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                                                                                                                    T-191-96

 

 

 

E N T R E :

 

 

 

WENDELL McALLISTER,

 

                                                                                                            requérant,

et

 

 

CHARLES LAWSON,

 

                                                                                                            requérant,

 

et

 

 

 

                     ASSOCIATION DES EMPLOYEURS MARITIMES,

 

                                                                                                            intimée,

 

et

 

 

SECTION LOCALE NO 1764, STEAMSHIP CHECKERS AND CARGO REPAIRMEN, WEIGHERS AND SAMPLERS

OF THE PORT OF SAINT JOHN,

ASSOCIATION INTERNATIONALE DES DÉBARDEURS,

 

                                                                                                            intimée.

 

 

 

                                      MOTIFS DE L’ORDONNANCE

                          (Prononcés à l’audience, à St-John (N.-B.),

                                         le 13 février 1997, révisés.)

 

 

LE JUGE ROTHSTEIN

 

 

            Les présents motifs s’appliquent aux deux affaires identifiées dans l’intitulé de la cause.  Il a été convenu que les faits de chaque dossier seraient traités comme étant communs aux deux affaires.  Il s’agit de cas de retraite obligatoire à l’âge de 65 ans.  Le 15 décembre 1994, l’Association des employeurs maritimes et le syndicat des requérants, la section locale no 1764, Steamship Checkers and Cargo Repairmen, Weighers and Samplers of the Port of Saint John, Association internationale des débardeurs, ont signé une convention collective prévoyant la retraite obligatoire à l’âge de 65 ans, sous réserve de certaines exceptions. 

 

            Les requérants étaient vérificateurs au port de Saint John.  M. McAllister avait 65 ans et M. Lawson en avait 77.  En application de la convention collective, leur emploi a pris fin le 31 décembre 1994, vu leur âge respectif.  En janvier 1995, ils ont déposé, devant la Commission canadienne des droits de la personne, des plaintes de distinction fondée sur l’âge, aux termes des articles 3(1), 7, 9(1) et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.  Le 19 décembre 1995, la Commission a rejeté leurs plaintes, après avoir conclu qu’ils avaient atteint l’âge de la retraite en vigueur, au sens de l’alinéa 15c) de la Loi sur les droits de la personne[1]

 

            L’enquêteur de la Commission, dans son rapport du 26 octobre 1995, a fait référence aux plaintes des requérants, aux réponses des intimées, et aux répliques des requérants.  Elle a fait abondamment référence à certains régimes de retraite.  Il semble que la conclusion et la recommandation de l’enquêteur ayant donné lieu au congédiement des requérants étaient fondées sur la preuve qui suit.

 

            Premièrement, la convention collective applicable aux requérants prévoyait que les employés de 65 ans ou plus éligibles pour être membres du syndicat depuis au moins 20 ans devaient prendre leur retraite au cours du mois pendant lequel ils atteignaient l’âge de 65 ans.  Les employés qui avaient 65 ans ou plus en décembre 1994 devaient prendre leur retraite le 31 décembre 1994.  Les employés de 65 ans ou plus et qui étaient membres du syndicat depuis moins de 20 ans pouvaient occuper leur emploi jusqu’à ce qu’ils aient atteint l’âge de 71 ans ou accumulé 20 années d’appartenance au syndicat, selon la première survenance de l’une ou l’autre de ces éventualités.  Il semble que le renvoi à une période d’appartenance de 20 ans a trait à la maximisation des prestations de retraite que les employés peuvent toucher.

 

            Deuxièmement, les intimées prétendent que 65 ans est l’âge de la retraite en vigueur pour les employés faisant du débardage dans les grands ports canadiens des côtes du Pacifique et de l’Atlantique. 

 

            Troisièmement, les documents relatifs aux régimes de retraite mentionnent que 65 ans est [TRADUCTION] « l’âge de retraite en vigueur » ou [TRADUCTION] « la date de retraite en vigueur ».  Les régimes prévoient également la retraite plus tardive de l’employé afin de maximiser ses prestations de retraite. 

 

            Les requérants disent que la convention collective prévoit que certains employés pourront travailler après avoir atteint l’âge de 65 ans.  De la même façon, ils disent que les régimes de retraite reconnaissent également cela.  Ils disent que ces documents n’établissent pas que l’âge de retraite en vigueur est de 65 ans.  Quant à la preuve relative aux pratiques en vigueur dans d’autres ports, ils disent qu’il ne s’agit que de simples prétentions selon lesquelles 65 ans constituait l’âge de retraite en vigueur dans ces ports.  Les requérants ont également exposé d’autres raisons pour lesquelles, selon eux, la Commission a commis une erreur en rejetant leurs plaintes.  Il n’est pas nécessaire d’aborder ces raisons dans le cadre de la présente instance.

 

            Suite aux observations orales des avocats des requérants à propos de la faiblesse de la preuve des intimées relative aux pratiques en vigueur dans d’autres ports et aux observations de la Cour, un représentant retraité du syndicat intimé qui assistait à l’audience s’est rendu compte qu’il avait en sa possession de la correspondance que le syndicat et la Commission s’étaient échangée et dont la Cour ne disposait pas.  L’avocat du syndicat intimé a divulgué ces documents peu après le début de la deuxième journée de plaidoirie.

 

            Ces documents consistent en une lettre énumérant des sections locales particulières, dans des ports canadiens, qui considèrent que l’âge de retraite en vigueur est de 65 ans.  Une autre lettre donnant le nom et l’âge de retraite de 20 employés de Saint John et a été produite, semble-t-il, suite aux observations des requérants selon lesquelles un certain nombre d’employés de Saint John avaient conservé leur emploi après avoir atteint l’âge de 65 ans.

 

            Les requérants, qui n’avaient jamais pris connaissance de cette correspondance, prétendent qu’elle présente l’affaire dont la Cour est saisie sous un jour entièrement nouveau.  Ils soutiennent que l’enquêteur avait l’obligation de divulguer cette correspondance et que, en omettant de le faire, avait donné lieu à une violation des principes d’équité procédurale ou de justice naturelle à leur égard.  Ils se fondent sur l’arrêt Cashin c. Canadian Broadcasting Corp., [1984] 55 N.R. 112, dans laquelle le juge Mahoney dit, aux pages 113 et 114 :

 

            L’enquêteur a eu raison, à mon avis, de considérer que le principal point en litige consistait à déterminer si le refus de renouveler le contrat avait été de bonne foi et non pas simplement de déterminer si les exigences professionnelles étaient elles-mêmes normales.  Il a rencontré la requérante une seule fois mais il a rencontré les dirigeants de CBC à deux reprises.  Il a eu de nombreuses conversations téléphoniques à ce sujet.  S’il est vrai que la requérante a eu la possibilité de donner sa propre version des faits et avait manifestement une idée générale des moyens soulevés contre elle, elle s’est toutefois vu refuser les éléments de preuve réels et n’a jamais eu l’occasion de contester les éléments de preuve précis qui étaient invoqués contre elle.

 

[...]

 

 

            En l’espèce, les exigences de la justice naturelle n’ont pas été respectées.  Je ne vois pas comment la requérante peut avoir eu la possibiIité de se défendre si on ne lui a pas donné l’occasion de contester directement les témoignages invoqués contre elle et de vérifier la crédibilité de leurs auteurs.

 

            Aucune obligation de divulgation systématique à une partie de chaque document obtenu d’une autre partie n’incombe à la Commission.  Il se peut que la divulgation du rapport de l’enquêteur fournisse à une partie assez de renseignements pour réfuter des observations qui lui sont défavorables.  Cependant, comme le juge Décary l’a souligné dans Mercier c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 3 C.F. 3 (C.A.), à la p. 14 :

 

[...] la Commission si elle décidait de maintenir sa pratique générale de non-communication des observations, n’en devra pas moins examiner chaque cas individuellement et faire preuve de beaucoup de vigilance afin d’éviter que dans un cas donné, comme en l’espèce, une partie ne reçoive pas communication d’observations dont la nature est telle qu’elles auraient dû être portées à sa connaissance.  La Commission aurait intérêt, me semble-t-il, ne serait-ce que pour se mettre à l’avance à l’abri de tout reproche, à exiger que les parties s’échangent leurs observations respectives.  Autrement, et je reprends ici les vues du juge Mahoney dans Labelle, la Commission sera toujours exposée à une demande de contrôle judiciaire «parce que le plaignant pourra toujours prétendre qu’à première vue, il n’a pas pris connaissance de toute la preuve de la partie adverse et n’a donc pas eu la possibilité de la réfuter en entier».

 

 

            De toute évidence, le fait que la Commission omette de divulguer des documents pertinents à l’égard d’un aspect principal de la revendication d’une partie donnera lieu à de l’iniquité.  La question principale en l’espèce est de savoir si la retraite à 65 ans est une pratique qui s’applique aux employés qui occupent des postes semblables à ceux des requérants dans tous les autres ports canadiens.  Selon le rapport de l’enquêteur, le représentant syndical a affirmé que l’âge de retraite en vigueur est 65 ans et que cette politique [TRADUCTION] « est en vigueur dans tous les grands ports canadiens de l’Altlantique ».  Le rapport ne mentionne aucun document ni fait particulier ayant incité l’enquêteur à se fonder sur cette déclaration.  Les lettres elles-mêmes n’en disent certainement pas plus sur la question de la mise en oeuvre de la politique.  À mon avis, la Cour ne devrait pas prescrire la teneur obligatoire de décisions particulières de la Commission.  Cependant, le seul renvoi, dans une décision, à des prétentions non étayées comme fondement d’une conclusion principale semble quelque peu insatisfaisant.  Bien que je n’aie pas vu, semble-t-il, tous les documents dont disposait l’enquêteur - et à cet égard le dossier est insatisfaisant - j’estime qu’il devait y avoir autre chose que la simple prétention à laquelle cette dernière a fait référence dans son rapport sur la mise en oeuvre des pratiques en matière de retraite dans d’autres ports.  Dans le cas contraire, ou si les seuls documents dont elle disposait étaient les lettres que le syndicat a envoyées à la Commission et qui ont été produites devant moi à l’audition, il se pourrait que la recommandation du rejet de la plainte, sur la seule foi de ces lettres pose problème.  Si des documents étayaient les prétentions de l’enquêteur, le rapport aurait dû en faire mention ou encore, les documents mêmes auraient dû être remis aux requérants.  Dans les deux cas, les requérants n’ont pas eu l’occasion de réfuter les renseignements qu’ils contenaient et qui semblent avoir incité l’enquêteur à se fonder sur les déclarations des représentants syndicaux.

 

            En conséquence, je conclus qu’en l’espèce, les lettres et autres documents sur lesquels l’enquêteur a dû se fonder pour formuler ses déclarations concernant l’âge de retraite et la mise en oeuvre de pratiques en cette matière dans d’autres ports auraient dû être communiqués aux requérants.

 

            Je reprends les mots du juge Décary selon lequel la Commission aurait grandement intérêt à exiger que les parties s’échangent leurs observations respectives.  Si cette pratique avait été suivie, la difficulté qui s’est posée en l’espèce aurait pu être évitée. 

 

            Il n’est pas nécessaire de traiter des autres arguments des requérants.  Les décisions par lesquelles la Commission a rejeté les plaintes des requérants sont annulées.  Les affaires sont renvoyées à la Commission pour qu’elle statue à nouveau sur celles-ci. 

 

            L’enquêteur que la Commission désignera, le cas échéant, devra être une personne autre que celle qui a formulé, à l’origine, la recommandation dont s’est inspirée la Commission pour rejeter les plaintes des requérants.  Les parties devront avoir accès au dossier de la Commission, et elles pourront présenter toute autre preuve qu’elles considèrent nécessaire. 

 

            L’emploi des requérants a pris fin le 31 décembre 1994.  La Commission a attendu onze mois avant de rejeter leurs plaintes.  La Commission a fait preuve d’une lenteur notoire dans plusieurs affaires dont elle était saisie et la Cour s’attend à un réexamen expéditif de la présente affaire. Tous les avocats ont convenu de collaborer et de se rendre disponibles dans la mesure où cela s’avère nécessaire pour éviter tout retard dans le réexamen de la présente affaire. 

 

            Les avocats des requérants demandent l’adjudication des dépens contre le syndicat intimé.  Or, l’existence de circonstances exceptionnelles doit être établie aux termes de la Règle 1618.  Bien qu’il soit malheureux que les documents non divulgués aient été communiqués seulement aujourd’hui, il n’est pas clair que le syndicat intimé avait l’obligation de le faire.  Selon la procédure prévue aux Règles 1612 et 1613, les parties doivent demander le dossier au tribunal, ce qu’elles ont fait en l’espèce.  La demande des requérants étant demeurée, semble-t-il, sans réponse, la procédure qu’ils doivent suivre consiste donc à demander à la Cour de rendre une ordonnance enjoignant au tribunal de leur communiquer son dossier.  Cela n’a pas été fait.  Vu les circonstances, je n’estime pas qu’il conviendrait d’adjuger des dépens contre le syndicat intimé.  Il n’y aura donc pas d’adjudication de dépens.

 

 

                                                                                                  Marshall Rothstein    

                                                                                                                                                                                 

                                                                                                                      J U G E           

EDMONTON (ALBERTA)

LE 6 MARS 1997.

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme                                _______________________

                                                                                    Bernard Olivier, LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

                                                                                      

 

NO DU GREFFE :                T-191-96, T-209-96

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :                       Wendell McAllister

 

            et

 

            Charles Lawson

 

                                                                        et

                                               

L’Association des employeurs maritimes

 

                                                                        et

 

Section locale no 1764, Steamship Checkers and Cargo Repairmen, Weighers and Samplers of the Port of Saint John, Association internationale des débardeurs

 

LIEU DE L’AUDIENCE :    Saint John (Nouveau-Brunswick)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  les 12 et 13 février 1997

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :              le juge Rothstein

 

ONT COMPARU :

 

Catherine Lahey                                                                              pour le requérant,

                                                                                                                        Wendell McAllister

 

Harry G. Colwell                                                                               pour le requérant,

                                                                                                                        Charles Lawson

 

John Barry, c.r.                                                                                 pour l’intimée,

L’Association des employeurs maritimes

 

Michael Wirvin                                                                                             pour l’intimée,

L’Association des employeurs maritimes

 

Theodore Wilson                                                                             pour l’intimé

Steamship Checkers and Cargo et al.

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Catherine Lahey                                                                              pour le requérant

a/s Stewart McKelvey Stirling Scales                               Wendell McAllister

 

Harry Colwell                                                                                                pour le requérant

Avocat                                                                                                            Charles Lawson

 

John P. Barry                                                                                                pour l’intimée,

a/s Barry and O’Neil                                                                        L’Association des                                                                                                                            employeurs maritimes

 

Michael Wirvin                                                                                             pour l’intimée,


a/s Barry and O’Neil                                                                        L’Association des                                                                                                                            employeurs maritimes

 

Theodore Wilson                                                                             pour l’intimé

Avocat                                                                                                            Steamship Checkers and                                                                                                               Cargo et al.



          [1]                 Voici les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne invoquées dans la présente instance :

 

   3. (1) Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

 

   7. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

                                                a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu;

                                                b) de le défavoriser en cours

 

   9. (1) Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour une organisation syndicale :

                                                a) d'empêcher l'adhésion pleine et entière d'un individu;

                                                b) d'expulser ou de suspendre un adhérent;

c) d'établir, à l'endroit d'un adhérent ou d'un individu à l'égard de qui elle a des obligations aux termes d'une convention collective, que celui‑ci fasse ou non partie de l'organisation, des restrictions, des différences ou des catégories ou de prendre toutes autres mesures susceptibles soit de le priver de ses chances d'emploi ou d'avancement, soit de limiter ses chances d'emploi ou d'avancement, ou, d'une façon générale, de nuire à sa situation.

 

   10. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite et s'il est susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu

ou d'une catégorie d'individus, le fait, pour l'employeur, l'association patronale ou

l'organisation syndicale :

                                                a) de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite;

b) de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation, l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel.

 

   15. Ne constituent pas des actes discriminatoires :

 

                                                                                                [...]

 

c) le fait de mettre fin à l'emploi d'une personne en appliquant la règle de l'âge de la retraite en vigueur pour ce genre d'emploi;

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