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     Date : 19980216

     Dossier : T-459-95

OTTAWA (ONTARIO), LE 16 FÉVRIER 1998

EN PRÉSENCE DU JUGE J.E. DUBÉ

ENTRE :

     CANUSA SYSTEMS LTD.,

     CANUSA EMI

     et

     SHAW INDUSTRIES LTD.,

     demandeurs,

     et

     LE NAVIRE "CANMAR AMBASSADOR"

     et

     LES PROPRIÉTAIRES ET AUTRES AYANTS DROIT

     DU NAVIRE "CANMAR AMBASSADOR",

     CANADA MARITIME LTD.,

     CENTENNIAL SHIPPING LTD.,

     LEMAN USA INC.,

     LEMAN LIMITED,

     TOWNE AIR FREIGHT INC. et

     SOO LINE RAILWAY,

     défendeurs.

     JUGEMENT

     Un jugement sommaire est rendu avec dépens en faveur des demandeurs et contre les défenderesses Leman USA Inc. et Leman Limited, le montant des dommages-intérêts devant être fixé dans le cadre d'une référence conformément à la règle 500.

                             J.E. Dubé

                                     Juge

Traduction certifiée conforme

François Blais, LL.L.

     Date : 19980216

     Dossier : T-459-95

ENTRE :

     CANUSA SYSTEMS LTD.,

     CANUSA EMI

     et

     SHAW INDUSTRIES LTD.,

     demandeurs,

     et

     LE NAVIRE "CANMAR AMBASSADOR"

     et

     LES PROPRIÉTAIRES ET AUTRES AYANTS DROIT

     DU NAVIRE "CANMAR AMBASSADOR",

     CANADA MARITIME LTD.,

     CENTENNIAL SHIPPING LTD.,

     LEMAN USA INC.,

     LEMAN LIMITED,

     TOWNE AIR FREIGHT INC. et

     SOO LINE RAILWAY,

     défendeurs.

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DUBÉ

[I.]      Les demandeurs, qui sont propriétaires d'un chargement de gaines thermorétractables, demandent un jugement sommaire contre les transitaires Leman USA Inc. et Leman Limited, en raison des dommages causés par l'humidité à ces marchandises pendant leur transport dans un conteneur maritime de Bradford (Angleterre) à Chicago (Illinois, États-Unis), le déchargement ayant eu lieu à Montréal (Canada).

[2]      Dans leur défense, les défenderesses susmentionnées ("Leman") admettent qu'en qualité de transitaires, elles ont pris des dispositions pour assurer le transport de la cargaison aux termes de connaissements nets de Canada Maritime, que des dommages ont été constatés à l'arrivée des marchandises à Chicago et que lesdits dommages sont survenus pendant le transport maritime. Elles soutiennent également qu'elles se sont conformées en bonne et due forme à leurs obligations contractuelles et que, en qualité de transitaires, elles ont pris les dispositions relatives au transport maritime de la cargaison, mais n'étaient pas responsables à cet égard.

[3]      La clause 2.1 du connaissement prévoit ce qui suit : [TRADUCTION] "En délivrant le présent "connaissement de transport combiné", le transitaire... b ) accepte la responsabilité énoncée aux présentes conditions". Plus loin, la clause 6(A)(1) du même connaissement est ainsi libellée :

     [TRADUCTION] Le transitaire est responsable de l'endommagement ou de la perte de marchandises survenant entre le moment où il prend lesdites marchandises en charge et celui de la livraison.         

[4]      Selon la clause 6(A)(2) du connaissement, [TRADUCTION] "le transitaire est toutefois dégagé de sa responsabilité à l'égard de toute perte ou dommage"; les causes d'exclusion sont ensuite énumérées. La clause 6(A)(3) énonce que [TRADUCTION] "il incombe au transitaire de prouver que les pertes ou dommages ont été causés par un ou plusieurs des événements susmentionnés".

[5]      Les demandeurs soutiennent que, étant donné que les sociétés Leman n'ont pas invoqué dans leur défense l'un ou l'autre des motifs pour lesquels elles auraient été exonérées de la responsabilité, elles sont responsables de tous les dommages causés aux marchandises conformément à la clause 6(A)(1) du connaissement.

[6]      De plus, les clauses 6(B) et 7 du connaissement prévoient ce qui suit :

     [TRADUCTION]         
     6.B.      Lorsque, conformément à la clause 6(A)(1), le transitaire est tenu de verser une indemnité à l'égard de la perte ou de l'endommagement des marchandises pendant le transport et que la cause du sinistre est connue, la responsabilité du transitaire à l'égard de cette perte ou de cet endommagement est fixée conformément aux dispositions qui sont énoncées dans une convention internationale ou une loi nationale, lesquelles dispositions         
             (i) ne peuvent faire l'objet d'une dérogation au moyen d'une entente privée au détriment de l'auteur de la réclamation;         
             (ii) se seraient appliquées si l'auteur de la réclamation avait conclu une entente distincte avec le transitaire relativement à la partie du transport au cours de laquelle la perte ou les dommages sont survenus et avait reçu comme preuve de ladite entente un document devant être établi pour rendre cette convention internationale ou loi nationale applicable.         
     7.      Prépondérance         
         Les Règles de La Haye énoncées dans la Convention internationale pour l'unification de certaines règles touchant les connaissements, qui a été conclue à Bruxelles le 25 août 1924 ou, dans les pays où elles sont déjà en vigueur, les Règles de La Haye-Visby énoncées dans le protocole de Bruxelles en date du 23 février 1968 et édictées dans le pays d'expédition s'appliquent au fret maritime et, lorsqu'aucune loi nationale ou internationale impérative ne s'applique, au transport de marchandises sur les eaux intérieures, et les dispositions en question couvrent toutes les marchandises, qu'elles soient arrimées sur le pont ou sous le pont.         

[7]      Étant donné que le Royaume-Uni est le pays d'expédition, les demandeurs invoquent la loi intitulée Carriage of Goods by Sea Act,1 qui indique que la responsabilité des sociétés Leman est régie par les Règles de La Haye-Visby. Voici les dispositions pertinentes des Règles en question :

     Alinéa IV(5)a) : ...le transporteur comme le navire ne seront en aucun cas responsables des pertes ou dommages des marchandises ou concernant celles-ci pour une somme supérieure à 666.67 unités de compte par colis ou unité, ou 2 unités de compte par kilogramme de poids brut des marchandises perdues ou endommagées, la limite la plus élevée étant applicable.         
     ...         
     Alinéa IV(5)d) : L'unité de compte mentionnée dans le présent article est le Droit de Tirage Spécial tel que défini par le Fonds Monétaire International. La somme mentionnée à l'alinéa a) du présent paragraphe sera convertie dans la monnaie nationale suivant la valeur de cette monnaie à une date qui sera déterminée par la loi de la juridiction saisie de l'affaire...         

[8]      Par ailleurs, la clause 8.3 du connaissement énonce que [TRADUCTION] "l'indemnité ne peut toutefois dépasser 2 DTS (droits de tirage spéciaux) par kilo de poids brut de marchandises perdues ou endommagées...".

[9]      Les demandeurs soutiennent donc que les sociétés Leman sont les transporteurs de la cargaison et que leur défense ne soulève aucune question véritable à trancher à l'instruction, si ce n'est le montant auquel les demandeurs ont droit et qui peut être établi dans le cadre d'une référence.

[10]      Le 8 janvier 1998, les sociétés Leman ont déposé une déclaration contre deux des codéfendeurs, soit Canada Maritime Ltd. et Centennial Shipping Ltd.

[11]      Toutefois, les sociétés Leman soutiennent qu'en raison de l'inactivité des demandeurs en l'espèce, elles avaient l'intention de déposer une requête pour défaut de poursuivre, ce qui a probablement incité les demandeurs à déposer la présente requête en vue d'obtenir un jugement sommaire. Les sociétés Leman font valoir qu'il ne s'agit pas en l'espèce d'un cas où un jugement sommaire peut être rendu, puisqu'elles ont déposé une défense sérieuse dans laquelle elles ont invoqué l'absence de contrat entre les demandeurs et elles-mêmes et le fait que ce ne sont pas elles qui ont transporté les marchandises. Même si les sociétés Leman admettent que la cargaison a été endommagée, la nature, l'étendue, l'origine et la cause des dommages en question ne sont pas connues. En l'absence des demandeurs, les sociétés Leman ne pourraient se défendre elles-mêmes et invoquent les jugements dans lesquels il a été décidé que le transporteur est responsable à première vue des dommages causés à des marchandises reçues en bon état et perdues ou remises en mauvais état.2 Selon un autre principe de preuve, les parties sont généralement tenues de prouver tous les faits dont elles peuvent être informées.

[12]      Dans l'arrêt Granville Shipping Co. c. Pegasus Lines Ltd. (C.F. 1re inst.),3 Madame le juge Tremblay-Lamer a résumé comme suit les principes généraux applicables aux jugements sommaires :

     1. ces dispositions ont pour but d'autoriser la Cour à se prononcer par voie sommaire sur les affaires qu'elle n'estime pas nécessaire d'instruire parce qu'elles ne soulèvent aucune question sérieuse à instruire (Old Fish Market Restaurants Ltd. c. 1000357 Ontario Inc. et al.)4;         
     2. il n'existe pas de critère absolu (Feoso Oil Ltd. c. Sarla (Le)),5 mais le juge Stone, J.C.A. semble avoir fait siens les motifs prononcés par le juge Henry dans le jugement Pizza Pizza Ltd. v. Gillespie.6 Il ne s'agit pas de savoir si une partie a des chances d'obtenir gain de cause au procès, mais plutôt de déterminer si le succès de la demande est tellement douteux que celle-ci ne mérite pas d'être examinée par le juge des faits dans le cadre d'un éventuel procès;         
     3. chaque affaire devrait être interprétée dans le contexte qui est le sien (Blyth7 et Feoso)8;         
     4. les règles de pratique provinciales (spécialement la Règle 20 des Règles de procédure civile de l'Ontario [R.R.O. 1990, Règl. 194]) peuvent faciliter l'interprétation (Feoso9 et Collie)10;         
     5. saisie d'une requête en jugement sommaire, notre Cour peut trancher des questions de fait et des questions de droit si les éléments portés à sa connaissance lui permettent de le faire (ce principe est plus large que celui qui est posé à la Règle 20 des Règles de procédure civile de l'Ontario) (Patrick)11;         
     6. le tribunal ne peut pas rendre le jugement sommaire demandé si l'ensemble de la preuve ne comporte pas les faits nécessaires pour lui permettre de trancher les questions de fait ou s'il estime injuste de trancher ces questions dans le cadre de la requête en jugement sommaire (Pallman12 et Sears)13;         
     7. lorsqu'une question sérieuse est soulevée au sujet de la crédibilité, le tribunal devrait instruire l'affaire, parce que les parties devraient être contre-interrogées devant le juge du procès (Forde14 et Sears)15. L'existence d'une apparente contradiction de preuves n'empêche pas en soi le tribunal de prononcer un jugement sommaire; le tribunal doit "se pencher de près" sur le fond de l'affaire et décider s'il y a des questions de crédibilité à trancher (Stokes )16.         

[13]      Les avocats des sociétés Leman invoquent le sixième principe pour demander à la Cour de refuser de rendre un jugement sommaire, parce que l'ensemble de la preuve ne comporte pas les faits nécessaires pour lui permettre de trancher les questions de fait et qu'il serait injuste de le faire.

[14]      Je ne puis accepter cette proposition. Les faits que les sociétés Leman ont déjà admis dans leur défense ainsi que le connaissement suffisent en l'espèce à rendre un jugement sommaire contre les transitaires. L'avocat des sociétés Leman soutient également qu'en l'absence des demandeurs, lesdites défenderesses ne pourraient établir la perte ou les dommages. Ce n'est pas le cas. Si c'est nécessaire, il sera possible de signifier une assignation aux demandeurs et de les contraindre à témoigner et à communiquer tous les documents pertinents.

[15]      En conclusion, un jugement sommaire devrait être rendu en faveur des propriétaires et contre les transitaires, étant donné qu'aucune question sérieuse à trancher à l'instruction n'existe entre eux. La responsabilité finale sera établie à l'instruction entre les défendeurs. Le montant des dommages-intérêts sera fixé dans le cadre d'une référence.

                             J.E. Dubé

                                     Juge

OTTAWA (Ontario)

Le 16 février 1998

Traduction certifiée conforme

François Blais, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              T-459-95

INTITULÉ DE LA CAUSE :          CANUSA SYSTEMS LTD. ET AL c. Le navire "CANMAR AMBASSADOR" ET AL

LIEU DE L'AUDIENCE :          Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :          9 février 1998

MOTIFS DU JUGEMENT DU          JUGE DUBÉ

EN DATE DU :              16 février 1998

ONT COMPARU :

Me Amman Khan              POUR LES DEMANDEURS

Me Geneviève Bergeron          POUR LA DÉFENDERESSE,

                     Canada Maritime Ltd.

Me Andrew Deere              POUR LES DÉFENDERESSES,

                     Leman USA Inc. et Leman Limited

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Stikeman, Elliott              POUR LES DEMANDEURS

Montréal (Québec)

McMaster Meighen              POUR LA DÉFENDERESSE,

Montréal (Québec)              Canada Maritime Ltd.

Me Andrew Deere              POUR LES DÉFENDERESSES,

Montréal (Québec)              Leman USA Inc. et Leman Limited

__________________

1      Ch. 19, Statutes of the United Kingdom of Great Britain and Northern Ireland.

2      Marine Cargo Claims, 3rd ed., William Tetley, p. 133 et 137.

3      [1996] 2 C.F. 853, p. 859.

4      (1994), 58 C.P.R. (3d) 221 (C.F. 1re inst.).

5      [1995] 3 C.F. 68 (C.A.).

6      (1990), 75 O.R. (2d) 225 (Div. gén.).

7      Marine Atlantic Inc. c. Blyth (1994), 77 F.T.R. 97 (C.F. 1re inst.) (ci-après Blyth).

8      Supra, note 5.

9      Supra, note 5.

10      Collie Woollen Mills Ltd. c. Canada, [1996] A.C.F. no 193 (C.F. 1re inst.) (QL) (ci-après Collie).

11      Patrick c. Canada, [1994] A.C.F. no 1216 (C.F. 1re inst.) (QL) (ci-après Patrick).

12      Pallmann Maschinenfabrik G.m.b.H. Co. KG c. CAE Machinery Ltd. (1995), 62 C.P.R. (3d) 26 (C.F. 1re inst.) (ci-après Pallmann).

13      Homelife Realty Services Inc. c. Sears Canada Inc., [1996] A.C.F. no 51 (C.F. 1re inst.) (QL) (ci-après Sears).

14      Forde c. Canada (Ministre du Revenu national, Douanes et Accise--M.R.N.), [1995] A.C.F. no 48 (C.F. 1re inst.) (QL) (ci-après Forde).

15      Supra, note 13.

16      Shelburne Marine Ltd. c. Stokes, [1995] A.C.F. no 1547 (C.F. 1re inst.) (QL) (ci-après Stokes).

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