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     Date : 19990415

     Dossier : IMM-1979-98

OTTAWA (ONTARIO), LE 15 AVRIL 1999

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE McKEOWN

ENTRE :

     MIKE TAMBWE-LUBEMBA

     VERONIQUE WANYA-KATSHIYA,

     demandeurs,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     ORDONNANCE

     La demande de contrôle judiciaire est rejetée. La question d'intérêt public et de portée générale suivante est certifiée :

     Une formation de la Section du statut de réfugié saisie d'une revendication du statut de réfugié en vertu de l'article 69.1 de la Loi sur l'immigration qui ne tient pas compte de documents que le revendicateur n'a pas soumis en preuve et qui n'étaient pas en la possession de la formation, mais qui sont portés à la connaissance de la Section du statut de réfugié après l'audience, commet-elle une erreur justifiant l'infirmation de sa décision?         

                                 William P. McKeown

                                         Juge

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.

     Date : 19990415

     Dossier : IMM-1979-98

ENTRE :

     MIKE TAMBWE-LUBEMBA

     VERONIQUE WANYA-KATSHIYA,

     demandeurs,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE McKEOWN

[1]      Les demandeurs, qui sont des ressortissants de la République démocratique du Congo (RDC) auparavant le Zaïre, demandent le contrôle judiciaire de la décision en date du 13 mars 1998 par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a déclaré qu'ils n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

[2]      Les questions en litige sont celles de savoir si la Commission était dessaisie lorsqu'elle a reçu les éléments de preuve documentaire supplémentaires soumis par les demandeurs douze jours après qu'elle eut signé les motifs de sa décision, si la Commission se trouvait continuellement dans l'obligation d'examiner des éléments de preuve pertinents qui étaient en sa possession, même s'ils n'avaient pas été produits par les demandeurs, et si la Commission a fait abstraction de certains éléments de preuve portés à sa connaissance pour parvenir à une conclusion.

[3]      En ce qui concerne la question de savoir si la Commission était dessaisie, les faits pertinents sont les suivants. L'audience a eu lieu le 19 janvier 1998. La décision de la Commission est datée du 13 mars 1998. Peu après cette date, un employé de la Commission a induit l'avocat des demandeurs en erreur en lui disant que la décision n'avait pas encore été rendue; l'avocat des demandeurs a alors fait parvenir à la Commission, le 25 mars 1998, un document intitulé " Guidelines for Refugees and Asylum Seekers from the Democratic Republic of Congo ". Ce document contient des renseignements sur le [traduction ] " risque auquel étaient exposés d'ex-Zaïrois propriétaires d'entreprises prospères ", et le demandeur affirme qu'il appartient à cette catégorie. La notification de la décision a été signée et envoyée aux demandeurs le 3 avril 1998

[4]      Je souscris aux motifs prononcés par le juge Nadon dans l'affaire Keita c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (IMM-343-93, 29 avril 1994), et je conclus que la Commission n'avait pas l'obligation d'examiner des éléments de preuve supplémentaires après avoir signé ses motifs écrits en date du 13 mars 1998. La Commission était dessaisie; aucune demande de réouverture de l'audience n'a été présentée. Il est regrettable que la décision de la Commission n'ait pas été communiquée aux demandeurs plus tôt, mais ce fait n'a aucune répercussion sur la décision qui a été rendue le 13 mars 1998. Selon moi, la date du 3 avril 1998 est sans rapport avec la question de savoir quand la décision a effectivement été rendue, moment auquel la Commission a été dessaisie. Le paragraphe 69.1(9) précise que la Section du statut de réfugié " rend sa décision sur la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention le plus tôt possible après l'audience et la notifie à l'intéressé et au ministre par écrit ". Comme ce libellé l'indique, le prononcé de la décision et la notification de la décision sont deux choses distinctes.

[5]      L'arrêt Shairp c. MRN, [1989] 1 C.F. 562, est nettement différent parce que, dans cette affaire, la Cour d'appel fédérale avait été saisie d'une déclaration orale faite par le juge avant le " [dépôt et l'inscription d']une décision écrite ". À mon avis, dans l'affaire dont je suis saisi, la Commission a été dessaisie dès qu'elle a signé les motifs le 13 mars 1998.

[6]      La deuxième question en litige est celle de savoir si la Commission se trouve continuellement dans l'obligation d'examiner des éléments de preuve pertinents qui sont en sa possession. Dans la présente espèce, le bureau de la Commission qui est situé à Toronto a obtenu les directives du HCNUR le 20 janvier 1998. Rien ne permet de conclure que la commissaire, Mme Filion, a vu ce document avant le 13 mars 1998. Ce document était inclus dans la documentation usuelle (" standard index package ") en vue des audiences du mois de mars 1998. Toutefois, la preuve ne permet pas de savoir quand en mars la documentation a été préparée.

[7]      Les demandeurs soutiennent que la documentation visée par l'espèce est semblable à celle qui a été examinée dans l'affaire Omar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1998] A.C.F. no 463, et que la Commission a continuellement l'obligation d'examiner des éléments de preuve pertinents qui sont en sa possession (c.-à-d. au Centre de documentation de la CISR) même s'ils n'ont pas été produits par le revendicateur. Dans l'affaire Omar, précitée, les deux documents étaient des lettres que se sont adressées des représentants du gouvernement des Pays-Bas et de la République du Kenya, et une lettre que la Commission de l'immigration et du statut de réfugié avait envoyée au chef du Service de l'immigration et de la naturalisation en vue de déterminer l'authenticité des deux lettres. Le juge Teitelbaum a déclaré aux paragraphes 17 et 18 :

     Quant aux lettres datées du 14 juin 1996 et la réponse du 20 juin 1996, je suis persuadé que les membres du tribunal auraient dû prendre en considération ces documents, parce qu'ils se trouvaient entre les mains de la Section du statut de réfugié, et qu'ils étaient d'une grande importance pour la détermination d'une PRI en Somalie.         
     Je suis également persuadé que dans les circonstances de l'espèce, et après avoir entendu les arguments du demandeur, il aurait été extrêmement difficile pour ce dernier de connaître l'existence de ces deux documents.         

[8]      Dans la présente espèce, les demandeurs ont produit des éléments de preuve indiquant que le Centre de documentation de la Commission possédait un exemplaire des directives en question le 20 janvier 1998. En conséquence, les demandeurs pouvaient consulter ces documents et auraient pu les fournir plus tôt à la Section du statut de réfugié pour examen. C'est aux demandeurs qu'il incombe de convaincre la Commission du bien-fondé de leur revendication.

[9]      La présente espèce est donc différente de l'affaire Omar, précitée, et est visée par la règle usuelle selon laquelle la Commission n'est pas continuellement tenue d'examiner des éléments de preuve pertinents qui sont en sa possession s'ils ne sont pas produits par les demandeurs et s'ils ne font pas partie de la documentation dont la Commission est saisie au début de l'audience.

[10]      Pour ce qui est du troisième point, les demandeurs affirment que la Commission n'a tenu aucun compte de certains éléments de preuve qui avaient été portés à sa connaissance pour tirer les conclusions suivantes :

     La preuve de la revendicatrice, à l'égard de sa famille, n'indique pas que sa famille et elle-même ont été impliquées dans le génocide de 1994 et qu'ils étaient des réfugiés Rwandais Hutus. La preuve de la revendicatrice n'indique pas non plus qu'elle a été perçue comme étant une Rwandaise-Hutu, ni comme une personne originaire du Rwanda et de l'ethnie Hutu. Le tribunal est d'avis qu'à la lumière du témoignage de la revendicatrice, il n'y a pas de preuve suffisante qui indique que l'AFDL s'intéresse à elle en raison de son appartenance à un groupe social, sa famille. Le tribunal est d'avis qu'avoir hébergé sa mère, sa grand-mère et ses deux oncles n'est pas une raison valable pour être perçu par l'AFDL comme des opposants, ou des génocidaires, ou des Rwandais Hutus, ou des sympathisants à la cause des Hutus. De plus, les documents d'identité de la revendicatrice indiquent qu'elle est originaire du Kasaï oriental, tel que son mari. Le tribunal est d'avis qu'il n'y a pas de possibilité raisonnable que les origines lointaines de la revendicatrice l'amèneraient à être persécutée par les autorités de Kabila à Kinshasa. Le tribunal ne croit pas non plus que le revendicateur et leurs enfants soient persécutés en raison du profil familial de l'épouse. Le tribunal ne croit pas que leur crainte de persécution en raison de leur appartenance à un groupe social, la famille, est une crainte de persécution bien fondée.         

[11]      Les demandeurs soutiennent que tous les éléments de preuve documentaire démontraient que quiconque était perçu comme un partisan des Hutus était exposé à un risque. Ils affirment en outre que la présente espèce est directement visée par les principes exprimés dans l'arrêt Mahanandan c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (23 août 1994), A-608-91 (C.A.F.), dans lequel le juge en chef Isaac a déclaré au paragraphe 7 :

     Deuxièmement, ils déclarent que si ce n'est la simple mention que la preuve présentée à l'audience était une preuve documentaire fournissant des renseignements de base sur le Sri Lanka, les motifs invoqués par la Commission ne contenaient aucune autre référence à la preuve documentaire, et encore moins le moindre examen de leur revendication qui tiendrait compte de cette preuve. [...]         
     C'est aussi notre avis. Lorsqu'une preuve documentaire comme celle en cause est admise en preuve à l'audience, et pourrait vraisemblablement influer sur l'appréciation, par la Commission, de la revendication dont elle est saisie, il nous semble que plus qu'une simple constatation de son admission, la Commission doit indiquer dans ses motifs l'incidence, si elle existe, de cette preuve sur la revendication du requérant. Comme je l'ai déjà dit, la Commission ne l'a pas fait en l'espèce. À notre avis, cette omission équivalait à une faute irréparable, et il s'ensuit que la décision de la Commission ne peut être maintenue.         

À mon avis, cette décision n'est pas applicable à l'affaire dont je suis saisi parce que la preuve documentaire en cause fait référence à ce qui s'est passé après que M. Kabila eut raffermi sa position en RDC et après que le demandeur eut quitté le pays. Le demandeur a quitté la RDC en mai 1997, quelques jours seulement après que M. Kabila eut pris le pouvoir. La Commission a expressément mentionné qu'aucun massacre semblable ne s'était produit à Kinshasa, où les demandeurs habitaient. La Commission a par ailleurs conclu qu'il était peu plausible que les autorités de Kabila s'intéressent au fait que les demandeurs avaient hébergé la grand-mère de la demanderesse, qui était âgée de quatre-vingts ans, et ses deux fils. La Commission s'est également fondée sur les documents d'identité de la demanderesse qui précisent que la demanderesse, comme son mari, est originaire du Kasaï oriental. La Commission pouvait parvenir à ces conclusions et elle y précise pourquoi ce ne sont pas tous les éléments de preuve qui démontraient qu'une personne perçue comme un partisan des Hutus était exposée à un risque.

[12]      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[13]      On m'a demandé de certifier deux questions. À mon avis, la première question dépend trop des faits et ne saurait faire l'objet d'une réponse générale qui puisse être utile dans d'autres circonstances que celles de l'espèce. Je certifierai la deuxième question en tant que question d'intérêt public et de portée générale :

     Une formation de la Section du statut de réfugié saisie d'une revendication du statut de réfugié en vertu de l'article 69.1 de la Loi sur l'immigration qui ne tient pas compte de documents que le revendicateur n'a pas soumis en preuve et qui n'étaient pas en la possession de la formation, mais qui sont portés à la connaissance de la Section du statut de réfugié après l'audience, commet-elle une erreur justifiant l'infirmation de sa décision?         

                                 William P. McKeown

                                         Juge

Ottawa (Ontario)

Le 15 avril 1999

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Date : 19990412

     Dossier : IMM-1979-98

Entre :

MIKE TAMBWE-LUBEMBA

VERONIQUE WANYA-KATSHIYA,

     demandeurs,

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Noms des avocats et avocats inscrits au dossier

NUMÉRO DU GREFFE :              IMM-1979-98

INTITULÉ :                      MIKE TAMBWE-LUBEMBA

                         VERONIQUE WANYA-KATSHIYA

                         - et -

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
DATE DE L'AUDIENCE :              LE MARDI 6 AVRIL 1999

LIEU DE L'AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE McKEOWN

EN DATE DU :                  LUNDI 12 AVRIL 1999

COMPARUTIONS :              M. Michael Crane

                             Pour le demandeur

                         M me Diane Dagenais

                             Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      Michael T. Crane

                         Avocat
                         200-166, rue Pearl
                         Toronto (Ontario)
                         M5H 1L3
                             Pour le demandeur

                         Morris Rosenberg

                         Sous-procureur général du Canada
                             Pour le défendeur
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