Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                                                                                                                                  Date: 20000705

                                                                                                                     Dossier: IMM-2807-00

OTTAWA (ONTARIO), LE MERCREDI 5 JUILLET 2000

DEVANT : MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                          demandeur

et

JAMIE CARRASCO VARELA

                                                                                                                                           défendeur

ORDONNANCE

            Pour les motifs ici énoncés, il est enjoint à l'arbitre, tant que la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire sous-jacente n'aura pas été réglée d'une façon définitive, de ne pas poursuivre l'enquête sur la question de savoir si le défendeur Jamie Carrasco Varela doit être admis ou autorisé à venir au Canada et à y demeurer, ou si son expulsion doit être ordonnée.

                « François Lemieux »                  

   JUGE

Traduction certifiée conforme

Martine Brunet, LL.B.


                                                                                                                                   Date: 20000705

                                                                                                                        Dossier: IMM-2807-00

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           demandeur

et

JAMIE CARRASCO VARELA

                                                                                                                                             défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

A.         INTRODUCTION

[1]         Ces motifs se rapportent à des injonctions sollicitées par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le ministre) : (1) en vue d'empêcher, tant que la demande sous-jacente d'autorisation et de contrôle judiciaire présentée par le ministre le 1er juin 2000 ne sera pas réglée d'une façon définitive, la continuation de l'enquête menée par l'arbitre au sujet de l'inadmissibilité de Jamie Carrasco Varela (le défendeur) en vertu de l'alinéa 19(1)j) de la Loi sur l'immigration (la Loi) par suite des actes que celui-ci a commis ou n'a pas commis au Nicaragua avant de venir au Canada et (2) en vue d'empêcher l'arbitre de mener l'enquête tant que ladite demande n'aura pas été réglée.


[2]         De plus, le ministre sollicitait, en vertu du paragraphe 82.1(4) de la Loi, une ordonnance prévoyant la tenue d'une audience à lgard de la demande d'autorisation. Le défendeur a consenti à pareille ordonnance et a consenti à l'octroi de l'autorisation si je devais conclure, dans le contexte de la demande d'injonction, que l'existence d'une question sérieuse donnant lieu à une cause défendable a été établie.

B.         LES FAITS

[3]         Le défendeur est citoyen du Nicaragua. Il a servi dans l'armée du mois d'août 1983 au mois d'octobre 1989. Deux ans après avoir joint l'armée, il est devenu membre du Front sandiniste de libération nationale (le FSLN).

[4]         Le défendeur, sa conjointe et son fils sont arrivés au Canada au mois d'août 1991; ils ont revendiqué le statut de réfugié en se fondant sur leurs opinions politiques et sur leur appartenance à un groupe social.

[5]         Le 20 mars 1992, la section du statut de réfugié a conclu que le défendeur ntait pas une personne visée par la Convention à cause de l'alinéa a) de la section F de l'article premier, qui prévoit que les dispositions de la Convention « ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser qu'elles ont commis [...] un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes » .


[6]         Le 4 juin 1992, la Cour d'appel fédérale a refusé l'autorisation que le défendeur avait sollicitée en vue d'en appeler de la décision de la section du statut de réfugié.

[7]         Selon le dossier, le 24 juin 1993, le ministre de lpoque aurait autorisé la délivrance d'un permis au défendeur et à sa famille, leur accordant le droit dtablissement s'il était satisfait à toutes les exigences de la Loi sur l'immigration et de son règlement d'application.

[8]         Le 20 octobre 1999, un rapport a été présenté au sous-ministre responsable en vertu de la Loi par un agent d'immigration en vertu de l'alinéa 27(2)a) et du paragraphe 27(2.01) de la Loi; il y était déclaré que le défendeur était une personne se trouvant au Canada autrement qu titre de citoyen canadien ou de résident permanent qui, si elle demandait à entrer, ne serait pas ou ne pourrait pas entrer au Canada parce qu'elle appartient à une catégorie non admissible désignée à l'alinéa 19(1)j) de la Loi.

[9]         L'alinéa 19(1)j) de la Loi se lit comme suit :


19. (1) No person shall be granted admission who is a member of any of the following classes:

19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :

...

...


(j) persons who there are reasonable grounds to believe have committed an act or omission outside Canada that constituted a war crime or a crime against humanity within the meaning of subsection 7(3.76) of the Criminal Code and that, if it had been committed in Canada, would have constituted an offence against the laws of Canada in force at the time of the act or omission;


[10]       Le paragraphe 7(3.76) du Code criminel (le Code) se lit comme suit :



(3.76) For the purposes of this section,

"conventional international law" « droit international conventionnel »

"conventional international law" means

(a) any convention, treaty or other international agreement that is in force and to which Canada is a party, or

(b) any convention, treaty or other international agreement that is in force and the provisions of which Canada has agreed to accept and apply in an armed conflict in which it is involved;

"crime against humanity" « crime contre l'humanité »

"crime against humanity" means murder, extermination, enslavement, deportation, persecution or any other inhumane act or omission that is committed against any civilian population or any identifiable group of persons, whether or not it constitutes a contravention of the law in force at the time and in the place of its commission, and that, at that time and in that place, constitutes a contravention of customary international law or conventional international law or is criminal according to the general principles of law recognized by the community of nations;

"war crime" « crime de guerre »

"war crime" means an act or omission that is committed during an international armed conflict, whether or not it constitutes a contravention of the law in force at the time and in the place of its commission, and that, at that time and in that place, constitutes a contravention of the customary international law or conventional international law applicable in international armed conflicts.

(3.76) Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article.

« crime contre l'humanité » "crime against humanity"

« crime contre l'humanité » Assassinat, extermination, réduction en esclavage, déportation, persécution ou autre fait - acte ou omission - inhumain d'une part, commis contre une population civile ou un groupe identifiable de personnes - qu'il ait ou non constitué une transgression du droit en vigueur à l'époque et au lieu de la perpétration - et d'autre part, soit constituant, à l'époque et dans ce lieu, une transgression du droit international coutumier ou conventionnel, soit ayant un caractère criminel d'après les principes généraux de droit reconnus par l'ensemble des nations.

« crime de guerre » "war crime"

« crime de guerre » Fait - acte ou omission - commis au cours d'un conflit armé international - qu'il ait ou non constitué une transgression du droit en vigueur à l'époque et au lieu de la perpétration - et constituant, à l'époque et dans ce lieu, une transgression du droit international coutumier ou conventionnel applicable à de tels conflits.

« droit international conventionnel » "conventional international law"

« droit international conventionnel » Conventions, traités et autres ententes internationales en vigueur auxquels le Canada est partie, ou qu'il a accepté d'appliquer dans un conflit armé auquel il participe.



[11]       Conformément à l'alinéa 27(3)b) et au paragraphe 27(6) de la Loi, un agent principal a demandé à l'arbitre de mener une enquête au sujet de l'inadmissibilité du défendeur.

[12]       Au début de l'enquête, l'avocat du ministre a présenté une requête à l'arbitre pour que celui-ci statue que la décision que Monsieur le juge Pinard venait de rendre dans l'affaire Rony Danilo Figueroa c. le ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration (dossier du greffe IMM-1264-99, en date du 25 février 2000) réglait le premier volet du critère à deux volets prévu à l'alinéa 19(1)j). L'avocat du ministre a soutenu que, dans la décision qu'elle avait rendue en 1992, la section du statut de réfugié avait réglé la question de savoir si l'on pouvait penser, pour des motifs raisonnables, que le défendeur avait commis, à ltranger, un fait constituant un crime de guerre ou un crime contre l'humanité au sens du paragraphe 7(3.76) du Code et que l'arbitre ne pouvait donc pas recueillir d'autres éléments de preuve sur ce point. L'avocat du ministre a concédé devant l'arbitre que le ministre était tenu de présenter une preuve en vue de satisfaire au second volet de l'alinéa 19(1)j) de la Loi, à savoir que pareil fait aurait constitué, au Canada, une infraction au droit canadien en son état à lpoque de la perpétration.


[13]       Dans l'affaire Figueroa, supra, Monsieur le juge Pinard examinait une décision d'un agent d'immigration qui, en vertu du paragraphe 46.04(3) de la Loi, avait refusé le droit dtablissement aux demandeurs parce que l'un d'eux était une personne visée à l'alinéa 19(1)j) de la Loi. M. Figueroa avait été exclu en tant que réfugié au sens de la Convention par une décision que la section du statut de réfugié avait rendue en 1996 pour le motif qu'il existait des raisons sérieuses de considérer qu'il avait commis un crime contre l'humanité, une décision à lgard de laquelle M. Figueroa n'avait pas sollicité l'autorisation de demander le contrôle judiciaire devant cette cour.

[14]       Monsieur le juge Pinard estimait que l'alinéa 19(1)j) prévoyait un critère à double volet, tel qu'il en a ci-dessus été fait mention. Quant au premier volet, mon collègue a dit ce qui suit, au paragraphe 15 :

[15]          Je pense que conclure à l'exclusion d'un réfugié de la protection de la Convention en vertu de l'alinéa 1F(a) démontre que le premier volet du test prévu à l'alinéa 19(1)j) de la Loi a été rempli.

[15]       L'avocat du ministre m'a informé que la teneur des plaidoiries qu'il avait présentées devant l'arbitre au sujet de la décision qui est contestée par le ministre dans la demande sous-jacente d'autorisation et de contrôle judiciaire était (1) que la décision Figueroa liait l'arbitre; (2) que la question de savoir si l'on pouvait penser, pour des motifs raisonnables, que le défendeur avait commis un crime contre l'humanité était une chose jugée puisque la Cour d'appel fédérale avait refusé d'accorder l'autorisation au défendeur en 1992; et (3) qu'il était nécessaire de faire preuve de courtoisie ou de respect à l'égard de la décision rendue par la section du statut de réfugié en 1992.


C.         LA DÉCISION DE L'ARBITRE

[16]       Le 24 mai 2000, l'arbitre a rejeté la requête du ministre en prononçant des motifs écrits.

[17]       L'arbitre n'a pas reconnu que la décision Figueroa s'appliquait à l'enquête qu'il menait au sujet du défendeur. Premièrement, il a dit que la décision Figueroa allait à l'encontre de la décision rendue par Monsieur le juge Noël dans l'affaire Canada (MCI) c. Salinas-Mendoza (1994), 29 Imm.L.R. (2d) 295. L'arbitre a tiré de la décision Salinas-Mendoza, supra, les principes de l'indépendance de l'arbitre, de la nécessité pour l'arbitre de fonder toutes ses décisions strictement sur la preuve dont il disposait et de ne pas renoncer à cette responsabilité de quelque façon que ce soit.

[18]       Deuxièmement, l'arbitre a fait une distinction à l'égard de la décision Figueroa, supra, en se fondant sur le fait que, dans cette affaire-là, le décideur était un agent d'immigration qui était chargé de constater des faits et dont la décision se rapportait à l'octroi ou au refus du droit d'établissement, contrairement à l'enquête menée par l'arbitre, dans laquelle des questions de fait et de droit sont en cause et qui pourrait mener à la prise d'une mesure d'expulsion.

[19]       Après avoir mis l'accent sur l'importance de la preuve dans une enquête qui, disait-il, se rapporte souvent à des questions de crédibilité, l'arbitre a ajouté ce qui suit :

[TRADUCTION]


Si la personne concernée se voit refuser la possibilité, dans le cadre de cette enquête, de répondre à l'alinéa 19(1)j) de la Loi sur l'immigration, je suis placé, en ma qualité de décideur, dans la même situation que l'agent d'immigration en vertu du paragraphe 46.04(3). Je ne pourrais pas effectuer une appréciation indépendante de la preuve. Je serai probablement obligé de prendre une mesure d'expulsion en me fondant sur une décision de la section du statut de réfugié à laquelle je ne souscrirais peut-être pas. Procéder ainsi pourrait compromettre le droit reconnu à M. Varela par l'article 7 de la Charte, plus précisément le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne, et le droit de n'en être privé qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

[20]       L'arbitre a conclu par les remarques suivantes :

[TRADUCTION]

En conclusion, je me vois obligé de rejeter les arguments de l'avocat du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration. À mon avis, rendre une autre décision aurait pour effet de discréditer l'administration de la justice dans cette enquête. Je me demande en outre pourquoi le ministère de l'Immigration compromettrait sa position, à l'enquête de Jaime Carrasco Varela, par suite d'observations faites conformément à la décision Figueroa. Toutefois, malgré tout, la preuve peut être présentée de toute façon jugée appropriée. Si l'on croit que la décision de la section du statut de réfugié suffit pour que la même décision soit rendue au sujet du premier volet de l'alinéa 19(1)j) de la Loi, l'avocat du ministre peut décider de se fonder strictement sur la preuve documentaire dont nous disposons ici, laquelle a été fournie lors de la communication. D'autre part, j'autoriserai la présentation de tout élément de preuve se rapportant à l'alinéa 19(1)j), étant donné que la Loi m'oblige à le faire.

D.         ANALYSE

[21]       Les arguments que le ministre a invoqués à l'appui de l'injonction sollicitée comportaient deux éléments : en premier lieu, l'arbitre a eu tort en statuant que la décision Figueroa, supra, ne le liait pas, de sorte qu'il entreprendrait, relativement à la preuve, l'examen d'un aspect fondamental de l'enquête qui était inutile et, en second lieu, la décision de l'arbitre révélait que celui-ci avait préjugé l'affaire en faveur du défendeur, ce qui donnait lieu à une crainte raisonnable de partialité.


[22]       Les arguments invoqués par le défendeur en réponse mettaient l'accent sur le principe bien connu selon lequel il ne devrait pas y avoir contrôle judiciaire d'une décision interlocutoire rendue au sujet de la preuve par un tribunal constitué en vertu de la loi. Il a également soutenu qu'aucun préjudice irréparable n'avait été établi parce que l'enquête pouvait et devait avoir lieu et qu'eu égard aux circonstances, la prépondérance des inconvénients favorisait le défendeur.

a)          Caractère prématuréet question sérieuse

[23]       En règle générale, il est certain que la position que le défendeur a prise au sujet du caractère prématuré est conforme au principe établi, selon lequel les tribunaux n'effectuent que dans des circonstances spéciales le contrôle judiciaire d'une décision interlocutoire relative à la preuve qui est rendue dans le cours d'une enquête dûment autorisée.

[24]       Dans la décision récente qui a été rendue dans l'affaire Zündel c. Citron, [2000] A.C.F. 679, 18 mai 2000, le juge Sexton a réitéré cette thèse en y mettant l'accent.

[25]       Monsieur le juge Sexton a examiné les arrêts faisant autorité et a conclu, au nom de la Cour d'appel fédérale, qu'il ne convenait d'examiner une décision relative à la preuve rendue dans le cours d'une enquête menée par un tribunal que s'il existait des circonstances spéciales justifiant l'intervention immédiate de la Cour. Le juge a mentionné la question de la compétence comme étant une circonstance spéciale.


[26]       L'avocat du ministre a reconnu son obligation et a soutenu qu'il existait des circonstances spéciales justifiant l'intervention immédiate de la Cour, à savoir l'effet obligatoire qu'avait sur l'arbitre la décision rendue par cette cour dans l'affaire Figueroa, supra, conformément à une disposition légale selon laquelle il fallait suivre les décisions d'une cour supérieure (j'ajouterais que cela n'est pas différent de l'obligation qui incombe à la Section de première instance d'appliquer les décisions de la Cour d'appel fédérale ou, il va sans dire, de la Cour suprême du Canada).

[27]       Les arguments du ministre sont sensés. Il ressort de la décision que l'arbitre a rendue au sujet de la requête du ministre que la décision rendue par cette cour dans l'affaire Figueroa, supra, ne lui plaisait pas et qu'il a cherché à faire une distinction à son égard. Il a invoqué le principe de l'indépendance et le fait qu'il était tenu de recueillir la preuve avant de rendre une décision.

[28]       À première vue, la décision de l'arbitre soulève une question sérieuse. L'arbitre a-t-il eu raison de faire les distinctions qu'il a faites au sujet de l'applicabilité de la décision Figueroa, supra, et de dire en conséquence qu'il fallait que le ministre établisse le premier volet de l'alinéa 19(1)j) ou que le ministre était tenu dtablir ce volet en présentant une nouvelle preuve au sujet des faits?


[29]       Je suis convaincu que la nature de la décision de l'arbitre constitue une circonstance spéciale exigeant une intervention immédiate de cette cour. La décision de l'arbitre ne peut tout simplement pas être considérée comme l'une des nombreuses décisions relatives à la preuve qui sont rendues dans le cours de l'enquête menée par un tribunal. Cette décision se rapportait plutôt à un aspect fondamental de l'enquête : quelle preuve peut-on ou doit-on recueillir, le cas échéant, à lgard du premier volet de l'alinéa 19(1)j) de la Loi? En déterminant la structure ou le cadre d'un élément important de l'enquête sur le plan de la preuve, la décision de l'arbitre réglait une question fondamentale soulevée devant lui (voir Ministre du Revenu national c. Succession Schnurer (1997), 208 N.R. 339 (C.A.F.)).

[30]       La décision de l'arbitre, si elle est considérée sous cet angle, se rapportait à la compétence étant donné qu'elle déterminait l'essence et la portée de l'enquête.

[31]       Cela étant, je n'ai pas à statuer sur le second motif invoqué par le ministre au sujet de la crainte raisonnable de partialité découlant de la conduite et de la décision de l'arbitre.

b)         Le préjudice irréparable


[32]       Dans l'arrêt RJR-MacDonald Inc. c. le procureur général du Canada et autres [1994] 1 R.C.S. 311, les juges Sopinka et Cory ont examiné, au nom de la Cour, les principes qui s'appliquent à l'octroi d'une injonction interlocutoire ou d'un sursis ou au refus d'accorder pareille ordonnance ou pareil sursis dans un cas où la constitutionnalité de la Loi réglementant les produits du tabac et son règlement d'application étaient en cause.

[33]       En ce qui concerne le préjudice irréparable, les sociétés en question ont soutenu qu'elles seraient obligées d'engager des frais irrécouvrables si elles devaient modifier leur emballage avant que la Cour rende sa décision.

[34]       La Cour suprême a établi les principes suivants au sujet de la question du préjudice irréparable :

a)          à ce stade, la seule question est de savoir si le refus d'accorder une réparation peut être si défavorable à l'intérêt des demanderesses que le préjudice ne pourrait pas faire l'objet d'une réparation en cas de divergence entre la décision sur le fond et l'issue de la demande interlocutoire (p. 341);

b)          le terme « irréparable » a trait à la nature du préjudice subi plutôt qu son étendue. C'est un préjudice qui ne peut être quantifié sur le plan financier ou auquel il ne peut être remédié (p. 341);

c)          le préjudice qu'un défendeur peut subir devrait être analysé à ltape de l'analyse de la prépondérance des inconvénients et le préjudice causé à l'intérêt public devrait être examiné à cette étape (p. 341).


[35]       À la page 350, la Cour suprême du Canada a conclu qu'eu égard aux circonstances, les frais d'emballage que le nouveau règlement imposerait constitueraient un préjudice irréparable pour les demanderesses parce qu'il serait difficile dtablir la responsabilitéconstitutionnelle et d'obtenir une réparation financière.

[36]       Le préjudice identifié par le ministre dans ce cas-ci se rapporte au préjudice futur qui serait probablement subi si l'injonction ntait pas accordée. L'avocat soutient que le ministre se verra obligé de revoir les conclusions d'exclusion tirées par la section du statut de réfugié. En d'autres termes, le ministre se verra obligé de procéder à une nouvelle audience au sujet de la question de l'exclusion.

[37]       L'avocat du ministre a également soutenu que l'affaire dont je suis saisi n'est pas unique en son genre étant donné qu'il y a trois affaires similaires portant sur l'applicabilité de la décision Figueroa, supra, qui doivent être bientôt soumises à un arbitre.

[38]       Je suis convaincu que l'avocat du ministre a démontré l'existence d'un préjudice irréparable, c'est-à -dire d'un préjudice auquel il est impossible de remédier si l'injonction est refusée et si le contrôle judiciaire porte fruit. Comme il en a été fait mention, la décision de l'arbitre est essentielle à la façon dont celui-ci entend mener l'enquête et informe les parties de ce qui, selon l'arbitre, constitue la preuve nécessaire. L'arbitre n'estime pas être lié par la décision que cette cour a rendue dans l'affaire Figueroa, supra.


[39]       Si l'arbitre a tort, l'enquête n'aura abouti à rien parce qu'elle aurait été fondée sur un principe fondamentalement erroné - la nécessité de présenter une nouvelle preuve au sujet de l'exclusion.

[40]       Dans l'arrêt Alliance évangélique du Canada c. Agence canadienne des droits de reproduction musicaux, [2000] 1 C.F. 586, le juge Rothstein a statué que la demanderesse en cause avait établi l'existence d'un préjudice irréparable du fait qu'elle devait engager des frais peut-être inutiles et irrécouvrables dans des procédures engagées devant la Commission du droit d'auteur. Cet élément est présent en l'espèce, mais compte tenu des circonstances, cela ne suffit peut-être pas en soi pour l'emporter sur l'intérêt public.

c)          La prépondérance des inconvénients

[41]       Il s'agit ici de savoir laquelle des deux parties subira le préjudice le plus grave par suite de l'octroi d'une injonction interlocutoire ou du refus d'accorder pareille injonction.

[42]       Indépendamment de la question de l'intérêt public, le ministre subirait à coup sûr le préjudice le plus grave si l'injonction était refusée puisque ce préjudice serait irréparable. Par contre, le défendeur bénéficie d'une injonction à l'encontre de l'arbitre. Il ne risque pas dtre expulsé, mais l'enquête est retardée. Si l'arbitre a tort, le défendeur aura évité des frais irrécouvrables.


[43]       Quant à la question de l'intérêt public, j'estime qu'il favorise le ministre en l'espèce. Bien sûr, c'est dans l'intérêt public qu'il ne faudrait empêcher la tenue d'une enquête dûment autorisée que dans les cas particulièrement clairs.

[44]       Je suis convaincu que tel est ici le cas. Premièrement, la décision que l'arbitre a prise de ne pas suivre la décision Figueroa, supra, qui semble pertinente, influe sur le système judiciaire et sur son bon fonctionnement en ce qui concerne les décisions obligatoires. Deuxièmement, la décision de l'arbitre se rapporte à la preuve même que le ministre doit présenter. Dans ce cas-ci, l'intérêt public ne tire aucun avantage de ce qui pourrait être une procédure nulle. Troisièmement, la question de l'application appropriée de la Convention et du rapport existant entre la Convention et le droit interne sont des questions essentielles à la réputation internationale du Canada. (Voir Canada (MCI) c. Tobiass [1997] 3 R.C.S. 391, à la p. 435).

[45]       Pour ces motifs, il est enjoint à l'arbitre de ne pas poursuivre l'enquête tant que la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire sous-jacente n'aura pas été réglée d'une façon définitive.


d)         La demande d'autorisation

[46]       Le défendeur a consenti à ce que l'autorisation soit accordée si je devais conclure que la présente demande d'injonction soulève une question sérieuse. Telle est ma conclusion et l'autorisation sera accordée une fois que les parties auront soumis un projet de calendrier comme les avocats ont dit qu'ils le feraient.

             « François Lemieux »          

JUGE

OTTAWA (ONTARIO),

LE 5 JUILLET 2000.

Traduction certifiée conforme

Martine Brunet, LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU DOSSIER :                            IMM-2807-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION et JAMIE CARRASCO VARELA

LIEU DE L'AUDIENCE :                   TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE 14 JUIN 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge Lemieux en date du 5 juillet 2000

ONT COMPARU :

D. MACINTOSH ET T. HOFFMAN              POUR LE DEMANDEUR

M. CRANE                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg                                                      POUR LE DEMANDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

M. CRANE, TORONTO                                             POUR LE DÉFENDEUR

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.