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Date : 20010207

Dossier : IMM-3244-99

Citation neutre : 2001 CFPI 37

Ottawa (Ontario), le mercredi 7 février 2001

EN PRÉSENCE DE :      Mme le juge Dawson

ENTRE :

                                           XI SEN LUO

                                                                                           demandeur

                                                     et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                             défendeur

                 MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT

LE JUGE DAWSON

[1]    M. Luo est un citoyen de la République populaire de Chine, âgé de 45 ans. Il a fait une demande de résidence permanente au Canada en mars 1998, dans la catégorie des investisseurs. Il demande le contrôle judiciaire de la décision de Gregory Chubak, alors vice-consul au Consulat général du Canada à Hong Kong (l'agent des visas), datée du 27 mai 1999, qui rejetait la demande de résidence permanente au Canada de M. Luo.


LES FAITS

[2]    M. Luo est l'un des fondateurs du Yongfeng Knitting Mill de Daijang (l'entreprise), une manufacture de textiles mise sur pied en Chine en 1985. Il est propriétaire à parts égales avec deux autres actionnaires. La documentation présentée à l'appui de sa demande de résidence permanente, qui comprend un rapport d'évaluation du rendement de l'entreprise préparé par KPMG Peat Marwick Huazhen, porte que M. Luo est responsable de l'opération des machines, des ouvriers et de la production, un deuxième actionnaire étant le conseiller juridique et le gérant général de l'entreprise alors que le troisième actionnaire a la responsabilité des ventes. La description des responsabilités principales de M. Luo fait ressortir qu'il était chargé de l'opération et de l'entretien des machines, de la gestion des ouvriers sur la chaîne de production et de la gestion du personnel, ainsi que de la gestion de la production en général. Sa responsabilité principale consistait à assurer la qualité du produit fini.

[3]    L'agent des visas a reçu M. Luo en entrevue le 27 mai 1999. À cette occasion, les fonctions, responsabilités et participation de M. Luo dans l'entreprise ont fait l'objet d'une discussion. Les notes STIDI, qui sont appuyées par l'affidavit de l'agent des visas, sont rédigées comme suit :

[traduction]


L'IP A LE TITRE DE GÉRANT DE LA PRODUCTION ET IL EXERCE CETTE FONCTION. L'IP PEUT DISCUTER SANS PROBLÈME DE QUESTIONS DE PRODUCTION, Y COMPRIS À QUELLE DATE LES NOUVELLES MACHINES À TRICOTER ONT ÉTÉ ACHETÉES ET INSTALLÉES. L'IP A EXPLIQUÉ QU'IL ÉTAIT RESPONSABLE DE L'ENTRETIEN ET DE LA RÉPARATION DES MACHINES, DU REMPLACEMENT DES AIGUILLES, DU RESPECT DES DÉLAIS DE PRODUCTION, DE LA SUPERVISION DU PERSONNEL DE PRODUCTION, AINSI QUE DU CONTRÔLE DE LA QUALITÉ DU PRODUIT FINI. ... L'IP A EXPLIQUÉ QUE LE GÉRANT GÉNÉRAL ÉTAIT RESPONSABLE DU CONTRÔLE GLOBAL DE LA PRODUCTION, DES VENTES, DES CONTRATS ET DES QUESTIONS FINANCIÈRES. EN VERTU DE R.2.1, CE GÉRANT GÉNÉRAL PEUT ÊTRE CONSIDÉRÉ EXPLOITER, CONTRÔLER OU DIRIGER L'ENTREPRISE. LE TROISIÈME PARTENAIRE, COUSIN DE SON ÉPOUSE, N'EST RESPONSABLE QUE DU MARKETING ET DES ACHATS. À LA QUESTION PORTANT SUR LA RÉPARTITION DES FONCTIONS DE GESTION, L'IP A RÉITÉRÉ LE FAIT QU'IL ÉTAIT RESPONSABLE DES SECTEURS SUSMENTIONNÉS, SAVOIR LES QUESTIONS DE PRODUCTION, ET QUE C'EST UN AUTRE PARTENAIRE QUI S'OCCUPAIT DU MARKETING, ALORS QUE LE GÉRANT GÉNÉRAL CONTRÔLAIT TOUTES LES QUESTIONS OPÉRATIONNELLES ET FINANCIÈRES, ET TRAITAIT AVEC LES AGENCES EXTÉRIEURES (ORGANISMES FISCAUX, ETC.).

[4]                Bien que M. Luo ait satisfait à tous les critères financiers pour l'immigration en tant qu'investisseur, l'agent des visas n'était pas convaincu qu'il avait « exploité, contrôlé ou dirigé avec succès une entreprise » . Il a donc rejeté la demande de résidence permanente de M. Luo.

[5]                Voici l'extrait pertinent de la lettre de rejet de l'agent des visas :

[traduction]

L'investisseur est ainsi défini dans le Règlement sur l'immigration de 1978 :

« investisseur » immigrant qui satisfait aux critères suivants :

a) il a exploité, contrôlé ou dirigé avec succès une entreprise;

[...]

J'ai conclu que vous ne répondez pas à cette définition. Je ne suis pas convaincu que vous avez exploité, contrôlé ou dirigé une entreprise, comme l'exige la définition de l'investisseur. Plus particulièrement, je ne suis pas convaincu que dans votre rôle de gérant de la production pour le Yongfeng Knitting Mill de Dajiang, vos responsabilités correspondent à l'exploitation, le contrôle ou la direction d'une entreprise. Des fonctions essentielles à l'exploitation de l'entreprise, comme la gestion financière, les questions fiscales et les questions liées à l'exploitation générale de l'entreprise ne sont pas placées sous votre autorité, mais bien sous celles du gérant général. Bien que vous soyez l'un des trois actionnaires minoritaires à parts égales, vos responsabilités en tant que gérant de la production ne portent que sur la gestion de la production et elles sont de nature subalterne. Par conséquent, je ne suis pas convaincu que votre poste de gérant général et de premier représentant correspond à la responsabilité pour l'exploitation, le contrôle ou la direction d'une entreprise. J'ai donc conclu que vous ne répondez pas aux critères de la définition d'investisseur que l'on trouve au Règlement sur l'immigration de 1978.


LES QUESTIONS EN LITIGE

[6]                La seule question qui a été maintenue lors des plaidoiries consiste à savoir si l'agent des visas a commis une erreur de droit en interprétant de façon incorrecte la définition d'un investisseur.

ANALYSE

[7]                La définition d'un investisseur a déjà fait l'objet d'un examen par notre Cour. Dans Cheng c. Canada (Secrétaire d'État) (1994), 83 F.T.R. 259 (C.F. 1re Inst.), le juge Cullen a conclu, au paragraphe 8, que si un requérant était « en charge de l'exploitation d'une partie intégrante, rentable, de l'entreprise, il aurait dû satisfaire aux critères d'admissibilité, en l'absence d'autres facteurs » . Le juge Cullen a expressément déclaré que la définition ne portait pas qu'un requérant devait exploiter une entreprise ou un commerce lui appartenant en exclusivité. Dans Tsai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 136 F.T.R. 36 (C.F. 1re Inst.), le juge Pinard, saisi d'une décision de Gregory Chubak, a indiqué au paragraphe 6 qu'il n'existe « aucune exigence portant qu'un requérant appartenant à cette catégorie doit avoir exercé un pouvoir décisionnel exclusif ou définitif au sein d'une personne morale » .


[8]                Selon moi, l'agent des visas a commis une erreur ouvrant droit au contrôle en rejetant la demande de M. Luo pour les motifs énoncés dans sa lettre de rejet. L'agent des visas n'a pas présenté de motifs convaincants pour conclure que les responsabilités de M. Luo ne correspondaient pas à avoir la charge d'une partie intégrante et rentable de l'entreprise. L'agent des visas a commis une autre erreur en exigeant que M. Luo ait eu des responsabilités liées à la gestion financière ou aux questions fiscales intéressant l'entreprise. Le Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, ne fait pas état d'une telle exigence, non plus que la jurisprudence.

[9]                Dans son excellente plaidoirie, l'avocat du ministre a soutenu que l'agent des visas pouvait faire peu de cas des responsabilités de M. Luo étant donné qu'il y avait aussi un gérant général qui contrôlait l'opération de toute l'entreprise. Toutefois, comme l'avocat de M. Luo l'a aussi fait remarquer, à bon droit, il n'est pas nécessaire que le demandeur ait exercé un pouvoir décisionnel exclusif ou définitif au sein de la société (voir : Tsai, précité). De plus, ce fait ne semble pas avoir joué dans la décision de l'agent des visas. L'agent des visas semble avoir accepté que M. Luo contrôlait la gestion de la production, mais il a conclu que ce contrôle ne suffisait pas et qu'il était soumis à celui du gérant général. Ce dernier était responsable de la gestion financière, des questions fiscales et de l'exploitation de l'entreprise en général.

[10]            Pour ces motifs, j'ai conclu que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie selon les conditions énoncées dans le jugement. Aucune des parties n'a présenté de question à certifier et il n'y en aura donc pas de certifiée.


                                           JUGEMENT

[11]            IL EST ORDONNÉ QUE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision de l'agent des visas Gregory Chubak, datée du 27 mai 1999, est annulée, sans dépens.

2.          La question est renvoyée au bureau des visas pour nouvel examen par un agent des visas différent, en conformité des principes exposés par notre Cour dans Cheng c. Canada (Secrétaire d'État) (1994), 83 F.T.R. 259 (C.F. 1re Inst.) et Tsai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 136 F.T.R. 36 (C.F. 1re Inst.).

3.          Ce nouvel examen doit être terminé dans les 180 jours de la date de ce jugement, à condition que le demandeur respecte les délais qui lui sont fixés dans toute demande de documents et de renseignements, ou dans toute convocation à une entrevue, et sous réserve que les vérifications statutaires soient terminées.

Eleanor R. Dawson

                                                                                                     Juge                          

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                              IMM-3244-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :             Xi Sen Luo c. Le ministre

de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 31 janvier 2001

MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT DE Mme LE JUGE DAWSON

EN DATE DU :                                   7 février 2001

ONT COMPARU

M. Cecil Rotenberg                                                       POUR LE DEMANDEUR

M. Stephen H. Gold                                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

M. Cecil Rotenberg                                                       POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                       POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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