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     Date : 19980826

     Dossier : T-1586-98

Entre

     JOHN R. LAVOIE,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE L'ENVIRONNEMENT,

     LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS,

     KAGIANO POWER CORPORATION ET

     LA PREMIÈRE NATION DES OJIBWAYS DE PIC RIVER,

     défendeurs

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

     (prononcés à l'audience tenue à Ottawa (Ontario)

     le mardi 25 août 1998)

Le juge HUGESSEN

[1]      Il y a en l'espèce requête en mesure conservatoire dans le cadre d'un recours en contrôle judiciaire contre la délivrance, sous le régime de la Loi sur les pêches, d'un permis de construction d'un barrage et d'une centrale électrique sur la rivière Kagiano, au nord du lac Supérieur.

[2]      Le recours contre la décision susmentionnée vise principalement le processus qui a abouti à cette dernière et à la délivrance subséquente des permis de construction. À l'origine, les défendeurs nommés par le demandeur étaient la Kagiano Power Corporation et les deux ministres mais, au cours d'une conférence préparatoire, la Première nation des Ojibways de Pic River a demandé à se joindre à l'instance en qualité de défenderesse. Elle a donc déposé les plaidoiries et participé à l'instance.

[3]      Le demandeur prétend en particulier que la construction de ces installations, qui a déjà commencé, causera un dégât irréparable aux poissons et à leur habitat. C'est, bien entendu, le ministre qui a autorisé cette construction en application de la Loi sur les pêches1, et c'est sa décision qui est en cause.

[4]      Sans entrer dans les détails, je suis convaincu que le demandeur justifie de prétentions qui méritent d'être soumises au jugement de la Cour. Je n'en dirai pas plus puisque l'affaire devra être entendue en temps utile par un autre juge, mais ma conclusion en la matière me fait passer directement aux deuxième et troisième éléments du triple critère à observer en matière de mesures conservatoires.

[5]      Le demandeur fait valoir le dégât irréparable de deux types, l'un et l'autre d'ordre écologique.

[6]      En premier lieu, il soutient que les poissons et leur habitat sont en cours d'endommagement ou de destruction par les travaux de construction en question, et ne s'en remettront jamais.

[7]      En second lieu, il soutient que ces travaux de construction signifieront la disparition d'un parc naturel intact, lequel ne pourra pas se rétablir non plus.

[8]      Pour ce qui est du premier de ces deux sujets de préoccupation, il ressort des preuves produites que le permis accordé par le ministre comporte des conditions rigoureuses d'atténuation de l'endommagement fait à l'habitat des poissons, et que les mesures d'atténuation prescrites auront pour effet de rétablir et probablement même de bonifier cet habitat.

[9]      Il n'y a pas grand-chose à dire au sujet du second chef de plainte; je note néanmoins que selon les preuves versées au dossier, il y a eu diverses entreprises considérables de mise en valeur à proximité, telles les exploitations sylvicoles et minières à peu de distance.

[10]      La défenderesse Kagiano prétend pour sa part qu'elle subirait un préjudice économique irréparable si la requête en mesure conservatoire devait être accueillie. Elle fait observer que le demandeur ne s'est pas engagé au sujet d'éventuels dommages-intérêts, et demande à la Cour de considérer le préjudice économique sous le chef de préjudice irréparable.

[11]      Elle soutient qu'une suspension des travaux, au cas où elle serait ordonnée, aurait pour effet possible, voire probable, d'endommager l'environnement. Les mesures d'atténuation, que je viens de mentionner, sont de par leur nature temporaires et doivent être exécutées dans les délais prévus. En cas d'arrêt des travaux de construction, il est probable qu'elles ne produiraient plus aucun effet au regard de leur but primitif, mais pourraient causer d'autres détériorations écologiques graves en aval.

[12]      La défenderesse Première nation, tout en souscrivant à la position prise par la défenderesse Kagiano, fait valoir en outre sa propre crainte de préjudice irréparable. Elle est une partie prenante du projet de mise en valeur. Les membres de la Première nation forment une communauté qui vit en aval du projet de construction. Selon les preuves produites, elle est la seule communauté établie en aval de ce dernier, et la rivière Pic, dont le Kagiano est un affluent, est pour elle une ressource d'eau potable, d'activités récréatives et de pêche. Ce projet représente une grande entreprise de mise en valeur pour cette Première nation, qui y a un intérêt primordial. La suspension lui en causerait un préjudice économique, préjudice qui, d'après elle, affecterait d'autres aussi.

[13]      Ayant analysé de mon mieux ces positions contradictoires et en l'absence de tout contre-interrogatoire au sujet des affidavits déposés, j'ai conclu que la balance des préjudices éventuels engage à conclure en faveur des défendeurs.

[14]      J'ajoute foi au témoignage que les mesures d'atténuation des conséquences écologiques sur les poissons et sur leur habitat serviront à les protéger, et que si les travaux de construction étaient suspendus maintenant, il y aurait un risque sérieux pour les poissons et leur habitat, ainsi qu'une menace de préjudice grave pour la communauté établie en aval, bien qu'il n'y ait encore eu aucune évaluation de la gravité d'un tel préjudice. J'accepte aussi l'argument des défendeurs que le défaut par le demandeur de s'engager au sujet d'éventuels dommages-intérêts est un facteur à prendre en considération. Je tiens à souligner que celui-ci n'est pas tenu de s'engager en la matière ou, plus exactement, que la Cour est investie du pouvoir discrétionnaire de l'en dispenser. N'empêche que le préjudice économique ne peut être exclu de l'examen du chef de préjudice irréparable que s'il y a un engagement en matière de dommages-intérêts. Ce serait hautement injuste que d'ignorer le fait qu'un défendeur à une requête en mesure conservatoire pourrait subir un préjudice économique grave, voire irréparable, préjudice que la Cour négligerait simplement de prendre en considération.

[15]      Ce facteur est extrêmement important dans les circonstances de la cause. Il est possible de voir que la compagnie défenderesse est loin d'être une machine à imprimer les billets de banque et, bien entendu, la défenderesse Première nation dépend dans une grande mesure de la mise en valeur de la rivière, à en croire les preuves soumises à la Cour.

[16]      Je conclus en conséquence qu'il faut rejeter la requête en mesure conservatoire. Je rendrai, conformément à la demande à cet effet, une ordonnance de mise en état de l'affaire et les avocats des parties pourront s'attendre à ce que le juge en chef adjoint désigne dans les prochains jours un juge chargé de la mise en état de l'instance.

[17]      Les dépens suivront le sort du principal.

     Signé : James K. Hugessen

     ________________________________

     Juge

Traduction certifiée conforme,

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER No :              T-1586-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      John R. Lavoie

                     c.

                     Le ministre de l'Environnement, le ministre des Pêches et des Océans, Kagiano Power Corporation et la Première nation des Ojibways de Pic River

LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :      25 août 1998

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR LE JUGE HUGESSEN

À L'AUDIENCE LE :          25 août 1998

ONT COMPARU :

Mme Juli Abouchar                  pour le demandeur

Mme Anne-Marie Waters              pour le ministre de l'Environnement et

et M. Ian Dick                  le ministre des Pêches et des Océans

M. John P. McGowan              pour Kagiano Power Corporation

M. Robert C. Edwards              pour la Première nation des Ojibways de Pic River

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Birchall Northey                  pour le demandeur

Ottawa (Ontario)

Morris Rosenberg                  pour le ministre de l'Environnement et

Sous-procureur général du Canada          le ministre des Pêches et des Océans

Cassels Brock & Blackwell              pour Kagiano Power Corporation

Toronto (Ontario)

Edwards & Carfagnini              pour la Première nation des Ojibways de Pic River

Thunder Bay (Ontario)

__________________

1      L.R.C. (1985), ch. F-14.

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