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                                                                                                             T-2688-95

 

 

         AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI SUR LA CITOYENNETÉ,

                                           L.R.C. (1985), ch. C-29

 

 

                                        ET un appel d'une décision

                                         d'un juge de la citoyenneté

 

 

                                                            ET

 

 

                                                    Yip Tin Lee,

 

                                                                                                                appelant.

 

 

 

 

                                   MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

 

 

LE JUGE ROTHSTEIN

 

            La question soulevée dans le présent appel, concernant une décision du juge de la citoyenneté, Mme Gina Godfrey, qui a refusé la citoyenneté à l'appelant, consiste à déterminer si celui-ci a établi sa résidence au Canada comme il est tenu de le faire aux termes de l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté[1] en conservant ou en centralisant son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d'intérêts et de convenances au Canada.  (Voir Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208, à la page 214.)

 

            L'appelant est un citoyen de Hong Kong.  Son épouse, son enfant et lui‑même ont obtenu le statut de résidents permanents au Canada en 1989.  Ils ont acheté une maison à Richmond (C.-B.) et leur fils y fréquente l'école.  L'appelant a investi 250 000 $ dans un fonds de placement canadien à titre de condition à son immigration au Canada.  Il est membre d'une association communautaire de l'Église catholique romaine à Richmond.  Il a un comptable, un médecin et un dentiste au Canada.  Récemment, l'appelant a aménagé des terrains à Richmond et il est en voie de vendre des maisons de ville.  Il a un numéro d'assurance sociale canadien et un permis de conduire de la Colombie‑Britannique.  Il a plusieurs comptes bancaires au Canada et a produit ses déclarations d'impôt sur le revenu au Canada.  Il a également acheté deux condominiums en tant que placements au Canada.  Ce sont généralement là des indices qu'une personne a centralisé son mode de vie habituel au Canada.

 

            Toutefois, dans les trois semaines qui ont suivi son arrivée au Canada en juillet 1989, l'appelant est retourné à Hong Kong.  Dans la période de quatre ans précédant sa demande de citoyenneté, l'appelant a séjourné au Canada pendant 166 jours et à Hong Kong pendant 1281 jours, soit 11 % du temps au Canada et 89 % à Hong Kong.  Il fait habituellement des séjours de trois à cinq mois à Hong Kong, entrecoupés de courtes visites au Canada allant de 7 à 27 jours, soit une moyenne de 15 jours.  Dans la période précédant immédiatement sa demande de citoyenneté, l'appelant est demeuré à Hong Kong pendant près de 262 jours ou près de 9 mois sans revenir au Canada.

 

            Pour évaluer si l'appelant a centralisé son mode de vie habituel au Canada, deux faits sont importants.  Premièrement, même si l'appelant est membre de l'Église catholique romaine et qu'on peut présumer qu'il fête Noël, il ne s'est jamais trouvé au Canada à Noël dans les quatre ans qui ont précédé sa demande.  Deuxièmement, son épouse a déclaré que son fils avait l'impression qu'il ne pouvait pas demander à son père de demeurer au Canada un jour de plus pour participer à un pique-nique familial à l'école parce qu'il ne le connaît pas assez bien.

 

            L'appelant a essayé de comparer sa situation à de nombreux cas dans lesquels il a été établi que le fait de s'absenter du Canada pour prendre soin d'un parent malade ou âgé peut constituer une explication raisonnable pour de longues absences du Canada et que cela n'empêche pas un requérant d'obtenir la citoyenneté.  L'appelant a déclaré que son retour à Hong Kong était nécessaire pour prendre soin de ses parents et de deux de ses frères, qui ont approximativement 30 ou 32 ans, et qui, selon lui, ne sont pas bien.  Toutefois, les rapports médicaux ayant trait aux deux frères de l'appelant n'appuient pas la prétention selon laquelle ils ont besoin de sa présence à Hong Kong.  Dans le cas de l'un de ses frères, le rapport médical en date du 14 mars 1995 porte sur la période du 25 février au 30 septembre 1989.  Ce rapport indique que son frère s'est plaint de palpitations sporadiques.  Les symptômes étaient essentiellement normaux et il semble que l'état de son frère se soit amélioré grâce au traitement qui lui a été prescrit.  Il n'y a rien de plus récent sur l'état de santé de ce premier frère.  Le rapport médical concernant son autre frère indique que celui-ci a été traité pour des troubles d'anxiété et de dépression, qu'il prend des médicaments et qu'il reçoit du counselling et que son état mental s'est amélioré avec le temps.  L'épouse de l'appelant a déclaré que la mère de ce dernier insiste pour que celui-ci retourne à Hong Kong s'occuper d'elle.  Aucun élément de preuve concernant l'état de santé de la mère n'a été produit et on a pas non plus expliqué pourquoi l'appelant était tenu de passer chaque fois quatre ou cinq mois à Hong Kong, afin de s'occuper de sa mère, pour chaque séjour de deux semaines au Canada.

 

            J'accepte les observations du juge Noël dans l'affaire Chung (1996), 33 Imm. L.R. (2d) 288, qui signale que c'est la résidence et non la présence physique qui est le critère déterminant pour l'octroi de la citoyenneté.  Toutefois, d'après mon interprétation, il n'a pas dit que la présence physique n'est pas un facteur important dont il faut tenir compte pour se prononcer sur la question de la résidence.  La durée de la présence d'une personne au Canada et le nombre de ses absences peuvent fournir des indices utiles pour déterminer si cette personne a conservé ou centralisé son mode de vie habituel au Canada.

 

            En l'espèce, l'appelant a été au Canada pendant 11 % du temps et absent pendant 89 % de la période pertinente.  Rien ne révèle une tendance à passer de plus en plus de temps au Canada.  En fait, il semblerait que ce soit plutôt le contraire, les séjours à Hong Kong étant de plus en plus longs vers la fin de la période de quatre ans précédant la demande de citoyenneté.

 

            Je n'accepte pas les arguments de l'appelant indiquant qu'il devait demeurer à Hong Kong pour s'occuper de ses frères.  Les rapports médicaux ne démontrent pas qu'ils ont besoin de soins.  Bien que l'appelant puisse avoir l'obligation de s'occuper de ses parents, il a des frères à Hong Kong.  Rien dans la preuve n'indique que des rapports plus étroits existent entre l'appelant et ses parents qu'entre ses frères et ces derniers.  En fait, ses parents ne sont pas venus une seule fois lui rendre visite au Canada.

 

            L'appelant exploite un commerce d'électronique à Hong Kong, dont il est le propriétaire.  Il n'y a pas d'indice qu'il a l'intention de vendre ce commerce, de le liquider, de demander à d'autres personnes de l'exploiter pour lui, de le transférer au Canada ou qu'il a pris d'autres arrangements pour être en mesure de passer plus de temps au Canada avec son épouse et son fils.  Le lieu de résidence d'un couple marié est habituellement l'endroit où ce couple a établi son mode de vie habituel (voir Canada c. Shanshal (1993), 19 Imm. L.R. (2d) 203, à la page 210).  Il peut toutefois y avoir des exceptions, comme en l'espèce, où l'absence d'un conjoint pendant de longues périodes et sa présence pendant de brefs séjours permet de réfuter une telle présomption à l'égard de ce conjoint.  En l'espèce, la preuve indique que le seul enfant du mariage ne connaît pas suffisamment son père pour lui demander de demeurer un jour de plus pour participer à un pique-nique à l'école, et que le père n'a jamais passé Noël au Canada avec sa femme et son fils.  À mon avis, cette preuve réfute manifestement la présomption susmentionnée.

 

            Je pense qu'il est également pertinent de noter que l'appelant ne déclare pas son revenu mondial au Canada pour les fins de l'impôt sur le revenu.  Il semble avoir des obligations importantes à l'égard de ses parents et peut-être de ses frères.  En outre, il entretient une maison relativement dispendieuse à Richmond.  Et pourtant, le revenu inscrit dans sa déclaration d'impôt sur le revenu canadien s'échelonne de 27 605 $ à 35 783 $ pour les années 1990 à 1994.  Sur ce revenu relativement modeste, il est parvenu à faire des dons de charité de 2 045 $, 3 203 $ et 4 145 $ en 1991, 1992 et 1993 respectivement.  En outre, il a une participation dans une entreprise immobilière et il a acheté deux condominiums comme placements.  Je suis convaincu qu'il a un revenu substantiel en sus de celui qu'il déclare pour les fins de l'impôt sur le revenu au Canada, revenu qu'il tire probablement de son commerce d'électronique à Hong Kong.

 

            Très souvent, le fait qu'une personne ait un numéro d'assurance sociale, un permis de conduire et qu'il y ait d'autres indices qui permettent de conclure qu'il est un résident canadien mène à la conclusion que le requérant a centralisé son mode de vie au Canada.  Toutefois, dans d'autres circonstances, ce ne sont que des indices secondaires qui servent à démontrer que le requérant répond aux conditions nécessaires pour l'octroi de la citoyenneté, alors qu'en fait il ne respecte pas ces conditions.  Par exemple, en l'espèce le requérant a indiqué qu'il avait un médecin et un dentiste au Canada.  Il est difficile de croire que cela ait beaucoup d'importance quand on sait que l'appelant ne passe que deux semaines au Canada tous les quatre ou cinq mois.  En fait, la preuve indique que l'appelant a été hospitalisé à Hong Kong, mais pas au Canada.

 

            J'ai tenu compte des critères énoncés par le juge Reed dans l'affaire Koo, [1993] 1 C.F. 286 (C.F. 1re inst.), à la page 293, pour parvenir à ma conclusion en l'espèce.  Je suis convaincu que l'appelant rend visite à son épouse et à son fils au Canada pendant de courts séjours quelques fois par année, et qu'il a des placements au Canada.  Je suis également convaincu qu'il y a certains indices pouvant démontrer qu'il a sa résidence au Canada, tel qu'un permis de conduire et qu'il paie son impôt sur le revenu au Canada, mais uniquement sur son revenu canadien.  Toutefois, dans les circonstances de l'espèce, j'accorde peu d'importance à ces facteurs.  Les attaches du requérant avec Hong Kong sont manifestement beaucoup plus importantes que celles qui existent avec le Canada.  Le fait qu'il soit retourné à Hong Kong trois semaines après avoir obtenu le statut de résident permanent au Canada, qu'il ait été absent du Canada pendant 89 % de la période pertinente, sans indication de changement, et sans explication légale acceptable, m'amène à conclure que le requérant n'a pas satisfait aux exigences de résidence énoncées dans la Loi sur la citoyenneté.  Le juge de la citoyenneté n'a pas commis d'erreur dans sa décision.


            L'appel est rejeté.

 

 

                                                                                                Marshall Rothstein

                                                                                                             

                                                                                                                       Juge

 

 

OTTAWA (ONTARIO)

LE 4 DÉCEMBRE 1996

 

 

 

Traduction certifiée conforme                                        

 

François Blais, LL.L.


                                COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

 

            AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

N° DU GREFFE :T-2688-96

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :LOI SUR LA CITOYENNETÉ c.

YIP TIN LEE

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L'AUDIENCE :le 26 novembre 1996

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE ROTHSTEIN

 

 

DATE :le 4 décembre 1996

 

 

 

 

ONT COMPARU :

 

 

M. Sheldon M. Robins                                              POUR L'APPELANT

 

 

M. Peter K. LargeAMICUS CURIAE

 

 

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

M. Sheldon M. RobinsPOUR L'APPELANT

Toronto (Ontario)

 

 

M. Peter K. LargeAMICUS CURIAE

Toronto (Ontario)



    [1]5(1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

c) a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent, n'a pas depuis perdu ce titre en application de l'article 24 de la Loi sur l'immigration et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans [...]

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