a assumé les fonctions de commandant de brigade à Belfast pendant une courte période.



[12]          Le témoignage de M. Goodman était entremêlé de sa description de la lutte interne entre deux factions de l"INLA, particulièrement à Belfast. D"un côté, il y avait le groupe dont M. Goodman était membre; il s"alignait sur le leadership de Dublin et regroupait les traditionalistes défenseurs des droits civiques dont les fins étaient politiques et dont les moyens d"action se limitaient à des cibles militaires et politiques. De l"autre côté, il y avait la faction Steenson; ses membres étaient indisciplinés et constituaient un groupe sans objectif bien défini pour lequel la fin justifie les moyens, notamment l"assassinat de civils.



[13]          En 1982, l"épreuve de force au sein de l"INLA a atteint un sommet. En janvier 1982, M. Goodman a été blessé par balle et hospitalisé; il soupçonnait la bande de Steenson et s"est réfugié auprès de la brigade d"Armagh. Toutefois, quelques mois plus tard, il a été arrêté par le Royal Ulster Constabulary grâce à une information émanant de sources au sein de l"INLA. Il ne voulait pas être emprisonné; il est devenu indicateur; sa collaboration avec la police a conduit à 36 arrestations; il a reçu l"immunité, il était devenu " délateur ". En mai 1982, lui et sa famille ont été déménagés en Angleterre; ils ont bénéficié de la protection de la police. Il se préparait à témoigner devant la justice contre les personnes arrêtées grâce à lui. Quelques mois plus tard, son épouse et son enfant sont retournés en Irlande du Nord parce que son épouse n"aimait pas ce qu"il avait fait.



[14]          En septembre 1982, M. Goodman a décidé de se rétracter, de mettre fin à sa collaboration avec les autorités; il a refusé de témoigner contre les personnes arrêtées sur la foi des renseignements qu"il avait fournis. Il a quitté l"INLA au cours de l"année 1982 et est retourné de son propre gré en Irlande du Nord, où il a vécu sans incident grave, si ce n"est qu"il était victime d"ostracisme. Toutefois, la lutte au sein de l"INLA s"est poursuivie et il semble que la faction Steenson contrôlait ce mouvement après 1985. M. Goodman a entendu dire que l"ordre de le tuer avait été donné et cette information a été confirmée par le prêtre de la paroisse locale. Il croyait que la faction Steenson avait donné cet ordre. Il a quitté l"Irlande du Nord en mai 1986 et il n"y est jamais retourné.

         2.3      Les craintes de M. Goodman

    


[15]          Le SSR a ensuite examiné les propos de M. Goodman concernant sa crainte d"être persécuté s"il retournait en Irlande du Nord, au R.-U. ou ailleurs en Europe. D"après l"évaluation faite par la SSR du témoignage de M. Goodman, celui-ci a dit ce qui suit :

     (a)      Le système de délation s"est effondré et, depuis, les paramilitaires de l"INLA ne le craignent plus; ceux qui y ont participé seraient à risque. Les délateurs ne vivent plus en Irlande.
     (b)      Bien que Steenson et plusieurs autres personnes aient été tués depuis, les membres restants de cette faction contrôlent l"INLA. Il croit qu"il ne serait pas en sécurité s"il retournait en Irlande du Nord, compte tenu de ses antécédents dans l"organisation et d"un conflit possible entre lui et les membres actuels de l"INLA.
     (c)      Il croit qu"il ne serait pas en sécurité en Irlande du Sud, puisque des organisations paramilitaires nationalistes y sont installées. Il ne croit pas qu"il serait en sécurité en Angleterre parce que l"INLA et l"IRA y exercent aussi leurs activités; il croit qu"en raison de la PTA, on ne lui permettrait pas d"entrer et de demeurer en Angleterre, puisqu"il a été renvoyé en Irlande du Nord au moment de sa rétractation. Même si on l"autorisait à entrer en Angleterre, il croit qu"il pourrait être déporté. Il craint qu"on le soupçonne d"actes commis au Royaume-Uni en raison de ses antécédents et que les policiers continuent de faire pression sur lui pour l"inciter à collaborer avec eux. Il ne sait pas à quoi s"en tenir avec la police anglaise, si elle le laisserait entrer ou lui dirait simplement de retourner en Irlande.
     (d)      Quant à l"Europe, il n"est pas très au courant des règles, mais il croit qu"il serait considéré comme un indésirable en raison de son association passée avec les groupes paramilitaires en Irlande. Il existe des groupes de soutien de l"INLA en Europe et l"un des membres du quartier général de l"INLA a été tué en France par d"anciens membres de l"INLA en France.
         2.4      Le témoignage de Jack Holland


[16]          Tel qu"il l"a été mentionné, Jack Holland a déposé à titre de témoin expert. Son témoignage visait expressément plusieurs points : une perspective historique des troubles; les factions ou divisions au sein du mouvement irlandais nationaliste; la scission à l"intérieur de l"INLA même entre la vieille garde, qui ne voulait cibler que l"armée et la police, et les membres de la faction de Steenson, plus jeunes, qui avaient grandi dans la violence, sans être animés d"une idéologie, et qui commettaient des actes de violence aléatoire. Il a aussi témoigné sur l"évolution de l"INLA de 1982 à 1995 et sur ses incessantes querelles internes, y compris sur les meurtres et assassinats de membres de l"INLA entre eux.



[17]          Le témoignage de M. Holland a corroboré en grande partie celui de M. Goodman, sauf leur divergence quant à la participation spécifique et réelle de M. Goodman à des vols qualifiés et à des actes de violence précis. À cet égard, M. Holland s"en est remis au témoignage de M. Goodman, invoquant l"exactitude accrue du témoignage de ce dernier par rapport à ce qu"il disait dans son livre.



[18]          Le témoignage de M. Holland a également porté sur la crainte de M. Goodman et il a dit croire que M. Goodman serait encore en danger en Irlande du Nord, en Irlande du Sud, en Angleterre et ailleurs en Europe s"il y était renvoyé. Plus précisément, en ce qui concerne l"Angleterre, il a affirmé que M. Goodman y courrait un risque parce que le cessez-le-feu qui y était en vigueur a pris fin en 1996 au moment d"un attentat à la bombe en l"Angleterre par l"IRA et du meurtre de deux policiers à l"extérieur de Belfast. Il a signalé que l"INLA et l"IRA ont toutes deux les moyens d"agir en Angleterre. Quant à la PTA, M. Holland a expliqué que cette loi donne aux autorités britanniques le pouvoir d"expulser des personnes d"Angleterre pour les renvoyer en Irlande du Nord et que des centaines de personnes ont ainsi été renvoyées.

     2.5      Les conclusions de la SSR sur la capacité du R.-U. de protéger le demandeur


[19]          La SSR a conclu qu"elle n"était pas convaincue que M. Goodman avait fourni une confirmation claire et convaincante de l"incapacité du R.-U. de le protéger et qu"il était objectivement déraisonnable de sa part de ne pas avoir demandé sa protection. La SSR a fondé son raisonnement sur l"arrêt Canada (Procureur général) c. Ward , [1993] 2 R.C.S. 689, de la Cour suprême du Canada.



[20]          La SSR a déduit les principes suivants de cet arrêt :

     (a)      c"est au stade où il est établi si le demandeur craint avec raison d"être persécuté qu"il faut prendre en considération la capacité de l"État de lui assurer sa protection; le critère d"appréciation de l"incapacité de l"État est en partie objectif; si un État est capable de protéger le demandeur, alors, objectivement, ce dernier ne craint pas avec raison d'être persécuté; (en d"autres termes, le demandeur n"est pas inclus dans la définition d"un réfugié au sens de la Convention; sa situation ne peut correspondre à celle qui y est décrite);
     (b)      il existe une présomption selon laquelle l"État est capable de protéger un revendicateur;
     (c)      un revendicateur du statut de réfugié ne sera pas visé par la définition de l'expression "réfugié au sens de la Convention" s'il est objectivement déraisonnable qu'il n'ait pas sollicité la protection de son pays d'origine; autrement, le demandeur n'a pas vraiment à s'adresser à l'État;
     (d)      il s"agit donc alors de savoir comment, en pratique, un revendicateur arrive à prouver l'incapacité de l'État de protéger ses ressortissants et le caractère raisonnable de son refus de solliciter réellement cette protection;
     (e)      en l"absence d"aveu par l"État de son incapacité de protéger le revendicateur, celui-ci doit confirmer d"une façon claire et convaincante l"incapacité de l"État d"assurer sa protection. En l'absence d'une preuve quelconque, la revendication devrait échouer, car il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens. En l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger un revendicateur.


[21]          La SSR a ensuite effectué une analyse distincte des aspects " ne veut " et " ne peut " de la définition de l"expression " réfugié au sens de la Convention " figurant dans la Loi, pour évaluer l"incapacité du R.-U. de protéger le demandeur et son refus de se réclamer de la protection du R.-U.

         2.5.1          " ne peut " se réclamer de la protection de l"État


[22]          La SSR a statué que cette catégorie renvoie " au droit du revendicateur d"entrer au Royaume-Uni et à la capacité du pays de le protéger efficacement contre l"INLA ".



[23]          Citant le Guide du HCR, la SSR a conclu que le fait de ne pouvoir se prévaloir de la protection de l"État tient à des circonstances indépendantes de la volonté de la personne en cause, par exemple, lorsqu"il y a un état de guerre, une guerre civile ou d"autres troubles graves qui empêchent le pays dont l"intéressé a la nationalité de lui accorder sa protection ou qui rendent cette protection inefficace; le fait de se voir refuser l"accès ou l"entrée au R.-U. pourrait aussi constituer un aspect du critère de l"incapacité de se réclamer de la protection de l"État.



[24]          La SSR a examiné les arguments invoqués par l"avocate de M. Goodman quant aux raisons pour lesquelles, compte tenu de la PTA, M. Goodman ne serait pas autorisé à entrer et à demeurer au R.-U.; son profil de personne ayant occupé des postes de responsabilité au sein de l"IRA et de l"INLA, son retrait du système de délation, ses condamnations antérieures liées à la cause nationaliste et le fait que son cas n"est pas très en vue.



[25]          La SSR n"a tiré aucune conclusion favorable sur ces arguments. Elle a conclu qu"aucune preuve convaincante ne soutenait l"assertion selon laquelle le demandeur ne serait pas autorisé à entrer au R.-U. Elle a critiqué l"omission de M. Goodman de s"adresser directement aux autorités de son pays d"origine (le R.-U.) pour savoir si elles l"autoriseraient ou non à entrer en Angleterre. La SSR a mentionné plusieurs facteurs qui lui seraient favorables : il avait renoncé à son activisme au sein de l" INLA et à son association avec l"organisation en 1982; il n"avait pas depuis dérogé à cette décision; par le passé, il avait collaboré avec les autorités britanniques en qualité de délateur, ce qui lui a valu le droit d"entrer en Angleterre et la protection de la police; les autorités étaient alors au courant de son grade et de son ancienneté; il était retourné de son propre gré en Irlande du Nord en septembre 1982 et n"avait pas eu de problèmes avec les autorités entre le moment de son retour en Irlande du Nord et son départ pour le Canada en 1986. Enfin, il n"avait eu aucun contact avec l"organisation de l"INLA au cours des douze dernières années.



[26]          La SSR a conclu qu"aucune preuve convaincante ne révélait que les autorités britanniques se soient intéressées à lui ou aient continué de s"y intéresser après 1982, que ce soit à Belfast ou au Canada. Les autorités canadiennes ont communiqué avec les autorités du R.-U. au sujet des antécédents judiciaires de M. Goodman; les autorités britanniques savaient que M. Goodman se trouvait au Canada et elles auraient communiqué avec lui ou avec les autorités canadiennes si elles s"étaient encore intéressées à lui.



[27]          La SSR a conclu :

Dans les circonstances, le tribunal croit que les hypothèses de M. Goodman concernant son incapacité de retourner en Angleterre ne reposent sur aucun fait et ont un caractère purement spéculatif.



[28]          La SSR a aussi noté le caractère prospectif de la définition de l"expression " réfugié au sens de la Convention ". Elle a mentionné le cessez-le-feu au milieu de l"année 1996 (reconnaissant, au moment de la rédaction de sa décision, que le cessez-le-feu avait alors été suspendu) et les nouveaux efforts consentis pour faire progresser le processus de paix; le dépôt récent par le gouvernement britannique de propositions visant à réorganiser la législation anti-terrorisme, notamment par l"abrogation de douze ordonnances excluant de Grande-Bretagne les républicains et les loyalistes, et des coupures de journaux de l"édition du 31 octobre 1997 du London Times citant le Secrétaire de l"Intérieur qui se disait prêt à renoncer aux pouvoirs d"exclusion prévus par la PTA à titre d"arme contre le terrorisme.


[29]          La SSR a ensuite évalué le risque que courrait M. Goodman s"il retournait au R.-U., c"est-à-dire, l"efficacité de sa protection. Sur ce point, le tribunal a indiqué qu"il avait "    pris en compte la preuve relative à Patrick Francis Ward, personne dont la situation ressemble à celle du revendicateur " présentée à l"audition de l"affaire Ward ordonnée par la Cour suprême du Canada.



[30]          M. Ward s"est joint de son plein gré à l"INLA, dont il a brièvement fait partie en 1983. Cette année-là, il a été reconnu coupable de possession d"arme à feu, de complot pour faire passer illégalement des choses en Irlande du Nord et d"avoir participé à des actes de terrorisme. Bien qu"il ne soit pas devenu délateur, il a désobéi à un ordre de l"INLA en 1983 et, après avoir purgé sa peine d"emprisonnement, il a fui l"INLA en venant au Canada. Après cette deuxième audition, il a été expulsé en Angleterre en janvier 1997.



[31]          La SSR a conclu que M. Ward a pu retourner au R.-U. dans un contexte extrêmement médiatisé, sans subir de représailles de qui que ce soit. Elle a conclu, à la page 18 :

     Compte tenu de ce qui précède, le tribunal n"est pas convaincu que, selon la prépondérance des probabilités, M. Goodman ne peut se réclamer de la protection du pays dont il a la nationalité, soit le Royaume-Uni.

         2.5.2          " ne veut " se réclamer de la protection de l"État


[32]          La SSR s"est référée une fois encore au Guide du HCR pour affirmer que la catégorie " ne veut " renvoie à la crainte qu"aurait M. Goodman des autorités britanniques, en sa qualité d"ancien membre de l"INLA; il craint qu"elles le persécutent. Il ne veut pas se réclamer de la protection du gouvernement britannique dans quelque partie que ce soit du R.-U., soit en Irlande du Nord, en Angleterre, au pays de Galles ou en Écosse, parce qu"il croit qu"une protection convenable ne pourrait lui être offerte.



[33]          La SSR s"est appuyée sur l"arrêt Ward, précité, et elle a cité l"arrêt Canada (M.E.I.) c. Satiacum (1989), 99 N.R. 171, de la Cour d"appel fédérale pour conclure, à la page 19 :

     La preuve déposée devant le tribunal ne permet pas d"attaquer le système judiciaire du Royaume-Uni ni de ne pas tenir compte du processus judiciaire en place au sens où l"exige l"arrêt Satiacum . Le tribunal signale également qu"aucune preuve n"a établi que les autorités britanniques s"intéressent particulièrement à M. Goodman à l"heure actuelle.
     Le tribunal conclut qu"il ne serait pas déraisonnable, eu égard aux circonstances particulières de l"espèce, que M. Goodman s"y réfugie.

         2.5.3          Les exclusions

              2.5.3.1      L"exclusion prévue par l"alinéa 1Fa)


[34]          Tel qu"il l"a été mentionné précédemment, le statut de réfugié ne sera pas reconnu à un revendicateur dont il existe des raisons sérieuses de penser qu"il a commis un crime contre l"humanité au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes.



[35]          La SSR a cité, à la page 20, le Statut du tribunal militaire international qui décrit les actes pouvant être considérés comme des crimes contre l"humanité :

     Les actes suivants, ou l'un quelconque d'entre eux, sont des crimes soumis à la juridiction du Tribunal et entraînant une responsabilité individuelle :
     c)      Crimes contre l"humanité : c'est-à-dire l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles , avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux, lorsque ces actes ou persécutions, qu'ils aient constitué ou non une violation du droit interne du pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime rentrant dans la compétence du Tribunal, ou en liaison avec ce crime.

     [non souligné dans l"original]




[36]          La SSR s"est aussi reportée, à la page 21, à l"Article II de la Convention des Nations Unies sur l"imprescribilité des crimes de guerre et des crimes contre l"humanité :

Si l"un quelconque des crimes mentionnés à l"article premier est commis, les dispositions de la présente Convention s"appliqueront aux représentants de l"autorité de l"État et aux particuliers qui y participeraient en tant qu"auteurs ou en tant que complices, ou qui se rendraient coupables d"incitation directe à la perpétration de l"un quelconque de ces crimes, ou qui participeraient à une entente en vue de le commettre, quel que soit son degré d"exécution, ainsi qu"aux représentants de l"autorité de l"État qui toléreraient sa perpétration.

     [non souligné dans l"original]




[37]          L"avocate de M. Goodman a soutenu devant la SSR que l"alinéa 1Fa ) ne s"appliquait pas à lui pour les raisons suivantes :

     (a)sa participation et ses activités au sein de l"INLA ne pouvaient être caractérisées de crime de guerre, de crime contre l"humanité ou de crime contre la paix;

     (b)même s"il a participé personnellement à une attaque contre une caserne militaire, s"il a été déclaré coupable de voies de fait, de conduite désordonnée, de voies de fait contre des policiers ainsi que de port et possession d"armes et de munitions sans permis lorsqu"il était membre de l"INLA, ses actes n"étaient pas dirigés contre des civils. Il ne peut être tenu responsable des actes commis par d"autres membres de l"INLA, notamment des attaques brutales contre des dirigeants loyalistes, des vols qualifiés, des meurtres et des attentats à la bombe commis par les personnes qui se trouvaient sous ses ordres lorsqu"il occupait un poste de commandement au sein de l"organisation;

     (c)il n"occupait pas, dans l"IRA ni dans l"INLA, un poste assez élevé pour le rendre responsable des actes des autres dans le contexte de la voie hiérarchique militaire, selon l"arrêt Ramirez c. Canada (M.E.I.), [1992] 2 C.F. 306, de la Cour d"appel fédérale.



[38]          La SSR a statué que le critère applicable en matière de complicité, selon la décision Ramirez, précitée, reposait sur l"existence d"une intention commune et sur la connaissance que toutes les parties en cause en ont. La SSR a ensuite cité les observations de la représentante du ministre portant que, selon l"ouvrage intitulé Political Handbook of the World , (1992 ed.), l"INLA est décrite comme un groupe qui vise des fins limitées et brutales; une organisation illégale constituée en 1975 par un petit groupe de marxistes partisans de la ligne dure qui s"est séparé du Sinn Fein et de l"IRA officielle après que ces groupes eurent adopté une politique de non-violence. Citant un autre document, la SSR a ajouté, à la page 23 :

... l"INLA a commencé à mener une guérilla armée pour inciter l"Armée britannique à se retirer de l"Irlande du Nord qui devait s"unir à la République sous un régime socialiste.

     Le recours à la violence est fondamental à l"existence et aux objectifs de l"INLA. La violence est la seule raison d"être de l"INLA et les activités de celle-ci sont bien documentées. Dans la pièce R-5, l"introduction au texte Deadly Divisions , Jack Holland décrit l"INLA comme [Traduction] " l"une des ramifications les plus violentes et les plus imprévisibles du républicanisme. "




[39]          La SSR a ensuite énuméré plusieurs meurtres et attentats à la bombe attribués à l"INLA et elle a conclu que ces crimes sont assimilables aux crimes qualifiés de crimes contre l"humanité.



[40]          Puis, la SSR a cité l"arrêt Sivakumar c. Canada (M.E.I.) , [1994] 1 C.F. 433, de la Cour d"appel fédérale à l"appui du principe selon lequel un commandant militaire peut être tenu responsable des crimes internationaux commis par ses subordonnés, mais seulement s"il est au courant ou devait l"être; l"hypothèse selon laquelle la complicité est plus forte si la personne occupe un poste important au sein de l"organisation. La SSR a invoqué l"arrêt Gutierrez c. Canada (M.E.I.) (1994), 84 F.T.R. 227, de la Cour d"appel fédérale pour affirmer que les personnes qui appartiennent à la catégorie des complices n"occupent pas nécessairement des postes de chefs. La SSR a conclu, à la page 26 :

     Même si M. Goodman a tenté de minimiser sa participation dans l"INLA, la preuve révèle qu"il a joint les rangs d"abord à titre de volontaire et qu"il occupait le grade d"OC de brigade à Belfast au moment où il a quitté l"organisation. À titre d"OC, M. Goodman était responsable de 200 personnes. Selon son FRP, M. Goodman a travaillé à la coordination et à la planification d"interventions armées contre la police et les forces militaires ... il était également l"organisateur de six comtés. M. Goodman a été mêlé à l"IRA et à l"INLA du début des années 1970 jusqu"au début des années 1980. Le tribunal conclut que, compte tenu de son poste et de ses antécédents au sein de ces deux organisations, M. Goodman connaissait les activités entreprises par les personnes sous ses ordres et par l"INLA en général, et par conséquent conclut qu"il a été complice des crimes contre l"humanité commis par l"INLA pendant qu"il était membre de cette organisation.

     Compte tenu de la preuve, le tribunal est d"avis que, selon la prépondérance des probabilités, il existe des raisons sérieuses de penser que le revendicateur a été un complice dans la perpétration de crimes contre l"humanité et, par conséquent, il est exclu de la protection internationale par application de l"alinéa 1Fa) de la Convention.

     [non souligné dans l"original]

             2.5.3.2      L"exclusion prévue par l"alinéa 1Fb)


[41]          Tel qu"il l"a été mentionné précédemment, l"alinéa 1Fb ) traite de la perpétration d"un crime grave de droit commun. Pour trancher cette question, la SSR s"est reportée à l"arrêt Gil c. Canada (M.E.I.), [1995] 1 C.F. 508, de la Cour d"appel fédérale, pour retenir le critère suivant, qui :

... exige tout d"abord l"existence d"une perturbation politique reliée à une lutte visant à faire modifier ou à abolir un gouvernement ou une politique gouvernementale; et, en deuxième lieu, un lien rationnel entre le crime commis et la réalisation éventuelle de l"objectif politique envisagé.




[42]          La SSR a conclu que le revendicateur satisfaisait à la première partie du critère énoncé dans Gil parce que , à son avis, la preuve révélait clairement l"existence d"une lutte menée par l"INLA dans le but d"abolir le gouvernement local en Irlande du Nord, qui est sous l"égide du gouvernement britannique. Elle a toutefois décidé que M. Goodman ne satisfaisait pas à la deuxième partie du critère énoncé dans Gil, c"est-à-dire qu"il n"existait aucun lien entre les crimes commis par l"INLA et la réalisation éventuelle de l"objectif politique de ce groupe de renverser le gouvernement local en place.

             2.5.3.3      L"exclusion prévue par l"alinéa 1Fc)



[43]          Tel qu"il l"a été mentionné précédemment, cette exclusion touche une personne reconnue coupable d"agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies. La représentante du ministre a soutenu que M. Goodman était coupable de tels actes du fait de son appartenance à l"INLA, une organisation dont les actes de terrorisme sont attestés par des documents.



[44]          Cet argument s"articulait autour de la signification du terme " terrorisme ". L"avocate de M. Goodman a fait valoir qu"aucune définition juridique ne peut être donnée au terme " terrorisme " et que, pour cette raison, il ne peut être utilisé en l"absence de paramètres légaux établis par le Parlement.



[45]          Le tribunal a rejeté cet argument en s"appuyant sur la décision rendue par la Cour dans l"affaire Suresh Manickavasaqam c. M.C.I. , (DES-3-95, 14 novembre 1997, C.F. 1re inst., le juge Teitelbaum). Voici ce que le tribunal a dit, à la page 32 :

     Ayant déterminé que M. Goodman a été complice des crimes commis par l"INLA, le tribunal est d"avis que cet extrait s"applique au comportement de ce dernier. Le terme " terrorisme " s"applique également aux crimes commis par l"INLA, lesquels sont contraires aux objectifs et principes des Nations Unies et, à ce titre, s"inscrivent dans les paramètres de l"alinéa 1Fc ).


3.0LA NON-DISPONIBILITÉ D"UNE PARTIE DE LA TRANSCRIPTION



[46]          Le 25 février 1997, (pages 1899 et suiv. de la transcription), le président du tribunal a précisé que l"une des bandes de l"enregistrement de la séance précédente était vierge et que la transcription de cette partie de la séance ne serait pas disponible. C"est le contre-interrogatoire de M. Goodman par la représentante du ministre qui aurait dû être enregistré sur cette bande, M. Goodman ayant déjà été interrogé par son avocate, qui ne l"avait pas encore réinterrogé.



[47]          Des observations ont été présentées sur la façon de procéder, l"avocate de M. Goodman prétendant qu"il fallait recommencer l"audience étant donné que des conclusions défavorables à son client pouvaient être tirées relativement à la crédibilité et qu"elle n"avait aucun moyen de reconstituer la transcription aux fins d"un contrôle judiciaire, ce qui causait un préjudice à son client. D"autres solutions ont été débattues, tel un exposé conjoint des faits fondé sur les notes prises par les parties concernant la preuve. L"ACR, dans ses observations, a dit que la bande non enregistrée était importante parce qu"elle concernait la dernière heure et demie de l"interrogatoire de M. Goodman par l"avocat du ministre au sujet de questions relatives à l"exclusion et à la crédibilité et peut-être à la possibilité de refuge intérieur. Il a dit, à la page 1901 de la transcription, que la partie manquante sur le ruban [Traduction] " est peut-être essentielle à l"ensemble de la revendication comme tout témoignage ... les questions en cause renvoyaient sans cesse à une source documentaire particulière exposant les activités de l"INLA à M. Goodman pour qu"il les commente et y réponde. "



[48]          L"avocate de M. Goodman était sceptique quant à l"exactitude de tout exposé conjoint des faits rédigé à partir des notes des avocats.



[49]          La SSR a décidé (page 1903 de la transcription) que l"audience devait se poursuivre normalement et qu"un exposé conjoint des faits serait élaboré en vue d"être révisé par les avocats et le tribunal. Pour ce faire, la SSR s"est appuyée sur l"arrêt Kandiah c. Ministre de l"Emploi et de l"Immigration (1992), 141 N.R. 232 (C.A.F.), dans lequel le juge Pratte a déclaré ce qui suit, dans le contexte d"une audition devant la Commission de l"immigration :

[9]      Je suis prêt à supposer, aux fins de la discussion, que les principes de justice fondamentale exigent que les décisions de la section du statut de réfugié soient assujetties au contrôle judiciaire. Toutefois, un droit réel de révision peut exister sans que les procédures aient été transcrites ou enregistrées. En l"absence de transcription, l"appelant peut établir par d"autres moyens ce qui s"est produit à l"audition. Cela est particulièrement vrai dans le cas des auditions devant la section du statut de réfugié où le requérant est toujours présent et, dans la plupart des cas, est le seul témoin qui est entendu.

Le débat s"est poursuivi, à la page 1905 de la transcription, sur la valeur d"un exposé des faits préparé par une partie ou l"autre et sur lequel il est possible qu"elles ne s"entendent pas.



[50]          Le tribunal a repris l"audience le 16 juin 1997. Il a commencé en parlant de la bande non enregistrée et de là où les parties en étaient quant à la rédaction d"un exposé conjoint des faits. Les avocats du ministre et de M. Goodman avaient préparé chacun leur version d"un exposé des faits, dont la SSR a dit qu"elles étaient généralement identiques quant au fond, avec de légères divergences. L"exposé des faits préparé par l"avocat du ministre, en date du 14 mai 1997, a été inscrit comme la pièce M-2 et le résumé des notes de l"interrogatoire prises par l"avocate de M. Goodman en date du 9 juin 1997 a été inscrit sous la cote R-7 (pièce de l"ACR) lorsque l"avocate de M. Goodman s"est opposée à ce qu"il constitue une pièce du revendicateur parce qu"elle ne croyait pas qu"il donnait un véritable résumé de ce qui s"était passé au cours de la procédure, n"étant peut-être ni complet, ni précis (page 1914 de la transcription).




[51]          L"ACR a soulevé la question de savoir comment concilier les deux pièces M-2 et R-7. L"avocat du ministre était disposé à accepter certaines questions et réponses qui n"étaient pas incluses dans son résumé M-2 (page 1916 de la transcription) . L"avocate de M. Goodman a soulevé la question des notes que le tribunal avait prises. Elle a réitéré son objection à fonder quelque fait que ce soit sur des notes parce que des incohérences défavorables à son client pourraient être relevées à partir d"un mot ou deux et qu"il était injuste de procéder de la façon proposée étant donné que la crédibilité constituait un élément important (page 1917 de la transcription).



[52]          Le tribunal a voulu clarifier deux points : la SSR et l"avocate du revendicateur ont posé des questions sur ces deux points au revendicateur, qui y a répondu (pages 1919 à 1921 de la transcription). La transcription révèle qu"on a demandé à M. Goodman de clarifier un autre point : la fusillade du Princess Bar. L"ACR s"est opposé à cette question, affirmant qu"elle n"était pas de la nature d"une clarification, mais d"un réinterrogatoire et que la réponse de M. Goodman pourrait contredire son témoignage antérieur (page 1923 de la transcription). L"avocate de M. Goodman a aussi procédé au réinterrogatoire.

4.0      ANALYSE

     4.1      La norme de contrôle



[53]          En m"appuyant sur la décision Pushpanathan, précitée, j"applique la norme de la décision correcte à la question de savoir si la SSR a compris correctement les principes juridiques rattachés au concept de la protection selon la définition énoncée dans l"arrêt Ward , précité, ainsi que la signification et la portée des exclusions édictées aux alinéas 1Fa) à c) de la Convention. En ce qui a trait à l"application correcte de l"arrêt Ward aux faits de l"espèce, la norme du caractère déraisonnable s"applique. Il faut démontrer le caractère manifestement déraisonnable de toute conclusion de fait tirée par la SSR, c"est-à-dire que la SSR a tiré cette conclusion sans tenir compte de la preuve.

     4.2      L"incapacité du R.-U. de protéger M. Goodman

         4.2.1          Les principes


[54]          L"examen de la décision de la SSR révèle, selon moi, qu"elle a correctement interprété les principes juridiques rattachés au concept de la protection de l"État établis par la Cour suprême du Canada dans l"arrêt Ward , précité. On ne saurait mettre en doute la place et l"importance de ce concept comme partie intégrante de la démonstration qu"un revendicateur doit faire qu"il craint avec raison d"être persécuté, car " si un État est capable de protéger le demandeur, alors, objectivement, ce dernier ne craint pas avec raison d'être persécuté " (Ward , p. 712). Le juge La Forest met en relief la place et l"importance de l"incapacité de l"État d"assurer la protection du revendicateur, que ce soit en regard de la catégorie " ne peut " ou de la catégorie " ne veut ", dans les motifs qu"il a prononcés au nom de la Cour dans l"affaire Ward , précitée, à la page 722 :

     Il est clair que l'analyse est axée sur l'incapacité de l'État d'assurer la protection: c'est un élément crucial lorsqu'il s'agit de déterminer si la crainte du demandeur est justifiée, de sorte qu'il a objectivement raison de ne pas vouloir solliciter la protection de l'État dont il a la nationalité ...
Ayant établi que le demandeur éprouve une crainte, la Commission a, selon moi, le droit de présumer que la persécution sera probable, et la crainte justifiée, en l'absence de protection de l'État. La présomption touche le coeur de la question, qui est de savoir s'il existe une probabilité de persécution.      [souligné en partie dans l"original]



[55]          À mon avis, l"analyse distincte effectuée par la SSR de la question de savoir si le demandeur ne peut se réclamer de la protection de l"État, qui englobe en l"espèce le droit de M. Goodman d"entrer et de demeurer en Angleterre et la capacité du R.-U. de lui assurer une protection efficace contre l"INLA, et s"il ne veut pas s"en réclamer est conforme à l"arrêt Ward , précité (voir les pages 717 à 721). Plus précisément, la SSR a correctement évalué la question de savoir si M. Goodman devait, en premier lieu, demander la protection du R.-U. pour invoquer le fait qu"il ne veut pas se réclamer de la protection de l"État. Le juge La Forest a dit ce qui suit, sur ce point, à la page 724 :

     Comme Hathaway, je préfère formuler cet aspect du critère de crainte de persécution comme suit : l'omission du demandeur de s'adresser à l'État pour obtenir sa protection fera échouer sa revendication seulement dans le cas où la protection de l'État [traduction] " aurait pu raisonnablement être assurée ". En d'autres termes, le demandeur ne sera pas visé par la définition de l'expression " réfugié au sens de la Convention " s'il est objectivement déraisonnable qu'il n'ait pas sollicité la protection de son pays d'origine; autrement, le demandeur n'a pas vraiment à s'adresser à l'État.
     [non souligné dans l"original]

C"est le critère adopté par la SSR à la page 21 de sa décision.



[56]          Une fois encore, je suis d"avis, en ce qui concerne la nature et la qualité de la preuve requise pour démontrer l"incapacité de l"État de protéger ses citoyens, que la décision de la SSR est inattaquable et bien étayée par l"arrêt Ward , précité, comme le révèle l"extrait suivant de cet arrêt, dans lequel le juge La Forest dit, aux pages 724 et 725 :

. . . il faut confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection. Par exemple, un demandeur pourrait présenter le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l'État pour les protéger n'ont pas aidées, ou son propre témoignage au sujet d'incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l'État ne s'est pas concrétisée. En l'absence d'une preuve quelconque, la revendication devrait échouer, car il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens. La sécurité des ressortissants constitue, après tout, l'essence de la souveraineté.
     [non souligné dans l"original]


[57]          Répétons-le, la SSR a retenu ce critère, à la page 21 de sa décision et elle a attribué à M. Goodman le fardeau de faire cette démonstration (voir Ward, précité, à la page 751).



[58]          L"arrêt Ward s"avère utile à deux autres égards, car il faut se rappeler que M. Ward était membre de l"INLA (il s"y est joint en 1983, après que M. Goodman a cessé d"en être membre, en 1982).



[59]          Premièrement, la Cour suprême du Canada a dit que la SSR ne s"était pas acquittée de sa tâche, dans l"affaire Ward , lorsqu"elle a affirmé qu"elle " aurait jugé que [la] vie [du demandeur] serait menacée par la INLA s'il était renvoyé au Royaume-Uni ". Le juge La Forest a conclu que la SSR n"avait pas tranché la véritable question litigieuse; il a dit ce qui suit, à la page 753 :

Toutefois, cette conclusion est insuffisante aux fins de la décision que doit rendre la Commission. Elle ne porte pas sur la véritable question litigieuse. Personne ne conteste que la vie de Ward sera en danger s'il retourne en Irlande ou en Grande-Bretagne; il s'agit plutôt de savoir si Ward peut être protégé contre ce danger. La Commission n'a jamais tiré de conclusion de fait au sujet de la véritable question litigieuse -- la capacité des Britanniques de protéger Ward.
     [non souligné dans l"original]


Deuxièmement, le juge a tenu les propos qui suivent concernant la capacité du R.-U. de refuser l"entrée ou de limiter le séjour du demandeur au pays, en vertu de la PTA, à la page 754 :

Pareille preuve pourrait permettre de réfuter la présomption en démontrant l'absence de protection de la part de la Grande-Bretagne. Le refus d'admettre sur le territoire national est mentionné au paragraphe 99 du Guide du HCNUR comme exemple possible de ce qui pourrait équivaloir à un refus de protection. L'applicabilité de la présomption et sa réfutation sont des questions qui dépendent des circonstances particulières de l'espèce et qui doivent être tranchées par la Commission.
     [non souligné dans l"original]


[60]          Le seul autre principe à tirer de l"arrêt Ward , précité, aux fins de l"espèce, est la déclaration faite par le juge La Forest, à la page 751, selon laquelle c"est au revendicateur du statut de réfugié qu"il incombe de démontrer l"incapacité de l"État de le protéger.

     4.2.2           Application et conclusions sur la question de la protection



[61]          Une fois tirée la conclusion que la SSR a correctement défini les principes juridiques rattachés à l"incapacité de l"État de protéger ses citoyens conformément à l"arrêt Ward , la prochaine question à trancher est celle de savoir si la SSR a correctement appliqué ces principes aux faits de l"espèce ou tiré des conclusions qui ne sont pas étayées par la preuve.



[62]          Après avoir examiné la transcription, je suis convaincu qu"il existait, à l"égard de chaque conclusion cruciale concernant a ) le refus d"autoriser le demandeur à entrer ou à demeurer en Angleterre, b ) l"efficacité de la protection et c ) le fait que M. Goodman ne veut pas demander la protection, une preuve pouvant raisonnablement étayer les conclusions et les inférences de la SSR. Des éléments de preuve révélaient que M. Goodman avait été autorisé à entrer au R.-U. et à y vivre en 1982, qu"il était parti de son propre gré après avoir décidé de se rétracter. Depuis son arrivée au Canada en 1986, il n"avait pas communiqué avec le gouvernement du R.-U. et on ne pouvait pas affirmer qu"on lui avait refusé l"entrée et l"autorisation de demeurer en Angleterre comme il y avait droit en sa qualité de citoyen. Il existait de la preuve de l"utilisation de la PTA par le passé et certains éléments de preuve relatifs à son utilisation moindre en 1997. Contrairement à ce qu"a prétendu l"avocate, la SSR n"a pas fondé sa conclusion à cet égard sur l"intention du gouvernement britannique d"abroger la PTA. M. Holland a dit, à la page 1980, qu"il était possible que M. Goodman ne soit pas autorisé à entrer au pays. Des éléments de preuve (page 1972 de la transcription) établissaient que d"anciens membres de l"INLA vivent en Angleterre. M. Holland n"a pas répondu non lorsqu"on lui a demandé si M. Goodman serait autorisé à demeurer au R.-U.; il a répondu en termes équivoques : [Traduction] " j"en doute énormément " (page 1980 de la transcription). Compte tenu de cette preuve, je conclus que la conclusion de la SSR portant que M. Goodman n"a pas fourni de preuve claire et convaincante de l"incapacité du R.-U. de le protéger était bien étayée par la preuve.



[63]          La SSR a aussi mentionné ce qu"il est advenu de M. Ward après son expulsion en Angleterre, c"est-à-dire qu"il a pu y entrer et qu"il s"y trouve actuellement. L"avocate de M. Goodman a dit que la SSR a commis une erreur en tenant compte de la preuve relative à ce qui était arrivé à M. Ward. Cette critique, même si elle est juste, ne peut fonder l"annulation de la décision de la SSR, parce qu"il existait d"autres éléments de preuve selon lesquels d"anciens membres de l"INLA, outre M. Ward, demeurent en Angleterre et, quoi qu"il en soit, la SSR pouvait tenir compte de ce qu"il est advenu de M. Ward après le prononcé de sa décision à son sujet, étant donné qu"il s"agit d"un fait de notoriété publique. Il ne s"agit pas d"un élément qui devait être prouvé formellement.



[64]          En ce qui concerne la protection effective dont il pouvait bénéficier au R.-U., la SSR n"était pas convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que M. Goodman s"était acquitté du fardeau qui lui incombait. M. Holland, qui a témoigné au nom de M. Goodman, n"a pas offert de preuve établissant que le R.-U. ne pouvait pas le protéger; il a seulement affirmé (page 1980 de la transcription) que M. Goodman ne serait pas en sécurité, c"est-à-dire qu"il courrait un risque. Pour paraphraser le juge La Forest, dans l"affaire Ward , ce n"est pas là la véritable question litigieuse.



[65]          L"avocate du demandeur a soutenu que la SSR a commis une erreur en se posant la mauvaise question en ce qui a trait aux personnes que M. Goodman craignait : il ne craignait pas les autorités du R.-U., mais l"INLA. J"estime que cet argument n"est pas fondé. La SSR, à la page 15 de sa décision, a clairement dit que l"organisation qu"il craignait était l"INLA, lorsqu"elle a entrepris son analyse du volet " ne peut ", qui peut mener à l"analyse du volet " ne veut " se réclamer de la protection de l"État (voir Ward , à la page 717). L"avocate de M. Goodman a fait valoir que l"analyse par la SSR de la question de savoir si M. Goodman ne veut pas se réclamer de la protection du R.-U. et son renvoi à l"analyse effectuée dans Satiacum , précité, à la page 19 de sa décision, étaient inopportuns car la crainte du demandeur n"a rien à voir avec l"efficacité du système judiciaire du R.-U. À mon avis, on ne peut interpréter ce renvoi isolément ni à la loupe, comme si c"était le seul élément pris en compte par la SSR dans son évaluation de la capacité du R.-U. de protéger M. Goodman. Ce qui n"est pas le cas.



[66]          Je suis d"avis que la lecture de la décision dans son ensemble fait ressortir le véritable fondement de la conclusion de la SSR sur ce point. En termes simples, la SSR n"était pas convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que M. Goodman s"était acquitté du fardeau qui lui incombait de prouver que le R.-U. ne serait pas en mesure de le protéger efficacement. Rien ne justifie selon moi que la Cour modifie la conclusion de la SSR.

5.0      LA JUSTICE NATURELLE ET LA BANDE NON ENREGISTRÉE

     5.1      Le principe



[67]          Dans l"arrêt Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville), [1997] 1 R.C.S. 793, la Cour suprême du Canada a établi le critère de common law qu"il convient d"appliquer relativement à la justice naturelle, lorsque la transcription d"une procédure devant un tribunal administratif, comme la SSR, qui n"est pas expressément tenu par la loi d"enregistrer les témoignages, n"est pas disponible lors du contrôle judiciaire de sa décision.



[68]          Le juge L'Heureux-Dubé a reconnu, au nom de la Cour, que la non-disponibilité de la transcription pouvait, dans certaines circonstances, causer un préjudice au demandeur quant à sa capacité de présenter une demande de contrôle judiciaire, et que ce préjudice constituait un déni de justice naturelle lorsque la décision que la Cour devait rendre ne pouvait pas être rendue sur la foi d"autres éléments de preuve.



[69]          En élaborant ce critère, approuvant l"arrêt Kandiah prononcé par la Cour d"appel fédérale, précité, et des décisions du Tribunal du travail du Québec qui, à son avis, concernaient " des régimes pour lesquels la loi accordait un généreux droit d"appel de la décision initiale quant au fond ", le juge L'Heureux-Dubé a écrit, à la page 841 :

     À mon avis, les décisions du Tribunal du travail mentionnées ci-dessus ne contredisent pas les principes énoncés dans Kandiah, précité. Dans chaque affaire, comme le Tribunal du travail l"a expressément reconnu, l"appel nécessitait, de la part du tribunal siégeant en appel, la révision des conclusions de fait et de l"appréciation de la preuve, révision qu"il n"était pas possible de faire sans un enregistrement complet des témoignages déposés lors de l"examen initial. Ces affaires relèvent vraisemblablement de l"exception mentionnée dans l"arrêt Kandiah , précité, en ce sens qu"aucun autre moyen ne permettrait de reproduire facilement toute la preuve qui avait été déposée devant la commission chargée de l"examen et que cela diminuerait grandement la capacité du tribunal d"appel de réviser la décision quant au fond.
     À mon avis, les arrêts Kandiah et Hayes, précités, fournissent un excellent énoncé des principes de justice naturelle applicables à l"enregistrement des délibérations d"un tribunal administratif. Dans le cas où l"enregistrement est incomplet, le déni de justice découlerait de l"insuffisance de l"information sur laquelle la cour siégeant en révision peut fonder sa décision. Par conséquent, l"appelant peut se voir nier ses moyens d"appel ou de révision. Les règles énoncées dans ces arrêts empêchent que ce résultat malheureux ne se produise. Elles écartent aussi le fardeau inutile des délibérations administratives et de la répétition superflue d"un examen des faits qui serait entrepris longtemps après que les événements en question sont survenus.
.
     En l"absence d"un droit à un enregistrement expressément reconnu par la loi, les cours de justice doivent déterminer si le dossier dont elles disposent leur permet de statuer convenablement sur la demande d"appel ou de révision. Si c"est le cas, l"absence d"une transcription ne violera pas les règles de justice naturelle. Cependant, lorsque la loi exige un enregistrement, la justice naturelle peut nécessiter la production d"une transcription. Étant donné que cet enregistrement n"a pas à être parfait pour garantir l"équité des délibérations, il faut, pour obtenir une nouvelle audience, montrer que certains défauts ou certaines omissions dans la transcription font surgir une " possibilité sérieuse " de négation d"un moyen d"appel ou de révision. Ces principes garantissent l"équité du processus administratif de prise de décision et s"accommodent d"une application souple dans le contexte administratif. .
     [non souligné dans l"original]



[70]          Le juge L'Heureux-Dubé a ensuite expliqué la tâche que doit accomplir la cour qui procède au contrôle judiciaire afin de trancher cette question. Elle a dit que les cours de justice " doivent déterminer si le dossier dont elles disposent leur permet de statuer convenablement sur la demande d"appel ou de révision ". Si c"est le cas, l"absence de transcription " ne violera pas les règles de justice naturelle ". La question que doit résoudre la cour saisie de la demande de contrôle est, selon elle, celle de " savoir si l"intimé s"est vu nier un moyen de révision en raison de l"absence d"enregistrement de l"audition ... ".



[71]          Le juge L'Heureux-Dubé a ensuite examiné l"affidavit à l"appui de la demande de contrôle judiciaire et statué que le syndicat intimé avait contesté des conclusions de fait du tribunal administratif en invoquant l"absence de preuve à l"appui de certaines des conclusions essentielles du tribunal. Elle a conclu que le dossier n"était pas inadéquat parce que la cour exerçant son pouvoir de contrôle disposait d"un autre moyen de déterminer " ce qui s"est passé lors de l"audition ". Cet autre moyen était les affidavits en réponse de différentes personnes qui avaient témoigné devant le tribunal administratif. Le juge L'Heureux-Dubé a dit qu"il ne suffisait pas que le syndicat prétende simplement qu"il n"y avait pas de preuve pour tirer une certaine conclusion alors que l"autre partie pouvait déposer un affidavit quant à la véracité d"un témoignage mentionné dans les motifs du tribunal. Le syndicat avait l"obligation de fournir des éléments justifiant le rejet du témoignage des témoins sur ce qui s"était passé devant le tribunal administratif ou de décrire les éléments de preuve qui ont été rejetés ou n"ont pas été pris en considération.

     5.2      Application aux faits de l"espèce



[72]          Il ne s"agit pas d"un cas où il n"existe aucune transcription de l"audiencedevant la SSR; une transcription existe pour la plus grande partie de l"audience. Le problème qui se pose tient au fait que la transcription de l"audience comporte des défauts ou des omissions. Le critère à appliquer en pareilles circonstances consiste à se demander si les défauts ou les omissions dans la transcription font surgir une " possibilité sérieuse " (et non une probabilité, dois-je m"empresser d"ajouter) de négation d"un moyen d"appel ou de révision pour qu"une nouvelle audience soit ordonnée. En l"espèce, cette évaluation doit être effectuée en tenant compte des autres moyens que la SSR a jugé disponibles (malgré l"opposition de l"avocate de M. Goodman), c"est-à-dire les notes prises par les avocats ou d"autres personnes pendant la partie de l"audition dont la transcription est manquante. De plus, l"analyse requise doit prendre en compte deux autres éléments. Premièrement, le fait que la décision de la SSR a tranché à la fois la question de savoir si le R.-U. était incapable de protéger M. Goodman, qui fait partie intégrante de sa crainte bien fondée d"être persécuté, et celle des motifs d"exclusion prévus par la section 1F de la Convention. Deuxièmement, l"analyse requise doit comporter l"examen de chaque moyen invoqué par M. Goodman à l"appui du contrôle judiciaire parce que seul un moyen de contrôle plaidé et rejeté peut donner lieu à un manquement à la justice naturelle.



[73]          Il ressort clairement des motifs prononcés par le juge L'Heureux-Dubé dans l"affaire SCFP c. Montréal (Ville) , précitée, et de son jugement auquel a souscrit la majorité dans R. c. Hayes (1989), 1 R.C.S. 44, que toute omission dans la transcription n"entraînera pas automatiquement une nouvelle audience.



[74]          Tel qu"il l"a été mentionné, la SSR a tiré en l"espèce deux conclusions distinctes qui, selon les règles de droit régissant le statut de réfugié, sont indépendantes l"une de l"autre. La SSR a conclu que M. Goodman ne s"était pas acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer qu"il " craint avec raison " d"être persécuté s"il retournait en Angleterre et ce, parce que le R.-U. était en mesure de le protéger. Cette conclusion, en soi, suffit pour justifier le rejet de la revendication de M. Goodman. Toutefois, la SSR a poursuivi en concluant que M. Goodman était néanmoins exclu de la protection de la Convention par application des exclusions qu"elle prévoit.



[75]          Selon moi, en l"espèce, il faut prendre en compte les facteurs suivants pour déterminer si les omissions dans la transcription de la procédure de la SSR équivalent à une possibilité sérieuse que M. Goodman soit privé d"un moyen de contrôle :

     (1)      Quels moyens de contrôle ont été invoqués?
     (2)      Quelle est l"importance des conclusions contestées relativement à la revendication du statut de réfugié de M. Goodman?
     (3)      Quel est le fondement des conclusions et constatations de la SSR, et j"entends par là : " Est-ce que la SSR a fondé ses conclusions sur des constatations relatives à la crédibilité, ou sur des conclusions de fait ou sur l"interprétation d"une disposition législative? "
     (4)      Sur quoi portait la partie de l"audience dont la transcription est manquante (s"agissait-il d"un témoignage direct ou d"un contre-interrogatoire ou, comme dans l"affaire Hayes, précitée, de conversations entre le juge du procès et les avocats ainsi que de l"exposé du juge au jury) et quelle était l"importance de l"omission dans la transcription relativement aux conclusions contestées, c"est-à-dire, la pertinence de l"objet ou de la teneur de la partie manquante de la transcription et la mesure dans laquelle le tribunal s"est appuyé sur elle?
     (5)      Quel autre moyen le tribunal a-t-il pris pour remédier à l"omission?
     (6)      De quels autres moyens la Cour disposait-elle pour déterminer ce qui s"est passé à l"audition?


[76]          M. Goodman a invoqué deux principaux moyens de contrôle (hormis la question de l"omission dans la transcription) dans sa demande d"autorisation écrite et dans ses observations présentées à la Cour après avoir obtenu l"autorisation d"introduire sa demande. Il a affirmé que la SSR avait commis une erreur dans son interprétation de la définition de l"expression " réfugié au sens de la Convention " figurant dans la Loi en ce qui a trait à la fois aux inclusions et aux exclusions et il a plaidé que la SSR avait commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de la preuve.



[77]          M. Goodman a déposé, à l"appui de sa demande d"autorisation et de contrôle judiciaire, un affidavit auquel il a joint en annexe un long résumé [Traduction] " des témoignages et de certains éléments de preuve documentaire présentés dans ma cause ... et [je] crois qu"il constitue un compte rendu fidèle de la preuve ". Le défendeur n"a pas déposé d"affidavit en contre-preuve et M. Goodman n"a pas été contre-interrogé relativement à son affidavit.



[78]          L"omission dans la transcription s"est produite au moment où le ministre a contre-interrogé M. Goodman après qu"il a présenté sa preuve directe. Après avoir découvert l"omission dans la transcription, les parties à l"audition devant la SSR se sont entendues, pour l"essentiel, relativement à ce sur quoi portait le contre-interrogatoire non enregistré, par opposition à sa teneur. Il portait notamment sur les éléments suivants :

     (a)      le nombre d"interventions auxquelles a participé M. Goodman, qui avait pris les décisions s"y rapportant et si M. Goodman en connaissait les cibles;
     (b)      la connaissance détaillée que M. Goodman avait de certaines interventions données, comme la fusillade du Princess Bar en 1975, les attaques menées par Steenson contre les loyalistes, les tentatives de meurtre d"un conseiller municipal, les attaques contre un député conservateur à Londres en 1979, les attaques contre des représentants des services correctionnels en décembre 1977 et des attaques contre d"autres personnes;
     (c)      sa connaissance de la façon dont l"INLA finançait ses activités et des vols qualifiés précis commis par l"INLA à cette fin, dont la destruction du Gate Inn dans le but d"extorquer de l"argent aux assureurs;
     (d)      ses détentions et la façon dont il avait été traité pendant qu"il était incarcéré;
     (e)      la portée de son marché avec les autorités lorsqu"il est devenu délateur et sa connaissance de ce qu"il était advenu des autres membres de l"INLA qui étaient devenus délateurs;
     (f)      la menace de mort qu"il avait reçue et la question de savoir s"il avait demandé la protection des autorités du R.-U.;
     (g)      son arrivée au Canada.


[79]          Je note que l"ACR a qualifié les questions omises dans la transcription d" [Traduction] " essentielles relativement à la revendication de M. Goodman ". De plus, l"ACR n"a pas contre-interrogé M. Goodman après que le problème d"enregistrement a été réglé. Je souligne également que le témoignage de Jack Holland a été enregistré en entier, tout comme le réinterrogatoire de M. Goodman.



[80]          La crédibilité n"était pas en cause lors de l"audition. Une lecture honnête de la décision démontre que la SSR n"a pas tiré de conclusion portant qu"il ne fallait pas croire M. Goodman et le tribunal n"a pas repéré ni relevé de contradictions ou d"éléments non plausibles dans le témoignage de M. Goodman, bien qu"il ait qualifié le témoignage de M. Goodman de tentative, par M. Goodman, de se distancier de sa participation passée dans l"INLA.

     5.3      Conclusions sur la question de la justice naturelle

         5.3.1.      La capacité du R.-U. de protéger M. Goodman


[81]          En ce qui concerne cet élément central lié à la crainte bien fondée de M. Goodman d"être persécuté, je suis convaincu, que ce soit selon la prépondérance des probabilités ou le critère de la possibilité sérieuse, que l"omission dans la transcription n"a privé M. Goodman d"aucun moyen de contrôle à cet égard. La SSR a fondé sa conclusion sur le fait que M. Goodman n"a pas fourni de preuve claire et convaincante que le R.-U. ne pouvait pas le protéger et qu"il n"était objectivement pas raisonnable de sa part de demander cette protection. M. Goodman avait le fardeau de prouver cet élément central de sa revendication. Sa preuve directe et son réinterrogatoire ont été enregistrés en entier et cette question n"a pas été abordée dans son contre-interrogatoire. Le témoignage corroborant de Jack Holland a été enregistré en entier. L"omission dans la transcription n"a pas d"incidence sur l"importante preuve documentaire mentionnée par M. Goodman dans son affidavit déposé avec son affidavit à l"appui de sa demande d"autorisation. En outre, c"est le témoignage enregistré de Jack Holland qui, aux dires de l"avocate de M. Goodman, n"a pas été pris en considération par la SSR. Les autres attaques contre les conclusions de la SSR sont de nature juridique et ont été traitées précédemment dans les présents motifs.

         5.3.2          Les exclusions



[82]          Je conclus toutefois que les conclusions de la SSR concernant les exclusions doivent être modifiées en raison des omissions dans la transcription; en ce qui concerne les exclusions, je ne suis pas convaincu que l"état du dossier me permet d"affirmer, avec quelque assurance, que M. Goodman a pu faire valoir réellement son moyen de contrôle devant moi.



[83]          Je garde à l"esprit les propos tenus par le juge Bastarache relativement à l"importance des exclusions dans l"arrêt Pushpanathan c. Canada (M.C.I.), précité, aux pages 999 et 1000 :

     Par contraste, les personnes visées par la section F de l"article premier de la Convention sont automatiquement exclues des protections de la Loi. Non seulement peuvent-elles être refoulées dans le pays qu"elles ont fui sans que le ministre ait déterminé qu"elles constituaient un danger pour le public ou pour la sécurité du pays, mais encore leur revendication du statut de réfugié ne sera pas examinée au fond. Les conséquences pratiques d"une telle exclusion automatique, par rapport aux garanties prévues par l"art. 19, sont profondes.



[84]          Le fondement factuel de la conclusion tirée par la SSR relativement aux exclusions reposait sur les crimes commis par l"INLA (crimes contre l"humanité, crimes graves de droit commun et crimes reliés au terrorisme) et sur la connaissance que M. Goodman en avait, sa participation à ces crimes ou l"intention commune qu"il partageait avec l"organisation qui les a perpétrés.



[85]          La SSR a exposé en détail, dans trois pages entières de sa décision, la base de la preuve factuelle essentielle à ses conclusions (aux pages 23 à 25). Cette base est constituée d"une série chronologique de meurtres et d"attentats à la bombe attribués à l"INLA. Après avoir énuméré ces crimes et attentats à la bombe, la SSR a statué que " ces crimes sont assimilables aux crimes qualifiés de crimes contre l"humanité. "



[86]          Les notes des avocats indiquent clairement qu"une partie importante du contre-interrogatoire par l"avocat du ministre portait sur les crimes énumérés dans la pièce R-5 dont la SSR a reconnu la perpétration. Ni la représentante du ministre ni l"ACR n"ont produit de preuve et M. Holland s"en est remis à M. Goodman quant à certains crimes précis. Je ne puis que conclure, dans les circonstances, que la preuve sur laquelle s"est appuyée la SSR découlait, dans une large mesure, du contre-interrogatoire de M. Goodman effectué par l"avocat du ministre et dont la transcription n"est pas disponible. Les éléments couverts dans la partie de l"audience omise dans la transcription étaient déterminants quant aux conclusions de la SSR sur les exclusions et le tribunal s"est appuyé de façon significative sur ces renseignements manquants.



[87]          Pour ce qui est des autres moyens, j"estime que les notes des avocats ne constituent pas un moyen adéquat de remédier aux omissions dans la transcription. Elles sont nécessairement rédigées en style télégraphique et ne rendent pas compte de l"essentiel des réponses de M. Goodman. Elles ne peuvent pas remplacer un enregistrement sonore ni les notes sténographiques ou la consignation intégrale des témoignages par un sténographe judiciaire. Les notes des avocats ne sont pas suffisantes pour constituer un moyen qui permette à la Cour de savoir ce qui s"est passé à l"audition. De plus, l"affidavit de M. Goodman ne traite pas des crimes spécifiques et ne peut donc me permettre d"affirmer que la SSR a commis une erreur et d"annuler sa décision pour ce motif.



[88]          On m"a demandé de certifier trois questions, mais j"ai refusé de les certifier parce que les questions proposées ne se posent pas vraiment. En ce qui a trait à la première, j"estime que le critère de contrôle des conclusions de fait tirées par la Section du statut de réfugié a été établi par la Cour suprême du Canada dans l"affaire Pushpanathan , précitée, et dans l"arrêt SCFP c. Montréal (Ville) , précité, à la page 844, paragraphe 85, dans les deux cas, dans le contexte de l"alinéa 18.1 (4)d ) de la Loi sur la Cour fédérale.



[89]          La deuxième question proposée est celle de savoir si la confirmation claire et convaincante de l"incapacité de l"État de protéger le revendicateur commande une analyse contextuelle qui tient compte de la situation du revendicateur. Je ne pense pas que cette question soit pertinente en l"espèce parce que, selon la preuve telle que je la perçois, la SSR a adopté une approche contextuelle.



[90]          La dernière question a été proposée par le défendeur et consiste à se demander [Traduction] " qui a le fardeau de démontrer qu"il existe une possibilité sérieuse de négation d"un moyen de contrôle en raison des défauts ou des omissions dans la transcription de la procédure d"un tribunal ". Je suis convaincu que cette question ne se pose pas vraiment en l"espèce. Le demandeur a le fardeau de démontrer l"existence de cette possibilité sérieuse; ce principe ressort clairement de l"arrêt SCFP c. Montréal (Ville) , précité. L"application de ce fardeau aux faits d"une affaire donnée ne soulève pas de question de portée générale.




[91]          Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie. Les conclusions de la SSR concernant toutes les exclusions sont annulées et l"affaire est renvoyée au tribunal qui a entendu la revendication de M. Goodman. La conclusion de la SSR portant que M. Goodman ne craint pas avec raison d"être persécuté, fondée sur la capacité du R.-U. de le protéger, est confirmée. Aucune question n"est certifiée.



     (Signé) " F. Lemieux "

     JUGE

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

29 FÉVRIER 2000

Traduction certifiée conforme

Martine Brunet, LL.B.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE L"IMMIGRATION

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER




NUMÉRO DU GREFFE :      IMM-1977-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      John Joseph Goodman

     c.

     MCI


LIEU DE L"AUDIENCE :      Toronto (Ontario)

DATE DE L"AUDIENCE :      le 17 juin 1999

MOTIFS DE L"ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE LEMIEUX

EN DATE DU :      29 février 2000



ONT COMPARU :

Me Barbara Jackman      Pour le demandeur
Me David Tyndale      Pour le défendeur


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


Waldman Jackman & Assoc.

Toronto (Ontario)      Pour le demandeur

Morris Rosenberg

Sous-procureur général

du Canada      Pour le défendeur
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