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Date : 19990129


Dossier : IMM-3418-98

ENTRE :


DRAGAN FILIPOVIC et

OJCA MARKARI-FILIPOVIC,

demandeurs,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


MOTIFS D"ORDONNANCE

LE JUGE DUBÉ

[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire de la décision, datée du 17 juin 1998, par laquelle un agent de révision des revendications refusées (le tribunal) a rejeté la demande déposée par les demandeurs visant à obtenir que leur cas soit examiné dans le cadre de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (la catégorie des DNRSRC), conformément au paragraphe 2(1) et à l"article 11.4 du Règlement sur l"immigration de 1978.

1.      Les faits

[2]      Les demandeurs, qui sont mariés l"un à l"autre, sont des citoyens de l"ancienne Yougoslavie. Ils sont arrivés au Canada en avril 1995 et ils ont déposé une revendication du statut de réfugié, qui a été rejetée le 6 mai 1998 par la Section du statut de réfugié (la SSR). La décision de la SSR leur a été envoyée accompagnée de formulaires de demande d"examen de leur cas dans le cadre de la catégorie des DNRSRC. La même journée, leur ancien avocat les a avisés de la décision défavorable. Le 8 juin 1998, ce dernier a fait parvenir au Centre d"Immigration Canada, par service de messagerie, les demandes des demandeurs visant à obtenir que leur cas soit considéré dans le cadre de la catégorie des DNRSRC.

[3]      Le 23 juin 1998, les demandeurs ont reçu une copie de la lettre du tribunal, datée du 17 juin 1998, selon laquelle leurs demandes avaient été rejetées parce qu"elles n"avaient pas été reçues dans le délai prescrit. Peu après, les demandeurs ont retenu les services d"un autre avocat, qui a communiqué avec le tribunal pour lui demander de réexaminer sa décision, ce que le tribunal a refusé de faire. Voici les motifs exposés par le tribunal dans sa lettre du 17 juin 1998 pour étayer sa décision de rejeter les demandes :

                 [TRADUCTION]                 
                 " En vertu du Règlement sur l"immigration, les revendicateurs du statut de réfugié déboutés doivent présenter une demande afin d"obtenir que leur cas soit examiné dans le cadre de la catégorie des DNRSRC. Une telle demande doit avoir été mise à la poste au plus tard 22 jours après la date à laquelle la personne a été avisée de la décision de la Section du statut de réfugié.                 
                 La date de l"avis de la décision de la Section du statut de réfugié était le 13 mai 1998. La demande visant à obtenir que le cas soit examiné dans le cadre de la catégorie des DNRSRC devait parvenir à nos bureaux au plus tard le 5 juin 1998. Comme la demande n"est pas parvenue à nos bureaux dans le délai prescrit, elle est rejetée ".                 

2.      La question litigieuse

[4]      Le tribunal a-t-il commis une erreur de droit lorsqu"il a rejeté la demande déposée par les demandeurs visant à obtenir que leur cas soit examiné dans le cadre de la catégorie des DNRSRC?

3.      L"analyse

[5]      Il ressort du dossier du tribunal que l"avis de décision est daté du 6 mai 1998. Cependant, il n"a été signé que le 14 mai 1998. Comme il a déjà été mentionné, la lettre du 17 juin 1998 dit que " La date de l"avis de la décision de la Section du statut de réfugié était le 13 mai 1998 ". De toute façon, il a été établi que les demandeurs avaient reçu la décision du tribunal, de même que les formulaires de demande d"examen de leur cas dans le cadre de la catégorie des DNRSRC, à leur lieu de résidence, par le courrier courant, le 22 mai 1998. Le 6 juin 1998 était la quinzième journée suivant la date à laquelle les demandeurs avaient été avisés de la décision, et c"était un samedi. L"avocat des demandeurs a envoyé les demandes de ces derniers par service de messagerie le lundi suivant, soit le 8 juin 1998.

[6]      L"alinéa 4b ) de la Loi sur l"immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), prévoit qu"en l"absence de preuve contraire, une personne est présumée être avisée d"une décision prise en vertu de la Loi le septième jour suivant l"envoi des motifs écrits de la décision. En l"espèce, une preuve établit que les demandeurs ont été avisés de la décision seulement le 22 mai 1998, soit après l"expiration d"un délai de sept jours.

[7]      Pour les fins du calcul du délai prescrit par la loi dans lequel les demandeurs devaient présenter leurs demandes relatives à la catégorie des DNRSRC, la disposition pertinente est l"alinéa 11.4(2)b ) du Règlement sur l"immigration de 1978, qui prévoit que la demande doit être présentée " dans les 15 jours suivant la date où la section du statut [a avisé la personne] de sa décision ".

[8]      Les demandeurs n"ont pas présenté leurs demandes le quinzième jour, qui était un samedi, mais bien le lundi suivant. Dans son mémoire, le défendeur (le ministre) a soutenu que le tribunal ignorait la date de réception de l"avis de décision par les demandeurs au moment où il a rendu sa décision et qu"il serait inapproprié d"introduire ce nouvel élément de preuve. Cependant, à l"audition de la demande de contrôle judiciaire, l"avocate du ministre a admis que la date de réception était le samedi 22 mai 1998. En outre, l"avocate a ultérieurement présenté un nouvel argument dans sa plaidoirie selon lequel le samedi n"était pas un " jour férié ".

[9]      En droit fédéral, l"art. 26 de la Loi d"interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-23, prévoit que " [l]e délai qui expirerait normalement un jour férié est prorogé jusqu"au premier jour non férié suivant ". En vertu du paragraphe 35(1), disposition qui définit certains termes, l"expression " jour férié " est définie comme étant l"un ou l"autre des jours suivants, c"est-à-dire " les dimanches [...] et tout jour qui est un jour non juridique au sens d'une loi provinciale [...] ".

[10]      Cependant, comme l"a souligné à bon droit l"avocat des demandeurs, le paragraphe 25(3) de la Interpretation Act , R.S.B.C. 1979, ch. 206 [modifiée], de la Colombie-Britannique, prévoit :

         [TRADUCTION]         
         25.(3)      Le délai imparti pour accomplir un acte dans un bureau d"affaires qui expirerait normalement un jour auquel le bureau n"est pas ouvert pendant les heures normales d"ouverture est prorogé jusqu"au premier jour suivant auquel le bureau est ouvert.         

[11]      En conséquence, bien que le samedi ne soit pas considéré comme un jour férié au même titre que le dimanche dans ces deux lois d"interprétation, j"estime que le fait que les bureaux de l"État, tant sur le plan provincial que fédéral, ne sont pas ouverts le samedi, relève de la connaissance d"office de la Cour. Il se peut bien que c"est ce que la Cour d"appel fédérale a voulu dire dans l"arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Forces armées canadiennes) (re Lagacé), [1996] J.C.F. no 528 (au paragraphe 11) :

         Il y a lieu de noter que le samedi est expressément déclaré jour non juridique dans le calcul des délais à observer en matière civile dans la plupart des provinces canadiennes.         

La Cour poursuit en énumérant les provinces suivantes : " [le samedi est un jour juridique ] en Ontario, en Alberta, au Manitoba, au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse, à Terre-Neuve et dans l'Île-du-Prince-Édouard ". La Cour n"a pas inclus dans son énumération la Colombie-Britannique en tant que province ayant expressément déterminé que le samedi est un jour juridique.

[12]      La demande visant à obtenir que son cas soit examiné dans le cadre de la catégorie des DNRSRC constitue une partie importante du régime législatif prévu par la Loi, car elle prévoit une évaluation des chances de succès de revendicateurs du statut de réfugié qui, bien qu"ils ne soient pas parvenus à établir de façon définitive qu"ils satisfaisaient aux critères applicables aux réfugiés au sens de la Convention, courraient néanmoins des risques s"ils étaient renvoyés dans leur pays d"origine. À mon avis, le tribunal a exercé de façon illégale le pouvoir que lui conférait la loi, ce qui est incompatible avec l"obligation d"agir équitablement qui lui incombait à l"égard des demandeurs. Il a abusé de son pouvoir discrétionnaire en imposant une interprétation trop stricte de ses propres lignes directrices.

[13]      En conséquence, le refus du tribunal est annulé et l"affaire est renvoyée pour qu"une formation différemment constituée statue de nouveau sur celle-ci.

[14]      La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[15]      À mon avis, la présente affaire ne soulève aucune question de portée générale méritant d"être certifiée.


(Signé) " J.E. Dubé "

                                             J.C.F.C.

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 29 janvier 1999.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DATE DE L"AUDIENCE :          le 29 janvier 1999

NO DU GREFFE :              IMM-3418-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Dragan Filipovic et autre

                     - c. -

                     MCI

LIEU DE L"AUDIENCE :          Vancouver (Colombie-Britannique)

MOTIFS D"ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MONSIEUR LE JUGE DUBÉ

en date du 29 janvier 1999

ONT COMPARU :

     M. Shane Molyneauz      pour le demandeur

     Mme Emilia Pech          pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

     McPherson, Elgin & Cannon

     Vancouver (C.-B.)          pour le demandeur

     Morris Rosenberg          pour le défendeur

     Sous-procureur général

     du Canada

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