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                                                                                                                                 Date : 20041101

                                                                                                                    Dossier : IMM-5420-03

                                                                                                                Référence : 2004 CF 1537

Ottawa (Ontario), le 1er novembre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MICHAEL PHELAN

ENTRE :

                                                                 NIDAL HASAN

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Introduction

[1]                Une commissaire de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande d'asile et de protection de M. Hasan. Lorsqu'elle a rejeté la demande, la Commission a refusé d'admettre en preuve plus de 550 pages de documents, dont certains avaient trait à l'allégation selon laquelle les forces de sécurité israéliennes ciblaient les jeunes Palestiniens de sexe masculin dans la bande de Gaza (territoires palestiniens occupés). La demande de M. Hasan était en partie fondée sur le fait qu'il était un jeune Palestinien de sexe masculin vivant dans la bande de Gaza.


Les faits

[2]                M. Hasan est un Palestinien âgé de 21 ans, dont la famille a été expulsée en 1948 de son village, Herbia, et a déménagé dans la bande de Gaza, où ils ont d'abord vécu dans un camp de réfugiés des Nations-Unies.

[3]                Le frère aîné de M. Hasan, Samir, a été blessé en 1982 lors d'une attaque israélienne sur Beyrouth, au Liban. Par la suite, Samir s'est joint aux forces de sécurité de la présidence palestinienne. Il en était toujours membre au moment où le demandeur a présenté sa demande.

[4]                Malgré le fait que M. Hasan a été arrêté et interrogé par des soldats israéliens, que des soldats israéliens sont venus dans sa maison (avant qu'elle ne soit détruite par les forces israéliennes) et ont volé une photo de Samir et que ses frères ont été arrêtés afin que les Israéliens puissent interroger et forcer sa famille à leur donner des renseignements au sujet de Samir, la Commission a conclu que ni M. Hasan ni sa famille n'étaient ciblés en raison de leurs liens familiaux avec Samir. La Commission a conclu que ces actes, qu'ils soient pris individuellement ou collectivement, ne constituaient pas de la persécution.

[5]                Il y avait également des éléments de preuve selon lesquels deux cousins de M. Hasan avaient été tués par les autorités israéliennes, et trois cousins de sa mère avaient connu le même sort. Son neveu âgé de 10 ans avait été tué, un cousin âgé de 15 ans avait été estropié par des balles dum-dum. Toutes ces personnes étaient de sexe masculin.


[6]                Il y avait des éléments de preuve selon lesquels les forces israéliennes avaient tiré sur la résidence familiale de M. Hasan et atteint son frère âgé de 14 ans dans l'oeil. Le frère en question avait été arrêté, et on avait refusé de le transporter dans un centre hospitalier de Jérusalem, où son oeil aurait pu être sauvé. La preuve faisait également état de nombreux incidents au cours desquels les frères de M. Hasan avaient été battus.

[7]                L'avocat du demandeur a, dans le cadre de l'instruction de la demande, tenté de produire en preuve un dossier d'information de 556 pages neuf (9) jours avant l'audience, au lieu des vingt (20) jours que requièrent les Règles. La Commission a rejeté son argument selon lequel le dossier d'information avait été transmis en réponse au rapport du Département d'État communiqué par l'agent de protection des réfugiés (l'APR), et pouvait donc être transmis cinq (5) jours avant l'audience. La Commission a conclu que la plupart des renseignements qu'il contenait étaient périmés, répétitifs ou déjà divulgués dans les documents soumis par l'APR. La Commission a admis en preuve quatre pages, cinq photos et une carte.

Analyse

[8]                M. Hasan conteste les conclusions de la Commission relatives à l'admissibilité en preuve du dossier d'information et à l'absence de persécution.


LE DOSSIER D'INFORMATION

[9]                Le dossier d'information contient plusieurs rapports établis par divers organismes faisant état des mauvais traitements infligés aux jeunes Palestiniens de sexe masculin, des mesures sévères prises contre les Palestiniens ainsi que des assassinats illégaux et d'autres abus perpétrés par les forces israéliennes contre les Palestiniens.

[10]            Les rapports en question émanent de sources traditionnellement reconnues (pour les besoins de la preuve) comme Amnistie Internationale. De plus, plusieurs rapports proviennent de sources israéliennes comme le Centre israélien d'information sur les droits de l'homme dans les territoires occupés.

[11]            Lorsqu'elle a refusé d'admettre ce qui constitue manifestement une preuve pertinente, la Commission a porté une attention particulière à l'article 29 des Règles, dans lequel il est question des délais de 20 et de 5 jours. Elle n'a accordé aucune attention, ou presque, à l'article 30 des Règles, qui confère à la Commission le pouvoir discrétionnaire d'admettre en preuve des documents produits hors délai. Les dispositions pertinentes sont rédigées comme suit :



29.            (1) Sous réserve du paragraphe (2) et de la règle 30, les audiences de la Cour, sauf les conférences de règlement des litiges et les conférences préparatoires à l'instruction, sont publiques et les lieux où elles sont tenues sont accessibles à tous.

29.            (1) Subject to subsection (2) and rule 30, hearings of the Court, other than pre-trial or dispute resolution conferences, shall be open and accessible to the public.          (2) La Cour peut, sur requête, ordonner que l'instruction d'une instance ou d'une partie de celle-ci se déroule à huis clos, si elle est d'avis qu'elle ne devrait pas être publique.

(2) On motion, the Court may direct that all or part of a proceeding be heard in camera if it is satisfied that the hearing should not be open to the public.

30.            (1) Un juge ou un protonotaire ne siégeant pas en cour peut rendre une ordonnance à la suite d'une requête si, selon le cas :

30.            (1) A judge or prothonotary who is not sitting in court may make an order on a motion if:

a) il est convaincu que toutes les parties intéressées y ont consenti;

(a) the judge or prothonotary is satisfied that all parties affected have consented thereto;

b) la requête a été présentée selon la règle 369;

(b) the motion was brought in accordance with rule 369; or

c) il estime, pour toute autre raison, que l'ordonnance peut être rendue sans audience sans que cela porte préjudice aux parties.

(c) for any other reason the judge or prothonotary considers that the order can be made without a hearing without prejudice to any party.

(2) La Cour peut, sur requête, annuler ou modifier l'ordonnance rendue en vertu de l'alinéa (1)a) au motif qu'une partie n'y a pas consenti.

(2) On motion, the Court may set aside or vary an order made under paragraph (1)(a) on the ground that a party did not consent to it.


[12]            L'exercice du pouvoir discrétionnaire de la Commission de refuser d'admettre ces éléments de preuve a donné lieu à un déni de justice naturelle et à un manquement aux principes d'équité; ce refus a eu une incidence défavorable et importante sur la capacité de M. Hasan de prouver le bien-fondé de son allégation de persécution. Le défendeur n'aurait pas subi de préjudice équivalent si la preuve avait été admise.


[13]            La Commission a dit que les éléments de preuve en question étaient périmés, répétitifs ou déjà divulgués. Toutefois, cette conclusion est erronée sur le plan juridique et manifestement déraisonnable sur les plans factuel et juridique. La question de savoir si les Palestiniens, et plus particulièrement les jeunes Palestiniens de sexe masculin, sont ciblés est au coeur de la demande de M. Hasan. Les documents en cause traitent de cette question à la fois du point de vue historique et du point de vue actuel. Les documents n'ont pas été divulgués antérieurement. Ils ne sont répétitifs que dans la mesure où le récit qu'ils exposent est cohérent.

Crainte de persécution

[14]            La Cour doit faire preuve de retenue à l'égard des conclusions de la Commission touchant les faits invoqués à l'appui d'une allégation de crainte fondée, qui sont assujetties à la norme de la décision manifestement déraisonnable. Les conclusions touchant le fardeau de la preuve qui incombe à un demandeur sont quant à elles assujetties à la norme de la décision correcte.

[15]            La Commission a omis de prendre en considération le fondement de la demande du demandeur, c'est-à-dire la question de savoir s'il était persécuté du fait qu'il était un jeune Palestinien de sexe masculin vivant dans les territoires palestiniens occupés. La Commission a commis une erreur en se concentrant uniquement sur le fait que M. Hasan était le frère d'un membre des forces de sécurité de la présidence palestinienne.

[16]            De nombreux éléments de preuve indiquaient que la question de savoir si les jeunes Palestiniens de sexe masculin étaient ciblés par les autorités israéliennes se posait toujours. La Commission était tenue d'apprécier la preuve et d'examiner le bien-fondé de la demande du demandeur relativement à cette question.

[17]            Malgré qu'elle a admis que M. Hasan a été détenu et interrogé, que les membres de sa famille ont été interrogés, que la résidence familiale a fait l'objet de tirs et a fini par être détruite par l'armée israélienne et qu'il y avait des éléments de preuve démontrant que les jeunes Palestiniens (membres de la famille du demandeur et autres) avaient subi des blessures, la Commission a conclu :

[...] à la lumière des attaques palestiniennes répétées contre Israël [..] les attaques menées en représailles par les Israéliens à la frontière étaient des attaques de nature générale ayant pour but d'infliger beaucoup de dommages dans les Territoires palestiniens plutôt que des attaques visant uniquement la demeure de la famille du demandeur d'asile.

[18]            Lorsqu'elle a tiré cette conclusion, la Commission a commis une erreur en imposant au demandeur le fardeau de prouver que la persécution dont il était victime avait un caractère purement personnel. La Cour a conclu dans Saliban c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] A.C.F. no 454 (C.A.F.) (QL) qu'il y avait lieu examiner le traitement accordé à des personnes placées dans une situation semblable et que le critère auquel un demandeur devait satisfaire était de savoir si les mauvais traitements généralisés étaient suffisamment graves pour étayer une revendication du statut de réfugié.

En somme, tandis que le droit des réfugiés moderne s'attache à reconnaître la protection dont doivent bénéficier des revendicateurs pris individuellement, la meilleure preuve qu'une personne risque sérieusement d'être persécutée réside généralement dans le traitement accordé à des personnes placées dans une situation semblable dans le pays d'origine. Par conséquent, lorsqu'il s'agit de revendications fondées sur des situations où l'oppression est généralisée, la question n'est pas de savoir si le demandeur est plus en danger que n'importe qui d'autre dans son pays, mais plutôt de savoir si les manoeuvres d'intimidation ou les mauvais traitements généralisés sont suffisamment graves pour étayer une revendication du statut de réfugié. Si des personnes comme le requérant sont susceptibles de faire l'objet d'un grave préjudice de la part des autorités de leur pays, et si ce risque est attribuable à leur état civil ou à leurs opinions politiques, alors elles sont à juste titre considérées comme des réfugiés au sens de la Convention.


Conclusion

[19]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie, et la demande d'asile sera renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour nouvel examen.

[20]            Il n'y a pas de question à certifier.

                                                                               _ Michael Phelan _                

                                                                                                     Juge                            

Traduction certifiée conforme

Aleksandra Koziorowska, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                               IMM-5420-03

INTITULÉ :                                              NIDAL HASAN

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                        OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                      LE 2 SEPTEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :         LE JUGE PHELAN

DATE DES MOTIFS :                             LE 1ER NOVEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Rezaur Rahman                                           POUR LE DEMANDEUR

Marie Crowley                                            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rezaur Rahman                                           POUR LE DEMANDEUR

Ottawa (Ontario)

Morris Rosenberg                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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