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Date : 20000919


Dossier : IMM-5064-99



ENTRE :


PAULO AUGUSTO SOUSA


demandeur


- et -


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION


défendeur



MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE MacKAY


[1]          Les présents motifs confirment ceux prononcés oralement à la fin de l'audition d'une demande de contrôle judiciaire tenue à Toronto, le 17 août 2000, lorsque la Cour a accueilli la demande, comme le confirme l'ordonnance rendue par écrit par la suite. L'ordonnance infirme une décision par laquelle la Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté, en date du 20 septembre 1999, la demande d'ajournement présentée par le demandeur pour permettre à son avocat de comparaître et de le représenter, tenu l'audition en l'absence de l'avocat de M. Sousa, annulé une ordonnance antérieure prononçant le sursis d'une mesure d'expulsion prise contre le demandeur, rejeté son appel et ordonné que la mesure d'expulsion soit exécutée dès que cela serait raisonnablement possible.

[2]          La décision d'accueillir la demande s'appuie sur ma conclusion que, compte tenu de toutes les circonstances de l'espèce, la Section d'appel a effectivement privé l'appelant de son droit à une audition équitable dans le cadre de laquelle il serait représenté par un avocat et a décidé de rejeter la demande d'ajournement du demandeur, a tenu l'audition sans que le demandeur soit représenté et a finalement rendu une décision qui lui était défavorable.

[3]          Voici les faits en cause. Le demandeur, né au Portugal, a obtenu le droit d'établissement au Canada à l'âge de deux ans, en 1974, lorsque lui, sa mère et ses cinq frères et soeurs sont venus au Canada rejoindre son père qui avait déjà obtenu le droit d'établissement. Le demandeur n'a pas acquis la citoyenneté et, en juillet 1996, une mesure d'expulsion a été prise contre lui en raison de ses activités criminelles. Son appel devant la Section d'appel de l'immigration a été entendu en mai 1997 et le tribunal a alors conclu, en s'appuyant sur l'alinéa 70(1)b) de la Loi sur l'immigration1 que, eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, il ne devrait pas être renvoyé du Canada.

[4]          La décision rendue par le tribunal, en date du 10 octobre 1997, l'obligeait à se présenter à nouveau en personne en avril 1998 pour que son dossier soit révisé oralement. La date de cette révision a été fixée au 20 avril 1998, mais le demandeur ne s'est pas présenté ce jour-là, parce qu'il était détenu relativement à une nouvelle accusation criminelle. Son frère s'est présenté pour parler en son nom et le tribunal a reporté la révision à une date qui devait être fixée par le greffier. Cette date a finalement été fixée au 9 juin 1999, sans l'assentiment de l'avocat du demandeur, malgré les efforts déployés par la Commission pour confirmer avec les avocats une date qui conviendrait à tous. Le 7 juin 1999, la Commission a reçu de l'avocat du demandeur une demande d'ajournement de l'audition prévue pour le 9 juin 1999, parce que l'avocat était retenu par un procès pour meurtre qui n'était pas terminé. Un membre de la Commission, indépendant du tribunal qui a tenu l'audition, a refusé l'ajournement demandé.

[5]          Le 9 juin 1999, le demandeur a comparu lui-même devant le tribunal et a réitéré sa demande d'ajournement afin de pouvoir être représenté par l'avocat dont il avait retenu les services, mais qui était dans l'impossibilité de se présenter ce jour-là en raison du procès pour meurtre qui se poursuivait. Le tribunal a rejeté la demande d'ajournement du demandeur et s'est engagé à fournir les motifs de sa décision de ne pas reporter l'audition dans les motifs de sa décision concernant l'issue de la révision.

[6]          Lors de l'audition précédente, fixée au mois d'avril 1999, à laquelle le demandeur ne s'est pas présenté mais était représenté par son frère, le tribunal qui a accepté d'ajourner l'audition a expliqué à son frère que la nouvelle date d'audition serait fixée péremptoirement par le greffier. Le tribunal croyait avoir fait comprendre au frère de M. Sousa ce que cela signifiait. Par la suite, un avis de l'audition fixée au 9 juin 1999 a été envoyé à l'avocat du demandeur, et le demandeur en a aussi pris connaissance; le texte de cet avis précisait que la date d'audition était fixée péremptoirement.

[7]          Dans sa décision en date du 20 septembre 1999, le tribunal a passé en revue les circonstances de son refus d'accorder l'ajournement demandé, en regard des alinéas 13(4)a), b) et f) des Règles de la section d'appel de l'immigration1, dont les disposition mentionnent certains facteurs à prendre en compte lorsqu'un ajournement est demandé. Le tribunal a rendu sa décision en s'appuyant entièrement sur ces différents facteurs et d'autres mentionnés dans les Règles de la section d'appel de l'immigration. De plus, le tribunal a insisté sur le fait que le demandeur avait eu la possibilité de prendre des pauses au cours de l'instance afin de réexaminer sa position au fur et à mesure de la progression de l'audition et la possibilité de produire des documents ou de présenter des observations additionnelles après l'audition. Le tribunal a effectivement reçu des observations après l'audition, notamment de la part de l'avocat du demandeur.

[8]          L'avocat du ministre a fait valoir que le tribunal avait rendu une décision sur un fondement raisonnable dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, puisqu'il a tranché les demandes d'ajournement en s'appuyant sur les Règles de la section d'appel de l'immigration. Je suis d'accord pour dire que la décision de refuser l'ajournement était raisonnable en ce sens qu'elle était motivée, mais j'estime que, dans les circonstances, la conclusion à laquelle le tribunal est parvenu, de refuser l'ajournement, a privé le demandeur d'une possibilité raisonnable de se faire représenter par un avocat. Il a ainsi été porté atteinte au droit du demandeur à l'équité procédurale, à cette étape, et les possibilités qui lui ont été données au cours de l'audition de prendre une pose pour réfléchir, ou de présenter des observations après l'audition ne corrigent pas ce vice de procédure. Je ne suis pas convaincu, malgré l'argumentation de l'avocat du ministre, que l'absence de preuve d'un préjudice établit l'absence de manquement grave à l'équité du processus.

[9]          Les facteurs qui m'ont amené à conclure que le processus s'est déroulé de façon inéquitable sont les suivants. La décision du tribunal de fixer une nouvelle date d'audition péremptoirement au moment où le demandeur ne s'est pas présenté en avril 1999, parce qu'il était incarcéré, est difficile à justifier, d'autant plus que la date de la nouvelle audition a été fixée ensuite par la Section d'appel sans l'assentiment de l'avocat du demandeur, alors que les personnes qui ont fixé cette date au nom de la Commission connaissaient cet avocat et savaient, à ce que je déduis, qu'il était retenu par un procès pour meurtre qui n'était pas terminé au moment où la date a été fixée et qui se poursuivrait vraisemblablement jusqu'à la fin du mois de mai. À la date de l'audition, le 9 juin, ce procès était toujours en cours.

[10]          La demande d'ajournement de l'audition du 9 juin 1999 présentée par l'avocat et par le demandeur semble avoir été rejetée au motif que cette date d'audition avait été fixée péremptoirement. Le tribunal a refusé de retenir l'explication du demandeur, selon laquelle il n'avait pas compris ce que signifiait le terme « péremptoirement » et son frère ne l'avait pas informé des attentes de la Commission, parce que la Commission a conclu que le demandeur aurait dû savoir ou vérifier ce que signifiait un avis d'audition péremptoire.

[11]          Enfin, le demandeur était au courant avant le 9 juin 1999 que le ministre ne demanderait pas son expulsion à l'audition. En effet, le tribunal, composé des mêmes membres que ceux qui s'étaient prononcés sur le premier appel du demandeur en 1997, a formulé les remarques qui suivent dans sa décision, en tirant sa conclusion définitive après l'audition du mois de juin 1999 :

[Traduction] Pour rendre cette décision, le tribunal a tenu compte du fait que l'intimé « recommande, avec certaines réserves, que le sursis soit prolongé » . L'intimé fait cette recommandation à la lumière du « fait que l'appelant âgé de vingt-six ans est au Canada depuis plus de vingt-quatre ans » et subirait donc un « bouleversement et des difficultés graves » s'il était renvoyé du Canada.
Le tribunal reconnaît que la position adoptée par l'intimé constitue une circonstance atténuante en faveur de l'appelant. Il est significatif que l'intimé, qui a lui-même enclenché le processus de renvoi contre l'appelant, désire maintenant en suspendre le cours. Toutefois, le tribunal doit tenir compte de toutes les circonstances de l'espèce, et non seulement de la position de l'intimé. Le tribunal conclut que les circonstances qui démontrent que le renvoi de l'appelant causerait un bouleversement et des difficultés graves à l'appelant et à sa famille ne revêtent pas une aussi grande importance que les circonstances qui révèlent que l'appelant ne s'est pas réadapté au point qu'on puisse déduire qu'il ne commettra vraisemblablement pas de nouvelles infractions. Il y a donc lieu de se préoccuper du fait que la sécurité du public, dont le tribunal doit également tenir compte, serait compromise si le sursis de l'exécution de la mesure d'expulsion était maintenue.

[12]          Selon moi, les circonstances de l'espèce donnent nettement application au principe étayé par l'affaire Calles c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)1 dans laquelle la Cour est intervenue et a infirmé la décision d'un arbitre de refuser un ajournement dans des circonstances qui démontraient clairement que le demandeur avait pris toutes les mesures possibles pour se faire représenter par un avocat et qu'un ajournement de courte durée le lui permettrait. Dans la décision Gargano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)1, mon collègue le juge Cullen a infirmé une décision de la Commission du statut de réfugié parce que la Commission n'avait pas accordé un ajournement demandé afin que le demandeur puisse retenir les services d'un avocat. Il a conclu que cette décision avait privé le demandeur d'une audition équitable et contrevenait aux règles de la justice naturelle, même si la Commission avait fixé la date d'audition péremptoirement.

[13]          En définitive, je conclus que, compte tenu de toutes les circonstances, la décision de la Commission a porté atteinte à l'équité procédurale en refusant un ajournement qui aurait permis à l'avocat du demandeur de comparaître et de le représenter, alors que l'avocat occupait déjà pour le demandeur et se trouvait dans l'impossibilité de se présenter à l'audition dont la date avait été fixée unilatéralement par la Commission, en raison d'engagements professionnels auxquels il ne pouvait se soustraire. Dans ces circonstances, la décision de la Commission a été infirmée et l'affaire renvoyée à la Commission pour être réexaminée par un tribunal différemment constitué.



    

     « W. Andrew MacKay »


    

             _.          JUGE

OTTAWA (Ontario)

19 septembre 2000





Traduction certifiée conforme



Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



NUMÉRO DU GREFFE :          IMM-5064-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :      Paulo Augusto Sousa c. M.C.I.
LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :          17 août 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE MacKAY

EN DATE DU :              9 septembre 2000


ONT COMPARU :

Me Steven H. Shulman              POUR LE DEMANDEUR

Me Andrea Horton                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann & Associés              POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Me Morris Rosenberg              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

__________________

1      L.R.C. (1985), ch. I-2, modifiée.

2      DORS/93-46.     

3      (1990), 131 N.R. 69, 12 Imm. L.R. (2d) 48, [1990] A.C.F no 918 (C.A.F.).

4      (1994), 85 F.T.R. 49, (1994), 25 Imm.L.R. (2d) 292, [1994] A.C.F no 1385 (1re inst.).

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