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Date : 20010529

Dossier : T-680-00

Référence neutre : 2001 CFPI 535

ENTRE :

                                                GARRY R. KING

                                                                                                              demandeur

et

LE TRIBUNAL DES ANCIENS COMBATTANTS [RÉVISION ET APPEL]

et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NADON

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée conformément à l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, à l'encontre de la décision par laquelle le Tribunal des anciens combattants [révision et appel] (le TAC) a refusé, le 21 mars 2000, la demande de pension que le demandeur avait faite.


[2]         Les faits pertinents peuvent être résumés comme suit. Le demandeur Garry R. King a servi au sein de l'Aviation royale du Canada et, par la suite, au sein des Forces armées canadiennes du 3 septembre 1959 au 19 juin 1991. Au moment de sa retraite des Forces armées canadiennes, il occupait le grade de brigadier-général.

[3]         Au printemps 1968, pendant qu'il était en service temporaire autorisé en Sardaigne en vue de participer à des exercices d'entraînement de l'OTAN, le demandeur a consommé des moules avariées. Il est tombé malade et a été hospitalisé. Le 13 mars 1968, une hépatite virale de type A a été diagnostiquée. Au mois de mai 1970, le demandeur a été admis à l'hôpital et une tuberculose génito-urinaire a été diagnostiquée.

[4]         Par un avis de demande en date du 14 juin 1993, le demandeur a présenté une demande de pension à la Commission canadienne des pensions en invoquant l'hépatite, conformément au paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions, et la tuberculose génito-urinaire, conformément au paragraphe 21(5) de la Loi sur les pensions. À cette demande était joint un rapport médical du docteur James Gill en date du 19 avril 1993. La Commission canadienne des pensions a obtenu un avis médical du docteur R. Lund daté du 10 février 1994.

[5]         Par une décision en date du 7 mars 1994, la Commission canadienne des pensions a statué ce qui suit :


[TRADUCTION]

00939       HÉPATITE

Aucune pension ne peut être accordée parce que la preuve médicale ne révèle pas l'existence d'une invalidité au sens de la législation.

(Paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions)

00128       TUBERCULOSE Génito-urinaire

Ne donne pas droit à pension en vertu du paragraphe 21(5) de la Loi sur les pensions étant donné que les conditions de l'alinéa a) de cette disposition ne sont pas remplies.

(Paragraphe 21(5) de la Loi sur les pensions.)

[6]         Une audition relative à l'examen de la décision de la Commission canadienne des pensions a eu lieu devant le comité d'examen de la Commission canadienne des pensions le 25 mai 1995. Le comité d'examen a confirmé le rejet de la demande du demandeur.

[7]         Le demandeur a interjeté appel au TAC, devant lequel son représentant a soumis des observations écrites ainsi que des extraits des dossiers d'hôpital concernant le demandeur, une lettre du brigadier-général à la retraite Christie en date du 6 décembre 1995 et une lettre du demandeur en date du 2 août 1996. Dans sa lettre, le brigadier-général à la retraite Christie examinait la question du « service temporaire officiel » ; il a dit ce qui suit :

[TRADUCTION]

« J'ai examiné les conclusions tirées par le comité d'examen de la Commission canadienne des pensions le 25 mai 1995 dans l'affaire King; j'aimerais faire les remarques suivantes :

Service temporaire : Selon les conclusions, M. King a consommé les moules avariées à l'extérieur de la base « pendant qu'il avait quartier libre » . Cette conclusion est inexacte et trompeuse :


a.              L'individu qui est en service temporaire officiel à l'extérieur de sa base principale est DE SERVICE 24 heures par jour à compter du moment où il quitte sa base jusqu'au moment où il la réintègre. Cet aspect était particulièrement important en Europe, dans les pays de l'OTAN, où le ST était la norme et les incidents internationaux, inévitables. En tant que commandant de la base à l'époque, je gérais et approuvais constamment des cas d'assurances et d'indemnités concernant des membres du personnel qui étaient en service temporaire.

b.              Les pilotes qui étaient en service temporaire en Sardaigne étaient PLEINEMENT AUTORISÉS à se mêler à la population civile pour leurs repas et leurs loisirs. Ils l'ont fait en étant parfaitement conscients du fait qu'ils étaient protégés par les « règlements de l'ARC » . Il n'était clairement pas pratique d'imposer des restrictions quant aux repas en Europe, dans un pays de l'OTAN, pour les équipages qui étaient en service temporaire, en particulier en Sardaigne.

[8]         Par une décision en date du 2 octobre 1996, le TAC a rejeté l'appel du demandeur et a rendu la décision suivante :

[TRADUCTION]

00939       HÉPATITE

N'était pas consécutive ou rattachée directement au service en temps de paix.

(Paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions)

00128       TUBERCULOSE Génito-urinaire

Ne résultait pas de la maladie au sens du paragraphe 21(5) de la Loi sur les pensions puisque les conditions de l'alinéa 21(5)a) de cette loi ne sont pas remplies.

[9]         Par un avis introductif d'instance qui a été déposé le 20 janvier 1997, le demandeur a sollicité le contrôle judiciaire de la décision du TAC. Dans les motifs de l'ordonnance du 7 novembre 1997, Monsieur le juge Campbell a annulé la décision du TAC pour le motif qu'elle était manifestement déraisonnable. Le juge Campbell a renvoyé l'affaire pour nouvelle audition par une formation différente du TAC et a adjugé les dépens au demandeur. L'affaire devait de nouveau être entendue par la TAC le 27 mai 1998.


[10]       Dans une lettre datée du 21 mai 1998, le TAC a écrit au bureau du juge-avocat général (le JAG) pour demander un avis au sujet du « service temporaire officiel » mentionné par le brigadier-général à la retraite Robert Christie dans sa lettre du 6 décembre 1995. La lettre que le TAC a envoyée au JAG, dont une copie a été transmise au représentant du demandeur au Bureau de services juridiques des pensions, disait ce qui suit :

[TRADUCTION]

La présente lettre vise à demander l'avis de votre bureau au sujet de certains renseignements figurant dans la lettre ci-jointe du brigadier-général Robert Christie en date du 6 décembre 1995, laquelle a été fournie au Tribunal à l'appui de la demande de M. King.

Dans sa lettre, M. Christie fait des remarques au sujet du statut des pilotes d'une division aérienne (Marville, Zweibrucken, Baden-Sollingen et par la suite Lahr) qui étaient déployés en Sardaigne au printemps 1968 en vue de participer à des exercices d'entraînement de l'OTAN.

[...]

Nous aimerions obtenir des réponses aux questions ci-après énoncées afin d'aider le Tribunal à mieux comprendre les renseignements figurant dans la lettre de M. Christie.

1.              Pourriez-vous nous fournir des renseignements au sujet de l'origine et du sens de l'expression « service temporaire officiel » ainsi qu'au sujet du pouvoir en vertu duquel ce type de service a été établi dans les Forces armées canadiennes? Pourriez-vous également nous fournir une copie de tout texte législatif ou réglementaire, ordonnance ou politique pertinents en vertu duquel pareil service a été établi?

2.              Pourriez-vous nous fournir des renseignements au sujet des cas dans lesquels les Forces armées canadiennes ont ou avaient recours au « service temporaire officiel » ?

3.              Pourriez-vous confirmer si l'expression « service temporaire officiel » signifie que les Forces armées canadiennes considèrent qu'un membre est « DE SERVICE 24 heures par jour à compter du moment où il quitte sa base jusqu'au moment où il la réintègre » ?


4.              Dans l'affirmative, pourriez-vous nous dire si les Forces armées canadiennes considèrent ce statut, soit le fait d'être « en service temporaire officiel » , comme voulant dire ou donnant à entendre que les membres qui sont blessés à l'extérieur de leur base principale pendant qu'ils sont en service temporaire officiel auraient droit à des prestations en vertu des dispositions du paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions pour une invalidité ou une affection entraînant incapacité résultant d'un événement survenu pendant que le membre n'était pas en service?

5.              Dans sa lettre, M. Christie dit que les pilotes qui étaient en service temporaire en Sardaigne étaient autorisés à se mêler à la population civile pour leurs repas et leurs loisirs. Il dit ensuite ce qui suit : « Ils [le faisaient] en étant parfaitement conscients du fait qu'ils étaient protégés par les règlements de l'ARC. »

Pourriez-vous nous faire connaître votre avis au sujet de la nature de cette « protection » et nous faire savoir si les Forces armées canadiennes considéraient que cela comprenait les prestations prévues au paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions? De plus, pourriez-vous donner des précisions au sujet des « règlements de l'ARC » dont M. Christie fait mention?

[11]       Par une lettre envoyée le 21 mai 1998 au TAC, les avocats du demandeur se sont opposés à la demande que le TAC avait faite au JAG. Par une lettre en date du 26 mai 1998, le TAC a informé les avocats du demandeur que la lettre adressée au JAG [TRADUCTION] « visait simplement à obtenir l'avis de la Défense nationale au sujet de la question du « service temporaire » et à obtenir des précisions au sujet des renseignements figurant dans la lettre du brigadier-général Christie » . Dans sa lettre, le TAC a également dit ce qui suit :

[TRADUCTION]

Le Tribunal dont les procédures sont, comme vous le savez, de nature non accusatoire ne souscrit pas aux déclarations susmentionnées et a l'intention de poursuivre les mesures qu'il a prises, lesquelles relèvent des larges pouvoirs d'enquête qui lui sont conférés conformément aux articles 14 et 26 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants [révision et appel]. Le Tribunal est également d'avis que ces mesures ne violent pas l'ordonnance susmentionnée [de la Cour fédérale].


[12]       Par une autre lettre envoyée le 26 mai 1998 au représentant du demandeur au Bureau de services juridiques des pensions, le TAC a indiqué que l'audience ne pouvait pas avoir lieu au complet le 27 mai 1998 tel qu'il avait initialement été prévu parce que le JAG n'avait pas encore répondu à la demande du 21 mai 1998. Par des lettres datées des 26 et 27 mai 1998, les avocats du demandeur et le représentant de celui-ci au Bureau de services juridiques des pensions se sont opposés à l'ajournement et à la demande que le TAC avait faite au JAG.

[13]       La nouvelle audience devant le TAC a commencé le 27 mai 1998. Toutefois, l'audience a été ajournée en attendant que le TAC reçoive une réponse du JAG.

[14]       La réponse du JAG figure dans une lettre en date du 5 août 1998. Une copie de la lettre a été envoyée au représentant du demandeur au Bureau de services juridiques des pensions le 26 août 1998.

[15]       Les parties ont convenu que le reste de l'audience devant le TAC se déroulerait en deux étapes. Au cours de la première phase, le TAC entendrait les plaidoiries relatives à l'applicabilité de l'alinéa 21(3)e) de la Loi sur les pensions aux faits de la présente espèce. Si le TAC décidait que l'alinéa 21(3)e) ne s'appliquait pas, une deuxième audience serait tenue aux fins de l'examen de la question de savoir si le TAC était autorisé à rassembler de nouveaux éléments de preuve, de la question du service temporaire officiel et de la question de savoir si l'alinéa 21(3)f) de la Loi sur les pensions s'appliquait aux faits de la présente espèce.


[16]       Deux audiences ont été tenues devant le TAC les 4 mars et 19 octobre 1999. Le 21 mars 2000, le TAC a fait connaître sa décision, qui était défavorable au demandeur. Le 13 avril 2000, le demandeur a présenté cette demande de contrôle judiciaire de la décision du TAC.

[17]       Aux audiences du 27 mai 1998, du 4 mars 1999 et du 19 octobre 1999, le TAC était saisi de quatre questions :

1.          Est-il possible de dire que l'hépatite A que M. King a contractée pendant qu'il servait en Sardaigne en 1968 était consécutive ou rattachée directement au service militaire au sens du paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions?

2.          La région de la Sardaigne dans laquelle M. King servait lorsqu'il a contracté l'hépatite A en 1968 peut-elle être considérée comme un « service dans une zone où la fréquence des cas de la maladie contractée par le membre des forces ou qui a aggravé une maladie ou blessure dont souffrait déjà le membre des forces, constituait un risque pour la santé des personnes se trouvant dans cette zone » au sens de l'alinéa 21(3)e) de la Loi sur les pensions?


3.          Le Tribunal a-t-il excédé sa compétence lorsqu'il a entrepris une « mission de rassemblement des faits » à la suite de la décision que la Cour fédérale avait rendue le 7 novembre 1997 et, ce faisant, a-t-il perdu son objectivité?

4.          La tuberculose génito-urinaire résultait-elle de l'hépatite au sens du paragraphe 21(5) de la Loi sur les pensions?

[18]       En ce qui concerne la première question, le TAC a conclu que, même si le demandeur avait contracté l'hépatite pendant qu'il accomplissait son service en Sardaigne, la maladie n'était pas consécutive ou rattachée directement au service en temps de paix au sens de l'alinéa 21(2)a) de la Loi sur les pensions. En examinant la question, le TAC a également tenu compte de la définition de l'expression « service temporaire officiel » ; voici ce qu'il a dit :

[TRADUCTION]

Le point qui est ici en litige et qui est particulièrement crucial non seulement dans la présente décision, mais aussi dans des appels similaires dont le tribunal peut être saisi se rapporte à la définition de l'expression « service temporaire officiel » .

[...]

Étant donné que la définition de l'expression « service temporaire officiel » est si cruciale dans la présente affaire et dans de nombreuses autres demandes dont le tribunal est saisi, le Tribunal a jugé nécessaire d'exercer ses pouvoirs d'enquête en demandant au juge-avocat général d'exprimer son avis au sujet de la question du « service temporaire officiel » , et ce, parce que l'avis exprimé par le brigadier-général à la retraite Christie était fort différent de l'interprétation donnée par le Tribunal à l'expression « affectation ou service temporaire » .

Le bureau du juge-avocat général est chargé de fournir des avis juridiques au ministre, au Ministère et aux Forces canadiennes au sujet de questions liées à la justice militaire ainsi qu'au gouvernement du Canada au sujet du droit militaire. Le Tribunal a communiqué avec ce bureau parce qu'il peut fournir des avis juridiques spécialisés sur la question du service temporaire.


[...]

Après avoir reçu l'avis demandé, le Tribunal a examiné la réponse du bureau du juge-avocat général en date du 5 août 1998.

Dans sa lettre, qui est particulièrement importante en l'espèce et dans d'autres cas similaires dont le Tribunal est saisi, le juge-avocat général a répondu aux questions du Tribunal comme suit :

L'expression « service temporaire officiel » ne figure nulle part dans la législation, dans les règlements ou dans les ordonnances concernant les Forces canadiennes, mais l'expression « service temporaire » s'y trouve. Le service temporaire est l'une des expressions employées pour décrire le statut d'un membre qui est en service ailleurs qu'à sa base principale [...] Ces expressions, désignant des affectations plus ou moins longues, constituent essentiellement des outils administratifs et sont principalement employées en vue de permettre de déterminer les avantages financiers, y compris certaines allocations et certains frais de transport et de logement et d'autres dépenses qui s'appliquent au cours d'une affectation.

[...]

Comme vous pouvez le constater en lisant la définition figurant au paragraphe 2 de l'OAFC 20-5 actuel, un membre qui doit suivre un cours ou exercer une fonction pour une période de six mois ou moins ailleurs qu'au lieu permanent du service est normalement envoyé en service temporaire.

Service 24 heures sur 24

Je ne suis au courant d'aucune mention, dans une ordonnance ou dans une autre directive, du fait qu'un membre est de service 24 heures sur 24 uniquement parce qu'il est en service temporaire.

En ce qui concerne les remarques du brigadier-général à la retraite Christie, qui a déclaré qu'un membre qui est en service temporaire officiel est en service 24 heures sur 24, le juge-avocat général tient à faire observer ce qui suit :

[...] J'hésiterais énormément à considérer cette remarque comme constituant un énoncé de droit ou de fait exact. Comme je l'ai déjà dit, il n'existe aucune directive en ce sens. Au contraire, la législation pertinente semble indiquer que les membres ne sont pas en service 24 heures sur 24 simplement parce qu'ils sont affectés temporairement à l'étranger. Si un membre était en service 24 heures sur 24 simplement parce qu'il a été affecté temporairement ailleurs qu'au lieu normal du service, il semblerait peu utile d'adopter des dispositions législatives à l'égard des pensions dans les zones de service spécial.


[...] Des zones ont été désignées en tant que zones de service spécial lorsque les membres seraient exposés à des conditions dangereuses qui ne sont pas normalement associées au service en temps de paix. Or, la Sardaigne n'a pas été ainsi désignée.

Bref, l'existence de dispositions législatives relatives aux zones de service spécial sert à indiquer un point crucial :

·                 Il semble qu'il ne soit pas considéré que les membres temporairement affectés à l'extérieur du Canada sont en service 24 heures sur 24; par conséquent, la Loi sur les pensions ne s'applique pas à première vue à ces membres lorsqu'un accident survient au cours de leur affectation; il a été jugé nécessaire d'édicter des dispositions législatives spéciales en vue d'en arriver à ce résultat dans certaines régions.

En faisant des remarques au sujet de la déclaration du brigadier-général à la retraite Christie selon laquelle :

[...] les pilotes autorisés à se mêler à la population civile pour leurs repas « [le faisaient] en étant parfaitement conscients du fait qu'ils étaient protégés par les règlements de l'ARC » , le juge-avocat ajoute ce qui suit : « [...] Je ne suis au courant d'aucune disposition législative autre que les dispositions législatives relatives aux zones de service spécial qui a, ou qui avait, pour effet de « protéger » les membres 24 heures sur 24. Étant donné que la Sardaigne n'a pas été désignée en tant que zone de service spécial, je ne sais pas de quels règlements M. Christie veut parler. »

Le brigadier-général Christie croyait peut-être que le fait d'être en service temporaire officiel ailleurs qu'à la base principale permettait pleinement à M. King de se mêler à la population civile (de la Sardaigne) pour ses repas et ses loisirs et que pareille autorisation lui fournissait une protection 24 heures sur 24 conformément aux « règlements de l'ARC » , mais il ressort clairement de l'avis exprimé par le bureau du juge-avocat que cette interprétation était inexacte, non fondée ou erronée. Dans sa décision, la Cour fédérale a conclu que le témoignage du brigadier-général Christie était « [...] éloquent, non équivoque et, au vu du dossier, inattaquable » , mais, compte tenu de la preuve dont il dispose, à savoir que même si M. King a contracté l'hépatite pendant qu'il était en service en Sardaigne en 1968, le Tribunal ne peut pas dire que la maladie était « consécutive ou rattachée directement au service militaire en temps de paix » au sens de la Loi sur les pensions.

Le Tribunal reconnaît que, selon la lettre qu'il a envoyée le 2 août 1996, le demandeur ne sait pas s'il a contracté l'hépatite en consommant des moules dans un restaurant en Sardaigne ou dans le mess intégré de la base [...]


Toutefois, même si le Tribunal suppose que les moules avariées ont été consommées dans la base militaire, cela ne suffit pas en soi pour que l'affaire soit visée par le paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions en l'absence d'éléments de preuve indiquant que l'hépatite alléguée résultait d'une activité militaire ou d'une activité destinée à faciliter l'accomplissement de devoirs ou d'obligations militaires. Aucun élément de preuve n'a été fourni au Tribunal sur ce point.

[19]       Quant à la deuxième question, le TAC a conclu que la Sardaigne n'était pas une zone dangereuse au sens de l'alinéa 21(3)e) de la Loi sur les pensions :

[TRADUCTION]

En déterminant si la Sardaigne doit être considérée comme une « zone dangereuse » au sens de l'alinéa 21(3)e) de la Loi sur les pensions, le présent Tribunal, comme c'était le cas pour l'ancienne Commission canadienne des pensions dans sa décision du 7 mars 1994, ne disposait d'aucune statistique concernant l'incidence de l'hépatite « A » en Sardaigne comparativement aux autres régions du monde, y compris le Canada. En l'absence de pareilles données, le Tribunal ne peut tout simplement pas conclure que les normes d'hygiène qui existaient en Sardaigne en 1968 étaient telles qu'elles constituaient un risque pour la santé des membres qui servaient dans cette zone. Même si M. King et son compagnon, M. MacSween, ont tous les deux contracté l'hépatite « A » pendant qu'ils étaient en Sardaigne, cela ne permet pas pour autant au tribunal de conclure que la Sardaigne doit être considérée comme ayant été une zone dans laquelle les cas d'hépatite virale étaient fréquents.

[20]       Quant à la troisième question, le TAC a statué qu'il agissait dans les limites de ses attributions en demandant au JAG d'exprimer un avis au sujet du sens de l'expression « service temporaire officiel » . Le TAC a fait savoir ce qui suit :

[TRADUCTION]

Les procédures engagées devant le Tribunal sont de nature non accusatoire et informelle. Le Tribunal a également des pouvoirs d'enquête. Cela veut dire qu'il incombe au Tribunal et à la partie qui comparaît devant lui de rassembler et de présenter des éléments de preuve.

Les pouvoirs d'enquête du Tribunal sont confirmés par l'article 14 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants [révision et appel], qui prévoit ce qui suit :

Le Tribunal et chacun de ses membres ont, pour l'exercice des fonctions que leur confie la présente loi, les pouvoirs d'un commissaire nommé au titre de la partie I de la Loi sur les enquêtes.

Le Tribunal a eu raison de demander des précisions au ministère de la Défense nationale à l'égard des remarques que le brigadier-général à la retraite Christie avait faites au sujet du « service temporaire officiel » compte tenu de l'importance de la question et du fait que les remarques du brigadier-général Christie étaient fort différentes de l'interprétation donnée à cette expression par le Tribunal.


[...]

Le Tribunal est convaincu qu'il a agi d'une façon équitable et conformément aux règles de justice naturelle. Le Tribunal est également d'avis qu'il a gardé l'esprit ouvert en ce qui concerne le sens à attribuer à l'expression « service temporaire officiel » et qu'il n'a pas demandé des renseignements sur ce point au ministère de la Défense nationale afin de rejeter la demande de M. King, mais uniquement afin d'être en mesure de rendre une décision réfléchie. Cela n'a rien à voir avec la partialité.

[...]

Il n'y a rien dans les motifs écrits fournis à l'appui de la décision [de la Cour fédérale] ou dans l'ordonnance qui donne à entendre que la Cour fédérale ait eu l'intention d'empêcher le Tribunal de tenir compte de nouveaux éléments de preuve lorsqu'il entendrait de nouveau l'appel. De plus, rien ne donne à entendre que l'audition de cet appel devrait être limitée aux éléments de preuve existant au moment où la décision initiale a été rendue le 2 octobre 1996. Le Tribunal estime que dans la mesure où l'appel est entendu conformément aux motifs de la Cour fédérale, il est libre de tenir compte de tout autre élément de preuve lorsqu'il entend par la suite l'appel conformément aux larges pouvoirs d'enquête qui lui sont conférés par la Loi sur le Tribunal des anciens combattants [révision et appel].

Le Tribunal estime avoir agi dans les limites de ses attributions et avoir demandé avec raison des renseignements au juge-avocat général, et ce, sans avoir perdu son objectivité.

[21]       Enfin, en ce qui concerne la quatrième question, étant donné que la demande relative à la tuberculose génito-urinaire a été faite en vertu du paragraphe 21(5) de la Loi sur les pensions, le droit du demandeur dépendait de la question de savoir s'il avait contracté l'hépatite pendant qu'il était en service. Le TAC a décidé que le demandeur n'avait pas contracté l'hépatite pendant qu'il était en service, et il a donc rejeté la demande en vertu du paragraphe 21(5) de la Loi sur les pensions étant donné que les conditions de l'alinéa 21(5)a) de la Loi n'étaient pas remplies.

[22]       La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions ci-après énoncées :


1.          Le TAC a-t-il commis une erreur en concluant qu'on ne pouvait pas dire que l'hépatite A que le demandeur avait contractée en accomplissant son service en Sardaigne, en 1968, était consécutive ou rattachée directement au service militaire au sens du paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions?

2.          Le TAC a-t-il commis une erreur en concluant que la région de la Sardaigne dans laquelle le demandeur servait lorsqu'il a contracté l'hépatite A ne pouvait pas être considérée comme une zone constituant un risque pour la santé des membres qui servaient dans cette zone au sens de l'alinéa 21(3)e) de la Loi sur les pensions?

3.         Le TAC a-t-il commis une erreur en ne tenant pas compte de l'application de l'alinéa 21(3)f) de la Loi sur les pensions?

4.         Le TAC a-t-il commis une erreur en demandant au JAG d'exprimer un avis au sujet de la preuve dont il disposait et en se fondant sur cet avis pour rendre sa décision?

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

Loi sur les pensions, L.R.C. (1985), ch. P-6 :



2. Les dispositions de la présente loi s'interprètent d'une façon libérale afin de donner effet à l'obligation reconnue du peuple canadien et du gouvernement du Canada d'indemniser les membres des forces qui sont devenus invalides ou sont décédés par suite de leur service militaire, ainsi que les personnes à leur charge.

2. The provisions of this Act shall be liberally construed and interpreted to the end that the recognized obligation of the people and Government of Canada to provide compensation to those members of the forces who have been disabled or have died as a result of military service, and to their dependants, may be fulfilled.

21. (2) En ce qui concerne le service militaire accompli dans la milice active non permanente ou dans l'armée de réserve pendant la Seconde Guerre mondiale ou le service militaire en temps de paix :

a) des pensions sont, sur demande, accordées aux membres des forces ou à leur égard, conformément aux taux prévus à l'annexe I pour les pensions de base ou supplémentaires, en cas d'invalidité causée par une blessure ou maladie - ou son aggravation - consécutive ou rattachée directement au service militaire;

21. (2) In respect of military service rendered in the non-permanent active militia or in the reserve army during World War II and in respect of military service in peace time,

(a) where a member of the forces suffers disability resulting from an injury or disease or an aggravation thereof that arose out of or was directly connected with such military service, a pension shall, on application, be awarded to or in respect of the member in accordance with the rates for basic and additional pension set out in Schedule I;

21. (3) Pour l'application du paragraphe (2), une blessure ou maladie - ou son aggravation - est réputée, sauf preuve contraire, être consécutive ou rattachée directement au service militaire visé par ce paragraphe si elle est survenue au cours :

e) du service dans une zone où la fréquence des cas de la maladie contractée par le membre des forces ou qui a aggravé une maladie ou blessure dont souffrait déjà le membre des forces, constituait un risque pour la santé des personnes se trouvant dans cette zone;

f) d'une opération, d'un entraînement ou d'une activité administrative militaires, soit par suite d'un ordre précis, soit par suite d'usages ou pratiques militaires établis, que l'omission d'accomplir l'acte qui a entraîné la maladie ou la blessure ou son aggravation eût entraîné ou non des mesures disciplinaires contre le membre des forces;

21. (3) For the purposes of subsection (2), an injury or disease, or the aggravation of an injury or disease, shall be presumed, in the absence of evidence to the contrary, to have arisen out of or to have been directly connected with military service of the kind described in that subsection if the injury or disease or the aggravation thereof was incurred in the course of

(e) service in an area in which the prevalence of the disease contracted by the member, or that aggravated an existing disease or injury of the member, constituted a health hazard to persons in that area;

(f) any military operation, training or administration, either as a result of a specific order or established military custom or practice, whether or not failure to perform the act that resulted in the disease or injury or aggravation thereof would have resulted in disciplinary action against the member; and [...]


21. (5) En plus de toute pension accordée au titre des paragraphes (1) ou (2), une pension est accordée conformément aux taux indiqués à l'annexe I pour les pensions de base ou supplémentaires, sur demande, à un membre des forces, relativement au degré d'invalidité supplémentaire qui résulte de son état, dans le cas où :

a) d'une part, il est admissible à une pension au titre des alinéas (1)a) ou (2)a), ou a subi une blessure ou une maladie - ou une aggravation de celle-ci - qui aurait donné droit à une pension à ce titre si elle avait entraîné une invalidité;

b) d'autre part, il est frappé d'une invalidité supplémentaire résultant, en tout ou en partie, de la blessure, maladie ou aggravation qui donne ou aurait donné droit à la pension.

21. (5) In addition to any pension awarded under subsection (1) or (2), a member of the forces who

(a) is eligible for a pension under paragraph (1)(a) or (2) (a) or this subsection in respect of an injury or disease or an aggravation thereof, or has suffered an injury or disease or an aggravation thereof that would be pensionable under that provision if it had resulted in a disability, and

(b) is suffering an additional disability that is in whole or in part a consequence of the injury or disease or the aggravation referred to in paragraph (a)

shall, on application, be awarded a pension in accordance with the rates for basic and additional pension set out in Schedule I in respect of that part of the additional disability that is a consequence of that injury or disease or aggravation thereof.


Loi sur le Tribunal des anciens combatants [révision et appel], L.C. 1995, ch. 18 :


3. Les dispositions de la présente loi et de toute autre loi fédérale, ainsi que de leurs règlements, qui établissent la compétence du Tribunal ou lui confèrent des pouvoirs et fonctions doivent s'interpréter de façon large, compte tenu des obligations que le peuple et le gouvernement du Canada reconnaissent avoir à l'égard de ceux qui ont si bien servi leur pays et des personnes à leur charge.

3. The provisions of this Act and of any other Act of Parliament or of any regulations made under this or any other Act of Parliament conferring or imposing jurisdiction, powers, duties or functions on the Board shall be liberally construed and interpreted to the end that the recognized obligation of the people and Government of Canada to those who have served their country so well and to their dependants may be fulfilled.

31. La décision de la majorité des membres du comité d'appel vaut décision du Tribunal; elle est définitive et exécutoire.

31. A decision of the majority of members of an appeal panel is a decision of the Board and is final and binding.


39. Le Tribunal applique, à l'égard du demandeur ou de l'appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l'occurrence;

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

39. In all proceedings under this Act, the evidence Board shall

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.


ARGUMENTS

A.        Arguments du demandeur

i)          Première question :

[23]       En ce qui concerne la conclusion que le TAC a tirée au sujet de la question de savoir si l'hépatite contractée par le demandeur était consécutive ou rattachée directement au service militaire, le demandeur soutient que, selon une interprétation raisonnable de l'alinéa 21(2)a) de la Loi sur les pensions, il est tout à fait clair qu'il n'aurait pas contracté l'hépatite s'il n'avait pas été présent en Sardaigne et s'il n'avait pas été affecté à cet endroit. Le demandeur affirme que l'alinéa 21(2)a) de la Loi sur les pensions prévoit deux critères distincts en vue de déterminer le droit à une pension : selon un critère, la blessure doit être « rattachée directement » au service militaire en temps de paix; selon l'autre critère, la blessure doit être « consécutive » au service militaire en temps de paix. Le demandeur affirme qu'à la page 11 de sa décision, le TAC a substitué son propre critère, à savoir qu'afin de donner droit à une pension, l'affection alléguée doit résulter [TRADUCTION] « d'une activité militaire ou d'une activité destinée à faciliter l'accomplissement de devoirs ou d'obligations militaires » . Le demandeur soutient que le fait d'avoir substitué ce critère aux critères prévus par la Loi constitue une erreur susceptible de révision.


[24]       Le demandeur affirme en outre que le TAC était tenu d'interpréter le libellé de l'alinéa 21(2)a) de la Loi sur les pensions d'une façon libérale comme l'exige l'article 3 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants [révision et appel] et l'article 2 de la Loi sur les pensions. Le demandeur affirme qu'en restreignant énormément le sens de la disposition de façon à prévoir que le membre doit en fait être « en service » afin d'avoir droit à des prestations de pension à l'égard des invalidités subies pendant le service en temps de paix, le TAC a rendu une décision abusive et manifestement déraisonnable.

[25]       Enfin, le demandeur soutient que le TAC peut uniquement avoir conclu que l'hépatite qu'il avait contractée n'était pas consécutive ou rattachée directement au service en temps de paix parce qu'il n'avait pas accordé suffisamment d'importance à la preuve présentée par le brigadier-général Christie, par le demandeur et par Norman A. MacSween ou qu'il avait par ailleurs complètement omis de tenir compte de cette preuve. Le demandeur affirme que l'omission du TAC d'accepter cet élément de preuve pertinent et d'en tirer les conclusions les plus favorables possible démontre que le TAC ne s'est pas conformé aux dispositions de l'article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants [révision et appel] et qu'il a rendu une décision manifestement déraisonnable.


ii)        Deuxième question :

[26]       Le demandeur affirme que le rejet de sa demande par le TAC en vertu de l'alinéa 21(3)e) de la Loi sur les pensions pour le motif qu'il n'y avait [TRADUCTION] « aucune statistique concernant l'incidence de l'hépatite « A » en Sardaigne comparativement aux autres régions du monde, y compris le Canada » était manifestement déraisonnable parce que cela l'oblige à présenter une preuve plus stricte que celle de la prépondérance des probabilités et que cela ne tient pas compte de la preuve claire et non contredite versée au dossier, selon laquelle il avait été ordonné aux pilotes canadiens qui servaient en Sardaigne de ne pas consommer de fruits de mer (Cundell c. Canada (Procureur général), [2000] A.C.F. no 38 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 60 et 61; Metcalfe c. Canada, [1999] A.C.F. no 22 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 17).

iii)       Troisième question :

[27]       Le demandeur affirme qu'il a été mis dans une situation où sa santé était en danger uniquement du fait qu'il s'est vu obligé d'aller en Sardaigne pour accomplir son service militaire. Il affirme que son cas est analogue à celui qui était en cause dans la décision Bradley c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. no 144 (C.F. 1re inst.), et que les dispositions de l'alinéa 21(3)f) de la Loi sur les pensions sont directement applicables.


iv)        Quatrième question :

[28]       Le demandeur soutient qu'il est de droit constant que les tribunaux administratifs sont tenus de se conformer aux lois applicables à leur création et à leurs fonctions. Il souligne que la compétence que possède le TAC d'exercer librement son pouvoir discrétionnaire est limitée par certaines dispositions, à savoir les articles 3 et 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants [révision et appel] et l'article 2 de la Loi sur les pensions. Le demandeur affirme que l'omission de la part du TAC d'observer et de respecter ces dispositions constitue une erreur touchant la compétence. Selon le demandeur, dans la mesure où ces dispositions n'ont pas été respectées, la décision du TAC est donc susceptible de contrôle judiciaire, et, ce, indépendamment de la question de savoir si le résultat est manifestement déraisonnable (Ballingall c. Canada (Ministre des Anciens combattants) (1994), 76 F.T.R. 44, au paragraphe 16).

[29]       Le demandeur soutient que le TAC a non seulement omis d'observer et de respecter les dispositions susmentionnées, mais qu'il a expressément rejeté les dispositions obligatoires de l'article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants [révision et appel]. Il affirme qu'au lieu de se conformer à la Loi, le TAC, de sa propre initiative et sans lui donner de préavis, a cherché à obtenir des éléments de preuve additionnels ainsi qu'un avis visant à contredire ceux qui avaient déjà été versés au dossier.


[30]       Le demandeur allègue également que le TAC ne s'est pas conformé à l'ordonnance du 7 novembre 1997 dans laquelle le juge Campbell avait critiqué le TAC pour avoir omis de fonder sa décision sur la preuve dont il disposait. Le demandeur affirme que malgré cette directive claire de la Cour et malgré les objections réitérées de ses avocats et de son représentant au Bureau de services juridiques des pensions, le TAC s'est encore une fois mis à effectuer sa propre recherche dans l'affaire dont il était saisi. Le demandeur soutient qu'en procédant ainsi, le TAC a clairement excédé sa compétence.

[31]       En outre, le demandeur déclare que puisqu'il a omis d'accepter la preuve versée dans le dossier et qu'il a plutôt choisi de chercher à obtenir des éléments de preuve et un avis contraires, et ce, de son propre chef, le TAC ne pouvait plus être reconnu à titre d'arbitre impartial à l'égard de l'appel dont il était saisi. Le demandeur affirme que les mesures que le TAC a prises en vue d'obtenir des éléments de preuve et un avis du JAG en l'espèce satisfont non seulement au critère relatif à la « crainte raisonnable de partialité » , mais démontrent aussi l'existence d'une partialité claire et manifeste dans l'instance. De plus, le demandeur allègue que le TAC a renoncé à sa compétence et à la responsabilité qui lui incombait de statuer sur la question dont il était saisi et qu'il a plutôt choisi d'accepter simplement l'avis du tiers « expert » auquel il avait fait appel.


B.        Arguments des défendeurs

i)          Première question :

[32]       Les défendeurs soutiennent que la demande de pension que le demandeur avait faite a été correctement réglée conformément au paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions. Ils déclarent que pour qu'une pension d'invalidité puisse être demandée par suite d'une blessure ou maladie, ou son aggravation, l'invalidité ou la maladie en question doit être consécutive ou rattachée directement au service militaire (Merineau c. La Reine [1983] 2 R.C.S. 362, infirmant [1982] 2 C.F. 376 (C.A.), confirmant [1981] 1 C.F. 420 (1re inst.)). Les défendeurs allèguent que le TAC a appliqué le bon critère en concluant que l'hépatite contractée par le demandeur n'était pas consécutive ou rattachée directement au service militaire en temps de paix et que l'avis exprimé par le JAG au sujet de ce qui constitue un « service militaire officiel » étaye la décision du TAC (Moar c. Canada (Procureur général) (1995), 103 F.T.R. 314 (C.F. 1re inst.)).


[33]       En outre, les défendeurs soutiennent qu'en rendant sa décision, le TAC a accepté la preuve fournie par le demandeur, à savoir que les moules avariées avaient peut-être été consommées dans un mess intégré de la base. Les défendeurs affirment que le TAC a eu raison de décider que la demande n'était pas visée par le paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions du simple fait que les moules avaient peut-être été consommées dans la base, en l'absence d'une preuve montrant que l'hépatite contractée par le demandeur était consécutive ou rattachée directement au service militaire (R.E.C. c. Canada (Procureur général), [1998] A.C.F. no 1420 (C.F. 1re inst.)).

ii)        Deuxième question :

[34]       Quant à l'alinéa 21(3)e) de la Loi sur les pensions, les défendeurs affirment que le TAC a examiné la législation elle-même ainsi que tous les éléments de preuve disponibles soumis à l'appui de la demande; toutefois, le TAC ne disposait pas d'éléments de preuve statistiques au sujet de l'incidence de l'hépatite en Sardaigne par opposition aux autres parties du monde, dont le Canada. Les défendeurs soutiennent qu'en l'absence de pareilles données, le TAC ne pouvait pas déterminer si les problèmes d'hygiène en Sardaigne étaient tels qu'ils constituaient un risque pour la santé des membres qui servaient dans cette zone.

iii)       Troisième question :

[35]       Quant à l'alinéa 21(3)f) de la Loi sur les pensions, les défendeurs affirment que le demandeur ne s'est pas fondé sur cette disposition dans les observations qu'il a soumises au TAC. Ils soutiennent que, de toute façon, le TAC a tenu compte de la preuve fournie par le demandeur en vue de déterminer si cette preuve était crédible et raisonnable. Les défendeurs affirment que même s'il n'a pas accepté la preuve du demandeur, le TAC n'a pas commis d'erreur susceptible de révision.


iv)        Quatrième question :

[36]       Enfin, en ce qui concerne l'avis exprimé par le JAG, les défendeurs allèguent qu'il était raisonnable pour le TAC de consulter le JAG au sujet de la définition de l'expression « devoir temporaire officiel » . Les défendeurs affirment en outre que le TAC a agi dans les limites de ses attributions et conformément à l'ordonnance du juge Campbell en demandant au JAG d'exprimer un avis au lieu de se fonder sur sa propre interprétation de l'expression « service temporaire officiel » . Les défendeurs soutiennent que la décision que le TAC avait prise lorsqu'il s'était agi de consulter le JAG n'allait pas à l'encontre de la doctrine selon laquelle nul ne peut être à la fois juge et partie, que le TAC n'avait fait preuve d'aucune partialité et que, dans la lettre envoyée au JAG par le TAC, aucune conclusion n'était proposée au sujet de la question du service temporaire officiel.

ANALYSE

A.        La norme de contrôle

[37]       Dans la décision MacDonald c. Canada (Procureur général) (1999), 164 F.T.R. 42 (C.F. 1re inst.), Monsieur le juge Cullen a conclu ce qui suit, au paragraphe 21, au sujet de la norme de contrôle à appliquer lorsque la présente Cour examine une décision rendue par le Tribunal des anciens combattants [révision et appel] :


Lorsque la Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire, elle ne peut pas substituer sa propre décision à la décision de l'office ou du tribunal qui est à l'étude. Comme le cadre législatif confère une compétence exclusive au Tribunal des anciens combattants (révision et appel) et comme la clause privative rend ses décisions définitives et exécutoires, la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable : Weare c. Canada (Procureur général), [1998] A.C.F. no 1145, (T-347-97, 11 août 1998). Par conséquent, la Cour ne peut intervenir que si la décision contestée est fondée sur une erreur de droit ou sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments soumis au Tribunal : Hall c. Canada (Procureur général), [1998] A.C.F. no 890, (T-2267-97, 22 juin 1998).

[38]       La norme de contrôle qui doit s'appliquer est donc celle de la décision manifestement déraisonnable.

B.        Preuve soumise au TAC

[39]       Conformément à l'article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants [révision et appel], le TAC doit tirer des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible au demandeur et accepter tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l'occurrence. L'article 39 prévoit que le TAC doit accepter tout élément de preuve non contredit, mais cela ne veut pas dire qu'il doit accepter tous les éléments de preuve. Si le TAC est d'avis que la preuve n'est pas vraisemblable, cette preuve peut être rejetée comme l'a dit le juge Cullen dans la décision MacDonald, précitée, au paragraphe 22 :

Il est de jurisprudence constante qu'un tribunal n'est pas tenu de formuler une conclusion explicite par écrit sur chaque élément qui l'amène à sa conclusion ultime; de fait, il existe une présomption selon laquelle le tribunal a examiné tous les documents qui lui ont été soumis : Henderson c. Canada (Procureur général) (1998), 144 F.T.R. 71 (1re inst.). Toutefois, cette présomption est tempérée par l'article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), qui dispose que si le Tribunal est saisi de nouveaux éléments de preuve vraisemblables dans le cadre d'une demande de révision, il doit examiner et apprécier la preuve et tirer les conclusions les plus favorables possible au demandeur. Cela ne veut pas dire que le Tribunal doit automatiquement accepter les prétentions d'un ancien combattant; il doit plutôt accepter la preuve si elle est vraisemblable et non contredite.


[40]       Il est clair que le TAC peut examiner et soupeser la preuve qui lui est soumise et accorder à cette preuve l'importance qu'il juge appropriée. Toutefois, la preuve doit toujours être appréciée conformément aux articles 3 et 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants [révision et appel], ce qui veut dire que le TAC doit accepter la preuve qui lui est soumise à moins qu'il ne tire une conclusion au sujet de son invraisemblance ou que la preuve ne soit contredite par un autre élément de preuve. Dans la décision Wood c. Canada (Procureur général), [2001] A.C.F. no 52 (1re inst.), Monsieur le juge MacKay a dit ce qui suit, au paragraphe 28, au sujet de la preuve dont disposait le TAC et des conséquences que comportait le rejet de la preuve en violation de l'article 39 :

Le Tribunal peut rejeter la preuve soumise par le demandeur lorsqu'il dispose d'une preuve médicale contradictoire. Toutefois, même s'il n'existe peut-être pas de preuve sous la forme de documents médicaux précis au sujet de la blessure en cause, le Tribunal commet une erreur qui touche la compétence [...] lorsqu'il n'existe pas de preuve contradictoire et que le Tribunal n'accepte pas la preuve présentée par le demandeur, et ce, sans donner d'explications à ce sujet. Une décision dans laquelle le Tribunal commet une erreur dans l'exercice de sa compétence est déraisonnable et justifie l'intervention de la Cour. À mon avis, la norme relative à la décision manifestement déraisonnable ne s'applique pas si l'erreur se rapporte à l'exercice par le Tribunal de sa compétence.

[41]       Pour les motifs ci-après énoncés, je n'ai qu'à examiner les première et quatrième questions en vue de statuer sur la présente demande de contrôle judiciaire.

[42]       La première question se rapporte à l'alinéa 21(2)a) de la Loi sur les pensions, qui prévoit qu'une pension est accordée en ce qui concerne le service militaire en temps de paix, lorsqu'un membre des forces est atteint d'une invalidité causée par une maladie consécutive ou rattachée directement au service militaire.


[43]       Afin de répondre à la question de savoir si l'hépatite que le demandeur avait contractée était consécutive ou rattachée directement à son service militaire, le TAC s'est demandé dans sa décision s'il était possible de dire que le demandeur était en service lorsqu'il avait consommé les moules avariées. Étant donné que le demandeur était en Sardaigne dans le contexte du « service temporaire officiel » , le TAC a dit ce qui suit au début de l'analyse qu'il a effectuée en vertu de l'alinéa 21(2)a) de la Loi sur les pensions :

Le point qui est ici en litige et qui est particulièrement crucial non seulement dans la présente décision, mais aussi dans des appels similaires dont le tribunal peut être saisi se rapporte à la définition de l'expression « service temporaire officiel » .

[44]       Le TAC a ensuite analysé en détail le sens de l'expression « service temporaire officiel » et a notamment tenu compte de l'avis exprimé par le JAG sur ce point. Après avoir examiné l'expression « service temporaire officiel » et avoir conclu qu'un membre des forces qui était en service temporaire officiel n'était pas en service 24 heures sur 24, le TAC a conclu qu'il n'était pas possible de dire que l'hépatite contractée par le demandeur était consécutive ou rattachée directement au service en temps de paix. Le TAC a également conclu qu'il importait peu que le demandeur eût consommé les moules dans la base ou ailleurs, parce qu'aucun élément de preuve ne montrait que l'hépatite résultait d'une activité militaire ou d'une activité destinée à faciliter l'accomplissement de devoirs ou d'obligations militaires.


[45]       Je ne puis voir où figure dans la Loi sur les pensions l'exigence selon laquelle la blessure ou la maladie doit résulter d'un événement qui s'est produit pendant que le membre des Forces armées était en service. Comme le demandeur l'a souligné, l'alinéa 21(2)a) de la Loi sur les pensions prévoit deux critères lorsqu'il s'agit de déterminer si une pension peut être accordée : la maladie doit (1) être consécutive au service ou (2) être rattachée directement au service. Il ne semble y avoir aucune autre exigence. En vertu de l'alinéa 21(3)f) de la Loi sur les pensions une blessure ou maladie qui est survenue au cours d'une opération, d'un entraînement ou d'une activité administrative militaires est réputée être consécutive ou rattachée directement au service militaire, mais l'alinéa 21(2)a) ne limite pas ainsi les circonstances dans lesquelles la blessure ou la maladie est survenue.

[46]       À mon avis, l'analyse que le TAC a effectuée à l'égard de la définition de l'expression « service temporaire officiel » , y compris l'avis obtenu du JAG, n'a rien à voir avec la question. Le critère ou la question en cause ne se rapportent pas à la question de savoir si le demandeur était en service 24 heures sur 24. Il s'agit de savoir si la maladie du demandeur était consécutive au service militaire ou rattachée directement au service militaire.


[47]       Le fait que la blessure ou la maladie qui a causé une invalidité au membre des forces est survenue pendant qu'il était en service est un facteur pertinent uniquement dans la mesure où cela permet au TAC de comprendre le contexte dans lequel la blessure ou la maladie est survenue. Toutefois, déterminer à quel moment la maladie ou la blessure est survenue ne permet pas de déterminer si la blessure ou la maladie était consécutive au service militaire ou rattachée directement à ce service.

[48]       La question dont je suis saisi n'est pas nouvelle. Un certain nombre de décisions ont porté sur ce point. Dans la décision Ewing c. Canada (Tribunal des anciens combattants [révision et appel]) (1997), 137 F.T.R. 298 (C.F. 1re inst.), le demandeur, qui était membre des Forces armées canadiennes, servait en Allemagne de l'Ouest. Étant donné qu'il parlait l'allemand et qu'il participait à des activités de relations publiques pour l'équipe de hockey de l'Aviation canadienne, son supérieur dans la police militaire lui avait demandé d'accepter ce poste de relations publiques, qui était bénévole. Le demandeur devait donc notamment recueillir des fonds auprès des entreprises allemandes pour appuyer l'équipe de hockey.

[49]       Le 29 novembre 1965, le demandeur, qui avait pris place dans la voiture d'un voisin allemand, avait grièvement été blessé dans un accident. Son voisin, qui conduisait la voiture, avait été tué, comme l'avaient été d'autres personnes en cause dans l'accident. Une commission d'enquête avait conclu que le demandeur n'était pas en service au moment de l'accident.


[50]       Le demandeur avait présenté une demande de pension en vertu de la Loi sur les pensions; la Commission canadienne des pensions avait rejeté sa demande en concluant de la façon suivante :

[TRADUCTION]

Il n'y a pas d'élément de preuve permettant d'établir que les blessures du requérant ont été causées dans l'exercice de ses fonctions et par conséquent ses blessures ne sont pas attribuables au service militaire en tant que tel. Bien au contraire, la commission d'enquête a clairement établi que le requérant n'était pas en service au moment de l'accident.

[51]       Le demandeur en avait appelé de la décision devant le comité d'examen, qui avait rejeté l'appel. Le comité avait conclu ce qui suit :

[TRADUCTION]

Néanmoins, comme l'a conclu ultérieurement la commission d'enquête militaire, « le caporal Ewing n'était pas en service au moment de l'accident » . Le comité est incapable de relier d'une façon quelconque l'accident qui s'est produit en dehors du service avec les fonctions militaires du requérant.

[52]       Le demandeur avait ensuite interjeté appel contre cette décision devant le TAC. En confirmant la décision du comité d'examen, le TAC a dit ce qui suit :

[TRADUCTION]

Le Tribunal a soigneusement examiné la preuve au vu des observations de l'avocat et a accordé toute l'importance voulue au témoignage de l'appelant [ici le requérant], mais, malheureusement, il lui est impossible d'accepter l'argument selon lequel l'appelant était en service au moment de son accident.

Il y a un rapport sur les blessures subies daté du 29 novembre 1965 qui indique qu'une commission d'enquête déterminera la question ayant trait au service. Cette commission d'enquête [...] a discuté de l'accident en question et a conclu que « le caporal Ewing n'était pas en service au moment de l'accident » . Une pension ne peut être accordée que si l'invalidité pour laquelle cette pension est demandée peut être rattachée directement au service militaire en temps de paix.

Lorsqu'il est déterminé que l'appelant n'était pas en service au moment de l'incident, le Tribunal n'a d'autre choix que de refuser la pension demandée. La décision du comité d'examen en date du 15 novembre 1994 est donc confirmée.


[53]       La décision du TAC a été contestée au moyen d'une demande de contrôle judiciaire présentée devant cette Cour. Le 15 octobre 1997, Monsieur le juge Gibson a accueilli la demande. Au paragraphe 8 de ses motifs, le juge a expliqué sa conclusion comme suit :

8.              Je conclus que le Tribunal, dans ses motifs reproduits ci-dessus, a énoncé le critère approprié lui permettant de déterminer si le requérant avait droit à une pension en vertu de l'alinéa 21(2)a) de la Loi, mais qu'il a par la suite ignoré ce critère en arrivant à une conclusion défavorable au requérant au motif que celui-ci n'était pas « en service » au moment de l'accident dans lequel il a subi des blessures. Qu'il ait ou non été en service n'est tout simplement pas le critère à appliquer. Le critère est de savoir si les blessures du requérant qui ont causé son invalidité « [...] [étaient] consécutives ou rattachées directement au service militaire [en temps de paix] » . En outre, le Tribunal ne semble pas avoir tenu compte de l'alinéa 21(3)f) de la Loi sur les pensions, pour déterminer si les blessures ayant causé l'invalidité sont survenues au cours d'un entraînement ou d'une activité administrative militaire, soit par suite d'un ordre précis, « soit par suite d'usages ou pratiques militaires établis » . Compte tenu de l'erreur commise dans l'application du critère approprié et de l'alinéa 23(1)f), le Tribunal ne s'est pas rendu au point où il lui fallait tenir compte des obligations d'interprétation qui lui sont imposées par l'article 2 de la Loi sur les pensions et les articles 3 et 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel).

[54]       Une question similaire s'est posée dans l'affaire McTague c. Canada (Procureur général), [2000] 1 C.F. 647 (1re inst.). Dans cette affaire-là, le demandeur, qui était membre des Forces armées canadiennes, avait été grièvement blessé le 10 novembre 1992. Après avoir dîné dans un restaurant local, le demandeur avait été heurté par un véhicule alors qu'il traversait la rue pour retourner à la base. Étant donné qu'il n'y avait pas de cantine dans la base, les Forces armées avaient convenu de rembourser au demandeur le coût des repas pris au restaurant. La demande de pension du demandeur avait été rejetée pour le motif que la blessure qu'il avait subie n'était pas consécutive ou rattachée directement au service militaire.


[55]       Le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision du TAC devant la Cour. En examinant la question de savoir si le Tribunal avait interprété d'une façon erronée la Loi sur les pensions, Monsieur le juge Evans (tel était alors son titre) a fait les remarques suivantes (pages 670 et 671) :

60.            L'avocat du demandeur a prétendu que la décision du Tribunal était déficiente sur le plan juridique parce qu'il ressortait des motifs de celle-ci que le Tribunal avait mal interprété l'expression « consécutive ou rattachée directement » au service militaire, qui est contenue dans la loi.

61.            Premièrement, il a allégué que, compte tenu du renvoi dans les motifs de la décision du Tribunal au fait que l'expression en question avait de nombreux antécédents juridiques, notamment sa première apparition dans la loi britannique sur les accidents du travail, on pouvait conclure que le Tribunal n'avait pas envisagé son application conformément au contexte très différent de la Loi sur les pensions.

62.            Contrairement aux lois sur les accidents du travail, les pensions visées à la Loi sur les pensions sont payables que la blessure du demandeur ait entraîné une perte de revenu ou non. Comme l'indiquent clairement l'article 2 de la Loi sur les pensions et l'article 3 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), les dispositions relatives au droit à la pension doivent plutôt être interprétées largement parce qu'elles constituent une reconnaissance législative de la dette qu'a le pays envers les hommes et les femmes qui ont accepté volontiers de mettre leur vie et leur intégrité physique en danger pour servir leur pays, et de subir les autres inconvénients liés à la carrière militaire.

63.            Toutefois, cet argument pose deux difficultés. Malgré le caractère libéral de son libellé, l'article 2 de la Loi sur les pensions prévoit une obligation d'indemniser les membres des forces armées qui sont devenus invalides par suite de leur service militaire. Toutefois, l'article 3 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), qui est une disposition semblable, ne le fait pas.

64.            En outre, compte tenu des motifs de sa décision, le Tribunal n'a pas de façon inopportune envisagé la loi sous un angle strictement compensatoire. Nulle part le Tribunal n'a-t-il dit si M.W.O. McTague avait subi une perte de capacité de gagner un revenu par suite de sa blessure. Il a affirmé ce qui suit :

[TRADUCTION] Il appert que les décisions canadiennes en matière d'indemnisation (travailleurs et anciens combattants) quant aux blessures subies pendant les pauses repas présentent un commun dénominateur : l'emploi ou le service doit avoir constitué une « cause contributive » et non seulement le contexte dans lequel l'événement est survenu. [Tribunal des anciens combattants (révision et appel), décision no 69665033, 1er avril 1998, page 2]


65.            Cela ne me permet pas de conclure que le Tribunal n'a pas interprété l'expression pertinente dans le contexte de la Loi sur les pensions. Il avait déjà souligné que cette expression figurait également dans la loi australienne sur les anciens combattants.

66.            Deuxièmement, l'avocat du demandeur a soutenu que le Tribunal avait mal interprété la Loi sur les pensions parce qu'il avait introduit des termes qui ne figuraient pas dans le texte même de la loi, à savoir la distinction entre une « cause contributive » et le « contexte » . En particulier, il a affirmé dans ses motifs que la survenance de la blessure du demandeur durant un jour de travail ne fournissait pas un lien de causalité suffisant pour qu'il s'agisse d'une blessure au sens de l'alinéa 21(2)a). La survenance de la blessure pendant un jour de travail constituait simplement le « contexte » et non une « cause contributive » .

67.            Il est vrai que ces termes ne figurent pas dans la loi; toutefois, l'expression « rattachée directement » exigeait, à mon avis, que le Tribunal examine la solidité du lien de causalité entre la blessure et le service militaire du demandeur. En mettant en contraste la « cause contributive » avec le « contexte » , le Tribunal distinguait les liens de causalité plus forts des liens de causalité plus faibles susceptibles d'exister entre la blessure et l'exécution du service militaire. Comme le fait que le demandeur était au service de l'armée quand il s'est blessé ne suffit pas, je conclus que le Tribunal n'a commis aucune erreur de droit en l'espèce dans sa compréhension du critère prévu par la loi.

[56]       Dans la décision MacNeill c. Canada (1998), 151 F.T.R. 121 (C.F. 1re inst.), j'ai également examiné cette question. Après avoir mentionné l'article 21 de la Loi sur les pensions, voici ce que j'ai dit :

23. [...] Selon les dispositions précitées, deux conditions doivent être remplies pour qu'il soit possible de dire que le demandeur a droit à une pension. En premier lieu, le trouble dont le demandeur est atteint doit donner droit à pension. À cet égard, il doit s'agir d'un trouble qui peut être considéré comme une « invalidité » résultant d'une blessure ou d'une maladie. À mon avis, le mot « invalidité » exige que le demandeur continue à être atteint de ce trouble. En second lieu, le trouble initial doit être directement attribuable au service militaire du demandeur. J'ai minutieusement examiné la disposition en question et j'ai conclu que le service militaire accompli par le demandeur doit être la cause principale de l'invalidité. Toutefois, la Loi prévoit également qu'une pension peut être accordée si l'invalidité est aggravée par le service militaire. Il faut dans les deux cas établir le lien de causalité, et, sauf preuve contraire, le lien de causalité est réputé exister si le trouble est survenu pendant que le demandeur accomplissait son service. Cette présomption découle du paragraphe 21(3) de la Loi, qui prévoit ceci :

21(3)       Pour l'application du paragraphe (2), une blessure ou maladie -- ou son aggravation -- est réputée, sauf preuve contraire, être consécutive ou rattachée directement au service militaire visé par ce paragraphe si elle est survenue au cours :


[...]

f)             d'une opération, d'un entraînement ou d'une activité administrative militaires, soit par suite d'un ordre précis, soit par suite d'usages ou pratiques militaires établis, que l'omission d'accomplir l'acte qui a entraîné la maladie ou la blessure ou son aggravation eût entraîné ou non des mesures disciplinaires contre le membre des forces.

[57]       Il va sans dire que chaque cas doit être tranché selon les faits qui lui sont propres. Les faits de la présente espèce sont simples. Pendant qu'il était en service temporaire en Sardaigne, le demandeur a consommé des moules avariées, que ce soit dans la base ou ailleurs, et a contracté une hépatite de type A. Il s'agit de savoir si la maladie est consécutive ou rattachée directement au service militaire.

[58]       Je ne tenterai pas de répondre à cette question d'une façon ou d'une autre. Il ne m'appartient pas de le faire dans le cadre d'une procédure de contrôle judiciaire. Je suis d'accord avec mon collègue le juge Campbell pour dire que le témoignage du brigadier-général Christie était clair et non équivoque. Toutefois, cette preuve n'est pas déterminante en ce qui concerne la question dont le TAC était saisi. Le fait que le demandeur était peut-être en service 24 heures sur 24 ne permet pas en soi de conclure que la maladie qu'il a contractée est consécutive ou rattachée directement au service militaire. Si le juge Campbell voulait dire que la preuve présentée par le brigadier-général Christie était concluante sur ce point, je ne puis souscrire à son avis. Je tiens à dire encore une fois qu'il ne s'agit pas de savoir si le demandeur était en service lorsqu'il a consommé des moules avariées.


[59]       À mon avis, le TAC n'a pas appliqué le critère approprié et la décision ne peut donc pas être maintenue. En outre, je suis entièrement d'accord avec le demandeur pour dire que le TAC a commis une erreur en demandant au JAG d'exprimer son avis et en tenant compte de pareil avis. À mon avis, contrairement à ce que croyait le TAC, l'article 14 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants [révision et appel] ne permet pas au Tribunal de rassembler des éléments de preuve et de demander des avis au sujet de la preuve et des questions dont il est saisi dans un cas donné. Cette position aurait pour effet d'annuler un certain nombre de dispositions de cette loi et plus particulièrement l'article 39 de la Loi, qui prévoit que le Tribunal tire des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible au demandeur et que le Tribunal doit accepter tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l'occurrence.


[60]       Si la position prise par le TAC était adoptée, l'article 38 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants [révision et appel], qui autorise le Tribunal à requérir l'avis d'un expert médical indépendant à l'égard des questions dont il est saisi, n'aurait aucun sens. La disposition en question permet également au Tribunal de soumettre le demandeur à des examens médicaux spécifiques. Lorsque le Tribunal a l'intention d'exercer le pouvoir qui lui est conféré par l'article 38, il doit informer le demandeur de son intention et lui accorder la possibilité de faire valoir ses arguments. Si la position que le Tribunal a prise en l'espèce était correcte, l'article 38 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants [révision et appel] devrait uniquement être considéré comme un exemple des larges pouvoirs conférés au Tribunal par l'article 14 de cette loi. À mon avis, cela ne peut pas être la position correcte. Le Tribunal a donc eu tort de demander au JAG d'exprimer un avis et il a eu tort de tenir compte de cet avis pour arriver à sa conclusion.

[61]       Au paragraphe 10 des présents motifs, j'ai reproduit en partie la lettre que le TAC avait envoyée au JAG pour que celui-ci réponde à un certain nombre de questions. Plus précisément, le TAC demandait quels étaient le sens et l'origine de l'expression « service temporaire officiel » , si les Forces armées considéraient que le membre qui était en « service temporaire officiel » était en service 24 heures sur 24 à compter du moment où il avait quitté sa base jusqu'au moment où il la réintégrait, si un membre qui était en « service temporaire officiel » avait droit aux avantages prévus au paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions à l'égard d'une invalidité ou d'une affection entraînant incapacité résultant d'un événement survenu pendant qu'il n'était pas en service et, enfin, quelle était la « protection » fournie à un membre des Forces armées pendant qu'il était en « service temporaire officiel » et si cette protection comprenait les avantages prévus au paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions.


[62]       De toute évidence, le TAC demandait au JAG de l'aider à l'égard des questions dont il était saisi et sur lesquelles il devait statuer. Il ressort également clairement de la décision du Tribunal, en particulier à la page 10 de la décision, que l'avis que le JAG a exprimé était déterminant en ce qui concerne la première question. À la page 10 de sa décision, le TAC dit ce qui suit :

[TRADUCTION]

Le brigadier-général Christie croyait peut-être que le fait d'être en service temporaire officiel ailleurs qu'à la base principale permettait pleinement à M. King de se mêler à la population civile (de la Sardaigne) pour ses repas et ses loisirs et que pareille autorisation lui fournissait une protection 24 heures sur 24 conformément aux « règlements de l'ARC » , mais il ressort clairement de l'avis exprimé par le bureau du juge-avocat que cette interprétation était inexacte, non fondée ou erronée. Dans sa décision, la Cour fédérale a conclu que le témoignage du brigadier-général Christie était « [...] éloquent, non équivoque et, au vu du dossier, inattaquable » , mais, compte tenu de l'avis exprimé par le juge-avocat, le Tribunal doit conclure, en se fondant sur la preuve dont il dispose, à savoir que même si M. King a contracté l'hépatite pendant qu'il était en service en Sardaigne en 1968, qu'on ne saurait dire que la maladie était « consécutive ou rattachée directement au service militaire en temps de paix » au sens de la Loi sur les pensions.

[63]       Le TAC devait trancher les questions pertinentes en se fondant sur le dossier dont il disposait. À mon avis, ce dossier ne comprenait pas l'avis du JAG. Étant donné que le TAC n'était pas autorisé, en vertu de sa législation habilitante, à demander des avis à son gré, la décision qu'il a prise de demander l'avis du JAG et de tenir compte de cet avis constitue une erreur susceptible de révision.

[64]       Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie. La décision du TAC est donc annulée et l'affaire est renvoyée pour réexamen par une formation différente.


[65]       Toutefois, avant de signer ces motifs, je tiens à faire les remarques qui suivent, lesquelles pourraient être utiles à la nouvelle formation. Premièrement, il ne peut pas être contesté que l'alinéa 21(2)a) de la Loi sur les pensions a une portée plus restreinte que l'alinéa 21(1)a) de la Loi. C'est ce qui ressort clairement des deux dispositions. Conformément à l'alinéa 21(1)a), toute blessure ou maladie subie au cours du service militaire du demandeur donne droit à pension. Conformément à l'alinéa 21(2)a), seules les blessures ou maladies consécutives ou rattachées directement au service militaire du demandeur donnent droit à pension. Ainsi, conformément à l'alinéa 21(2)a), les blessures ou les maladies qui surviennent au cours du service militaire d'un demandeur ne donnent pas toutes droit à pension. Comme je l'ai dit dans la décision MacNeill, précitée, le service militaire doit être la cause primordiale de la blessure ou de l'invalidité et le lien de causalité doit être établi. Il va sans dire que cette conclusion doit être tirée compte tenu de la preuve dont dispose le Tribunal et qu'elle ne peut être tirée d'aucune autre façon.

[66]       La décision que le juge Evans (tel était alors son titre) a rendue dans l'affaire McTague, précitée, étaye mon avis, en particulier les paragraphes 66 et 67, où le juge dit ce qui suit:

66.            Deuxièmement, l'avocat du demandeur a soutenu que le Tribunal avait mal interprété la Loi sur les pensions parce qu'il avait introduit des termes qui ne figuraient pas dans le texte même de la loi, à savoir la distinction entre une « cause contributive » et le « contexte » . En particulier, il a affirmé dans ses motifs que la survenance de la blessure du demandeur durant un jour de travail ne fournissait pas un lien de causalité suffisant pour qu'il s'agisse d'une blessure au sens de l'alinéa 21(2)a). La survenance de la blessure pendant un jour de travail constituait simplement le « contexte » et non une « cause contributive » .

67.            Il est vrai que ces termes ne figurent pas dans la loi; toutefois, l'expression « rattachée directement » exigeait, à mon avis, que le Tribunal examine la solidité du lien de causalité entre la blessure et le service militaire du demandeur. En mettant en contraste la « cause contributive » avec le « contexte » , le Tribunal distinguait les liens de causalité plus forts des liens de causalité plus faibles susceptibles d'exister entre la blessure et l'exécution du service militaire. Comme le fait que le demandeur était au service de l'armée quand il s'est blessé ne suffit pas, je conclus que le Tribunal n'a commis aucune erreur de droit en l'espèce dans sa compréhension du critère prévu par la loi.


[67]       Au paragraphe 67 de ses motifs, le juge Evans (tel était alors son titre) dit clairement qu'à son avis, il doit exister un lien de causalité entre la blessure ou la maladie et le service militaire du demandeur. Le juge dit également que le fait que la blessure ou la maladie survient au cours du service militaire du demandeur ne donne pas en soi droit à une pension. Comme je l'ai déjà clairement dit, je souscris entièrement à son avis.

[68]       Le demandeur a droit à ses dépens.

                                                                                                                                « Marc Nadon »                                      

        Juge

O T T A W A (Ontario)

Le 29 mai 2001

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                             T-680-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         GARRY R. KING

c.

LE TRIBUNAL DES ANCIENS COMBATTANTS [RÉVISION ET APPEL] et AUTRE

                                                                            

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Edmonton (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                              le 25 avril 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :      Monsieur le juge Nadon

DATE DES MOTIFS :                                     le 29 mai 2001

ONT COMPARU :

M. James W. Murphy, c.r.                                  POUR LE DEMANDEUR

Mme Rolinda D.Y. Mack                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Messrs. Ogilvie & Company                               POUR LE DEMANDEUR

Edmonton (Alberta)

Morris A. Rosenberg                                            POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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