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                                                                                                                  Date : 20010711

                                                                                                              Dossier : T-285-01

                                                                                     Référence neutre : 2001 CFPI 787

ENTRE :

LE CHEF ED HAYDEN, LES CONSEILLERS PETER ATKINSON, MICHAEL LITTLEJOHN,    MITCH LAROQUE et MARIE HENRY

au nom de la Première nation Anishinabe de Roseau River

demandeurs

- et -

HERMAN ATKINSON, VICTOR ANTOINE, MELVIN CHASKEY,

JOSEPH FRENCH, RICHARD HAYDEN, GLEN NELSON, FRANK PAUL, WILSON HENRY, ERNIE JAMES, GLORIA JOHNSON, DENNIS SEENIE, DEREK THOMAS, KEVIN LAROQUE, RODNEY PATRICK, WAYNE TAIT, CHERYL LITTLEJOHN, THOMAS THOMAS II et MARTHA LAROQUE en leur qualité de membres du conseil coutumier de la Première nation Anishinabe de Roseau River et ALDINE ATKINSON et GRACE SMITH en leur qualité de prétendus agents d'élection de la Première nation Anishinabe de Roseau River

premiers défendeurs

- et -

FELIX ANTOINE, MARTHA LAROQUE, MARY CHASKY,

THOMAS THOMAS et RODNEY PATRICK, en leur qualité de prétendus chef et conseillers élus lors de l'élection contestée

deuxièmes défendeurs


MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge Muldoon

1. Introduction

[1]                 Il s'agit d'une requête présentée par les demandeurs en vue d'obtenir une injonction interlocutoire interdisant aux défendeurs d'exercer le rôle de chef et conseil de la Première nation Anishinabe de Roseau River. La requête a été entendue à Winnipeg le 30 avril 2001.

2. Exposé des faits

[2]                 Les demandeurs sont les anciens chef et conseillers de la Bande indienne Anishinabe de Roseau River, une bande ojibway du sud du Manitoba. Environ la moitié des membres de la bande vivent dans la réserve indienne no 2 de Roseau River et environ 150 membres vivent dans la réserve indienne no 2A de Roseau Rapids. Les autres membres de la bande résident à l'extérieur de la réserve, principalement à Winnipeg. Les demandeurs ont été élus le 8 mars 1999 pour un mandat de quatre ans.


[3]                 Le 30 janvier 1991, la bande a adopté la loi électorale de la Première nation Anishinabe de Roseau River et ses règlements d'application. Dans le cadre du gouvernement de la bande, un organisme connu comme le conseil coutumier représente les intérêts de chaque famille.

[4]                 Selon le paragraphe 19 de la loi électorale de la bande, cette loi ne peut être modifiée qu'au moyen d'un processus en deux étapes : le conseil coutumier énonce d'abord la modification par voie de résolution, après quoi l'assemblée générale des membres de la tribu est convoquée pour confirmer la modification. Voici le texte de l'article 19 :

[TRADUCTION] La Loi peut être modifiée, à l'occasion, par une résolution du Conseil coutumier décrivant la modification demandée. Une assemblée tribale est alors tenue pour discuter de la résolution modificatrice.

[5]                 Vers le 4 janvier 2001, le conseil coutumier a reçu une demande de modification à la loi électorale de la part d'un représentant d'une famille. Une copie de la demande a été fournie à tous les représentants des familles et un projet de modification de la loi électorale a été inscrit à l'ordre du jour de la réunion du conseil coutumier prévue pour le jeudi 11 janvier 2001.


[6]                 Avis de la réunion du conseil coutumier a été affiché à l'intérieur et à l'extérieur de la réserve environ une semaine avant le 11 janvier 2001. Les avis donnés à l'intérieur de la réserve ont été affichés au bureau administratif, au bureau du gouvernement, au bureau du bien-être et à l'école. Les avis donnés à l'extérieur de la réserve ont été affichés à Winnipeg, au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien et aux bureaux de l'assemblée des chefs du Manitoba. C'est par ces avis et le bouche à oreille que les membres sont habituellement informés des réunions de bande. Les demandeurs soutiennent que les avis comportaient plusieurs lacunes. Ils affirment que la proposition n'a pas été jointe aux avis, que le chef et le conseil n'ont pas été avisés de la proposition et que seuls les membres du conseil coutumier étaient au courant de la nature de la modification.

[7]                 Dix-huit des 21 représentants des familles ont assisté à la réunion du 11 janvier 2001. Environ 60 membres de la tribu étaient également présents. Quinze représentants ont voté en faveur de la modification proposée visant à réduire le mandat de quatre ans pour qu'il soit désormais de deux ans. Les demandeurs contestent la résolution, au motif qu'elle ne précisait pas si elle s'appliquait au chef et au conseil en place. La résolution visant la modification de la loi électorale a été adoptée et une assemblée générale des membres de la tribu a été fixée au lundi 22 janvier 2001. Des avis de l'assemblée de la tribu ont été affichés vers le 15 janvier 2001. Les demandeurs soutiennent qu'aucun avis n'a été donné.


[8]                 Quatorze représentants des familles du conseil coutumier et environ 100 membres de la tribu ont assisté à l'assemblée générale. La majorité des membres présents ont voté en faveur de l'entrée en vigueur immédiate de la modification. Une copie de la résolution a été remise au chef en place et donnée à son adjoint administratif. Les demandeurs font valoir que cette assemblée ne satisfaisait pas aux conditions applicables à une assemblée générale des membres de la tribu. Ils affirment aussi que le procès-verbal de l'assemblée ne révèle pas qu'un scrutin a été tenu. Enfin, ils soutiennent que la résolution ne doit pas être appliquée rétroactivement.

[9]                 Le 29 janvier 2001, l'agente d'élection a déclenché une élection. Elle a fixé l'assemblée de mise en candidature au 12 février 2001 et le scrutin au 2 mars 2001. Des avis ont été affichés pour annoncer ces deux événements.

[10]            Le 26 février 2001, monsieur le juge Gibson a rejeté la requête en injonction interlocutoire déposée par les demandeurs dans le but de faire interdire la tenue de l'élection.

[11]            Le 2 mars 2001, les défendeurs ont été élus. Le 5 mars 2001, il ont commencé à exercer leurs fonctions. Depuis, les défendeurs gèrent les affaires de la bande conjointement avec un directeur, tierce partie.

3. La chose jugée


[12]            L'arrêt de principe sur le principe de la fin de non-recevoir fondée sur l'identité de la question est celui prononcé par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Angle c. Ministre du Revenu national, [1975] 2 R.C.S. 248, dans lequel monsieur le juge Dickson, citant l'énoncé classique de Lord Guest dans Carl Zeiss Stiftung v. Rayner & Keeler Ltd. (No. 2), a précisé le principe applicable, à la page 254 :

[TRADUCTION] ... (1) que la même question ait été décidée; (2) que la décision judiciaire invoquée comme créant la fin de non-recevoir soit finale; et (3) que les parties dans la décision judiciaire invoquée ou leurs ayants droit, soient les mêmes que les parties engagées dans l'affaire où la fin de non-recevoir est soulevée, ou leurs ayants droits.

i. La question à trancher

[13]            Les défendeurs soutiennent que l'affaire a été résolue le 26 février 2001, lorsque le juge Gibson a refusé de délivrer une injonction interlocutoire pour empêcher l'élection. Ils font valoir que sa décision a de fait établi que les parties qui ont gagné l'élection devaient entrer en fonction normalement. Au moment de la présentation de cette requête, le juge Gibson savait que l'élection devait avoir lieu le 2 mars 2001, que les demandeurs n'étaient pas candidats et que la loi électorale prévoyait que le chef et le conseil nouvellement élus entreraient en fonction le lendemain de l'élection. Après avoir examiné tous ces renseignements, il a refusé de délivrer une injonction interlocutoire et dit :

[TRADUCTION] La demande de réparation sous forme d'injonction interlocutoire est rejetée, la Cour étant convaincue que la preuve d'un préjudice irréparable qui lui a été soumise était purement hypothétique.


[14]            Les défendeurs plaident que la question dont la Cour est saisie est identique, pour l'essentiel, à celle qui a été soumise au juge Gibson. Ils soutiennent que la nature fondamentale de la question ne peut changer du fait qu'elle est présentée d'une façon différente. Ils invoquent le passage suivant de l'arrêt Hughes Land Co. v. Manitoba (1998), 167 D.L.R. (4th) 652 (C.A. Man.) à la page 667 pour illustrer leur point de vue:

[TRADUCTION] [37] Le moyen de fin de non-recevoir fondé sur l'identité de la question n'exige pas une duplication exacte. La question clef consiste simplement, comme nous l'avons vu, à déterminer si la question à trancher dans la deuxième action était fondamentale pour le prononcé de la décision antérieure. Le cas échéant, l'ingéniosité sans borne dont fait preuve l'avocat pour créer de nouvelles formulations et qualifications ne peut écarter l'application du principe de la chose jugée. Un argument fondé sur la justice ne sera pas retenu par la Cour à la deuxième occasion simplement parce que l'affaire a été présentée comme « une nouvelle approche » . ... Il ne suffit pas de « remanier » la demande.

[15]            La Cour est d'accord avec les défendeurs. Il faut présumer que le juge Gibson, lorsqu'il a refusé d'accorder l'injonction interlocutoire, comprenait que l'élection aurait lieu et que les gagnants entreraient en fonction.

ii. Le caractère final de la décision judiciaire

[16]            Les défendeurs soutiennent que la décision rendue par monsieur le juge Gibson le 26 février 2001 était finale en ce qui concerne le prononcé d'une injonction interlocutoire. La Cour fait sienne l'opinion exprimée dans la décision Ward v. Dana G. Colson (1994), 24 C.P.C. (3d) 211 (C. Ont. Div. gén.) à la page 218 :


[TRADUCTION] [12] Je suis convaincu que la fin de non-recevoir fondée sur l'identité de la question n'est pas écartée du fait que l'ordonnance du juge O'Brien a été rendue dans le contexte d'une demande interlocutoire. Une décision prononcée à la suite d'une demande interlocutoire lie les parties, du moins en ce qui concerne les autres procédures engagées dans la même action. Je retiens la prétention selon laquelle le principe général veut que le tribunal ne puisse pas, lorsqu'une question identique est soulevée entre les mêmes parties, réviser une décision antérieure qui ne peut faire l'objet d'un appel. Si la décision était erronée, elle aurait dûêtre portée en appel dans le délai imparti. Le fait que la première décision ait été rendue dans le contexte de la même action ne change rien à ce principe. Voir    David Diamond v. The Weston Realty Company, [1924] R.C.S. 308 (C.S.C.).

[17]            Par conséquent, la Cour conclut que la décision du juge Gibson était finale quant au prononcé d'une injonction interlocutoire.

iii. Les mêmes parties ou leurs ayants droit

[18]            Le 2 mars 2001, madame le juge Hansen a autorisé les demandeurs à joindre le chef et les conseillers élus en qualité de défendeurs. Les demandeurs s'appuient sur cette jonction pour plaider que la demande constitue une première demande de réparation contre les nouvelles parties. La Cour ne partage pas leur avis sur ce point.


[19]            Au moment de la requête en injonction initiale, les demandeurs ont désigné les membres du conseil coutumier et les agents d'élection comme défendeurs dans le but d'empêcher la tenue de l'élection. Le simple fait d'ajouter le nom des personnes qui ont gagné cette élection, dont l'existence était connue, mais dont l'identité ne pouvait être déterminée avant l'élection, ne change rien au fait que les défendeurs ont des intérêts communs. La décision Ontario v. National Hard Chrome Plating Co., [1996] O.J. no 93 (Div. gén. Ont.) traite de ce principe :

[TRADUCTION] 3.    Le critère des « mêmes parties »

[23] Le volet du principe de la chose jugée qui concerne la fin de non-recevoir fondée sur l'identité de la question peut s'appliquer même si les parties ne sont pas identiques. Ce sera essentiellement le cas lorsque la Cour examine l'historique d'une instance entre les parties et qu'elle conclut, à l'issue de cet examen, qu'il ne s'agit pas de parties essentiellement différentes : Voir Martin-Brower of Canada Limited v. Ontario (Regional Assessment Commission, Region No. 15), [1993] O.J. no 1848 (Div. gén.) à la p. 9, 16; Donmor Industries, précité, à la p. 505.

[24] En ce qui concerne la question de savoir si l'on peut dire que les défendeurs sont « la même partie » que dans l'action antérieure, la Cour doit considérer les défendeurs additionnels comme des ayants droit dans la première action. Et ce, parce qu'il est clair que ces parties auraient pu être jointes dans la première action et que le fait que les administrateurs soient maintenant désignés personnellement ne suffit pas pour trancher l'affaire à nouveau à la lumière du fait que les administrateurs sont maintenant désignés personnellement. La décision Verlysdonk v. Premier Petrenas Construction Company Limited (1987), 60 O.R. (2d) 65 (H.C.J.) à la p. 69, établit le principe voulant que, pour déterminer si une partie est un « ayant droit » dans une instance antérieure, il faut définir le terme ayant droit comme s'entendant d' "une personne ayant participé à un acte de façon à être liée par celui-ci pour ce qui est de sa participation dans un intérêt." Pour déterminer si une partie avait un intérêt partagé dans l'issue d'une procédure, les tribunaux ont statué que la question essentielle à trancher est celle de savoir si l'issue de l'action pouvait avoir une incidence sur la responsabilité de ces parties. Les défendeurs additionnels désignés dans la déclaration étaient des dirigeants et administrateurs de l'une ou l'autre des deux sociétés et auraient donc pu, à partir des mêmes arguments que ceux soulevés dans la deuxième action, être reconnus responsables pour cette raison dans la première action.

[25] Permettre aux plaideurs d'éviter l'application du principe de la chose jugée en joignant simplement en qualitéde parties d'autres personnes contre lesquelles la demande initiale aurait dûêtre dirigée constituerait manifestement un abus de la procédure. Le demandeur connaissait ou aurait dûconnaître les défendeurs additionnels dans la présente instance au moment de la première action : Voir Reddy v. Oshawa Flying Club, précité, aux p. 6 et 7.

[26] Bien que le demandeur dans la deuxième action se soit exprimé dans des termes quelque peu différents par rapport à la première action, il serait spécieux d'affirmer qu'il n'y a pas identité de demandeur.

[27] Par conséquent, la troisième et dernière condition énoncée dans Angle est remplie.


[20]            Les nouveaux défendeurs joints, en leur qualité de candidats à l'élection, étaient directement touchés par l'issue de l'audition du 26 février 2001 et sont par conséquent des ayants droit des défendeurs initiaux. Un ayant droit est, selon la définition que le Dictionary of Canadian Law, Carswell, 2nd edition (Dukelow & Nuse, eds.) donne du terme « privy » , [TRADUCTION] « quelqu'un qui partage ou possède un intérêt dans une action ou dans une chose » . La même source décrit la chose jugée comme [TRADUCTION] « une décision judiciaire finale » , soulignant que : [TRADUCTION] « La Cour d'appel du Manitoba a confirmé trois conditions pour que le tribunal conclue qu'il y a chose jugée, dans l'arrêt Solomon v. Smith, [1988] 1 W.W.R. 410... Les voici : 1. La même question doit avoir été tranchée précédemment; 2. La décision judiciaire dont découle censément la fin de non-recevoir doit être finale; 3. Les parties à la décision judiciaire ou leurs ayants droit doivent être les mêmes personnes que les parties à l'instance dans laquelle la fin de non-recevoir est soulevée ou leurs ayants droit. Newman v. Newman (1990) 26 R.F.L. (3d) 313 à la p. 318, 65 Man.R.(2d) 294 (B.R.). » Il faut interpréter ces éléments de définition de façon sensée et ne pas y adhérer aveuglément. Le terme « final » , dans le contexte d'une injonction provisoire ou interlocutoire s'entend de la finalité artificielle propre à ce type d'ordonnance, c.-à-d. qu'elle est finale jusqu'à l'instruction ou l'audition qui met fin à l'ordonnance. Le défaut ou le refus de se conformer à cette finalité est punissable comme un outrage au tribunal, mais la partie opposée n'est pas liée par cette finalité au sens d'éternité ou d'impossibilité que le tribunal réexamine l'affaire.


iv. Résumé

[21]            La Cour conclut que le principe de la chose jugée s'applique à la requête en injonction interlocutoire. Toutefois, les demandeurs soutiennent qu'ils ont de nouveaux éléments de preuve à faire valoir, qui auraient donné un résultat différent lors de la requête initiale et dont ils ne disposaient pas à l'époque.

  

4. Les nouveaux éléments de preuve

[22]            Dans l'affaire Cercast Inc. c. Shellcast Foundries Inc. (No. 2) (1972), 8 C.P.R. (2d) 280 (1re inst.), monsieur le juge Walsh a dit, à la page 282 :

[TRADUCTION] Je n'irais pas jusqu'à dire que, lorsqu'une demande d'injonction interlocutoire a été rejetée et que cette décision n'a pas étéporté e en appel, aucune autre demande d'injonction interlocutoire ne peut être présentée et que le statu quo doit être maintenu jusqu'à l'instruction sur le fond, mais il serait juste d'affirmer que toute nouvelle demande d'injonction interlocutoire devrait reposer sur l'accès à une nouvelle preuve, non seulement que les demandeurs ne pouvaient pas obtenir au moment de l'audition de la demande initiale d'injonction interlocutoire, mais encore qui aurait eu une incidence sur la décision de refuser l'injonction si la Cour en avait pris connaissance au moment oùelle a rendu sa décision.

(Non souligné dans l'original.)

Cet extrait décrit en fait le fardeau qui incombe aux demandeurs en l'espèce.


[23]            Dans Canadian Tire Corp. c. Pit Row Services Ltd. (1987), 13 F.T.R. 145 (1re inst.), le juge en chef adjoint Jerome a dit, à la page 145 :

[2] Le recours demandé tend essentiellement à me faire rouvrir ou réexaminer la requête de la demanderesse visant à obtenir une injonction interlocutoire. Il est évident qu'il s'agit là du genre de décision le plus extraordinaire dans n'importe quelle question décidée par la cour. Ce recours exige évidemment de la documentation à l'appui qui doit également être de nature extraordinaire. Il est assez probable qu'une telle requête puisse réussir grâce à une preuve de fait qui indique que le fondement factuel de la décision originale était essentiellement erroné, et qu'il ne s'agissait pas seulement d'une question de nuance ou de degré. Il faudrait que ce soit essentiellement différent. Il faudrait démontrer que les faits réels sont si fondamentalement différents des faits sur le fondement desquels la décision originale a été rendue que ce serait, à mon avis, extraordinaire.

[3] Subsidiairement, il pourrait évidemment être opportun de dire qu'une partie ayant obtenu la décision antérieure en trompant la cour pourrait être admise à demander ce genre d'ordonnance.

[4] Finalement, bien que ce cas soit beaucoup plus complexe, une injonction interlocutoire dans une décision relative à une requête antérieure est en fait une décision fondée sur les circonstances prévalant à l'époque et, si les circonstances ont changéde façon si radicale que la base factuelle de la décision antérieure n'est simplement plus valide, la partie en cause aurait le droit, non seulement maintenant, mais à tout moment, de venir devant la cour pour recommencer ou, essentiellement, pour commencer une nouvelle requête sollicitant le même recours, pourvu évidemment, comme je l'ai dit, que les circonstances de fait soient si différentes que la décision antérieure ne soit plus valide et n'ait plus de rapport avec la réalité.

(Non souligné dans l'original.)

[24]            Par conséquent, la Cour ne peut délivrer une injonction interlocutoire que si les demandeurs démontrent que de nouveaux éléments de preuve existent et qu'ils auraient eu une incidence sur la décision du juge Gibson de refuser l'injonction. La Cour est d'avis que les demandeurs ne se sont pas déchargés de ce fardeau. La question de savoir si une partie a trompé la Cour ne se pose pas réellement en l'espèce.


[25]            En ce qui concerne le critère bien connu comportant trois volets applicable aux injonctions interlocutoires énoncé dans RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, le juge Gibson a précisé que la preuve d'un préjudice irréparable produite par les demandeurs était hypothétique. Cela signifie que le premier volet du critère, celui voulant qu'il existe une question sérieuse à trancher, a été respecté. Les demandeurs ont présenté des éléments de preuve à la Cour qui, selon leurs prétentions, auraient incité le juge Gibson à rendre une ordonnance différente. Toutefois, cette preuve implique l'existence d'une question sérieuse, qui a été implicitement reconnue par le juge Gibson, et que les défendeurs ont expressément admise, par l'entremise de leur avocat. La Cour ne doit pas examiner ces nouveaux éléments de preuve, parce qu'ils touchent des questions qui sont au coeur de la demande de contrôle judiciaire. De plus, cette preuve n'était pas de nature différente, pour l'essentiel, de celle présentée au juge Gibson, à partir de laquelle il a rejeté la demande d'injonction interlocutoire.


[26]            Par conséquent, il reviendra aux demandeurs de présenter la preuve d'un préjudice irréparable dont l'importance aurait suffi pour que le juge Gibson rende une ordonnance différente. Les demandeurs soutiennent que beaucoup de questions administratives ont été reportées en raison de l'incertitude quant à la légalité de l'élection, dont des enquêtes sur l'utilisation de fonds en fiducie, des négociations relatives aux services municipaux et à la construction résidentielle, et qu'une instance judiciaire à laquelle la bande est partie a été ajournée. Le report de ces affaires peut difficilement être considéré comme un préjudice irréparable, étant donné qu'elles sont suspendues temporairement jusqu'à la résolution du conflit sur le fond.

[27]            Les défendeurs font aussi valoir qu'un préjudice irréparable a été subi lorsque le bureau de la bande a été bloqué, les serrures du bureau de la bande changées et le service téléphonique fourni à la bande annulé. Aucune de ces prétentions ne mérite d'être examinée sérieusement. Le bureau de la bande a été bloqué par une personne qui n'est pas partie à l'instance; les serrures et l'interruption du service téléphonique peuvent difficilement équivaloir à un préjudice irréparable.

[28]            Les demandeurs soutiennent que la bande a été placée sous la direction d'une tierce partie pendant le conflit. Les défendeurs affirment que le chef demandeur a joué un rôle dans la nomination du tiers gestionnaire et qu'un plan de gestion corrective a été formulé il y a des mois. Étant donné que la bande demeurera sous la direction du tiers gestionnaire jusqu'à ce que la situation soit réglée de façon définitive, il ne s'agit pas d'une considération pertinente.


[29]            Enfin, les demandeurs soutiennent que les défendeurs utilisent les profits des appareils de loterie vidéo à des fins personnelles. S'il en est ainsi, la loi peut être invoquée pour remédier à la situation. En qualité de gestionnaires du compte, les défendeurs affirment qu'ils ont le pouvoir de dépenser ces fonds pour des affaires dans l'intérêt de la bande. Ils font valoir et reconnaissent que, parce que le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien refuse de les payer jusqu'à la résolution de l'affaire, l'argent est utilisé comme un prêt pour frais de subsistance, à l'égard duquel ils ont signé des garanties. Dans RJR-MacDonald, précité, à la page 341, la Cour suprême du Canada a statué qu'un préjudice irréparable est « un préjudice qui ne peut être quantifié du point de vue monétaire ou un préjudice auquel il ne peut être remédié » . Compte tenu que les montants en cause sont garantis et seront remboursés lorsque le conflit sera réglé, la Cour conclut qu'aucun préjudice irréparable ne risque de survenir.

[30]            Comme le juge Gibson, je conclus que la preuve d'un préjudice irréparable est hypothétique. Les demandeurs disent que la confiance de la bande dans le processus électoral est en jeu. Toutefois, aucune preuve n'établit que la situation s'améliorera si l'ordonnance du juge Gibson est modifiée. En fait, plus d'incertitude pourrait en résulter dans les circonstances. Par conséquent, après avoir conclu qu'aucun nouvel élément de preuve n'aurait eu pour résultat de modifier ou d'infirmer la décision du juge Gibson de rejeter la requête initiale en injonction interlocutoire, la Cour rejette la requête des demandeurs.


[31]            Richard Hayden, dont le nom figure parmi les premiers défendeurs a comparu personnellement comme demandeur plutôt que comme défendeur. Il a attiré l'attention de la Cour sur des allégations soumises pour la première fois. Il a semblé croire que la Cour pouvait retenir les services d'un avocat pour lui.

[32]            Enfin, les défendeurs ont fait valoir que les demandeurs n'étaient pas irréprochables lorsqu'ils se sont présentés devant la Cour et devraient se voir refuser la réparation en equity qu'ils sollicitent. Compte tenu des conclusions de la Cour, il n'est pas nécessaire de trancher cette question.

5. Conclusion

[33]            La requête en injonction interlocutoire est rejetée. Les demandeurs paieront les dépens sans égard à l'issue de l'instance. Les dépens seront établis selon le montant le plus élevé de la colonne III du Tarif B en faveur des défendeurs, à l'exception de Richard Hayden, dans chaque catégorie pour couvrir les dépens réels partie-partie.

(Signé) F.C. Muldoon   

                                                                                                                                       Juge

OTTAWA (Ontario)

le 11 juillet 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


                                                                                                                  Date : 20010711

                                                                                                              Dossier : T-285-01

                                                                                                                                             

Ottawa (Ontario), le 11 juillet 2001                                 

En présence de monsieur le juge Muldoon

Entre :

LE CHEF ED HAYDEN, LES CONSEILLERS PETER ATKINSON, MICHAEL LITTLEJOHN,    MITCH LAROQUE et MARIE HENRY

au nom de la Première nation Anishinabe de Roseau River

demandeurs

- et -

HERMAN ATKINSON, VICTOR ANTOINE, MELVIN CHASKEY,

JOSEPH FRENCH, RICHARD HAYDEN, GLEN NELSON, FRANK PAUL, WILSON HENRY, ERNIE JAMES, GLORIA JOHNSON, DENNIS SEENIE, DEREK THOMAS, KEVIN LAROQUE, RODNEY PATRICK, WAYNE TAIT, CHERYL LITTLEJOHN, THOMAS THOMAS II et MARTHA LAROQUE en leur qualité de membres du conseil coutumier de la Première nation Anishinabe de Roseau River et ALDINE ATKINSON et GRACE SMITH en leur qualité de prétendus agents d'élection de la Première nation Anishinabe de Roseau River

premiers défendeurs

- et -

FELIX ANTOINE, MARTHA LAROQUE, MARY CHASKY,

THOMAS THOMAS et RODNEY PATRICK, en leur qualité de prétendus chef et conseillers élus lors de l'élection contestée

deuxièmes défendeurs


O R D O N N A N C E

VU l'audition de la requête qui a eu lieu en présence des avocats de toutes les parties le 30 avril 2001, à Winnipeg, et la décision de la Cour de réserver alors sa décision,

LE COUR STATUE que la requête en injonction interlocutoire présentée par les demandeurs est rejetée et que les demandeurs paieront un montant global pour couvrir les frais des premiers et deuxièmes défendeurs, à l'exception de ceux de Richard Hayden, qui seront fixés en vertu du Tarif B, selon le montant le plus élevé de la colonne III, sans duplication entre les premiers et les deuxièmes défendeurs, pour couvrir les frais réels partie-partie, mais non ceux de Richard Hayden.

(Signé) F.C. Muldoon

                                                                                                                                       Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                             T-285-01

INTITULÉ DE LA CAUSE :    LE CHEF HAYDEN ET AUTRES c. HERMAN ATKINSON ET AUTRES

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Winnipeg (Manitoba)

DATE DE L'AUDIENCE :                    30 avril 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR MONSIEUR LE JUGE MULDOON

DATE DES MOTIFS :              le 11 juillet 2001           

ONT COMPARU

Rhys Jones & Andrew Kelly                                            POUR LES DEMANDEURS

Tim Valgardson & Nicole Harley                                     POUR LES DÉFENDEURS

Richard Hayden                                                                 DÉFENDEUR, EN SON PROPRE NOM

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lofchick, Jones & Associés                                              POUR LES DEMANDEURS

Winnipeg (Manitoba)

Levine, Levene Tadman                                                    POUR LES DÉFENDEURS

Winnipeg (Manitoba)

Richard Hayden                                                                 DÉFENDEUR, EN SON PROPRE

Winnipeg (Manitoba)                                                         NOM

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