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Date : 20010423

Dossier : IMM-2893-00

Référence neutre : 2001 CFPI 374

ENTRE :

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                           ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                                                                      ZU HUANG LI

                                                                                                                                                      défendeur

ET ENTRE :

                                                                                                                             Dossier : IMM-2894-00

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                           ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                                                               YONG MING ZHANG

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE SIMPSON


[1]         Il s'agit de demandes de contrôle judiciaire présentées par la Couronne en vertu de l'art. 82.1(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi) à l'encontre d'une décision par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a statué, en date du 20 avril 2000, que les défendeurs Zu Huang Li (Li) et Yong Ming Zhang (Zhang) étaient des réfugiés au sens de la Convention (la décision).

[2]         Les questions de droit en litige sont identiques et les faits sont semblables dans les deux demandes. La Commission a entendu les causes des défendeurs en même temps et la décision vise les deux revendications du statut de réfugié. Pour ces motifs, et parce que les défendeurs ont retenu les services du même avocat, les deux demandes de contrôle judiciaire ont été entendues ensemble.

Les faits

[3]         Les défendeurs sont citoyens de la République populaire de Chine (la Chine). Ils font partie des nombreux Chinois originaires de la province de Fujian qui se sont embarqués sur des bateaux délabrés vers les côtes de la Colombie-Britannique à l'été 1999.

[4]         Le bateau des défendeurs a quitté le Fujian le 12 juin 1999 et est arrivé en Colombie-Britannique le 13 août 1999. Comme ils étaient mineurs à l'arrivée de leur bateau, les défendeurs ont été placés sous la garde du Directeur des services à l'enfance et à la famille de la province pendant l'étude de leurs revendications du statut de réfugié. Au moment de la décision du 20 avril 2000, Zhang avait 15 ans et Li avait 17 ans. Par coïncidence, les deux jeunes hommes ont la même date d'anniversaire. Le 21 octobre 2000, Zhang a eu 16 ans et Li 18.

[5]         Les revendications du statut de réfugié des défendeurs ont été entendues ensemble avec celles de 22 autres mineurs arrivés par bateau du Fujian. Un [Traduction] « Exposé des faits non contestés » a été déposé devant la Commission. Il faisait état des éléments suivants :

-            tous les demandeurs étaient âgés de moins de 18 ans

-            ils étaient tous citoyens de la Chine

-            ils venaient tous de la province du Fujian

-            ils avaient tous quitté la Chine clandestinement

-            ils étaient tous arrivés en C.-B. par bateau en août 1999

-            aucun des demandeurs n'était accompagné d'un adulte membre de sa famille ni d'un tuteur légal

-            tous les demandeurs, s'ils étaient renvoyés en Chine, encourraient des amendes et l'emprisonnement pour être sortis de Chine illégalement

-            tous les demandeurs craignaient d'être emprisonnés et battus par les autorités chinoises s'ils étaient renvoyés

-            tous les demandeurs craignaient d'être incarcérés pour une période prolongée et indéfinie parce que leur famille ne serait pas en mesure de payer les amendes nécessaires pour les faire libérer

[6]         La Commission a entendu les 24 revendications du statut de réfugié pendant une période de six jours en novembre et décembre 1999, et en avril 2000. La Commission n'a accueilli que les revendications des défendeurs. Contrairement aux autres demandeurs mineurs, qui ont dit être d'accord avec la décision de leurs parents de les envoyer au Canada, les deux défendeurs ont dit dans leur témoignage avoir été envoyés ici contre leur gré.

La décision

[7]         Voici les termes dans lesquels la Commission a fait allusion, une seule fois, à l'appartenance des défendeurs à un groupe social :

Au soutien de votre revendication, vous alléguez éprouver une crainte fondée de persécution du fait de votre appartenance à un groupe social particulier, savoir les enfants mineurs qu'on fait sortir de la Chine pour les tenir en servitude et qui craignent d'être incarcérés à leur retour pour avoir illégalement quitté le pays.

[8]         La Commission a conclu que les parents des défendeurs étaient les agents de persécution parce qu'ils ont placé leurs fils contre leur gré dans une situation où ils éprouveraient des difficultés systémiques. La Commission a aussi reconnu que la définition d'un réfugié au sens de la Convention est axée sur l'avenir et qu'elle doit conclure qu'il existe plus qu'une « simple possibilité » que les défendeurs soient persécutés s'ils retournent en Chine. La Commission a conclu qu'elle ne pouvait « avoir l'assurance que vous ne serez pas soumis à des mesures coercitives de la part de votre famille » et que les défendeurs ne seraient pas envoyés à nouveau sur un autre bateau.

[9]         La Commission a par ailleurs conclu que les défendeurs ne pouvaient pas obtenir la protection de l'État, parce que selon la loi en Chine bon nombre des sanctions infligées aux mineurs relèvent de l'unité familiale. De plus, il ressortait de la preuve documentaire que beaucoup de représentants de l'État et d'autorités gouvernementales participent au trafic de personnes en Chine et dans la province du Fujian. Par conséquent, la Commission a conclu qu'il n'était pas garanti que les défendeurs pourraient obtenir la protection de l'État, plus particulièrement dans la province du Fujian.

[10]       La Commission a aussi rejeté la possibilité d'un refuge intérieur (PRI) parce que les défendeurs seraient remis aux autorités chinoises s'ils étaient renvoyés, puis libérés et placés sous la garde de leurs familles sur paiement d'une amende. La Commission a fait remarquer que les défendeurs auraient ainsi peu de chance de s'installer ailleurs.

Les questions en litige

La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que les défendeurs appartenaient à un groupe social particulier, « savoir les enfants mineurs qu'on fait sortir de la Chine pour les tenir en servitude et qui craignent d'être incarcérés à leur retour pour avoir illégalement quitté le pays » ?

[11]       La Couronne n'a pas contesté le principe voulant que les enfants constituent un groupe social particulier. Toutefois, la Couronne affirme que la Commission a commis une erreur en définissant le groupe social en fonction de la persécution que subiraient les défendeurs.

[12]       L'arrêt de principe sur ce qu'on entend par un groupe social particulier est l'arrêt Canada (P. G.) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689. À la page 739, la Cour suprême du Canada a décrit les trois catégories suivantes de groupes sociaux :

a.              les groupes définis par une caractéristique innée ou immuable(comme le sexe, les antécédents linguistiques et l'orientation sexuelle);

b.              les groupes dont les membres s'associent volontairement pour des raisons si essentielles à leur dignité humaine qu'ils ne devraient pas être contraints à renoncer à cette association(comme les défenseurs des droits de la personne); et

c.              les groupes associés par un ancien statut volontaire immuable en raison de sa permanence historique(en ce sens que le passé d'une personne constitue une partie immuable de sa vie)


[13]       Aucune de ces catégories ne correspond à un groupe social caractérisé ou défini par la persécution subie par ses membres. En fait, dans l'arrêt Ward, à la page 729, la Cour suprême a indiqué que les groupes sociaux ne doivent pas être identifiés comme regroupant les victimes de persécution.

[14]       La Couronne soutient que le groupe social identifié par la Commission enfreint cette règle et affirme que l'exigence que les groupes sociaux soient définis sans égard à la persécution subie est nécessaire pour éviter les situations dans lesquelles le simple fait d'appartenir à un groupe social, plutôt qu'une crainte bien fondée d'être persécuté, emporterait la reconnaissance du statut de réfugié.

[15]       Peu de temps après l'arrêt Ward rendu par la Cour suprême du Canada, la Cour d'appel fédérale a examiné, dans l'affaire Chan c. Canada (M.E.I.), [1993] A.C.F. no. 742 QL[1], un groupe social défini par la persécution dont ses membres étaient victimes; elle a écrit, au paragraphe 22 :


Ce qui précède me conduit à formuler une objection fondamentale à ce que le groupe de parents avec plus d'un enfant qui sont confrontés à la stérilisation forcée soit considéré comme un « groupe social » . À mon avis, ce groupe n'est défini que par le fait que ses membres font face à une forme particulière de persécution_ Autrement dit, l'appartenance à un groupe social est déterminée par l'existence de persécution. Une telle logique renverse complètement la définition légale en cause du statut de réfugié au sens de la Convention (selon laquelle la persécution doit être fondée sur l'un des motifs énumérés et non pas inversement) et prive les motifs énumérés de tout contenu. La logique s'oppose également au rejet dans l'arrêt Ward, précité, de groupes définis « du seul fait de leur victimisation commune en tant qu'objets de persécution » (à la page 729) ...

[16]       L'avocat des défendeurs n'a pas rejeté l'hypothèse selon laquelle un groupe social ne peut être défini en fonction de la victimisation commune de ses membres. Il a plutôt soutenu que le demandeur interprétait mal la décision et que la Commission, lorsqu'elle a fait allusion au groupe social dans les termes énoncés au paragraphe 7 qui précède, décrivait la revendication des défendeurs dans sa totalité et ne définissait pas le groupe social pertinent. De plus, l'avocat a souligné que le groupe social proposé par les défendeurs dans l'exposé écrit fait par leur avocat des prétentions qu'ils ont fait valoir de vive voix devant la Commission était constitué des [Traduction] « demandeurs mineurs non accompagnés en provenance de Chine » . L'avocat a précisé que la question du groupe social approprié n'avait pas été débattue devant la Commission et qu'il n'existait, par conséquent, aucun motif de croire que la Commission avait rejeté la définition proposée par les défendeurs.

[17]       Tout compte fait, les prétentions des défendeurs ne me convainquent pas. Il semble ressortir clairement des termes utilisés par la Commission qu'elle a choisi de définir le groupe social pertinent autrement que le proposait l'avocat des défendeurs. De plus, compte tenu des décisions Ward et Chan, je suis convaincue que la Commission a commis une erreur et que le groupe social n'a pas été défini convenablement. Pour cette raison, l'affaire sera renvoyée pour être tranchée à nouveau par une formation différente de la Commission.


Autres questions en litige

[18]       La Couronne a aussi suggéré que la Commission n'avait pas procédé à une analyse suffisamment approfondie de la possibilité d'obtenir la protection de l'État et de la possibilité de refuge intérieur, et que les défendeurs craignaient d'être persécutés par l'État et non par leurs parents. Toutefois, compte tenu de ma conclusion sur le groupe social, je ne suis pas tenue de trancher ces questions.


[19]      En terminant, je tiens à faire remarquer que, compte tenu du fait que les défendeurs ont presque dix-huit ans, et que la définition d'un réfugié au sens de la Convention est axée sur l'avenir, il me semble que l'évaluation des revendications du statut de réfugié des défendeurs ainsi que des questions de la protection de l'État et d'une possibilité de refuge intérieur doit être effectuée en tenant compte de l'incidence de leur âge, le cas échéant, à leur retour éventuel en Chine. Il se peut que la loi traite les défendeurs comme des adultes indépendants de leurs parents au moment de leur retour ou peu après. Dans ce cas, ils pourraient être en mesure d'ignorer leurs parents et de vivre et travailler dans une autre partie de la Chine. D'un autre côté, il se peut que les Chinois n'échappent jamais au contrôle de leurs parents. Quelle que soit la situation, je pense que la Commission aura besoin de renseignements sur l'existence et la signification de l'âge de la majorité en Chine pour trancher correctement la revendication des défendeurs.

      (Signature) « Sandra J. Simpson »    

Juge

Vancouver C.-B.

le 23 avril 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

INTITULÉ DE LA CAUSE :                          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

- et -

ZU HUANG LI

DOSSIER :                                                         IMM-2893-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

- et -

YONG MING ZHANG

DOSSIER :                                                         IMM-2894-00

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                              le 12 avril 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :      MADAME LE JUGE SIMPSON

DATE DES MOTIFS :                                     le 23 avril 2001

ONT COMPARU :

Me Sandra Weafer                                                          pour le demandeur

Me Joshua B. Sohn                                                         pour les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg                                                          pour le demandeur

Sous-procureur général du Canada

Larson Boulton Sohn Stockholder                               pour les défendeurs

Vancouver (C.-B.)



     [1]       La Cour suprême du Canada a rejeté un pourvoi formé à l'encontre de cette décision.

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