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Date : 19980508


Dossier : T-949-98

Entre :

     MONSIEUR JEAN COULOMBE

     Demandeur

     - et -

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     Défendeur

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

     (Motifs prononcés par conférence téléphonique

     entre Ottawa et Québec, le 8 mai 1998)

LE JUGE RICHARD :


[1]      Il s'agit d'une requête en injonction interlocutoire présentée par le requérant en vertu des Règles 358 et 373 des Règles de la Cour fédérale, 1998.


[2]      Le requérant a déposé un avis de demande de contrôle judiciaire afin de faire cesser et déclarer nulle et non avenue la décision rendue le 5 mai 1998 par monsieur St-Gelais du ministère des Pêches et Océans Canada (ci-après le Ministère), laquelle stipule que les conditions du permis de pêche du requérant pour la saison 1998 ne seront émises que lorsque celui-ci confirmera par écrit qu'il a pris une entente avec une compagnie d'observateurs en mer certifiée.


[3]      Le requérant demande à la Cour de rendre une ordonnance obligeant le Ministère à émettre au requérant les conditions de son permis de pêche de crabe des neiges, du hareng et de poissons de fond (sauf la morue) pour l'année 1998 et ce, jusqu'à ce que la Cour se prononce sur la validité et la légalité de la demande du Ministère, laquelle est visée par l'avis de demande de contrôle judiciaire.

CIRCONSTANCES DE L'AFFAIRE

[4]      Le demandeur détient un permis de pêche commerciale pour la saison 1998 pour la pêche du crabe des neiges dans la zone 16 et celle du hareng et de poissons de fond (sauf morue) dans la zone 15.

[5]      Cependant, le Ministère des Pêches et Océans Canada refuse d'émettre au demandeur les conditions de son permis de pêche de crabe des neiges, de telle sorte que depuis l'ouverture de la saison de pêche du crabe des neiges dans la zone 16, le demandeur est dans l'impossibilité d'exercer les droits et privilèges résultant de son permis de pêche.

[6]      Les motifs du Ministère des Pêches et Océans Canada pour refuser l'émission des conditions de permis du demandeur se retrouvent dans une lettre du 15 avril 1998, où M. Martin St-Gelais, responsable de la gestion de la ressource et représentant du secteur intérimaire, secteur Côte-Nord, écrivait au demandeur :

     Objet:      Conditions de permis 1998

     Monsieur,

     Suite à votre visite à nos bureaux le 14 avril dernier, nous tenons par la présente à vous confirmer la procédure en vigueur concernant l'émission des conditions de permis de pêche au crabe des neiges à l'égard de la couverture du programme d'observateurs en mer.         
     Nous aimerions tout d'abord vous signaler que le comité consultatif du crabe des neiges pour la zone 16 a eu lieu cette année le 18 mars 1998 à Sept-Iles. Les représentants de l'industrie incluant les représentants des deux associations de pêcheurs de crabe de la zone 16 étaient présents. Dans le cadre des discussions concernant les mesures de gestion 1998, le comité consultatif a convenu que les conditions de permis des crabiers seraient émises lorsque chaque pêcheur aura pris entente individuelle avec une compagnie d'observateurs en mer certifiée. A ce jour, 35 des 36 crabiers de la zone 16 ce [sic] sont conformés à cette approche de gestion.         
     Le programme d'observateurs en mer du ministère des Pêches et des Océans est un outil essentiel à l'industrie des pêches afin de recueillir les données scientifiques nécessaires afin de permettre une exploitation viable de la ressource. Pour ce faire, nous demandons à l'industrie d'avoir recours à des observateurs en mer certifiés par notre ministère.         
     L'article 6 de la condition de permis des pêcheurs de crabe des neiges stipule que: "Sur demande d'un agent des pêches ou d'un responsable local d'une compagnie d'observateurs, un observateur doit être présent à bord de votre bateau de pêche, en tout temps, au cours de l'expédition de pêche visée par la dite demande".         
     Étant donné qu'à partir du moment où la dite demande sera faite, il est de la responsabilité du pêcheur de s'assurer d'obtenir les services d'un observateur certifié par le ministère, nous apprécierions recevoir de votre part la confirmation écrite de la façon que vous entendrez prendre afin de remplir cette obligation.         
     Si les démarches que vous entreprendrez s'avèrent satisfaisantes, nous prendrons les mesures nécessaires afin d'émettre les conditions de permis vous autorisant à débuter vos activités de pêche pour la saison 1998.         
     Veuillez accepter, Monsieur Coulombe, l'expression de mes sentiments les meilleurs.         

[7]      Le 23 avril 1998, le demandeur faisait signifier aux représentants autorisés du Ministère des Pêches et Océans Canada son acceptation écrite aux conditions de permis stipulées à l'article 6 des conditions générales de permis de pêcheurs de crabe des neiges.

[8]      Le 5 mai 1998, M. Martin St-Gelais lui répondait :

     Objet:      Conditions de permis 1998

     Monsieur,

     Nous accusons réception de votre lettre du 04 mai 1998. Vous trouverez en annexe copie de la lettre qui vous a été envoyée le 15 avril dernier concernant l'émission des conditions de permis pour la pêche au crabe en 1998.         
     L'information contenue dans cette lettre est toujours en vigueur.         
     Veuillez accepter, Monsieur, l'expression de mes sentiments les meilleurs et vous remercie de votre collaboration.         

LES CRITÈRES À SATISFAIRE

[9]      Comme je l'ai mentionné dans l'arrêt Conseil du Crabe des Neiges Inc. et al. c. Canada (Ministère des Pêches et Océans) et al.1, la question soulevée dans la présente demande est de savoir s'il faut accorder aux requérants le redressement provisoire sollicité. Ils y ont droit seulement s'ils satisfont aux critères formulés dans Metropolitan Stores (MTS) Ltd. v. Manitoba Food and Commercial Workers Local 832 and Labour Board (Man.)2. Généralement, un tribunal devrait appliquer les mêmes principes que le redressement demandé : soit une injonction ou une suspension d'instance.

[10]      L'arrêt Metropolitan Stores établit une analyse en trois étapes que les tribunaux doivent appliquer quand ils examinent une demande de suspension d'instance ou d'injonction interlocutoire. Premièrement, une étude préliminaire du fond du litige doit établir qu'il y a une question sérieuse à juger. Deuxièmement, il faut déterminer si le requérant subirait un préjudice irréparable si sa demande était rejetée. Enfin, il faut déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l'on accorde ou refuse le redressement en attendant une décision sur le fond.

L'EXISTENCE D'UNE QUESTION SÉRIEUSE À JUGER

[11]      Il n'existe pas d'exigences particulières à remplir pour satisfaire à ce critère. Les exigences minimales ne sont pas élevées. Le juge saisi de la requête doit faire un examen préliminaire du fond de l'affaire.

LE PRÉJUDICE IRRÉPARABLE

[12]      À cette étape, la seule question est de savoir si le refus du redressement pourrait être si défavorable à l'intérêt du requérant que le préjudice ne pourrait pas faire l'objet d'une réparation, en cas de divergence entre la décision sur le fond et l'issue de la demande interlocutoire. Le terme "irréparable" a trait à la nature du préjudice subi plutôt qu'à son étendue.

LA PRÉPONDÉRANCE DES INCONVÉNIENTS ET L'INTÉRÊT PUBLIC

[13]      Le troisième critère applicable à une demande de redressement interlocutoire consiste à déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l'on accorde ou refuse une injonction interlocutoire en attendant une décision sur le fond. Lorsqu'il s'agit de la constitutionnalité d'une loi ou, comme c'est le cas ici, de l'autorité d'un organisme chargé de l'application de la loi, il est important de tenir compte de l'intérêt public dans l'appréciation de la prépondérance des inconvénients.

[14]      Il faut noter qu'il s'agit d'une mesure exceptionnelle et que le fardeau est sur le requérant pour établir ces trois critères.

L'APPLICATION DES CRITÈRES À LA PRÉSENTE INSTANCE

L'existence d'une question sérieuse à juger

     Prétentions du demandeur

[15]      Aucune disposition législative et réglementaire exige du demandeur pour l'obtention de ses conditions de permis pour la pêche du crabe des neiges, à payer les frais de l'observateur à bord ou même de contracter avec un tiers pour assurer la présence de ces observateurs à bord.

[16]      Aucune disposition législative et réglementaire exige du demandeur pour l'obtention de ses conditions de permis pour la pêche du crabe des neiges, à payer d'autres droits que ceux prévus à l'article 8 de la Loi sur les Pêches (S.R. ch. F-14) et ce, alors que tous les droits devant être payés au terme de la Loi et de la réglementation ont déjà été acquittés par le demandeur ; celui-ci étant en possession de son permis de pêche.

[17]      En exigeant du demandeur que celui-ci contracte avec une compagnie accréditée par le Ministère des Pêches et Océans Canada afin d'assurer la présence d'observateurs à bord des bateaux de pêcheurs de crabe des neiges, en l'occurrence la compagnie Biorex, et en obligeant ainsi le requérant à payer à cette compagnie un montant de 3 600,00 $ avant d'obtenir ses conditions de permis, le Ministère des Pêches et Océans Canada, non seulement oblige-t-il le demandeur à s'engager contractuellement avec un tiers sans qu'il ait cette obligation au terme de la Loi mais bien plus encore, il se trouve à exiger du demandeur des droits non fixés par le gouverneur en conseil tels que prévus à l'article 8 de la Loi sur les pêches.

     Prétentions du défendeur

[18]      Le pouvoir d'émettre un permis de pêche est un pouvoir discrétionnaire du ministre des Pêches et Océans Canada selon l'article 7 de la Loi sur les Pêches (L.R.C. 1995 ch. F-7).

[19]      L'alinéa 22(1)n) du Règlement de pêches (dispositions générales) DORS 93-53 (ci-après le Règlement), prévoit que la condition suivante peut être indiquée sur un permis de pêche :

     n)      La vérification par l'observateur du poids et de l'espèce de tout poisson pris et gardé.         

[20]      L'article 39 du Règlement indique les conditions que doivent rencontrer les personnes que le directeur général régional peut désigner à titre d'observateur ainsi que les fonctions qui peuvent être attribuées à l'observateur.

[21]      L'article 46 du Règlement prévoit que le propriétaire ou le capitaine d'un bateau doit, à la demande du directeur général régional, permettre à l'observateur à qui les fonctions visées à l'alinéa 39(2)a) ont été attribuées de monter à bord du bateau pour y exercer ces fonctions et de rester à bord du bateau pendant la période précisée dans la demande et prendre les dispositions nécessaires pour embarquer ou débarquer l'observateur à la date, à l'heure et à l'endroit précisé dans la demande.

[22]      L'article de la condition de permis de pêche des pêcheurs de crabe stipule que : Sur demande d'un agent des pêches ou d'un responsable local d'une compagnie d'observateurs, un observateur doit être présent à bord de votre bateau de pêche en tout temps, au cours de l'expédition de pêche visée par ladite demande.

[23]      Il ressort que le Règlement permet au Ministère d'assortir un permis de pêche d'une condition qui oblige la vérification par un observateur du poids et de l'espèce de tout poisson pris et gardé.

[24]      Ainsi, le règlement prévoit que la présence à bord d'un observateur peut être une condition d'un permis de pêche, cette condition est prévue à l'article 6 de la condition de permis de pêche et le Ministère ne remet les conditions de permis de pêche que lorsque le pêcheur aura pris une entente avec une compagnie d'observateurs en mer désignée, le tout pour s'assurer que la condition sera respectée.

     Conclusion

[25]      Le demandeur ne conteste pas la validité de l'article 46 du Règlement et reconnaît que le pêcheur doit se soumettre à ce règlement. Le pêcheur doit recevoir l'observateur. Toutefois, ce n'est pas sa responsabilité d'en assumer le coût. Il en ressort que la seule question est qui doit assumer les frais et les coûts de l'observateur à bord?

[26]      Il s'agit donc de l'interprétation et de l'application d'un texte de loi et de ses règlements. Je suis prêt à accepter, pour les fins de la présente requête, que le demandeur a soulevé une question sérieuse à juger.

LE PRÉJUDICE IRRÉPARABLE

Prétentions du demandeur

[27]      Le préjudice que subira le demandeur si l'injonction interlocutoire devait être refusée est de deux ordres : le premier est d'ordre contractuel et le second, d'ordre monétaire.

[28]      En ce qui regarde le préjudice pouvant être qualifié de contractuel, précisons que celui-ci découle du fait que pour pouvoir obtenir ses conditions de permis nécessaires à l'exercice de la pêche du crabe des neiges, le demandeur doit se lier contractuellement avec une compagnie accréditée par le Ministère des Pêches et Océans Canada et payer le coût inhérent aux services offerts par celle-ci.

[29]      Pour ce qui est du préjudice d'ordre monétaire, il ne sera pas possible au demandeur de recouvrer les dommages qu'il aura subis.

[30]      Une fois qu'il se sera ainsi engagé ou lié contractuellement, le demandeur ne pourra obtenir de la compagnie accréditée le remboursement du montant de 3 600,00 $ puisque celle-ci aura fourni le service pour lequel elle a été payée et donc en droit de se faire payer.

[31]      En ce qui concerne la possibilité d'un recours éventuel par le demandeur contre le Ministère des Pêches et Océans Canada, celui-ci nous apparaît difficile sur le plan juridique tant en raison de l'absence de lien contractuel entre le demandeur et ledit Ministère que sur le plan délictuel en regard des règles de droit en matière de responsabilité de la Couronne et de ses préposés.

Prétentions du défendeur

[32]      Nous soutenons que le requérant n'a pas démontré qu'il subirait un préjudice irréparable si l'injonction interlocutoire n'était pas accordée. Dans l'hypothèse où la présente requête en injonction interlocutoire était rejetée, nous prétendons que la demande de contrôle judiciaire pourrait, éventuellement, être accueillie et que le requérant pourrait, par la suite, réclamer des dommages-intérêts pour que lui soit compensée la perte possible occasionnée par le coût d'une entente pour obtenir les services d'un observateur et ce, si le requérant réussit à se décharger du fardeau habituel en matière de faute civile.

[33]      Nous ajoutons que le demandeur devra nécessairement prouver une perte or, il faut insister sur le fait que même si la requête en injonction interlocutoire était accueillie et que le requérant se voyait remettre ses conditions de permis, il devra, selon le Règlement et l'article des conditions de permis, avoir à bord, en tout temps durant les expéditions désignées, un observateur désigné et il devra nécessairement s'entendre avec une compagnie désignée.

[34]      Le ministère a donc le pouvoir de prévoir une condition à un permis de pêche relativement à la présence d'un observateur. Il ressort de la réglementation que la présence de l'observateur est la responsabilité du pêcheur, lequel doit entreprendre les démarches pour assurer la présence dudit observateur.

Conclusion

[35]      Je conclus que le demandeur n'a pas établi qu'il subirait un préjudice irréparable en cas de refus de redressement.

PRÉPONDÉRANCE DES INCONVÉNIENTS ET INTÉRÊT PUBLIC

[36]      Le ministre et ses délégués sont responsables pour la bonne administration de la loi et de ses règlements. Il s'agit ici d'un différend sur les coûts à payer.

[37]      Le demandeur peut se conformer et contester la décision.

[38]      Même s'il obtient les conditions de son permis, il devra prendre les dispositions nécessaires pour recevoir un observateur à bord.

[39]      Il est de l'intérêt public qu'un observateur puisse exercer ses fonctions et que le pêcheur prenne les dispositions nécessaires pour que l'observateur puisse exercer ses fonctions.

CONCLUSION

[40]      Par conséquent, la requête est rejetée.

     __________________________

     Juge

Ottawa (Ontario)

Le 8 mai 1998

__________________

1      (1996), 116 F.T.R. 8.

2      [1987] 1 R.C.S. 110.

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