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Date : 19981016

Dossier: T-764-98

ENTRE

PERCY AGAWA, ALAN BOYER, ANDY CLARKE, LIZETTE COLLINS,

ADELENE V. CORBIERE, LLOYD HILL, RICHELE ROBINSON,

               IRENE STEVENS, VICTORIA SYRETTE et

                                  DONALD WABOOSE,

                                                                                   demandeurs,

                                                    et

ROLAND HEWSON, CAROL NADJIWON, JAMES ROACH,

   VERNON SYRETTE, ANN TEGOSH et KEVIN TEGOSH

                     représentant la bande Batchewana

                à titre de conseillers, et NOEL SYRETTE,

représentant illégalement la bande Batchewana à titre de conseiller,

                                                                                      défendeurs.

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TREMBLAY-LAMER

[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la résolution adoptée par le conseil de la bande Batchewana (le Conseil) qui a autorisé M. Noel Syrette à annuler sa lettre de démission.


LES FAITS

[2] M. Syrette et les autres conseillers ont été élus à leurs postes le 8 décembre 1996.

[3] Vers le 12 janvier 1998, M. Syrette a remis au Conseil une lettre non datée, rédigée comme suit[1] :

[TRADUCTION]

Au Chef et au Conseil :

Veuillez accepter la présente lettre à titre de document officiel formulant la remise de ma démission du poste de conseiller de la Première Nation Batchewana et en exposant les motifs. Jusqu'au dernier mandat, l'unité, le climat de respect de l'opinion et de la personnalité des autres et le désir d'oeuvrer au mieux des intérêts de la communauté qui étaient évidents chez les membres du Conseil. Le fait de pouvoir entrer dans une salle et de débattre de questions parfois difficiles, dtre capables malgré tout de conclure en conservant sa bonne humeur et en ayant le sens du devoir accompli, sachant que les questions figurant à l'ordre du jour ont été réglées, constitue un exploit en soi, qui n'a pas été réalisé lors du dernier mandat. Faire ce qui est au mieux des intérêts de l'ensemble des membres, plutôt que de ceux d'une poignée d'individus privilégiés, est devenu une chose pour laquelle il faut se battre plutôt qu'une chose naturelle, un mandat qui est devenu secondaire.

L'une des raisons principales de ma démission est le fait dtre constamment l'objet de harcèlement et de vexations de la part de certains membres de la bande (et maintenant de la part du chef et des membres du Conseil) en ce qui concerne le conflit d'intérêts relatif à ma fonction de policier. De même, l'implication constante des médias et l'utilisation diffamatoire de mon nom ont mis en doute mon sens moral et ma réputation, ce que ma profession ne permet pas.


De plus, cette démission est indispensable à ma propre santé mentale et à mon propre bien-être. J'ai perdu mon dynamisme et ma détermination au cours du dernier mandat, ne pouvant même plus me résoudre à assister aux réunions, connaissant la tension, le manque de vision et l'incapacité de prendre des décisions pour le mieux-être de l'ensemble de la communauté.

En conclusion, j'espère que les membres qui ne siègent pas au Conseil pour des motifs d'intérêts personnels demeurent fidèles à leurs principes et déterminés à faire ce qui est juste.

Avec regrets,

Noel Syrette.

[4]         À la suite de la remise de cette lettre, M. Syrette n'a pas assisté aux trois réunions ordinaires subséquentes du Conseil, qui étaient fixées aux 14 janvier, 4 février et 4 mars 1998. Au cours de cette période, le Conseil a cessé de verser à M. Syrette les honoraires dus aux conseillers.

[5]         Le 4 mars 1998, le Chef Angela Neveau a déclaré à la réunion ordinaire du Conseil qu'en raison de la lettre de démission, elle jugeait que le poste occupé auparavant par M. Syrette était vacant.

[6]         Le 9 mars 1998, le Conseil a adopté une résolution prévoyant[2] :

[TRADUCTION]


Que le Conseil de la Première Nation Batchewana reconnaît, par la présente, la décision du conseiller Noel Syrette d'annuler sa lettre de démission non datée remise le 19 janvier 1998 à la réunion de travail du Conseil. Par la même occasion, le Conseil désire reconnaître que les motifs pour lesquels le conseiller N. Syrette a remis la lettre originale justifient qu'il lui soit accordé dtre relevé temporairement de ses fonctions au Conseil pour des raisons de santé mentale, et le Conseil reconnaît, par la présente, son absence de l'ensemble des réunions tenues du 19 janvier 1998 au 4 mars 1998.

LA QUESTION EN LITIGE

La résolution réintégrant M. Syrette, après qu'il eut remis sa démission, outrepassait-elle les pouvoirs du Conseil?

ANALYSE                 

[7]         Le sous-alinéa 78(2)a)(ii) de la Loi sur les Indiens[3] prévoit :


78 (2) Le poste de chef ou de conseiller d'une bande devient vacant dans les cas suivants_:

a) le titulaire, selon le cas_:

...

(ii) meurt ou démissionne, ...

78(2) The office of Chief or councillor of a band becomes vacant when

(a) the person who holds that office

...

(ii) dies or resigns his office, or ...


[8]         La Loi et le Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d'Indiens[4] ne prescrivent aucune exigence procédurale relativement à la démission d'un conseiller de bande.


[9]         Dans Nation Huronne-Wendat[5], il a été demandé au juge Dubé de se prononcer sur la validitédes démissions verbales remises par des conseillers de bande. Les demandeurs prétendaient qu'une démission doit être remise par écrit pour prendre effet, tandis que les défendeurs soutenaient qu'une démission remise de quelque manière convenable est suffisante. Le juge Dubé a suivi la décision rendue dans Pontiac[6], selon laquelle en l'absence de modalité de démission prescrite par le Code, il faut alors faire appel à la common law.

[10]       Dans Pontiac, il était question de savoir si la démission devait être acceptée afin dtre valide :

[TRADUCTION]

Lorsque ni la charte ni les règlements ne prescrivent de modalités particulières suivant lesquelles les membres peuvent démissionner du conseil et leur démission peut être acceptée, lesdites démission et acceptation peuvent se déduire des actes posés par les parties [...] Pour qu'une démission soit complète, il faut que le conseil manifeste son acceptation de l'offre de démission, laquelle acceptation peut se faire par une inscription dans les registres publics[7]. (Non souligné dans l'original.)


[11]       Le juge Dubé a alors conclu qu'une démission verbale était remise d'une « manière convenable » lorsqu'il a affirmé que le conseil avait clairement accepté les démissions et que ce fait avait été consigné dans le procès-verbal. Il a conclu :

En l'espèce, les deux défendeurs ont présenté leurs démissions d'une manière convenable, les démissions ont été acceptées en bonne et due forme par le conseil et les procès-verbaux des assemblées pertinentes attestent desdites démissions[8].

Dans cette conclusion, comme dans Pontiac, l'acceptation ne constitue qu'une exigence procédurale.

[12]       À mon avis, la jurisprudence ne confère pas au Conseil le pouvoir discrétionnaire d'accepter ou de refuser une démission. Si une telle proposition était acceptée, cela signifierait qu'il serait impossible à un conseiller de bande de démissionner sans la permission du Conseil. Il ne peut en être ainsi car cela conférerait à l'acceptation une portée allant au-delà de l'exigence procédurale et cela créerait des pouvoirs discrétionnaires non prévus dans la Loi.


[13]       Dans l'affaire Sault v. LaForme et als[9], le juge Strayer a examinéle pouvoir d'un conseil de bande de suspendre un conseiller pour un comportement que la majorité du conseil juge inacceptable. Il a conclu que le conseil de bande n'avait pas compétence pour expulser un conseiller et le déclarer inhabile à siéger en tant que membre du conseil. Il a également réaffirmé le principe qu'un conseil de bande est une créature de la loi et que ses pouvoirs sont limités à ceux que cette dernière prévoit.

Il a péremptoirement été statué qu'un conseil de bande comme celui en question « a été créé par la Loi sur les Indiens » , et que cela implique que ces pouvoirs tels que celui qu'un conseil possède découlent de cette loi [...] Ce fondement des pouvoirs des conseils de bande rend inopportunes la plupart des analogies avec les pouvoirs inhérents des organismes souverains tels que le Parlement et les législatures[10].

[14]       Plus loin dans le même jugement, le juge Strayer a précisé les termes de l'article 78 de la Loi et affirmé que la compétence du conseil était limitée par cet article :


À mon avis, le législateur a voulu exclure tous ces critères à l'exception de ceux mentionnés lorsqu'il a prescrit au paragraphe 78(1) que les conseillers doivent demeurer en fonction pendant deux années sous réserve seulement des événements prévus aux autres dispositions de l'article 78. Confirmer la mesure prise par les défendeurs en l'espèce reviendrait à autoriser la majorité d'un conseil de bande à supprimer la dissidence en excluant du conseil à n'importe quel moment de leur mandat prévu par la loi ces membres qui offensent la majorité[11].

[15]       À mon avis, le corollaire de la décision Sault, selon laquelle le conseil n'a pas le pouvoir de déclarer vacant le poste d'un conseiller en raison d'un comportement qu'il juge inacceptable, est que le conseil ne jouit pas non plus du pouvoir de forcer un conseiller à demeurer en poste, à partir du moment où il a remis sa démission. Conclure autrement reviendrait à forcer quelqu'un à exécuter un devoir ou à fournir un service contre sa volonté, ce que j'ai beaucoup de difficulté à accepter.

[16]       De plus, cela pourrait donner lieu à des délais, comme dans la présente affaire, entre la remise de la démission et l'acceptation par le conseil, de sorte que la bande ne serait pas entièrement représentée pendant ce temps. Poussé à l'extrême, un tel pouvoir permettrait au conseil de remettre sa décision indéfiniment, privant de ce fait llectorat de l'occasion de combler le poste.


[17]       Bref, dans ce contexte, l' « acceptation » signifie nécessairement que le conseil est saisi de la démission. Autrement dit, la démission de M. Syrette n'a pas pris effet avant que le Conseil n'ait reconnu l'avoir reçue. Dès que le Conseil a reconnu être saisi de cette démission, ce qu'il a fait lorsqu'il a inscrit la lettre du 19 janvier 1998 à l'ordre du jour[12], le siège de M. Syrette est devenu vacant.

[18]       De toute manière, cette question (c.-à -d. l'acceptation par le Conseil de la démission de M. Syrette) est sans objet car j'estime que M. Syrette a abandonnéson poste.

[19]       Les parties conviennent que M. Syrette n'a pas exécuté ses fonctions de conseiller entre le 12 janvier et le 9 mars 1998.

[20]       Dans Cameron v. Boyle[13], le juge McWilliam cite avec approbation les Robert's Rules of Order, à la p. 291, concernant l'abandon de poste.

[TRADUCTION]

Les fonctions rattachées à un poste ne doivent pas être abandonnées avant qu'une démission n'ait été acceptée et n'ait pris effet, ou, au moins, avant qu'il n'y ait eu une possibilité raisonnable qu'elle soit acceptée[14].


[21]       Pour déterminer ce qui constitue une « possibilité raisonnable » ,on peut s'inspirer du sous-alinéa 78(2)b)(ii) de la Loi, qui prévoit :


78(2)       Le poste de chef ou de conseiller d'une bande devient vacant dans les cas suivants :

...

b) le ministre déclare qu'à son avis le titulaire, selon le cas :

...

(ii) a, sans autorisation, manqué

les réunions du conseil trois fois consécutives, ...

78(2) The office of chief or councillor of a band becomes vacant when

...

(b) the Minister declares that in his opinion the person who holds that office

...

(ii) has been absent from three consecutive meetings of the council without being authorized to do so ...


[22]       Le fait que le ministre puisse déclarer un poste vacant après qu'un conseiller a manqué les réunions du conseil à trois reprises indique que trois réunions constitueraient une « possibilité raisonnable » pour le conseil d'accepter la démission. En l'espèce, M. Syrette a manqué trois réunions.


[23]       En fin de compte, le Conseil a consenti à la décision de M. Syrette de démissionner. En premier lieu, le Conseil a cessé de verser à M. Syrette les honoraires dus aux conseillers pour leur participation aux réunions. En deuxième lieu, le 9 mars 1998, M. Syrette a assisté à une réunion spéciale du Conseil, non pas à titre de conseiller, mais à titre d' « invité » , ce qui indique la reconnaissance par le Conseil de la décision de M. Syrette de cesser dtre conseiller. En troisième lieu, le Conseil a permis à M. Syrette de manquer trois réunions consécutives sans le réprimander ni émettre de commentaires.

[24]       Que le Conseil ait cessé de payer M. Syrette, qu'il lui ait demandé d'assister à une réunion du Conseil à titre d'invité et qu'il lui ait permis de manquer trois réunions consécutives à la suite de sa démission, sont des faits qui donnent fortement à penser qu'il avait accepté la décision de M. Syrette de démissionner ou, à tout le moins, qu'il y avait consenti.

CONCLUSION

[25]       La démission de M. Syrette a pris effet le 19 janvier 1998, et la résolution lui permettant d'annuler sa lettre de démission outrepassait les pouvoirs du Conseil.

[26]       Le siège de M. Syrette est déclaré vacant à compter de cette date.


[27]       Les honoraires versés à M. Syrette à titre de conseiller de la bande à compter de cette date l'ont été à tort et doivent être remboursés.

                                                          « Danièle Tremblay-Lamer »

JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 16 octobre 1998.

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M.


Date : 19981016

Dossier : T-764-98

OTTAWA (ONTARIO), LE 16 OCTOBRE 1998.

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER

ENTRE

PERCY AGAWA, ALAN BOYER, ANDY CLARKE, LIZETTE COLLINS,

ADELENE V. CORBIERE, LLOYD HILL, RICHELE ROBINSON,

               IRENE STEVENS, VICTORIA SYRETTE et

                                  DONALD WABOOSE,

                                                                                   demandeurs,

                                                    et

ROLAND HEWSON, CAROL NADJIWON, JAMES ROACH,

   VERNON SYRETTE, ANN TEGOSH et KEVIN TEGOSH

                     représentant la bande Batchewana

                à titre de conseillers, et NOEL SYRETTE,

représentant illégalement la bande Batchewana à titre de conseiller,

                                                                                      défendeurs.

                                   O R D O N N A N C E


La démission de M. Syrette a pris effet le 19 janvier 1998 et la résolution permettant à M. Syrette d'annuler sa lettre de démission outrepassait les pouvoirs du Conseil. Le siège de M. Syrette est déclaré vacant à compter de cette date.

Les honoraires versés à M. Syrette à titre de conseiller de la bande à compter de cette date l'ont été à tort et doivent être remboursés.

                                                          « Danièle Tremblay-Lamer »

JUGE

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                                  T-764-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :         PERCY AGAWA, ALAN BOYER, ANDY CLARKE

LIZETTE COLLINS, ADELENE V. CORBIERE, LLOYD

RICHELE ROBINSON, IRENE STEVENS, VICTORIA

SYRETTE et DONALD WABOOSE

et

ROLAND HEWSON, CAROL NADJIWON, JAMES

ROACH, VERNON SYRETTE, ANN TEGOSH et

KEVIN TEGOSH représentant la bande                                                                                   Batchewana à titre de conseillers, et NOEL                                                                 SYRETTE, représentant illégalement la bande                                                               Batchewana à titre de conseiller

LIEU DE L'AUDIENCE :                         OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                       LE 30 SEPTEMBRE 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER

EN DATE DU :                           16 OCTOBRE 1998

COMPARUTIONS :

M. Gary E. Corbière                                                pour les demandeurs

M. William B. Henderson                                   pour les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

M. Gary E. Corbière

Avocat

Garden River (Ontario)                                     pour les demandeurs

M. William B. Henderson

Avocat

Toronto (Ontario)                                             pour les défendeurs



     [1]                Dossier du demandeur, pièce « A » , p. 10.

     [2]                Dossier du demandeur, pièce « C » , p. 23.

     [3]                L.R.C. (1985), ch. I-5.

     [4]                C.R.C. 1978, ch. 950.

     [5]                Nation Huronne-Wendat (Conseil) c. Laveau, [1987] 3 C.F. 647 (1re inst.).

     [6]                Corporation of Country of Pontiac v. Pontiac Pacific Junction Railway Co., (1988), 11 L.N. 370 (C.S. Aylmer (Dist. d'Ottawa)).

     [7]                Ibid., à la p. 372.

     [8]                Supra, note 5, à la p. 653.

     [9]                (1989), 25 F.T.R. 241 (1re inst.).

     [10]               Ibid., à la p. 245.

     [11]               Ibid., aux p. 246 et 247.

     [12]               Note de L. Bellerose, Administrateur de la bande, au Chef et au Conseil (9 mars 1998).

     [13]               (15 avril 1994), DRS 94-09918 (Div. Gén. Ont.).

     [14]               Ibid., au par. 32.


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