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Date: 19980115

T-2384-86

EN PRÉSENCE DE : M. LE JUGE TEITELBAUM

ENTRE:

SCOTTISH & YORK INSURANCE CO. LIMITED et

VICTORIA INSURANCE COMPANY OF CANADA,

                                                                                                                                  demanderesses

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

                                                                                                                                     défenderesse.

                                                                ORDONNANCE

            Pour les raisons exposées dans les motifs de l'ordonnance, la demande de modification et d'autorisation d'interrogatoire préalable est rejetée avec dépens en faveur des demanderesses.

                                                                                                "Max M. Teitelbaum"

                                                                                                                                                                                                                                                J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L.


Date: 19980115

T-2384-86

ENTRE:

SCOTTISH & YORK INSURANCE CO. LIMITED et

VICTORIA INSURANCE COMPANY OF CANADA,

                                                                                                                                 demanderesses,

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

                                                                                                                                     défenderesse.

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

1�        Dans la présente affaire, la défenderesse, Sa Majesté la Reine du chef du Canada, a déposé, le 5 novembre 1997, au greffe de la Cour fédérale à Toronto, un avis de requête visant le prononcé d'une ordonnance l'autorisant à modifier sa défense en ajoutant quatre paragraphes.

2�        Ces paragraphes sont ainsi conçus :

[TRADUCTION]

20.            Il déclare que Co-operators General Insurance Company (Co-operators), qui portait autrefois le nom de Co-operative Fire and Casualty Company, a avisé par écrit les demanderesses, en date du 18 juin 1982, que les opérations qu'elle avait reprises de l'ancienne succursale canadienne de Security Mutual Casualty Company ne comprenaient pas les traités de réassurance. Il déclare en outre que les demanderesses ont reçu cet avis le 21 juin 1982.

21.            Il déclare que les demanderesses ont su, au plus tard le 2 juillet 1982, que le surintendant des assurances avait libéré les valeurs conservées en dépôt pour Security Mutual Casualty Company.

22.            Il invoque la Loi sur l'immunité des personnes publiques exerçant des attributions d'ordre public, L.R.O. 1990, ch. P-38 et, plus particulièrement, l'article 7 de cette loi.

23.            Il déclare, subsidiairement, que si les demanderesses peuvent à bon droit se réclamer de l'obligation de diligence plaidée et s'il y a eu manquement à cette obligation, ce que la défenderesse nie expressément, les demanderesses ont eu connaissance de ce manquement le 2 juillet 1982 au plus tard. Toute cause d'action contre la défenderesse découlant de ce manquement a donc pris naissance plus de six mois avant la date à laquelle l'action a été intentée. En conséquence, l'action est prescrite en vertu de l'article 7 de la Loi sur l'immunité des personnes publiques exerçant des attributions d'ordre public.

3�        La défenderesse fonde son avis de requête sur les motifs suivants :

(a)            les articles 319 et 420 des Règles de la Cour fédérale;

(b)la Loi sur l'immunité des personnes publiques exerçant des attributions d'ordre public, L.R.O. 1990, ch. P-38, paragraphe 7(1);

(c)la modification sert les intérêts de la justice en permettant à la Cour d'examiner toutes les questions en litige, y compris la question de savoir si l'action des demanderesses est prescrite;

(d)la modification est fondée sur des documents produits par les demanderesses et ne peut leur causer préjudice ou les surprendre;

(e)l'instruction de la présente action ne débutera que lorsque la Cour de l'Ontario (Division générale) se sera prononcée sur une action connexe dont elle est saisie et dont l'instruction doit commencer le 19 janvier 1998.

4�        Il appert clairement, à la lecture des quatre paragraphes, que la défenderesse souhaite maintenant plaider que la cause d'action était connue des demanderesses le ou vers le 21 juin 1982 ou, au plus tard, le 2 juillet 1982, et que, de ce fait, leur action est prescrite en vertu de la Loi sur l'immunité des personnes publiques exerçant des attributions d'ordre public et, plus particulièrement, de son article 7.

5�        Le paragraphe 7(1) de la Loi sur l'immunité des personnes publiques exerçant des attributions d'ordre public prévoit ce qui suit :

7. (1) Nulle action, poursuite ou autre instance n'est recevable contre quiconque pour un acte accompli dans l'exercice ou en vue de l'exercice d'une fonction ou d'un pouvoir prévus par la loi ou d'ordre public, ou pour cause de négligence ou de manquement dans l'exercice de cette fonction ou de ce pouvoir, si elle n'est pas introduite dans les six mois suivant immédiatement le moment où la cause d'action a pris naissance ou, dans le cas où le préjudice s'est poursuivi pendant une certaine période, dans les six mois de la cessation du préjudice.

6�        Le 7 novembre 1997, la défenderesse a déposé un avis de requête modifié dans lequel s'ajoutait aux conclusions originalement recherchées dans l'avis initial une demande d'autorisation d'interroger au préalable les demanderesses relativement aux points allégués dans la modification proposée.

7�        Les parties ont comparu devant le juge en chef adjoint le 10 novembre 1997 et celui-ci a ajourné la requête en modification au 24 novembre 1997. Il a en outre ordonné : [TRADUCTION] « que les demanderesses déposent un nouvel affidavit, au plus tard le 13 novembre 1997, et que l'auteur de l'affidavit ainsi que M. John S. McNeil, l'auteur d'un affidavit souscrit le 7 novembre 1997, soient disponibles pour un contre-interrogatoire devant se tenir au plus tard le 19 novembre 1997 » .

8�        La défenderesse n'a contre-interrogé personne en vertu de l'autorisation accordée le 10 novembre 1997 par le juge en chef adjoint.

9�        En outre, la défenderesse a déposé, le 19 novembre 1997, un avis de requête dans lequel elle sollicitait un jugement sommaire pour les motifs suivants :

(a)            les paragraphes 431.1(2) et 432.3(3) des Règles de la Cour fédérale ;

(b)la Loi sur l'immunité des personnes publiques exerçant des attributions d'ordre public, L.R.O. 1990, ch. P-38, article 7.

(c)les demanderesses ont intenté leur action plus de six mois après que la cause d'action a pris naissance.

10�      À l'audience, l'avocat de la défenderesse a proposé que la requête pour jugement sommaire soit entendue avant la requête en modification. Je n'ai pas compris son raisonnement. Il demande à la Cour de rendre un jugement sommaire parce que les demanderesses ont intenté leur action en dehors du délai prévu par la loi, un motif qu'il n'a pas plaidé.

11�      De toute évidence, l'avocat de la défenderesse a oublié l'article 409 des Règles de la Cour fédérale, ou il en ignorait l'existence. Cette disposition est ainsi libellée :

409. Une partie doit plaider spécifiquement toute question (par exemple l'exécution, la décharge, une loi de prescription, la fraude ou tout fait impliquant une illégalité)

a) qui, selon ses allégations, empêche de faire droit à une demande ou une défense de la partie opposée;

b) qui, si elle n'est pas spécifiquement plaidée, pourrait prendre la partie opposée par surprise; ou

c) qui soulève des questions de fait ne découlant pas des plaidoiries antérieures

12�      Quoi qu'il en soit, les avocats des deux parties ont convenu que la demande de jugement sommaire serait ajournée, mais pour des raisons autres que l'article 409.

13�      Les parties ont entrepris le débat au sujet de la requête de la défenderesse en vue de modifier sa défense. À ce stade, un bref résumé des faits s'impose.

14�      Security Mutual Casualty Company, qui a subséquemment pris le nom de Security Casualty Company (Security), était un assureur de l'Illinois autorisé à exploiter son entreprise au Canada. En 1981, Security est devenue insolvable aux États-Unis et le séquestre, M. Frank Csar, a conclu une entente pour permettre à Co-operators d'acheter les opérations canadiennes de Security.

15�      Les demanderesses étaient des porteurs de polices de la succursale canadienne de Security qui agissaient comme réassureurs. La défenderesse conservait les valeurs déposées par Security à titre de réserve conformément aux traités de réassurance. Le Ministre devait consentir à l'acquisition de la succursale canadienne, ainsi que le prévoyait l'article 108 de la Loi sur les compagnies d'assurance canadiennes et britanniques. Il a octroyé cette autorisation le 21 décembre 1981, sur avis du surintendant des assurances du Canada, et l'entente a été signée le 27 janvier 1982. En application de l'article 35 de la Loi sur les compagnies d'assurance étrangères et sur l'avis du surintendant des assurances, le ministre a libéré les réserves de Security et les a remises à Co-operators.

16�      Co-operators soutient que la réserve afférente à la réassurance n'était pas incluse dans la remise qu'elle a reçue, et elle prétend, par conséquent, qu'elle n'a pas pris à son compte la responsabilité relative aux traités de réassurance conclus avec les demanderesses. Ces dernières ont intenté une action en Ontario contre Co-operators et contre M. Csar et, par la suite, elles ont poursuivi la défenderesse pour négligence le 30 octobre 1986. Cette dernière action repose sur la prétendue négligence commise par le surintendant des assurances dans les avis qu'il a donnés au Ministre concernant la libération des réserves et l'autorisation d'acquisition. L'avocat des demanderesses a signalé que la défenderesse en l'instance est également mise en cause dans l'action intentée devant la Cour de l'Ontario, laquelle doit être instruite à compter du 19 janvier 1998, et a déclaré que si ces dernières obtenaient gain de cause devant ce tribunal, elles ne poursuivraient pas leur instance devant la Cour fédérale.

17�      Les demanderesses affirment qu'elles subiraient un préjudice grave si la défenderesse modifiait sa défense et que, si elles avaient su que la défenderesse plaiderait la prescription en invoquant la Loi sur l'immunité des personnes publiques exerçant des attributions d'ordre public, elles auraient tenté de prouver que la cause d'action avait pris naissance en Illinois. Elles auraient ainsi pu se prévaloir du délai de prescription supérieur prévu à l'article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50, article 1; 1990, ch. 8, article 21 :

32. Sauf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s'appliquent lors des poursuites auxquelles l'État est partie pour tout fait générateur survenu dans la province. Lorsque ce dernier survient ailleurs que dans une province, la procédure se prescrit par six ans.

18�      Si les demanderesses peuvent se prévaloir du délai de six ans établi par la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, alors leur action a été intenté dans le délai imparti et n'est pas prescrite.

19�      Les demanderesses signalent que M. John McNeil, un de leurs procureurs, a déclaré dans sa disposition qu'il avait eu des discussions avec M. Joseph de Pencier, l'avocat qui représentait la défenderesse, au sujet d'une possible coopération entre les parties en vue de l'établissement de la responsabilité exclusive de Co-operators dans le cadre de l'action intentée en Ontario. Les demanderesses affirment en outre que ni l'affidavit de M. McNeil ni celui de M. William Holbrook, président des sociétés demanderesses, n'a été contesté car la défenderesse n'a pas cherché à en contre-interroger les auteurs.

20�      M. McNeil a déclaré que, dans ces discussions, il avait révélé la stratégie qu'il entendait suivre au procès ainsi que la base de son argumentation juridique. Il a également déclaré avoir rencontré M. de Pencier et M. Brian Corbett, conseillers juridiques internes du Bureau du surintendant des assurances (BSI), afin d'interroger des témoins de cet organisme, et avoir discuté avec ces derniers de leur déposition ainsi que de sa stratégie pour le procès et des principes du droit de la responsabilité civile.

21�      Les demanderesses font valoir que M. McNeil n'aurait jamais agi de la sorte si la défenderesse avait invoqué le délai de prescription prévu par la Loi sur l'immunité des personnes publiques exerçant des attributions d'ordre public. Elles affirment en outre qu'il leur faudrait chercher à obtenir de nombreuses pièces qui n'existent probablement plus et qu'elles devraient déposer des documents à l'égard desquels un privilège est réclamé. Elles signalent également que M. Clem Brennan, président de Co-operators, et le séquestre, M. Csar, auraient pu détenir des éléments de preuve établissant le lieu où la cause d'action a pris naissance, mais qu'ils sont tous les deux décédés.

22�      Elles soutiennent en outre que M. de Pencier a transmis à M. McNeil des questions et des recommandations relativement à l'interrogatoire préalable de MM. Denis Grimm et David Thompson, qui étaient convoqués en leur qualité de comptables ayant travaillé aux états financiers préparés par le cabinet Ernst & Whinney pour la vente de l'entreprise, parce qu'il n'allait pas prendre part à l'interrogatoire. M. McNeil a alors interrogé ces témoins en suivant les instructions de M. de Pencier. Les demanderesses affirment que si M. McNeil avait su qu'il compromettait la situation de ses clientes en consentant à exposer la thèse de la défenderesse, il aurait mené l'interrogatoire des personnes susmentionnées en tentant d'établir que la cause d'action contre la défenderesse avait également pris naissance en Illinois. Elles soulignent qu'il est maintenant impossible de réinterroger ces témoins, dans le cadre de l'instance ontarienne, parce que la défenderesse n'a soumis de demande de modification de sa défense que dans l'action intentée devant la Cour fédérale et non dans l'instance ontarienne.

23�      Finalement, les demanderesses affirment que la défenderesse savait depuis 1983 que la Loi sur l'immunité des personnes publiques exerçant des attributions d'ordre public lui offrait un moyen de défense, mais qu'elle a attendu jusqu'au mois de novembre 1997 pour demander d'être autorisée à modifier sa défense. Elles font valoir qu'elles n'ont jamais eu à se demander si elles devaient tenter d'établir que la cause d'action avait pris naissance en Illinois parce qu'elles croyaient à l'existence d'une coopération avec la défenderesse. Elles plaident, en conséquence, qu'elles subiraient un grave préjudice si la défenderesse était autorisée maintenant à modifier sa défense.

24�      La défenderesse soutient pour sa part que l'autorisation de modifier la défense n'occasionnerait aucun préjudice aux demanderesses. Son avocat prétend, en premier lieu, qu'il n'a décidé de présenter cette requête qu'à la suite de la décision rendue par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire Al's Steak House and Tavern Inc. v. Deloitte & Touche (1997), 102 O.A.C. 144 [ci-après appelée l'arrêt Al's Steak House]. Dans cet arrêt, la Cour a établi que la Loi sur l'immunité des personnes publiques exerçant des attributions d'ordre public s'appliquait à la Reine du chef du Canada et a contredit une décision contraire antérieure (voir Sjouwerman c. Canada Post Corp. and Valance (1990), 37 O.A.C. 294 (C.A. Ont.)). Dans l'arrêt Al's Steak House, la Cour a également contesté la décision du juge Reed dans l'affaire Kelly c. Canada (1994), 80 F.T.R. 1 (C.F. 1re inst.) [ci-après appelée la décision Kelly], dans laquelle cette dernière avait statué que la Loi sur l'immunité des personnes publiques exerçant des attributions d'ordre public ne s'appliquait pas à la Couronne fédérale. L'avocat de la défenderesse affirme que ce n'est qu'après avoir pris connaissance de l'arrêt, au mois de juillet ou au mois d'août 1997, qu'il a décidé de solliciter l'autorisation de modifier la défense.

25�      La défenderesse soutient en outre que M. John Spencer, l'avocat du ministère de la Justice qui est actuellement affecté à la présente affaire avec M. Peter Vita, déclare dans son affidavit qu'il n'a jamais discuté de l'affaire avec M. de Pencier. Il y déclare également que M. Vita l'a informé qu'il n'avait eu avec M. de Pencier qu'une brève discussion au sujet de l'action intentée devant le tribunal ontarien et de l'état du dossier en vue du procès.

26�      La défenderesse ajoute que M. McNeil peut citer comme témoins dans l'action ontarienne tous les témoins qu'il est censé avoir interrogés en présence de M. de Pencier et de M. Corbett. Elle fait valoir que le préjudice allégué, s'il en est, n'est lié qu'à l'action ontarienne et non à l'action dont la Cour fédérale est saisie.

27�      Relativement à l'interrogatoire préalable des anciens comptables du cabinet Ernst & Whinney, la défenderesse souligne que ces comptables ont contribué à la préparation d'états financiers dans lesquels ils ont conclu que le traité de réassurance ne faisait pas partie des opérations canadiennes et qu'il devrait être attribué à la société mère. Puisque l'action intentée contre la défenderesse en Cour fédérale repose sur la négligence dont aurait fait preuve le surintendant des assurances dans l'avis conseillant au Ministre de libérer les réserves et d'autoriser le contrat de vente, soutient la défenderesse, l'interrogatoire des comptables n'a aucun rapport avec cette action.

28�      La défenderesse soutient, en dernier lieu, que ni les comptables du cabinet Ernst & Whinney ni M. Brennan ou M. Csar, ne pouvaient donner de renseignements concernant le lieu où la cause d'action avait pris naissance.

29�      Les demanderesses ont plaidé que le paragraphe 44(2) de l'Ontario Limitations Act, R.S.O. 1980, s'applique à la Loi sur l'immunité des personnes publiques exerçant des attributions d'ordre public. Cette disposition est ainsi conçue :

[TRADUCTION]

44. (2) Aucune règle particulière de prescription n'est interprétée de façon à exclure la réclamation d'un bénéficiaire contre son fiduciaire pour des biens détenus en fiducie expresse relativement à une fiducie antérieure.

30�      Les demanderesses soutiennent que le surintendant des assurances agissait en qualité de fiduciaire relativement aux réserves de la succursale canadienne de Security et que, par conséquent, le paragraphe 44(2) de l'Ontario Limitations Act a préséance sur la Loi sur l'immunité des personnes publiques exerçant des attributions d'ordre public. C'est au juge présidant l'instruction ou au juge saisi d'une requête en jugement sommaire qu'il appartient de trancher une telle question. Elle n'est pas pertinente pour ce qui est de la présente requête.

31�      Les demanderesses prétendent également que le paragraphe 402(4) des Règles de la Cour fédérale s'oppose à ce que la défenderesse modifie maintenant sa défense parce que les motifs pour lesquels elle veut le faire n'ont pas pris naissance après le dépôt de cet acte de procédure. Cette règle prévoit ce qui suit :

402. (4) Lorsqu'un motif de défense survient après que le défendeur a déposé une défense, le défendeur peut, avec la permission de la Cour, déposer une défense supplémentaire exposant ce motif.

32�      Les demanderesses avancent que le paragraphe 402(4) étant de portée précise, il l'emporte sur la règle générale en matière de modification énoncée à l'article 420. Lors de l'audition de la présente requête, j'ai conclu que cette interprétation n'était pas recevable. Certes, il s'agit d'un facteur important à prendre en considération lorsqu'un défendeur a omis d'invoquer un moyen de défense en temps utile, mais cela ne signifie pas que le paragraphe 402(4) formule une interdiction absolue.

33�      Les demanderesses ont également soutenu que, puisque la Loi sur l'immunité des personnes publiques exerçant des attributions d'ordre public établit que l'action doit être intentée dans les six mois suivant la naissance de la cause d'action, le délai de prescription ne s'applique donc pas en l'espèce car des demandes d'indemnisation continuent d'être soumises et des dommages continuent d'être subis, ce qui fait que la période de prescription se poursuit toujours. J'ai fait savoir à l'avocat, lors de l'audition, qu'il fallait d'autres éléments de preuve pour trancher cette question et que je n'étais pas disposé, à ce stade, à rejeter la requête sur ce seul argument.

34�      Relativement à l'essence de l'argumentation, il faut signaler, premièrement, que la règle concernant le pouvoir discrétionnaire de la Cour d'autoriser une partie à modifier un acte de procédure est claire. Le paragraphe 420(1) des Règles de la Cour fédérale énonce ce qui suit :

420. (1) La Cour pourra, aux conditions qui semblent justes le cas échéant, à tout stade d'une action, permettre à une partie d'amender ses plaidoiries, et tous les amendements nécessaires seront faits aux fins de déterminer la ou les véritables questions en litige entre les parties.

35�      Dans l'arrêt Francoeur c. Canada,[1992] 2 F.C. 333 (C.A.F.), la Cour a brièvement énoncé la règle, aux pp. 337 et 338 :

[La] règle générale est la suivante : un amendement doit être admis TRADUCTION] « afin de trancher les questions litigieuses véritables qui opposent les parties » à la condition que cette admission n'occasionne pas d'injustice à l'autre partie que l'on ne peut indemniser par l'adjudication de dépens.

36�      À mon avis, la preuve établit que les demanderesses et la défenderesse agissaient de concert. Comme ni M. McNeil ni M. Holbrook n'ont été interrogés à la suite de l'ordonnance du juge en chef adjoint rendue le 10 novembre 1997, les déclarations contenues dans leurs affidavits demeurent largement non contestées. Le seul élément de preuve contredisant ces affidavits est l'affidavit de M. John Spencer, mentionné plus haut. Je trouve étrange que la défenderesse n'ait pas déposé un affidavit souscrit par M. de Pencier ou par M. Corbett afin de contredire celui de M. McNeil, si cela était effectivement possible.

37�      En outre, M. Spencer déclare, dans son affidavit, qu'il a communiqué avec M. Corbett, lequel lui a dit qu'il se souvenait d'une rencontre avec MM. McNeil et de Pencier, à laquelle M. McNeil a interrogé M. Richard Maybe, ancien employé du BSA. Il appert des questions 39 à 45 du contre-interrogatoire de M. Spencer, que les demanderesses et la défenderesse agissaient de concert. Plus particulièrement, M. Spencer a fait état, au cours de l'interrogatoire, de l'entrevue avec M. Richard Maybe auquel MM. McNeil et de Pencier étaient présents (à la question 45) :

[TRADUCTION]

[...] c'était une entrevue grâce à laquelle ils espéraient, vous savez, découvrir ce que Dick Maybe pouvait leur dire, et que cela constituerait la meilleure preuve possible, et pour la mise en cause et pour la demanderesse.

38�      La preuve démontre, de façon convaincante, que les demanderesses et la défenderesse agissaient de concert. Elles ont interrogé au moins un témoin ensemble et se sont rencontrées à d'autres occasions. Je crois également que cela a influé sur la stratégie des demanderesses en vue du procès. Ces dernières pourraient subir un préjudice.

39�      Je ne crois pas, toutefois, que le préjudice résulte de l'impossibilité pour les demanderesses de réinterroger les témoins dans l'action ontarienne du fait que la défenderesse n'a pas présenté de requête pour modifier sa défense dans cette affaire. Je serais disposé à recevoir l'argument de la défenderesse voulant que cette cour ne puisse examiner la question de savoir si les demanderesses pourraient subir un préjudice dans une action distincte entendue par la Cour de l'Ontario.

40�      À mon avis, le préjudice souffert en l'espèce par les demanderesses provient de ce qu'elles doivent modifier la stratégie qu'elles suivent depuis plusieurs années. Il est fort probable que la formulation des questions posées aux témoins lors de précédents interrogatoires ne convient plus à la stratégie actuelle. Les demanderesses se sont également causé du tort en rencontrant M. de Pencier et en lui révélant leurs options stratégiques. Pendant près d'une décennie, les demanderesses n'ont pas tenté de soutenir que la cause d'action avait pris naissance en Illinois parce que la question ne s'est posée que récemment. Les demanderesses ont travaillé avec la défenderesse sans penser que la question du lieu où la cause d'action est survenue pouvait décider de l'issue de la cause.

La défenderesse soutient n'avoir pris conscience que la Loi sur l'immunité des personnes publiques exerçant des attributions d'ordre public s'appliquait à la Couronne fédérale qu'après le prononcé de l'arrêt Al's Steak House. Pourtant, les décisions rendues par la Section de première instance de la Cour fédérale dans les affaires Olympia Interiors Ltd. c. Canada (1993), 66 F.T.R. 81 et Collie Woollen Mills Ltd. c. Canada (1996), 107 F.T.R. 93 affirment toutes deux que cette loi s'applique. L'affaire Kelly est la seule décision contraire de la Cour fédérale. Dans ces circonstances, je ne crois pas qu'il soit justifié d'invoquer la prudence pour justifier le fait que la défenderesse ne s'est pas prévalue de la Loi sur l'immunité des personnes publiques exerçant des attributions d'ordre public. Cette dernière aurait certainement pu utiliser ce moyen de défense si elle l'avait jugé juste.

41�      Je suis convaincu qu'il ne convient pas d'autoriser les modifications parce que celles-ci feraient subir aux demanderesses un préjudice pour lequel les dépens ne pourraient adéquatement l'indemniser.


            La demande de modification et d'autorisation d'interrogatoire préalable est rejetée avec dépens en faveur des demanderesses.

                                                                                                "Max M. Teitelbaum"

                                                                                                                                                                                                                                                J.C.F.C.

OTTAWA

Le 15 janvier 1998

TRADUCTION CERTIFIÉE CONFORME                                                                                                                                          Ghislaine Poitras, LL.L.


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                             AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :T-2384-86

INTITULÉ :SCOTTISH & YORK INSURANCE CO. LIMITED ET AL. C. SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :    le 10 NOVEMBRE 1997

MOTIFS DU JUGEMENT DU JUGE TEITELBAUM

EN DATE DU 15 JANVIER 1998

COMPARUTIONS :

T.G. FELLOWES, c.r.                                                                      POUR LES DEMANDERESSES

PETER A. VITA, c.r.                                                                             POUR LA DÉFENDERESSE

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:

FELLOWES, McNEIL

TORONTO (ONTARIO)                                                                 POUR LES DEMANDERESSES

GEORGE THOMSON

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

OTTAWA (ONTARIO)                                                                         POUR LA DÉFENDERESSE

                                                           

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