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Date : 19980319

No de greffe : T-919-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 19 MARS 1998

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MARC NADON

ENTRE :

                                              ROGERS COMMUNICATIONS INC.,

                                                                                                                                         requérante,

                                                                          - et -

                                       LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

                          B.C. TELECOM INC. faisant affaires sous le nom de B.C. TEL,

                                                                                                                                               intimés.

                                                                ORDONNANCE

                        La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                                                             « MARC NADON »    

                                                                                                                                  Juge

Traduction certifiée conforme

                            

C. Bélanger, LL.L.


Date : 19980319

No de greffe : T-919-97

ENTRE :

                                              ROGERS COMMUNICATIONS INC.,

                                                                                                                                         requérante,

                                                                          - et -

                                       LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

                          B.C. TELECOM INC. faisant affaires sous le nom de B.C. TEL,

                                                                                                                                               intimés.

                                                   MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NADON

[1]         La requérante, Rogers Communications Inc., sollicite une ordonnance déclaratoire portant que le décret C.P. 1997-486, daté du 8 avril 1997 et enregistré la même date auprès du greffier du Conseil privé, est invalide parce qu'il excède les pouvoirs conférés par la Loi sur la radiodiffusion, L.C. (1991), ch. 11.

[2]         L'intimée, B.C. Telecom Inc. (B.C. Telecom), est une société canadienne. Ses actions sont inscrites à la cote de trois bourses canadiennes. Une de ses filiales, B.C. Tel (anciennement British Columbia Telephone), fournit des services de téléphonie locaux et interurbains dans la province de la Colombie-Britannique. B.C. Telecom est une société de portefeuille qui détient les actions de B.C. Tel et des autres sociétés du groupe B.C. Telecom.


[3]         Environ 49,2 % des actions ordinaires de B.C. Telecom sont détenues par de nombreuses personnes au Canada, qui sont presque exclusivement des Canadiens. La Compagnie de téléphone anglo-canadienne, constituée sous le régime des lois de la province de Québec, en détient 50,8 %. Elle est elle-même détenue à 100 % par G.T.E. - Anglo Holdings Incorporated (G.T.E.), société constituée sous le régime des lois de l'État de New York. G.T.E. détient donc indirectement 50,8 % des actions ordinaires de B.C. Telecom et de B.C. Tel. Elle détient aussi indirectement 50,8 % des actions ordinaires de l'intervenante, Québec Téléphone[1]. En raison de l'article 16 de la Loi sur les télécommunications et de l'article 17 du Règlement sur la propriété et le contrôle des entreprises de télécommunication canadiennes (le Règlement), DORS/94-667, la propriété canadienne des actions ordinaires de B.C. Telecom ne peut diminuer de plus de 5 % par rapport au niveau de 1987. Le 31 décembre 1987, des Canadiens détenaient environ 49,67 % des actions ordinaires de British Columbia Telephone.


[4]         Le président du conseil d'administration de B.C. Telecom est un Canadien, tout comme dix des onze membres des conseils d'administration de B.C. Telecom et de B.C. Tel. Aux termes de l'article 16 de la Loi sur les télécommunications, L.R.C., ch. T-3.4, et de l'article 17 du Règlement, 80 % des administrateurs de B.C. Telecom et de B.C. Tel doivent résider au Canada et être des citoyens canadiens ou des résidants permanents du Canada.

[5]         Le groupe B.C. Telecom emploie environ 13 000 personnes, dont la plupart résident dans la province de la Colombie-Britannique, ce qui en fait le plus important employeur de la province. B.C. Tel exerce ses activités surtout en Colombie-Britannique et la plupart de ses clients vivent dans cette province.

[6]         Je traiterai maintenant du décret C.P. 1997-486 et des événements qui ont mené à sa publication. Je commencerai par citer les articles 7 et 26 de la Loi sur la radiodiffusion, qui confèrent au gouverneur en conseil le pouvoir de donner des instructions au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) au sujet de la politique canadienne de radiodiffusion. Cette politique est énoncée au paragraphe 3(1) de la Loi sur la radiodiffusion. Les articles 7 et 26 disposent:

7. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et de l'article 8, le gouverneur en conseil peut, par décret, donner au Conseil, au chapitre des grandes questions d'orientation en la matière, des instructions d'application générale relativement à l'un ou l'autre des objectifs de la politique canadienne de radiodiffusion ou de la réglementation et de la surveillance du système canadien de radiodiffusion.

(2) Le décret ne peut toutefois prévoir l'attribution nominative d'une licence ni la modification, le renouvellement, la suspension ou la révocation d'une licence en particulier.

(3) Le décret lie le Conseil à compter de son entrée en vigueur et, en cas de mention expresse à cet effet, s'applique, sous réserve du paragraphe (4), aux affaires alors en instance devant lui.

(4) Le décret ne s'applique, à la date de sa prise d'effet, aux affaires en instance devant le Conseil qui touchent aux licences et à l'égard desquelles le délai d'intervention est expiré que si l'expiration a eu lieu plus d'un an auparavant.

(5) Copie du décret est déposée devant chaque chambre du Parlement dans les quinze jours de séance de celle-ci suivant sa prise.

(6) Le ministre consulte le Conseil avant la prise d'un décret par le gouverneur en conseil au titre du présent article.

26. (1) Le gouverneur en conseil peut, par décret, donner des instructions au Conseil en ce qui touche:

a) le nombre maximal de canaux ou de fréquences pour l'utilisation desquels des licences peuvent être attribuées dans une région donnée;

b) les canaux ou les fréquences à réserver à l'usage de la Société ou à toute fin particulière;

c) les catégories de demandeurs non admissibles à l'attribution, à la modification ou au renouvellement de licences;

d) les cas dans lesquels il peut attribuer des licences à des demandeurs qui agissent à titre de mandataires d'une province et qui n'ont normalement pas droit à celles-ci et leurs conditions d'attribution.

(2) Le gouverneur en conseil peut, par décret, ordonner au Conseil d'adresser aux titulaires de licences de catégories données, sur l'ensemble ou une partie du territoire canadien, un avis leur enjoignant de radiodiffuser toute émission jugée par lui-même avoir un caractère d'urgence et une grande importance pour la population canadienne ou pour les personnes qui résident dans la région en cause. Le destinataire est lié par l'avis.

(3) Les décrets pris en application du présent article sont publiés sans délai dans la Gazette du Canada et copie en est déposée devant chaque chambre du Parlement dans les quinze jours de séance suivant leur prise.

(4) Le ministre consulte le Conseil avant la prise d'un décret au titre du paragraphe (1).

[7]         Entre 1994 et 1995, le gouvernement a demandé au CRTC d'examiner la question de l' « autoroute de l'information » [2]. Le rapport du CRTC, préparé en réponse aux instructions du gouvernement, a été déposé le 19 mai 1995. Le 6 août 1996, le gouvernement a publié son énoncé de politique sur la convergence en matière de radiodiffusion et de télécommunications au Canada. Voici l'introduction de ce document :

L'énoncé de politique et les principes, annoncés par la Vice-première ministre et ministre du Patrimoine canadien, Mme Sheila Copps, et le ministre de l'Industrie, M. John Manley, pavent la voie à la concurrence entre les compagnies de téléphone et les câblodistributeurs dans leurs activités de base tout en garantissant un plus grand accès et un solide contenu canadien.

L'énoncé de politique guidera l'industrie pendant qu'elle se prépare à relever les défis d'une concurrence plus forte, a dit le ministre Manley. Les câblodistributeurs et les compagnies de téléphone se sont déclarés prêts à investir quelque 15 milliards de dollars au cours des dix prochaines années afin de tirer profit des nouvelles occasions d'affaires. Pour les consommateurs, cet investissement entraînera sans aucun doute davantage de concurrence, de services innovateurs, d'emplois et de croissance.

L'énoncé de politique précise clairement que les Canadiens et les Canadiennes continueront à disposer des outils et des mécanismes nécessaires à la promotion du contenu canadien, a souligné la ministre Copps. La convergence rend possible la création d'outils de communications stimulants, permettant aux Canadiens et aux Canadiennes de se voir et de s'entendre.

[8]         La déclaration portant que les câblodistributeurs et les compagnies de téléphone seront autorisés à se faire concurrence « dans leurs activités de base » est particulièrement pertinente en l'espèce. Toutefois, il va sans dire que ces sociétés devront satisfaire aux exigences relatives à la propriété et au contrôle canadiens prescrites par la Loi sur la radiodiffusion et de la Loi sur les télécommunications. Aux pages 7 et 8 de l'énoncé de politique, à la rubrique intitulée « L'entrée des compagnies de téléphone sur le marché de la radiodiffusion » , il est dit ceci :

Toutes les entreprises de télécommunications qui répondent aux exigences en matière de propriété et de contrôle canadiens seront autorisées à détenir des licences de radiodiffusion.

Des modifications seront apportées à la Loi sur Bell Canada pour éliminer la prohibition de détenir des licences de radiodiffusion.

Le décret en conseil qui limite le droit des sociétés de la Couronne de détenir des licences de radiodiffusion sera modifié pour permettre à ces sociétés de détenir des licences de radiodiffusion tout en reconnaissant l'obligation du titulaire de maintenir une relation à distance avec le gouvernement, y compris l'indépendance en ce qui concerne la programmation.

Reconnaissant la situation particulière de BC Telecom et de Québec-Téléphone en tant que compagnies de téléphone bénéficiant d'une clause d'antériorité quant aux exigences de propriété canadienne en vertu de la Loi sur les télécommunications, le gouvernement modifiera le décret qui confirme les exigences de propriété canadienne pour les titulaires de licences de radiodiffusion afin de permettre à ces deux compagnies d'être éligible à détenir une licence de distribution de radiodiffusion à travers une entité structurellement distincte, qui pourrait être une filiale à part entière. Le titulaire de licence devrait avoir un Conseil d'administration entièrement canadien en plus d'être soumis à des conditions visant à assurer le contrôle canadien sur toute les décisions de programmation résultant des opérations de l'entreprise de distribution de radiodiffusion.

[9]         Ainsi qu'il ressort du texte précité, le gouvernement a porté une attention particulière à la situation de B.C. Tel et de Québec Téléphone, ces deux sociétés s'étant vu reconnaître des « droits acquis » à l'égard des exigences de propriété canadienne que prévoit la Loi sur les télécommunications. Plus précisément, dans son énoncé de politique, le gouvernement déclare son intention de modifier ses instructions au CRTC (inadmissibilité de non-Canadiens) de manière à permettre aux deux sociétés « d'être éligible(s) à détenir une licence de distribution de radiodiffusion à travers une entité structurellement distincte, qui pourrait être une filiale à part entière » .

[10]       Le 8 avril 1997, en vertu de l'alinéa 26(1)c) de la Loi sur la radiodiffusion, le gouverneur en conseil a donné au CRTC des instructions révisées (décret C.P. 1997-486), lesquelles disposent :   

2.              Il est ordonné au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes de ne pas délivrer de licences de radiodiffusion ni d'accorder de modification ou de renouvellement de telles licences aux demandeurs qui sont des non-Canadiens.

3.              Dans le cas où le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes détermine que le demandeur est sous contrôle non canadien en raison de relations personnelles, financières, contractuelles ou d'affaires, ou de tout autre facteur utile à la détermination du contrôle, sauf la propriété effective et le contrôle, par une entreprise canadienne ou son acquéreur, des actions avec droit de vote d'un ayant droit qualifié, le demandeur est réputé être un non-Canadien.

4.              Les instructions au CRTC (inadmissibilité de non-Canadiens) sont abrogées.

5.              Les présentes instructions entrent en vigueur le 8 avril 1997.

[11]       Ces instructions révisées au CRTC ont eu pour effet de créer et de définir une nouvelle catégorie de demandeurs, qui sont maintenant admissibles à détenir des licences de distribution de radiodiffusion. Dans les instructions, cette nouvelle catégorie de demandeurs est appelée « ayant droit qualifié » . Par suite de la création de cette catégorie, les filiales de B.C. Tel et de Québec-Téléphone seront réputées respecter les exigences de propriété canadienne énoncées dans les instructions au CRTC. Les instructions révisées définissent les mots « ayant droit qualifié » comme suit :

« ayant droit qualifié » Personne morale visée aux alinéas 17(2)b) ou c) du Règlement sur la propriété et le contrôle des entreprises de télécommunication canadiennes, dans sa version du 25 octobre 1994, portant le numéro d'enregistrement DORS/94-667, qui a été constituée ou prorogée sous le régime des lois fédérales ou provinciales et qui est directement contrôlée par une entreprise canadienne visée au paragraphe 16(2) de la Loi sur les télécommunications ou par son acquéreur, lorsque les conditions suivantes sont réunies :

a) le contrôle de l'entreprise canadienne et de son acquéreur n'a subi aucun changement depuis la date d'entrée en vigueur des présentes instructions;

b) le premier dirigeant de la personne morale ou, à défaut, la personne exerçant des fonctions similaires à celles d'un tel poste, ainsi que tous ses administrateurs, sont des Canadiens;

c) les actions avec droit de vote de la personne morale dont l'entreprise canadienne ou son acquéreur ne détient pas la propriété effective et le contrôle sont toutes la propriété effective de Canadiens et sous contrôle canadien;

d) dans le cas d'une personne morale visée au sous-alinéa i)(ii) de la définition de « Canadien » , les actions avec droit de vote de la personne morale qualifiée dont la propriété effective n'est pas détenue par la personne morale sont toutes la propriété effective de Canadiens et sous contrôle canadien;

e) la personne morale exerce ses activités exclusivement dans le territoire d'exploitation de l'entreprise canadienne;

f) la personne morale ne détient, directement ou indirectement, la propriété effective d'aucune action avec droit de vote d'une personne morale titulaire d'une licence d'exploitation d'entreprise de distribution de radiodiffusion qui exerce ses activités à l'extérieur du territoire d'exploitation de l'entreprise canadienne;

g) les administrateurs de la personne morale et ses dirigeants exercent un contrôle complet et exclusif sur les décisions de programmation et à la fois :

                (i) au moins 33 1/3 pour cent des administrateurs sont des membres indépendants,

(ii) au moins un membre indépendant fait partie du quorum de toutes les réunions des administrateurs ou des comités de ceux-ci;

h) les décisions de programmation de la personne morale ne sont ni contrôlées ni influencées par aucune de ses sociétés mères et sociétés affiliées. (qualified successor)

            La définition des mots « personne morale qualifiée » est pertinente elle aussi :

« personne morale qualifiée » Personne morale constituée ou prorogée sous le régime des lois fédérales ou provinciales qui remplit les conditions suivantes :

a) le premier dirigeant ou, à défaut, la personne exerçant des fonctions similaires à celles d'un tel poste et au moins 80 pour cent des administrateurs sont des Canadiens;

b) dans le cas d'une personne morale avec capital-actions, des Canadiens détiennent dans l'ensemble, la propriété effective et le contrôle directs ou indirects d'au moins 80 pour cent des actions avec droit de vote émises et en circulation et d'au moins 80 pour cent des votes, à l'exception de celles détenues uniquement à titre de sûreté;

c) dans le cas d'une personne morale qui est une filiale :

                (i) la société mère est une personne morale constituée ou prorogée sous le régime des lois fédérales ou provinciales,

(ii) des Canadiens détiennent dans l'ensemble la propriété effective et le contrôle directs ou indirects d'au moins 66 2/3 pour cent des actions avec droit de vote émises et en circulation de la société mère et d'au moins 66 2/3 pour cent des votes, à l'exception de celles détenues uniquement à titre de sûreté,

(iii) ni la société mère ni ses administrateurs ne contrôlent ou n'influencent les décisions de la filiale en matière de programmation. (qualified corporation)

            À la rubrique intitulée « Définitions » des instructions, le mot « Canadien » est aussi défini. Il ressort clairement de la définition qu'une « personne morale qualifiée » et un « ayant droit qualifié » sont des « Canadiens » pour les fins des instructions au CRTC. En voici le texte :

« Canadien » selon le cas :

a) un citoyen au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la citoyenneté qui est un résident habituel du Canada;

b) un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration qui est un résident habituel du Canada depuis une période maximale d'un an à compter de l'expiration de la date où il est devenu pour la première fois admissible à demander la citoyenneté canadienne;

                                                                             ...

e) une personne morale qualifiée;

                                                                       ...

i) un ayant droit qualifié :

(i) s'il s'agit de détenir une licence d'exploitation d'entreprise de distribution de radiodiffusion,

(ii) s'il s'agit de détenir, directement ou indirectement, la propriété effective d'au plus 50 pour cent des actions avec droit de vote émises et en circulation et d'au plus 50 pour cent des votes d'une personne morale qualifiée titulaire d'une licence de radiodiffusion autorisant seulement l'exploitation d'une entreprise de distribution. (Canadian)

            La définition du mot « contrôle » , qui se trouve à l'article premier des instructions révisées au CRTC, est pertinente aussi :

« contrôle » Situation qui créée une maîtrise de fait, soit directe, par la propriété de valeurs mobilières, soit indirecte, notamment au moyen d'une fiducie, d'un accord, d'une entente ou de la propriété d'une personne morale. (control)

[12]       Il est indéniable qu'en l'absence de la catégorie de demandeurs appelés « ayant[s] droit qualifié[s] » , ni B.C. Tel, ni Québec-Téléphone non plus que leurs filiales ne respecteraient les exigences de propriété canadienne énoncées dans les instructions au CRTC et qu'elles ne pourraient demander et obtenir une licence de distribution de radiodiffusion.

[13]       Les motifs pour lesquels le gouvernement a modifié ses instructions au CRTC se trouvent dans le résumé de l'étude d'impact de la réglementation publié le 8 avril 1997. L'explication donnée à la page 4 est la suivante :

                La décision du gouvernement rendue publique le 6 août 1996, de modifier les Instructions est le résultat d'un processus de consultation enclenché par l'émission du Décret en conseil C.P. 1994-1689 du 11 octobre 1994, demandant au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) de réunir de l'information, de demander des avis et de fournir une analyse critique au gouvernement sur un certain nombre de questions dont la question suivante : « Serait-il approprié que toutes les entreprises de télécommunications deviennent admissibles à des licences de radiodiffusion sous réserve de se soumettre aux règlements canadiens concernant la propriété et aux règlements applicables? À l'intérieur de quelle période et en vertu de quelles conditions pourrait-on considérer cette possibilité? »

                Dans le rapport du 19 mai 1995 faisant suite au décret susmentionné relatif à l'autoroute de l'information, le CRTC a recommandé de permettre aux compagnies de téléphone de demander des licences de distribution de radiodiffusion aussitôt qu'on aura établi des règles visant à éliminer les obstacles qui se dressent contre une concurrence efficace sur le marché du service téléphonique local. Il a également recommandé que les entreprises canadiennes au sens du paragraphe 16(2) de la Loi sur les télécommunications ne devraient être admise en radiodiffusion que par une participation, au seuil permis, dans une société qui serait la propriété et sous le contrôle de Canadiens.

                Le gouvernement a consulté les entreprises canadiennes au sens du paragraphe 16(2) de la Loi sur les télécommunications. Le gouvernement a reçu plus de 33 000 coupons-réponses, des centaines de lettres ainsi qu'une pétition de 94 000 noms émanant du public en général, des dirigeants politiques et de leaders d'opinion indiquant leur appui à ce que les entreprises canadiennes au sens du paragraphe 16(2) de la Loi sur les télécommunications soient admissibles à détenir des licences de distribution de radiodiffusion.

[14]       Étant donné que B.C. Tel et Québec-Téléphone sont des entreprises canadiennes admissibles à exercer leurs activités à titre d'entreprises de télécommunication au sens du paragraphe 16(2) de la Loi sur les télécommunications, le gouvernement a décidé que ces sociétés devraient être autorisées, par l'intermédiaire de filiales qui satisfont aux conditions prévues dans les instructions révisées, à demander des licences de distribution de radiodiffusion. La seule question à trancher consiste à savoir si le décret C.P. 1997-486 est invalide parce qu'il excède les pouvoirs conférés par la Loi sur la radiodiffusion.

[15]       Le paragraphe 16(1) de la Loi sur les télécommunications limite la catégorie des sociétés qui sont admissibles à exercer leurs activités à titre d'entreprises de télécommunication. Seules les sociétés qui sont « la propriété de Canadiens et [sont] contrôlée[s] par ceux-ci » , au sens que donne à cette expression le paragraphe 16(3), peuvent exercer leurs activités à titre d'entreprises de télécommunication. Une seule exception à cette règle a été prévue et elle figure au paragraphe 16(2). Elle vise à permettre à B.C. Tel et à Québec-Téléphone d'exercer leurs activités à titre d'entreprises de télécommunication même si elles ne sont pas « la propriété de Canadiens et [ne sont pas] contrôlée[s] par ceux-ci » . Aux termes du paragraphe 16(3) une société est « la propriété de Canadiens et est contrôlée par ceux-ci » si :

(3) Pour l'application du paragraphe (1), est la propriété de Canadiens et est contrôlée par ceux-ci la personne morale :

a) dont au moins quatre-vingts pour cent des administrateurs sont des Canadiens;

b) dont au moins quatre-vingts pour cent des actions avec droit de vote émises et en circulation sont la propriété effective, directe ou indirecte, de Canadiens, à l'exception de celles qui sont détenues à titre de sûreté uniquement;

c) qui n'est pas par ailleurs contrôlée par des non-Canadiens.

Même si 80 % des membres des conseils d'administration de B.C. Tel et de Québec Tel sont des Canadiens, plus de 50 % des actions avec droit de vote de B.C. Tel et de Québec Tel émises et en circulation sont détenues véritablement, directement ou indirectement, par des non-Canadiens.

[16]       Je passe maintenant à la Loi sur la radiodiffusion. La politique de radiodiffusion du Canada est énoncée à l'article 3 de cette loi, qui dispose :

3. (1) Il est déclaré que, dans le cadre de la politique canadienne de radiodiffusion_:

a) le système canadien de radiodiffusion doit être, effectivement, la propriété des Canadiens et sous leur contrôle;

b) le système canadien de radiodiffusion, composé d'éléments publics, privés et communautaires, utilise des fréquences qui sont du domaine public et offre, par sa programmation essentiellement en français et en anglais, un service public essentiel pour le maintien et la valorisation de l'identité nationale et de la souveraineté culturelle;

c) les radiodiffusions de langues française et anglaise, malgré certains points communs, diffèrent quant à leurs conditions d'exploitation et, éventuellement, quant à leurs besoins;

d) le système canadien de radiodiffusion devrait_:

(i) servir à sauvegarder, enrichir et renforcer la structure culturelle, politique, sociale et économique du Canada,

(ii) favoriser l'épanouissement de l'expression canadienne en proposant une très large programmation qui traduise des attitudes, des opinions, des idées, des valeurs et une créativité artistique canadiennes, qui mette en valeur des divertissements faisant appel à des artistes canadiens et qui fournisse de l'information et de l'analyse concernant le Canada et l'étranger considérés d'un point de vue canadien,

(iii) par sa programmation et par les chances que son fonctionnement offre en matière d'emploi, répondre aux besoins et aux intérêts, et refléter la condition et les aspirations, des hommes, des femmes et des enfants canadiens, notamment l'égalité sur le plan des droits, la dualité linguistique et le caractère multiculturel et multiracial de la société canadienne ainsi que la place particulière qu'y occupent les peuples autochtones,

(iv) demeurer aisément adaptable aux progrès scientifiques et techniques;

e) tous les éléments du système doivent contribuer, de la manière qui convient, à la création et la présentation d'une programmation canadienne;

f) toutes les entreprises de radiodiffusion sont tenues de faire appel au maximum, et dans tous les cas au moins de manière prédominante, aux ressources - créatrices et autres - canadiennes pour la création et la présentation de leur programmation à moins qu'une telle pratique ne s'avère difficilement réalisable en raison de la nature du service - notamment, son contenu ou format spécialisé ou l'utilisation qui y est faite de langues autres que le français ou l'anglais - qu'elles fournissent, auquel cas elles devront faire appel aux ressources en question dans toute la mesure du possible;

g) la programmation offerte par les entreprises de radiodiffusion devrait être de haute qualité;

h) les titulaires de licences d'exploitation d'entreprises de radiodiffusion assument la responsabilité de leurs émissions;

i) la programmation offerte par le système canadien de radiodiffusion devrait à la fois_:

(i) être variée et aussi large que possible en offrant à l'intention des hommes, femmes et enfants de tous âges, intérêts et goûts une programmation équilibrée qui renseigne, éclaire et divertit,

(ii) puiser aux sources locales, régionales, nationales et internationales,

(iii) renfermer des émissions éducatives et communautaires,

(iv) dans la mesure du possible, offrir au public l'occasion de prendre connaissance d'opinions divergentes sur des sujets qui l'intéressent,

(v) faire appel de façon notable aux producteurs canadiens indépendants;

j) la programmation éducative, notamment celle qui est fournie au moyen d'installations d'un organisme éducatif indépendant, fait partie intégrante du système canadien de radiodiffusion;

k) une gamme de services de radiodiffusion en français et en anglais doit être progressivement offerte à tous les Canadiens, au fur et à mesure de la disponibilité des moyens;

l) la Société Radio-Canada, à titre de radiodiffuseur public national, devrait offrir des services de radio et de télévision qui comportent une très large programmation qui renseigne, éclaire et divertit;

m) la programmation de la Société devrait à la fois_:

(i) être principalement et typiquement canadienne,

(ii) refléter la globalité canadienne et rendre compte de la diversité régionale du pays, tant au plan national qu'au niveau régional, tout en répondant aux besoins particuliers des régions,

(iii) contribuer activement à l'expression culturelle et à l'échange des diverses formes qu'elle peut prendre,

(iv) être offerte en français et en anglais, de manière à refléter la situation et les besoins particuliers des deux collectivités de langue officielle, y compris ceux des minorités de l'une ou l'autre langue,

(v) chercher à être de qualité équivalente en français et en anglais,

(vi) contribuer au partage d'une conscience et d'une identité nationales,

(vii) être offerte partout au Canada de la manière la plus adéquate et efficace, au fur et à mesure de la disponibilité des moyens,

(viii) refléter le caractère multiculturel et multiracial du Canada;

n) les conflits entre les objectifs de la Société énumérés aux alinéas l) et m) et les intérêts de toute autre entreprise de radiodiffusion du système canadien de radiodiffusion doivent être résolus dans le sens de l'intérêt public ou, si l'intérêt public est également assuré, en faveur des objectifs énumérés aux alinéas l) et m);

o) le système canadien de radiodiffusion devrait offrir une programmation qui reflète les cultures autochtones du Canada, au fur et à mesure de la disponibilité des moyens;

p) le système devrait offrir une programmation adaptée aux besoins des personnes atteintes d'une déficience, au fur et à mesure de la disponibilité des moyens;

q) sans qu'il soit porté atteinte à l'obligation qu'ont les entreprises de radiodiffusion de fournir la programmation visée à l'alinéa i), des services de programmation télévisée complémentaires, en anglais et en français, devraient au besoin être offerts afin que le système canadien de radiodiffusion puisse se conformer à cet alinéa;

r) la programmation offerte par ces services devrait à la fois_:

(i) être innovatrice et compléter celle qui est offerte au grand public,

(ii) répondre aux intérêts et goûts de ceux que la programmation offerte au grand public laisse insatisfaits et comprendre des émissions consacrées aux arts et à la culture,

(iii) refléter le caractère multiculturel du Canada et rendre compte de sa diversité régionale,

(iv) comporter, autant que possible, des acquisitions plutôt que des productions propres,

(v) être offerte partout au Canada de la manière la plus rentable, compte tenu de la qualité;

s) les réseaux et les entreprises de programmation privés devraient, dans la mesure où leurs ressources financières et autres le leur permettent, contribuer de façon notable à la création et à la présentation d'une programmation canadienne tout en demeurant réceptifs à l'évolution de la demande du public;

t) les entreprises de distribution_:

(i) devraient donner priorité à la fourniture des services de programmation canadienne, et ce en particulier par les stations locales canadiennes,

(ii) devraient assurer efficacement, à l'aide des techniques les plus efficientes, la fourniture de la programmation à des tarifs abordables,

(iii) devraient offrir des conditions acceptables relativement à la fourniture, la combinaison et la vente des services de programmation qui leur sont fournis, aux termes d'un contrat, par les entreprises de radiodiffusion,

(iv) peuvent, si le Conseil le juge opportun, créer une programmation - locale ou autre - de nature à favoriser la réalisation des objectifs de la politique canadienne de radiodiffusion, et en particulier à permettre aux minorités linguistiques et culturelles mal desservies d'avoir accès aux services de radiodiffusion.

(2) Il est déclaré en outre que le système canadien de radiodiffusion constitue un système unique et que la meilleure façon d'atteindre les objectifs de la politique canadienne de radiodiffusion consiste à confier la réglementation et la surveillance du système canadien de radiodiffusion à un seul organisme public autonome.

[17]       En l'espèce, l'énoncé de politique qui figure à l'alinéa 3(1)a) et selon lequel le système canadien de radiodiffusion « doit être, effectivement, la propriété des Canadiens et sous leur contrôle » revêt un intérêt particulier. Aux termes du paragraphe 3(2) de la Loi sur la radiodiffusion, la responsabilité de réglementer et de surveiller le système canadien de radiodiffusion est confiée au CRTC. Le paragraphe 3(2) de la Loi sur la radiodiffusion doit être lu de pair avec le paragraphe 5(1), qui prévoit qu'il appartient au CRTC de réglementer et de surveiller « tous les aspects du système canadien de radiodiffusion » en vue de mettre en oeuvre la politique canadienne de radiodiffusion énoncée au paragraphe 3(1).

[18]       J'ai déjà cité les articles 7 et 26 de la Loi sur la radiodiffusion qui permettent au gouverneur en conseil de donner des instructions au CRTC pour assurer le respect de la politique canadienne de radiodiffusion. La requérante fait valoir que les instructions révisées au CRTC qui permettent à une filiale d'une entreprise de téléphone détenue et contrôlée par des étrangers d'obtenir et de détenir une licence de distribution de radiodiffusion au Canada est invalide parce qu'elle excède les pouvoirs conférés par la Loi sur la radiodiffusion. La requérante prétend que le pouvoir délégué qui est conféré au gouverneur en conseil doit être exercé en stricte conformité avec le pouvoir qui la crée, et qu'il ne peut être incompatible avec les dispositions de la loi habilitante. Même si l'article 26 de la Loi sur la radiodiffusion permet au gouverneur en conseil de donner des instructions au CRTC concernant « les catégories de demandeurs non admissibles à l'attribution [...] de licences » , l'énoncé de politique établi dans la Loi sur la radiodiffusion limite les pouvoirs qui lui sont conférés. La requérante soutient que l'énoncé de politique de l'alinéa 3(1)a) de la Loi sur la radiodiffusion est sans équivoque : le système canadien de radiodiffusion doit être « effectivement, la propriété des Canadiens et sous leur contrôle » . Selon la requérante, l'alinéa 3(1)a) de la Loi sur la radiodiffusion s'applique à chaque élément du système de radiodiffusion, y compris chaque entreprise de radiodiffusion individuelle.

[19]       La Loi sur les télécommunications prévoit clairement que seules les entités qui sont « la propriété de Canadiens et sous contrôle canadien » peuvent exercer leurs activités à titre d'entreprises de télécommunication. Ainsi qu'il a été souligné ci-dessus, les seules exceptions sont B.C. Tel et Québec-Téléphone. Contrairement à la Loi sur les télécommunications, la Loi sur la radiodiffusion ne définit pas la notion d' « entreprise de radiodiffusion canadienne » , ni ne limite le domaine aux radiodiffuseurs canadiens. Pour ce qui est de la mise en oeuvre de l'énoncé de politique de l'article 3, la Loi sur la radiodiffusion a confié cette responsabilité au gouverneur en conseil au moyen des articles 7 et 26. Dans New Brunswick Broadcasting Co., Ltd. c. Conseil canadien de la radiodiffusion et des télécommunications, [1984] 2 C.F. 410, la Cour d'appel fédérale a examiné la nature et la portée du pouvoir conféré par le législateur fédéral au gouverneur en conseil. À la page 430, au nom de la Cour, le juge en chef Thurlow a émis l'opinion suivante :

                Troisièmement, à mon avis, le pouvoir que confèrent au gouverneur en conseil le paragraphe 27(1) et le sous-alinéa 22(1)a)(iii) de la Loi sur la radiodiffusion n'est par sa nature ni judiciaire, ni quasi judiciaire, ni administratif. Il s'agit, selon moi, d'un pouvoir de nature législative. Il autorise la prise de décrets pour donner au CRTC des instructions concernant notamment les classes de requérants, et non les requérants individuels, auxquels les licences de radiodiffusion et leurs renouvellements ne peuvent être accordés. Le libellé de ces articles ne limite pas ce pouvoir en indiquant les motifs pour lesquels certaines classes de requérants peuvent être exclues. Ce rôle revient au gouverneur en conseil qui doit en décider pour les motifs de politique générale qu'il peut adopter. Ce n'est pas sans raison que le paragraphe 27(2) exige qu'un décret pris conformément au paragraphe 27(1) doit non seulement être publié immédiatement dans la Gazette du Canada, mais doit aussi être déposé devant le Parlement dans les quinze jours, et si le Parlement n'est pas alors en session, dans les quinze premiers jours où il siège par la suite. Cela donne au Parlement lui-même la possibilité d'examiner ce qui a été fait et d'annuler ou de modifier les instructions, s'il estime approprié de le faire. À mon avis, ces particularités du texte de la loi montrent la nature législative des instructions et du pouvoir de les émettre.

[20]       Pour les motifs qui suivent, j'estime que les instructions données par le gouverneur en conseil au CRTC n'excèdent pas les pouvoirs conférés par la Loi sur la radiodiffusion et que ce dernier n'a pas excédé les limites de sa compétence.

[21]       Je commence par la thèse selon laquelle la politique énoncée à l'alinéa 3(1)a) de la Loi sur la radiodiffusion n'exige pas que chaque entreprise de radiodiffusion individuelle au Canada soit « effectivement, la propriété des Canadiens et sous leur contrôle » . La Loi sur la radiodiffusion ne définit pas les mots « système canadien de radiodiffusion » . Toutefois, cette loi établit une nette distinction entre le système de radiodiffusion dans son ensemble et les entreprises individuelles qui le forment. Le régime prévu par la loi établit une distinction entre le « système canadien de radiodiffusion » et ses éléments. L'article 2 de la Loi sur la radiodiffusion définit les mots « entreprise de distribution » et les mots « entreprise de radiodiffusion » , respectivement, comme suit :

« entreprise de distribution » Entreprise de réception de radiodiffusion pour retransmission, à l'aide d'ondes radioélectriques ou d'un autre moyen de télécommunication, en vue de sa réception dans plusieurs résidences permanentes ou temporaires ou locaux d'habitation, ou en vue de sa réception par une autre entreprise semblable.

« entreprise de radiodiffusion » S'entend notamment d'une entreprise de distribution ou de programmation, ou d'un réseau.

[22]       La lecture de la Loi sur la radiodiffusion et, en particulier, du paragraphe 3(1) me convainc sans l'ombre d'un doute que le système de radiodiffusion est distinct de ses éléments constitutifs individuels. Par exemple, selon le paragraphe 3(1)b), le système canadien de radiodiffusion est composé « d'éléments publics, privés et communautaires » . Par ailleurs, l'alinéa 3(1)e) prévoit que « tous les éléments » du système de radiodiffusion contribueront « à la création et la présentation d'une programmation canadienne » . L'alinéa 3(1)f) vise à s'assurer que « toutes les entreprises de radiodiffusion » favoriseront, autant que possible, la créativité canadienne en ce qui a trait à la création et la présentation d'émissions. Il n'est pas nécessaire que je donne d'autres exemples car il est très clair que la Loi sur la radiodiffusion établit une distinction entre le tout et ses éléments. Je souscris entièrement aux arguments présentés par l'avocat du Procureur général du Canada aux paragraphes 26 et 27 de son exposé des faits et du droit :

[TRADUCTION]

26.L'alinéa 3(1)a) est une expression de la politique de radiodiffusion à l'égard du système dans son ensemble plutôt qu'à l'égard de chaque entreprise autorisée. Si le législateur fédéral avait voulu que chaque entreprise de radiodiffusion soit entièrement détenue et contrôlée par des Canadiens, il l'aurait prescrit, comme il l'a expressément fait à l'égard des autres objectifs et exigences de politique que renferment l'article 3. Comme ce n'est pas le cas, il est clair que le législateur fédéral ne voulait pas dicter que les entreprises de radiodiffusion individuelles soient entièrement ou totalement détenues et contrôlées par des Canadiens.

27.En outre, la politique que l'alinéa 3(1)a) vise à appliquer est une notion de « propriété et contrôle » « effective » ainsi que conjonctive par opposition à des notions de propriété et de contrôle strictement formalistes et juridiques ainsi que numériques et disjonctives. En ce faisant, la loi vise clairement l'application d'une méthode souple pour atteindre les objectifs larges, multiples et complexes de la politique canadienne de radiodiffusion, qui consistent notamment à « servir à sauvegarder, enrichir et renforcer la structure culturelle, politique, sociale et économique du Canada » (sous-alinéa 3(1)d)(i)) et à « demeurer aisément adaptable aux progrès scientifiques et techniques » (3(1)d)(iv)).

[23]       Pour les fins des présentes, j'accepte l'explication qu'a donnée M. Jean Guérette, directeur, Systèmes de distribution et multimédia, Direction générale de la politique de radiodiffusion, ministère du Patrimoine canadien, concernant la nature du système canadien de radiodiffusion dans son affidavit signé le 4 juillet 1997. Au paragraphe 4 de cet affidavit, M. Guérette dit ce qui suit :

[TRADUCTION]

4. Le système canadien de radiodiffusion est un regroupement de toutes les entreprises de radiodiffusion individuelles autorisées par le Conseil canadien de radiodiffusion et des télécommunications (CRTC) par l'intermédiaire duquel toute la programmation radiophonique et télévisuelle est transmise et diffusée au Canada. La Loi sur la radiodiffusion reconnaît trois grandes catégories d'entreprises de radiodiffusion, soit 1) les entreprises de programmation, qui, essentiellement, créent et transmettent la programmation au public; 2) les entreprises de distribution, qui, essentiellement, reçoivent la programmation initialement transmise par les entreprises de programmation et, normalement en échange de droits, diffusent cette programmation au public par l'intermédiaire de différents moyens de télécommunication; et 3) les réseaux, qui, essentiellement, sont des entreprises consistant en ententes organisationnelles entre les entreprises de programmation ou de distribution en vue de la transmission ou de la distribution d'émissions particulières ou de services de programmation. Pour ce qui est du nombre, de l'emplacement, du type et de la catégorie des entreprises détenant des licences de radiodiffusion la composition du système canadien de radiodiffusion est fidèlement décrite dans le tableau statistique produit par le CRTC à partir de ses propres dossiers et bases de données concernant l'octroi de licences. Ce tableau est annexé à titre de pièce A à mon affidavit.

[24]       La pièce A annexée à l'affidavit de M. Guérette indique qu'en date du 31 mars 1996, le système canadien de radiodiffusion comptait 5 696 entreprises individuelles autorisées, dont 2 301 entreprises de distribution autorisées. De ce nombre, 2 038 étaient des systèmes de câblodiffusion individuels exerçant leurs activités dans tout le Canada. Pour ce qui est de la province de la Colombie-Britannique, la pièce A indique que, toujours en date du 31 mars 1996, il y avait 151 entreprises de câblodiffusion autorisées représentant moins de 7,5 % du nombre total d'entreprises de câblodistribution au Canada et environ 2,7 % de toutes les entreprises de radiodiffusion autorisées qui forment le système canadien de radiodiffusion.

[25]       Vu la preuve et, en particulier, l'affidavit de M. Jean Guérette qui mentionne le nombre d'entreprises de radiodiffusion au Canada, il est indubitable qu'en permettant aux filiales de B.C. Tel et de Québec Téléphone de demander et d'obtenir des licences d'exploitation d'entreprises de distribution au sein de la zone de services de télécommunications de leurs sociétés mères respectives, le gouverneur en conseil n'a pas compromis et ne compromettra pas la propriété et le contrôle effectifs par des Canadiens du système canadien de radiodiffusion.   

[26]       L'examen de la politique canadienne de radiodiffusion énoncée au paragraphe 3(1) de la Loi sur la radiodiffusion m'amène à conclure qu'en formulant cette politique, le législateur fédéral voulait s'assurer que le système canadien de radiodiffusion maintiendrait et valoriserait l'identité nationale et la souveraineté culturelle. Cela est expressément énoncé à l'alinéa 3(1)d) de la Loi sur la radiodiffusion. Les alinéas 3(1)c), d), f), i), n), o), p), q) et r) appuient cette proposition. La filiale de distribution de B.C. Tel, qui exercera ses activités presque exclusivement à titre de service de câblodistribution, ne compromettra certainement pas la politique adoptée par le législateur fédéral. Le fait d'avoir deux sociétés qui ne sont pas « effectivement, la propriété des Canadiens et sous leur contrôle » parmi des milliers d'intervenants au sein de l'industrie ne change ni la nature ni le contrôle canadiens du système dans son ensemble.

[27]       L'un des arguments que la requérante a fait valoir à l'appui de son interprétation de l'alinéa 3(1)a) de la Loi sur la radiodiffusion est que, depuis 1969, les instructions au CRTC contiennent toujours des [TRADUCTION] « limites précises quant au niveau permissible d'intérêts de propriété de chaque entreprise de radiodiffusion canadienne qui peuvent être détenus par des intérêts non canadiens » . En conséquence, les entreprises de radiodiffusion détenues et contrôlées par des étrangers ont dû se conformer aux exigences relatives à la propriété énoncées dans les instructions au CRTC. Au paragraphe 29 de la page 14 de son exposé des faits et du droit, la requérante dit ce qui suit :

[TRADUCTION]... En vertu du nouveau régime, le CRTC n'a reconnu des droits acquis à aucune des entreprises de radiodiffusion détenues et contrôlées par des étrangers. En date de 1978, chaque entreprise de radiodiffusion et de câblodistribution s'était conformée aux instructions relatives à la propriété.

[28]       Au paragraphe 30, de son exposé des faits et du droit, la requérante ajoute :

[TRADUCTION] Pour se conformer aux instructions relatives à la propriété, le CRTC a toujours examiné la structure de la propriété de chaque entreprise de radiodiffusion individuelle autorisée à exercer ses activités au Canada. Tous les demandeurs de licences de radiodiffusion ou de renouvellement de licences de radiodiffusion sont tenus de soumettre avec leurs demandes des documents démontrant qu'elles se conforment aux instructions relatives à la propriété. Toutes les décisions rendues par le CRTC à ce jour attestent de cette pratique.

[29]       Selon moi, l'argument de la requérante n'est pas pertinent. En adoptant la Loi sur la radiodiffusion, le législateur fédéral n'a pas limité le domaine aux entreprises de radiodiffusion détenues et contrôlées par des Canadiens. Il a plutôt prévu que le système de radiodiffusion canadien devait être « effectivement, la propriété de Canadiens et sous le contrôle de ceux-ci » . Pour ce qui est de la meilleure façon de mettre en oeuvre cette politique, le législateur fédéral a confié au gouverneur en conseil le soin de concevoir les moyens les plus appropriés. La requérante a raison de dire que jusqu'à ce que les instructions au CRTC contestées aient été données en avril 1997, toutes les entreprises de radiodiffusion devaient se conformer aux exigences relatives à la propriété que contenaient les instructions antérieures, lesquelles prescrivaient que tous les demandeurs devraient être des « Canadien(s) » au sens des instructions. En vertu des instructions antérieures, B.C. Tel et Québec-Téléphone n'étaient pas des « Canadien(s) » et ne pouvaient donc présenter une demande au CRTC.

[30]       La responsabilité de la mise en oeuvre de la politique ayant été confiée au gouverneur en conseil, ce dernier a été pleinement investi du pouvoir de modifier ou d'abroger les anciennes instructions s'il estimait qu'un tel changement était conforme aux objectifs de la politique énoncée par le gouvernement. J'ai déjà mentionné certains des motifs pour lesquels le gouverneur en conseil semble avoir décidé de donner les instructions contestées. Il s'agit d'une décision qu'il était loisible au gouverneur en conseil de prendre. Il n'est pas pertinent que les anciennes instructions aient exigé que les sociétés soient contrôlées par des Canadiens plutôt que de permettre des exceptions pour les « ayants droit qualifiés » . Ni l'une ni l'autre des deux formes d'instructions n'excèdent les limites de la politique.

[31]       En conclusion, les Canadiens, y compris la requérante, peuvent être d'accord ou non avec la décision par laquelle le gouverneur en conseil a permis à des filiales de B.C. Tel et de Québec-Téléphone de demander et d'obtenir des licences de distribution de radiodiffusion. La question de savoir si des filiales d'entreprises de téléphonie détenues et contrôlées par des étrangers devraient être autorisées à obtenir les licences en cause est sujette à discussion. Toutefois, le législateur fédéral a confié au gouverneur en conseil la responsabilité de concevoir et de mettre en oeuvre les meilleurs moyens d'atteindre les objectifs d'identité nationale et de souveraineté culturelle dans le domaine de la radiodiffusion. En conséquence, une décision de la part du gouverneur en conseil ne peut être contestée avec succès en l'espèce, pourvu que cette décision, comme c'est le cas en l'espèce, respecte les grandes lignes de la politique. Le tribunal de l'opinion publique est le forum qui convient à ce débat.


[32]       Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                                                             « MARC NADON »    

                                                                                                                                                     Juge                   

Ottawa (Ontario)

Le 19 mars 1998

Traduction certifiée conforme :

                              

C. Bélanger, LL.L.


                                                  COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                              SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                               AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NEDU GREFFE :                               T-919-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Rogers Communications Inc.

                                                            c.

                                                Le Procureur général du Canada et al.

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                 22 octobre 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

PRONONCÉS PAR :                          Monsieur le juge Nadon

EN DATE DU :                                    19 mars 1998

ONT COMPARU :

Me John L. Finlay                                   pour la requérante

Me Mark Underhill

Me George Carruthers                            pour l'intimé - Le Procureur général du Canada

Me Mario LePage

Me George MacIntosh                            pour l'intimée - B.C. Telecom Inc.

Me Kevin Woodall                                  faisant affaires sous le nom de B.C. Tel

Me Errin Poyner

Me Francis Lamer                                  pour l'intervenante - Le Groupe QuébecTel Inc.

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Arvay Finlay                                          pour la requérante

Victoria (Colombie-Britannique)

Me George Thomson                               pour l'intimé - Le Procureur général du Canada

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Farris Vaughan Wills & Murphypour l'intimée - B.C. Telecom Inc. faisant affaires

Vancouver (Colombie-Britannique)          sous le nom de B.C. Tel

Shapray Cramer & Associates                pour l'intervenante - Le Groupe QuébecTel Inc.

Vancouver (Colombie-Britannique)



     [1]Le Groupe QuébecTel Inc., une société constituée sous le régime des lois de la province de Québec, détient 100 % des actions ordinaires de Québec-Téléphone. Cette dernière fournit des services de téléphonie, locaux et interurbains, à environ 550 000 personnes résidant dans la province de Québec. Les actions de Québec-Téléphone, comme celles de B.C. Tel, sont détenues par une société de portefeuille dont les actions ordinaires appartiennent à la Compagnie de téléphone anglo-canadienne.

     [2]Le décret C.P. 1994-1105 aux termes duquel la demande a été présentée au CRTC définit l' « autoroute de l'information » comme suit :

            Le terme « autoroute de l'information » décrit un réseau de réseaux qui reliera foyers, entreprises et établissements canadiens à une grande diversité de services. L'autoroute de l'information fournira l'infrastructure nécessaire à la nouvelle économie canadienne fondée sur les connaissances. Son développement sera donc d'une importance critique pour la compétitivité de tous les secteurs de notre économie.

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