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     Date : 19990519

     Dossier : IMM-4619-97

OTTAWA (Ontario), le 19 mai 1999

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ROULEAU

ENTRE :

     VITALI PAPSOUEV

     MARINA DEMIDOVA PAPSOUEVA

     JULIA PAPSOUEVA

     DARIA PAPSOUEVA,

     demandeurs,

ET :

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     ORDONNANCE

[1]      La demande est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal reconstitué pour réexamen.

                                 " P. ROULEAU "

                                         JUGE

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.

     Date : 19990519

     Dossier : IMM-4619-97

ENTRE :

     VITALI PAPSOUEV

     MARINA DEMIDOVA PAPSOUEVA

     JULIA PAPSOUEVA

     DARIA PAPSOUEVA,

     demandeurs,

ET :

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision en date du 31 octobre 1997 par laquelle la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que Vitali Papsouev et sa famille n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

[2]      Le demandeur sollicite une ordonnance annulant cette décision et renvoyant l'affaire à un tribunal reconstitué pour réexamen.

[3]      Vitali Papsouev, sa femme, Marina Papsoueva, et leurs filles, Julia et Daria Papsoueva, ont présenté des revendications du statut de réfugié le 7 avril 1995. Ils ont la citoyenneté russe. M. Papsouev est chrétien et était un homme d'affaires bien en vue dans son pays. Sa femme et ses filles sont juives. Elles affirment être persécutées à cause de leur judéité; quant à M. Papsouev, il serait persécuté parce qu'il est riche et marié à une Juive.

[4]      Les demandeurs ont déclaré devant la Commission qu'ils ont toujours été persécutés. La situation s'est toutefois aggravée en 1991 quand plusieurs hommes sont brusquement entrés dans leur appartement et l'ont saccagé. Mme Papsoueva a été battue et le mobilier a été détruit. Les hommes one menacé la demanderesse de tuer toute sa famille si elle ne quittait pas la Russie. L'aînée du demandeur a dû recevoir des soins psychiatriques après cet incident.

[5]      En février 1992, Mme Papsoueva a été abordée dans la rue par deux hommes; elle pense que l'un d'eux était l'un de ses agresseurs en 1991. Les deux hommes ont crié qu'ils ne toléreraient plus d'autres " youpins " en Russie, ont menacé de la tuer et l'ont frappée à deux reprises au visage. Mme Papsoueva est rentrée chez elle et a appelé la police. Des policiers sont venus beaucoup plus tard, ont consigné sa déclaration, mais n'ont jamais poursuivi l'enquête.

[6]      Une semaine plus tard, le demandeur a reçu une lettre par la poste. Cette lettre contenait des remarques antisémites et des menaces, et son expéditeur exigeait qu'on lui envoie de l'argent. M. Papsouev n'a tenu aucun compte de cette lettre. À cette époque-là, plusieurs extorqueurs exigeaient d'hommes d'affaires fortunés qu'ils leur donnent de l'argent. Toutefois, une semaine plus tard, des hommes armés se sont rendus au bureau du demandeur et ont ligoté tout le monde, y compris M. Papsouev. Les hommes ont donné des coups de pieds aux personnes qui se trouvaient par terre, ont menacé de les tuer et les ont appelées " youpins " vu que plusieurs employés étaient juifs. Ils ont ensuite réclamé les clés du coffre-fort, ont pris l'argent qui s'y trouvait et ont dit à M. Papsouev que puisqu'il s'agissait un bureau de youpins, il devait leur verser une forte rançon sans quoi ils le tueraient et kidnapperaient ses enfants.

[7]      Après l'incident de 1991, les demandeurs ont décidé de quitter la Russie; ils en étaient venus à craindre pour la vie de leurs enfants. Mme Papsoueva a présenté une demande de passeport pour elle et ses enfants. En décembre 1991, Vitali Papsouev s'est rendu au Canada. Sa femme a obtenu son passeport en février 1992. En dépit de sa demande, ses enfants n'apparaissaient pas sur son passeport. Le couple a voyagé pour affaires et pour son plaisir en Suisse, au Canada, à Aruba et aux États-Unis. Ils ont dû confier les enfants à la mère de M. Papsouev. En août 1992, ils ont finalement obtenu des passeports et des visas pour les enfants.

[8]      Durant leur séjour au Canada, les Papsouev avaient consulté l'avocat spécialisé en droit de l'immigration Mendel Green. Celui-ci leur avait conseillé de prendre les enfants et de demander la résidence permanente en tant que membres de la catégorie des gens d'affaires. La possibilité de revendiquer le statut de réfugié a été envisagée et rejetée parce que l'autre solution paraissait plus efficace.

[9]      Le couple est rentré en Russie en septembre 1992 et M. Papsouev est reparti quelques jours plus tard pour se rendre au Canada, en Suisse et aux États-Unis. Sa femme et ses filles l'ont rejoint au Canada en décembre 1992. M. Papsouev a fait un bref séjour en Russie en juin 1993 pour aider un ami.

[10]      Les Papsouev ont rencontré Me Green le 23 décembre 1992. Son cabinet a présenté une demande de résidence permanente au nom de M. Papsouev le 4 février 1993. M. Papsouev a été interrogé le 10 février 1993 et a obtenu, le même jour, une autorisation d'emploi qui lui donnait le droit de commencer à exercer des activités commerciales au Canada.

[11]      Malheureusement, la demande de résidence permanente a été différée et les Papsouev ont perdu leur statut de résident au Canada. Leur demande de contrôle judiciaire a été rejetée. Ils ont par la suite revendiqué le statut de réfugié en avril 1995. La Commission a conclu que les Papsouev n'avaient pas une crainte objective et fondée de persécution en Russie. Si je comprends bien la décision de la Commission, le caractère tardif de la revendication aurait été déterminant; les Papsouev ont vécu au Canada pendant trois ans avant de revendiquer le statut de réfugié et la Commission a conclu qu'il s'agissait d'un retard excessif qui restait inexpliqué. De plus, la Commission a indiqué qu'après les incidents plus graves qui se sont produits en Russie, M. et Mme Papsouev s'étaient quand même rendus dans des pays qui accueillent des réfugiés, comme les États-Unis et la Suisse, mais n'avaient pas présenté de revendication et étaient rentrés dans leur pays.

[12]      À l'audience, les demandeurs ont tenté d'expliquer pourquoi ils avaient tardé à déposer leur revendication. Ces explications ont été corroborées par leur avocat, Me Mendel Green, qui était au courant de la persécution dont les demandeurs avaient été victimes en Russie. Il a déclaré dans son témoignage qu'il avait conseillé aux demandeurs de ne pas revendiquer le statut de réfugié, mais de présenter une demande de résidence permanente dans le cadre du programme d'immigration des investisseurs, étant donné qu'il s'agissait d'une démarche plus rapide. Dans ses motifs, la Commission a écrit : [traduction] " Le tribunal rejette le témoignage de Mendel Green [...] selon le tribunal, il est inconcevable qu'un avocat chevronné dans le domaine de l'immigration conseille de ne pas revendiquer le statut de réfugié et de tenter plutôt d'obtenir la résidence permanente dans le cadre du programme d'immigration des investisseurs. " La Commission a ensuite fait remarquer que les demandeurs ont eu l'audace de retarder encore davantage la présentation d'une revendication du statut de réfugié en portant la décision touchant leur demande de résidence permanente en appel devant la Cour fédérale. La Commission a déclaré que la revendication du statut de réfugié ressemblait à une ultime tentative. La Commission a également douté de l'objectivité du témoignage de Mendel Green; elle a déclaré que le fils de Me Mendel, Stephen, avait une relation d'affaires avec Vitali Papsouev. Bref, la conduite des demandeurs et leur défaut de présenter une revendication après qu'ils eurent été victimes des actes de persécution présumés ont amené le tribunal à conclure que leur preuve de persécution en Russie n'était pas crédible.

[13]      Les demandeurs affirment qu'il y a eu déni de justice naturelle parce qu'ils n'ont pas eu la possibilité de soumettre une preuve corroborante de la persécution dont ils ont été victimes. L'une de leurs filles, qui était également une revendicatrice et qui assistait à l'audience, avait conservé le souvenir des événements et a été proposée comme témoin. La Commission a déclaré qu'aucune preuve corroborante n'était requise. La conclusion selon laquelle la revendication des demandeurs n'était pas crédible a amené la Commission à conclure qu'aucune autre preuve n'était nécessaire; il s'agit d'un grave déni de justice naturelle.

[14]      Je conclus également que la Commission a abusivement fait abstraction des explications fournies par les demandeurs sur le dépôt tardif de leur revendication du statut de réfugié. D'abord, elle n'a ni commenté ni rejeté l'explication des demandeurs selon laquelle au départ, les autorités avaient tardé à délivrer des passeports et des visas à leurs filles.

[15]      La décision de la Commission devrait être annulée ne fût-ce qu'en raison du rejet de la preuve de Me Green par la Commission. Il faut avoir de solides motifs pour conclure qu'un avocat de bonne réputation et auxiliaire de justice puisse se parjurer. La Commission n'en avait aucun. Me Green et les demandeurs ont témoigné qu'ils avaient discuté de la persécution dont les demandeurs avaient été victimes et de la possibilité de revendiquer le statut de réfugié. Il est tout à fait concevable qu'un avocat conseille à un intéressé qui relève des deux catégories de présenter une demande de résidence permanente plutôt qu'une revendication du statut de réfugié. Un avocat doit discuter de toutes les solutions possibles avec son client, ainsi que de leurs aspects pratiques. Dans la présente espèce, les deux solutions permettaient d'arriver au même résultat : la résidence permanente au Canada. Le programme des investisseurs fonctionne mieux, est plus facile à documenter et est plus prévisible.

[16]      J'en viens maintenant à la question de la relation d'affaires entre Stephen Green et M. Papsouev, qui semble avoir eu une influence injustifiée sur les conclusions de la Commission. Dans son affidavit, Me Mendel Green déclare que son fils Stephen n'a aucune relation d'affaires à proprement parler avec M. Papsouev. Stephen Green, qui exerce également le droit, a constitué une personne morale pour M. Papsouev. Il s'agit d'une pratique commerciale courante pour un avocat de s'occuper de la constitution d'une personne morale, puis de rompre toute attache une fois que la charte a été délivrée. Rien n'autorise à ne pas croire que ce dit Me Green sur cette relation d'affaires présumée, et il s'agit d'une raison de plus pour annuler la décision de la Commission.

[17]      La conclusion selon laquelle un demandeur ne devrait pas épuiser tous ses recours en interjetant appel d'une décision se passe de commentaires.

[18]      Par ailleurs, la Commission n'a jamais refusé de croire que Mme Papsoueva et ses filles étaient juives. Elle était donc tenue d'examiner cet aspect de la persécution et de décider si celles-ci seraient exposées à un risque à leur retour en Russie. Les demandeurs ont cité un témoin expert au soutien de l'allégation selon laquelle les demanderesses n'étaient pas protégées parce qu'elles étaient juives, mais la Commission a préféré ne pas commenter, de façon favorable ou défavorable, cette preuve.

[19]      L'intimé soutient que la Commission n'avait pas besoin d'entendre une preuve corroborante puisqu'elle était convaincue que le retour du demandeur en Russie après les incidents de harcèlement faisait en sorte que les demandeurs ne pouvaient avoir une crainte objective de persécution. La Commission était convaincue que les demandeurs ont décidé de ne pas revendiquer le statut de réfugié dans des pays signataires de la Convention avant de présenter une revendication au Canada, et elle a estimé qu'elle pouvait invoquer le délai de trois ans comme élément de preuve supplémentaire.

[20]      Sans doute que bien des décisions appuient la thèse selon laquelle une commission peut tenir compte du caractère tardif d'une revendication du statut de réfugié pour attaquer la crédibilité d'un intéressé, mais aucune des décisions invoquées à l'appui de ce principe n'est utile étant donné qu'il ne s'agit pas du principal motif invoqué pour rejeter la revendication. Il s'agit habituellement d'un motif accessoire à ce qu'on considère comme un motif plus fondamental de ne pas reconnaître le statut de réfugié à un intéressé.

[21]      Par conséquent, même si la Commission a conclu que les demandeurs n'étaient pas crédibles et a rejeté la relation de ce qui leur est arrivé en Russie parce qu'ils ont tardé à présenter leur revendication, elle devait quand même examiner ou commenter la question fondamentale de savoir si oui ou non les demandeurs avaient une crainte fondée de persécution en Russie du fait de leur religion; ou, dans le cas de M. Papsouev, du fait de son association avec des Juives. En fait, la preuve documentaire portant sur la situation des Juifs en Russie peut tendre à appuyer les affirmations des demandeurs selon lesquelles les personnes juives sont exposées à un risque en Russie.

[22]      Pour tous ces motifs, la demande est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal reconstitué pour réexamen.

                                 " P. ROULEAU "

                                         JUGE

OTTAWA (Ontario)

Le 19 mai 1999

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     NOMS DES AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :                  IMM-4619-97

INTITULÉ :                          Vitali Papsouev et autres c. M.C.I.
LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :              Le 4 mai 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE ROULEAU

EN DATE DU :                      19 mai 1999

COMPARUTIONS :

M. Lorne Waldman                          pour les demandeurs

Mme Sally Thomas                          pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Lorne Waldman                          pour les demandeurs

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                      pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

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