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Date : 20040531

Dossier : T-698-04

Référence : 2004 CF 788

Ottawa (Ontario), le 31 mai 2004

Présente :      Madame le juge Danièle Tremblay-Lamer

ENTRE :

                                                           LÉOPOLD DELISLE

                                                                                                                                      Demandeur

                                                                            et

                                       LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                            et

                                    MINISTÈRE DE LA SANTÉ(SANTÉCANADA)

                                                                            et

                                        DIRECTEUR GÉNÉRAL DIRECTION DES

                               PRODUITS THÉRAPEUTIQUES (SANTÉCANADA)

                                                                                                                                      Défendeurs

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Il s'agit d'une requête visant l'obtention d'une ordonnance interlocutoire ordonnant aux défendeurs de faire droit aux demandes d'accès spécial ( « demande d'accès » ) au médicament 714-X formulées par des médecins, sans autres exigences et conditions, et ce dans les 24 heures de la réception de ces demandes d'accès, que les patients visés aient déjà bénéficié ou non d'une telle autorisation dans le passé. De plus, le demandeur demande à la Cour que les défendeurs avisent par courrier les médecins ayant prescrit ou ayant sollicité une autorisation pour l'utilisation du 714-X de la possibilité d'obtenir ce produit sur demande au Programme d'accès spécial ( « PAS » ).

[2]                Le défendeur Santé Canada a mis sur pied le PAS afin de permettre aux médecins et aux patients d'avoir recours à des médicaments non approuvés au Canada pour le traitement de maladies graves ou qui mettent en danger la vie du patient lorsque les traitements conventionnels échouent ou ne sont pas appropriés.

[3]                Le médicament 714-X est accessible par le biais du PAS ou de son prédécesseur, le Programme des médicaments d'urgence, depuis 1989. Entre le 18 décembre 1989 et le 23 mars 2004, 1 499 médecins canadiens ont reçu 10 981 autorisations d'accès pour l'usage du 714-X, bénéficiant ainsi à 4 051 patients canadiens.

[4]                En 1989, le demandeur fut diagnostiqué porteur d'une maladie du système immunitaire nommée mastocytose, une maladie rare pour laquelle il n'existe encore aucun médicament.

[5]                Celui-ci a commencé un traitement avec le 714-X le 23 juillet 1997. Il poursuit ce traitement jusqu'à ce jour. Il n'a observé aucun effet secondaire et note une amélioration dans sa condition physique.

[6]                Depuis la dernière année, il appert que les défendeurs refusent des demandes d'accès au 714-X et qu'il y ait des délais anormaux et injustifiés dans le traitement de ces demandes. De plus, les défendeurs requièrent maintenant que les médecins faisant des demandes d'accès fournissent des preuves crédibles quant à l'efficacité et l'innocuité du 714-X.

[7]                Le 29 janvier 2004, le demandeur déposait un recours collectif dont les conclusions visent à la fois la révision de décisions relatives à des demandes d'accès et le paiement de dommages-intérêts. Suite au dépôt de ce recours, les parties se sont entendues pour surseoir aux procédures du recours collectif afin de décider d'abord du volet concernant la révision des décisions des défendeurs, et ce par le biais d'une demande de contrôle judiciaire déposée le 2 avril 2004.

[8]                La présente requête, déposée le 7 avril 2004, vise l'obtention d'une ordonnance interlocutoire donnant accès au médicament 714-X pour le demandeur et les patients qui attendent une réponse suite à leurs demandes d'accès, et ce jusqu'à la fin des procédures.

[9]                Prenant pour acquis, sans toutefois décider de la question, que le demandeur a l'intérêt requis pour agir dans le présent dossier, je suis d'avis que le redressement recherché ne peut être accordé.

[10]            Comme je l'ai indiqué ci-haut, la drogue 714-X est une « drogue nouvelle » au sens du Règlement des aliments et drogues, C.R.C., ch. 870 (le « Règlement » ) dont la vente n'est pas approuvée au Canada. Toutefois, dans le cadre du PAS, le Directeur général de la Direction des produits thérapeutiques ( « le directeur général » ) peut fournir une lettre d'autorisation permettant la vente d'une certaine quantité de la drogue selon certaines conditions au praticien nommé dans la lettre.

[11]            Le directeur général exerce son pouvoir discrétionnaire conformément à l'article 8.010 du Règlement, lequel se lit comme suit :



Vente d'une drogue nouvelle pour un traitement d'urgence

C.08.010. (1) Le Directeur général peut fournir une lettre d'autorisation permettant la vente d'une certaine quantité d'une drogue nouvelle d'usage humaine ou vétérinaire à un praticien nommé dans la lettre d'autorisation pour le traitement d'urgence d'un malade traité par ledit praticien, si

a) le praticien a fourni au Directeur général des renseignements concernant

                                (i) l'état pathologique urgent pour lequel la drogue est requise,

                                (ii) les données que possède le praticien à propos de l'usage, de l'innocuité et de l'efficacité de ladite drogue,                      (iii) le nom de tous les établissements où la drogue doit être utilisée, et

                                (iv) les autres renseignements que le Directeur général pourrait lui demander; et

                b) le praticien a consenti à

                                (i) faire part au fabricant de la drogue nouvelle et au Directeur général des résultats de l'usage de la drogue au cours de l'urgence, y compris les renseignements se rapportant à toute réaction défavorable qu'il aura observée, et

                                (ii) rendre compte au Directeur général, sur demande, de toutes les quantités de la drogue qu'il aura reçues.

                (2) Le Directeur général doit, dans toute lettre d'autorisation fournie conformément au paragraphe (1), spécifier

                a) le nom du praticien auquel la drogue nouvelle peut être vendue;

                b) l'état pathologique urgent pour lequel la drogue nouvelle peut être vendue; et

                c) la quantité de la drogue nouvelle qui peut être vendue audit praticien pour ledit cas urgent.

Sale of New Drug for Emergency Treatment

C.08.010. (1) The Director may issue a letter of authorization authorizing the sale of a quantity of a new drug for human or veterinary use to a practitioner named in the letter of authorization for use in the emergency treatment of a patient under the care of that practitioner, if

(a) the practitioner has supplied to the Director information concerning

                                (i) the medical emergency for which the drug is required,

                (ii) the data in the possession of the practitioner with respect to the use, safety and efficacy of that drug,

                (iii) the names of all institutions in which the drug is to be used, and

                (iv) such other data as the Director may require; and

(b) the practitioner has agreed to

                                (i) report to the manufacturer of the new drug and to the Director on the results of the use of the drug in the medical emergency, including information respecting any adverse reactions encountered, and

                (ii) account to the Director on request for all quantities of the drug received by him.

(2) The Director shall, in any letter of authorization issued pursuant to subsection (1), state

(a) the name of the practitioner to whom the new drug may be sold;

(b) the medical emergency in respect of which the new drug may be sold; and

(c) the quantity of the new drug that may be sold to that practitioner for that emergency.



[12]            Ainsi, l'article 8.010 du Règlement crée un pouvoir discrétionnaire, et non l'obligation d'émettre des autorisations d'accès spécial. En l'espèce, le demandeur demande que la Cour ordonne aux défendeurs de délivrer les autorisations d'accès spécial. Il est évident que le redressement sollicité par le demandeur est un mandamus. Or, la jurisprudence est constante sur ce point. La Cour peut, dans le cadre d'une demande de mandamus, ordonner l'exécution d'un devoir public mais elle ne peut dicter le résultat à atteindre lorsque le pouvoir conféré par la disposition habilitante est discrétionnaire (Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742 (C.A.F.), conf. [1994] 3 R.C.S. 1100 ; voir au même effet Martinoff v. Canada, [1994] 2 C.F. 33 (C.A.) ; Kahlon c. Canada (Ministre de l'emploi et de l'immigration), [1986] 3 C.F. 386 (C.A.)).

[13]            Par surcroît, il s'agit d'une requête pour obtenir une ordonnance interlocutoire de mandamus. Là encore, la jurisprudence est déterminante à cet égard. La délivrance d'un bref de mandamus n'est pas possible dans de telles circonstances car elle constituerait en fait une déclaration de droit provisoire (Paquette c. Canada (Procureur général) (2001), 211 F.T.R. 179 (C.F. 1ère inst.) ; Brissette c. Canada (Ministère de la citoyenneté et de l'immigration) (2002), 228 F.T.R. 314 (C.F. 1ère inst.)).

[14]            Enfin, cette Cour ne peut ordonner aux défendeurs de faire droit aux demandes d'accès au 714-X « sans autres exigences et conditions » . Une telle ordonnance serait illégale car elle contreviendrait aux dispositions du Règlement qui stipulent certaines conditions que doit remplir le médecin faisant la demande d'accès avant que le directeur général puisse exercer son pouvoir discrétionnaire.

[15]            Pour ces motifs, la requête est rejetée avec dépens.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la requête soit rejetée avec dépens.

                                                                                                               « Danièle Tremblay-Lamer »

   J.C.F.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        T-698-04

INTITULÉ :                                       Léopold Delisle

c.

Le Procureur général du Canada et ministère de la Santé (Santé Canada) et Directeur général Direction des produits thérapeutiques (Santé Canada)

LIEU DE L'AUDIENCE :                Ottawa, Ontario

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 25 mai 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

   ET ORDONNANCE :                   Madame le juge Danièle Tremblay-Lamer

DATE DES MOTIFS :                     Le 31 mai 2004

COMPARUTIONS:

Me. Michel Bélanger

Me. Yves Lauzon                                                                      POUR LE DEMANDEUR

Me. Carmela Maiorino                                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Lauzon BélangerAvocats                     

Montreal, QC.                                                                           POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Procureur Général du Canada

Montréal, QC.                                                                           POUR LE DÉFENDEUR


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