Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20030613

Dossier : IMM-5041-02

Référence : 2003 CFPI 744

ENTRE :

                                               MOHAMMAD SALAH CHOWDHURY

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE BLANCHARD

Introduction

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision défavorable rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut du réfugié (la Commission).


[2]                 Le 3 octobre 2002, la Commission a conclu que le demandeur n'avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni de « personne à protéger » mais qu'il était plutôt visé par la section Fc) de l'article premier de la Convention sur les réfugiés de sorte qu'il lui était interdit de faire une demande d'asile en application de l'article 98 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR), L.C. 2001, ch. 27.

Faits

[3]                 Le demandeur, M. Mohammad Chowdhury, est un citoyen bengali de 27 ans. Il a revendiqué le statut de réfugié au motif qu'il était persécuté au Bangladesh du fait de ses opinions politiques en raison de son appartenance à la Ligue Awami.

[4]                 Dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), le demandeur déclare être un homme d'affaires qui était affilié à la Ligue Awami Juba (LAJ) et à l'aile jeunesse de la Ligue Awami. Il affirme que sa vie était en danger au Bangladesh en raison des menaces proférées par le Parti national du Bangladesh (PNB). Il ajoute qu'il ne disposait d'aucune protection parce que le PNB et Jamaat-e-Islami étaient au pouvoir.

[5]                 En 1993, alors qu'il fréquentait encore le collège, le demandeur a adhéré à la Ligue Chatra du Bangladesh (LCB). Il a participé à des manifestations contre le Parti national du Bangladesh (PNB) à l'automne de 1996. Il a été battu et blessé par la police en 1995 et par des hommes de main du PNB en 1996.


[6]             En 1997, le demandeur a commencé à travailler comme membre de la section jeunesse (thana) de la LAJ-Sitakund. En 1998, il est devenu membre du comité exécutif et en janvier 2000, il a été promu au poste de secrétaire d'organisation de la section jeunesse de la LAJ-Sitakund.

[7]             En juillet 2000, le demandeur a organisé une manifestation lors de laquelle il a dénoncé le meurtre de huit dirigeants de la LCB par des hommes de main du PNB. Il déclare que ces derniers ont ciblé son commerce. Le demandeur a travaillé pour un candidat aux élections parlementaires en août 2001, et en cette occasion, il a prononcédes discours faisant la promotion de la Ligue Awami. Il a reçu des menaces de la part des hommes de main du PNB.

[8]                 Le 1er octobre 2001, le demandeur a été pris en chasse par les hommes de main du PNB alors qu'il se rendait à un bureau de scrutin. À la suite de la victoire électorale subséquente du PNB, il a décidé de se cacher. Le 11 octobre 2001, les hommes de main du PNB ont fouillé sa maison. Le 31 octobre 2001, le demandeur a quitté le pays avec l'aide d'un passeur. Il est arrivé au Canada le 2 novembre 2001 et a revendiqué le statut de réfugié le 7 novembre 2001. Une audience a été tenue le 18 juillet 2002.

[9]                 Le demandeur a été avisé avant l'audience que le ministre entendait y participer, comme le prévoit l'alinéa 69.1(5)b) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2. L'avis indiquait que le ministre entendait « poser des questions aux revendicateurs » .


[10]            Pendant l'audience, le président du tribunal a soulevé la question de l'exclusion et s'est adressé ainsi à l'avocat du ministre :

[traduction]

PRÉSIDENT : M. Beaupré, afin d'assurer une audition impartiale, je me demandais si à ce stade-ci, puisque nous discutons de la violence qui règne au sein de divers groupes politiques au Bangladesh, vous aviez l'intention de soulever la possibilité d'une exclusion, parce que le revendicateur et son avocat ont le droit d'être informés de ce fait?

A : Il se peut que cela soit soulevé.

PRÉSIDENT : Oui.

A : Et je vais vous expliquer. Et cela pourrait être soulevé, cela dépend...

PRÉSIDENT : O.k.

A : ... de la ...

PM: O.k.

A : ... la connaissance et de ce qui est arrivé par la suite.

PRÉSIDENT : O.k.

A : Mais cela pourrait être une question car on parle de beaucoup de violence au Bangladesh pendant cette période.

[11]            L'avocat du demandeur n'a pas soulevé d'objection au cours de cet échange. Toutefois, à la conclusion de l'audience, dans son argumentation orale, il a déclaré ce qui suit :

[traduction]

Monsieur le président, je pense que vous avez un grave problème à régler au plan de la procédure en ce qui concerne les arguments présentés par le représentant du ministre. Je fais référence à l'avis d'intervention qui a été signifié dans cette affaire. Essentiellement, il s'agit d'un avis prévu à l'alinéa 69(1)(5)b) de la Loi, qui vise selon cette disposition à poser des questions au revendicateur.

Au cours de l'audience qui s'est tenue aujourd'hui, le président a demandé spécifiquement au représentant du ministre si ce dernier avait l'intention d'invoquer la clause d'exclusion. Je ne me souviens pas des mots exacts qu'a utilisés le représentant du ministre, mais il a répondu essentiellement que ce n'était pas son intention à ce stade, ou quelque chose comme quoi il allait peut-être le faire. Il n'y a pas eu ... Et en toute franchise, s'il y avait eu mention d'un désir d'invoquer la clause d'exclusion, j'aurais immédiatement réagi en demandant l'ajournement de la demande... dans le but de discuter avec mon client de la question de l'exclusion, une question extrêmement importante, et de préparer nos arguments à cet égard. Évidemment, j'aurais également été en mesure de présenter de la jurisprudence en vue de débattre des situations où l'exclusion devrait s'appliquer et de la manière dont elle doit s'appliquer. ...


[12]            L'avocat du demandeur a ensuite demandé à présenter des arguments écrits dans un délai de deux semaines suivant l'audience, ce à quoi le président a consenti. Les arguments en question ont été soumis le 2 août 2002.      

La décision de la Commission

[13]         La Commission a commencé par résumer les activités politiques du demandeur. Elle a décrit plusieurs incidents lors desquels de la violence avait été exercée et des menaces proférées à l'endroit du demandeur par le PNB, de même que le départ subséquent du demandeur pour le Canada, organisépar un passeur.   

[14]            La Commission a accepté l'identité du demandeur malgré le fait qu'il était entré avec un faux passeport.

[15]            La Commission a pris note du fait que l'avocat du demandeur avait présenté des arguments par écrit dans lesquels il déclarait que le président du tribunal avait soulevé la question de l' « exclusion » à mi-chemin au cours du témoignage du demandeur. L'avocat soutenait également qu'il avait soulevé une objection quant à la manière dont la question de l'exclusion avait été évoquée. La Commission a déclaré que le premier argument de l'avocat était inexact en ce que le président avait soulevé la question tôt au cours de l'audience ([traduction] « à peine une demi-heure après la conclusion des questions préliminaires » ), laquelle s'était poursuivie toute la journée.


[16]            La Commission a aussi pris note du fait que le président du tribunal avait déclaré que l'exclusion était une possibilité et qu'il lui serait nécessaire d'entendre l'ensemble de la preuve; le débat entourant la question de savoir si le demandeur serait accepté ou refusé restait ouvert. La Commission a déclaré : « Il ne fait pas de doute qu'à ce stade, le président du tribunal n'avait pas pris de décision, et ses commentaires ne permettent pas d'affirmer qu'il avait l'intention d'examiner la clause d'exclusion. »

[17]            La Commission a indiqué qu'elle jugeait le demandeur non crédible. Lorsqu'on lui a demandé de décrire comment il s'y prenait pour organiser la résistance au PNB, il s'est montré « vague et évasif, en expliquant qu'il faisait des réunions » . Le demandeur a déclaré que lui et ses partisans n'avaient jamais eu recours à la force contre le PNB, et qu'ils exerçaient leurs activités en toute légitimité. La Commission a remarqué que le demandeur avait par la suite admis que certains membres de la Ligue Awami participaient à des actes de violence, mais qu'il n'avait jamais été impliqué personnellement. Il a déclaré qu'il y avait des affrontements en certains endroits, mais que ceux-ci étaient provoqués par des attaques du PNB. La Commission a déclaré : « Il est alors devenu évident que le revendicateur tentait de camoufler la vérité sur ce qu'il savait. »


[18]            La Commission a remarqué que lorsqu'on a demandé au revendicateur s'il avait connaissance des attaques de la Ligue Awami, celui-ci a répondu : « Il se peut que j'en aie entendu parler. Il y a des gens malveillants dans notre pays. Même au sein de la Ligue Awami, mais nous ne les appuyons pas. Nous n'aimons pas cela. »

[19]            La Commission a déclaré que le demandeur avait admis, après avoir été soumis à d'autres questions, qu'il avait lu dans un quotidien que les partisans de J. Hazari, un terroriste de la Ligue Awami, avaient battus des membres du PNB. À maintes reprises, le demandeur a déclaré qu'il « [avait] peut-être entendu parler, sans pouvoir en être sûr » , des émeutes qui avaient eu lieu en novembre 1997 à Chittagong et au cours desquelles 7 personnes avaient été tuées et 200 autres blessées dans le cadre d'affrontements violents entre le PNB et la Ligue Awami.

[20]        À la page 4 de ses motifs, la Commission déclare ce qui suit :

[traduction]

Nous jugeons le revendicateur non crédible. Il ne dit pas la vérité. Chittagong est située à seulement 20 milles de Sitakunda où il vivait et exerçait un rôle influent au plan de l'action politique. Par conséquent, il est invraisemblable qu'un activiste de la Ligue Awami ne soit à peine au courant de la violence politique qui a eu lieu à Chittagong quelques années seulement auparavant. Lorsque le représentant du ministre s'est dit étonné du caractère vague des réponses du revendicateur, celui-ci est devenu encore plus vague : « Beaucoup d'incidents se sont produits. De plus ou moins grande importance ...Des travailleurs de la Ligue Chatra ont été tués par des gens du Jamaat. Je n'arrive plus à me rappeler la date. Je ne peux m'en rappeler. Je ne m'en souviens plus. Peut-être ... il y a des gens vraiment malveillants dans mon pays... Je ne dis pas que tout est bien... » Lorsqu'on lui a demandé s'il savait que certains membres de son parti avaient recours à la violence, il a répondu : « Certains y avaient recours. Quelques-uns. » Les réponses du revendicateur étaient peu logiques. La violence systémique qui fait rage au sein des principaux partis politiques au Bangladesh est un fait bien documenté, comme cela est décrit plus en détails. Le revendicateur a fait tout en sa mesure pour minimiser l'importance des violations des droits de la personne auxquelles se sont livrés son parti, ses hommes de main, ses partisans et la police, laquelle suivait les ordres du parti.


[21]            La Commission a ensuite procédé à l'analyse de la preuve documentaire portant sur les violations des droits de la personne qui ont été commises sous le régime de la Ligue Awami à une époque où le demandeur était actif au sein du parti. La Commission a pris note que la police se livrait à des exécutions sommaires, d'après la documentation publiée par les organisations des droits de la personne. La Commission a également pris note de la survenance d'affrontements violents entre les partisans des différents partis politiques, y compris entre ceux de la Ligue Awami et de la LCB.    

[22]        La Commission a déclaré : [traduction] « Lorsqu'on examine ce nombre [de morts et de blessés], on ne peut porter foi au témoignage du revendicateur selon lequel il était peu au courant de cette violence. Il prétendait ne pas savoir ou ne pas se rappeler. Cela n'a aucun sens. »

[23]            Dans son analyse de la question de l'exclusion, la Commission a déclaré que le demandeur était vague et évasif dans ses propos et qu'il semblait ne pas être au courant du degré de violence politique rapporté dans la preuve documentaire, en dépit du fait qu'il était un membre influent de la Ligue Awami.

[24]        La Commission a alors appliqué le critère de Ramirez servant à déterminer si le revendicateur du statut de réfugié doit être privé du droit d'asile : Ramirez, Saul Vicente c. Canada (M.E.I.), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.), [1992] A.C.F. no 109 (QL). La Commission fait l'analyse suivante :

Ramirez examine le degré de complicité en se fondant sur six critères. Nous allons les examiner un à un.

M. Chowdhury a-t-il joint volontairement les rangs de l'aile jeunesse de la Ligue Awami? La réponse est oui.


Est-il resté membre du parti pendant une longue période? La réponse est oui.

Occupait-il un rôle important au sein de l'organisation? La réponse est oui.

De par sa nature, la Ligue Awami est-elle un parti politique qui s'adonne à de graves violations des droits de la personne? La réponse est oui.

Était-il au courant des violations commises par son parti? La réponse est oui.

Est-il demeuré membre de l'organisation au lieu d'en sortir? La réponse est oui.

[25]            Sur la base de cette analyse, la Commission a conclu que le demandeur n'avait pas le droit de revendiquer le statut de réfugié parce qu'il était visé par la section Fc) de l'article premier de la « Convention sur les réfugiés » et qu'il n'était « ...par conséquent ni un "réfugié au sens de la Convention" ni une "personne à protéger" au sens de l'art. 98 de la LIPR » .    

Questions en litige

[26]      La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

(i)    La Commission s'est-elle prononcée sur le bien-fondé de la revendication du demandeur (facteurs d'inclusion)?

(ii) La Commission a-t-elle commis une erreur en ce qu'elle a appliqué de façon erronée le critère d'application de la section Fa) de l'article premier de la Convention, en mésinterprétant la preuve présentée?

(iii) Le demandeur a-t-il été dûment avisé de la question de l'exclusion?    

(iv) Le commissaire a-t-il fait preuve de partialité?

La norme de contrôle


[27]            Les conclusions de la Commission portant sur le rôle et l'implication du demandeur au sein de la Ligue Awami et sur sa connaissance des violations des droits de la personne commises par la Ligue Awami constituent des conclusions de fait. Conformément à l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7, la Cour n'interviendra pas à moins que la Commission n'ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle dispose. Ce critère correspond à la norme de la décision « manifestement déraisonnable » applicable aux questions de fait. La question de savoir si la Commission a dûment appliqué le critère d'exclusion constitue une question mixte de droit et de fait et la norme indiquée est celle de la décision raisonnable simpliciter : Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748; Jayesekara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 2014, [2001] A.C.F. no 1393 (QL). Enfin, si la Commission a mésinterprété le sens de la clause d'exclusion de la section Fa) de l'article premier, il s'agit d'une question de droit et le critère de la décision correcte constitue la norme de contrôle applicable.

Analyse

(1)    Facteurs d'inclusion

[28]            Le défendeur fait valoir que la décision de la Commission contient une conclusion explicite relativement aux facteurs d'inclusion. Il prétend que la Commission a conclu, de manière claire et non équivoque, que le demandeur n'était pas crédible. Selon le défendeur, une telle conclusion emporte que le demandeur n'est pas un réfugié.


[29]        Je ne partage pas cet avis. La Commission est arrivée à une conclusion défavorable quant à la crédibilité dans le contexte de son analyse de la question de l'exclusion. Les motifs de la Commission ne présentent aucune analyse du bien-fondé de la revendication du demandeur. La Commission n'a pas explicitement examiné le témoignage du demandeur, non plus que la preuve documentaire corroborant sa revendication. Fait plus important encore, la Commission n'est arrivée à aucune conclusion relativement aux facteurs d'inclusion. Il se peut fort bien qu'il y ait une corrélation étroite entre la conclusion d'absence de crédibilité et celle qu'un demandeur n'est pas un réfugié, mais une telle corrélation ne soustrait toutefois pas un tribunal de l'obligation de formuler clairement sa conclusion définitive sur une question de cette importance. Une telle conclusion ne peut être inférée des motifs du tribunal. Par conséquent, je conclus que la Commission ne s'est pas prononcée sur les facteurs d'inclusion afférents à la revendication du demandeur. Les motifs de la Commission ne traitent que de la question de l'exclusion.

(ii) La Commission a-t-elle commis une erreur en ce qu'elle a appliqué de façon erronée le critère d'application de la section Fa) de l'article premier de la Convention, en mésinterprétant la preuve présentée?

[30]            La section Fa) de l'article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés prévoit que la Convention ne s'applique pas aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :


a) Qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

[31]            Dans Ramirez, Saul Vicente c. Canada (M.E.I.), [1992] A.C.F. no 109 (QL), la Cour d'appel fédérale a examiné dans quelle mesure les complices et les auteurs principaux de crimes internationaux devraient être exclus de la définition de réfugié.

[32]            Dans Ramirez, précité, Monsieur le juge MacGuigan fait les remarques suivantes, au paragraphe 16 :

[...] [L]a simple appartenance à une organisation qui commet sporadiquement des infractions internationales ne suffit pas, en temps normal, pour exclure quelqu'un de l'application des dispositions relatives au statut de réfugié. ...Toutefois, lorsqu'une organisation vise principalement des fins limitées et brutales, comme celles d'une police secrète, il paraît évident que la simple appartenance à une telle organisation puisse impliquer nécessairement la participation personnelle et consciente à des actes de persécution.


[33]            Les parties reconnaissent que ni la Ligue Awami ni le gouvernement formé par la Ligue Awami ne sont des organisations qui visent principalement des fins limitées et brutales. Par conséquent, l'appartenance du demandeur à la Ligue Awami ne fait pas nécessairement de lui un participant conscient à des actes de persécution. Aux fins de cette analyse, il importe de déterminer si le demandeur est coupable de tels crimes en tant que complice, même s'il n'a pas participé personnellement aux actes qui sont considérés comme des crimes. Dans Ramirez, précité, le juge MacGuigan a expliqué en quoi consistait le critère de complicité dans le cas des participants d'ordre secondaire. Le savant juge a émis l'opinion que la complicité, dans de tels cas, dépend de l'existence « d'une intention commune et de la connaissance que toutes les parties en cause en ont » .

[34]            Plus loin dans ses motifs, le juge MacGuigan a ajouté, au paragraphe    23 :

À mon avis, il n'est pas souhaitable, dans l'établissement d'un principe général, de dépasser le critère de la participation personnelle et consciente aux actes de persécution. Le reste devrait être tranché en fonction des faits particuliers de l'affaire.

[35]            Le demandeur soutient que la Commission a appliqué erronément le critère d'exclusion. Il fait valoir que la Commission a décrit des actes répréhensibles commis par la police au Bangladesh, mais a omis d'établir un lien entre les forces policières et le demandeur ou son groupe d'appartenance politique, l'aile jeunesse de la Ligue Awami. Le demandeur affirme que tout au plus, seuls les membres de la Ligue Awami qui disposaient de pouvoirs au sein de l'exécutif du gouvernement pouvaient être considérés comme exerçant un contrôle sur la police, mais que c'était loin d'être le cas du demandeur, un membre de l'exécutif local de l'aile jeunesse de la Ligue Awami.


[36]            Le demandeur soutient que la preuve documentaire citée par la Commission fait référence à la responsabilité des membres dirigeants de la Ligue Awami, et non à celle de l'ensemble des membres ni même d'une « majorité » ou d'un « grand nombre » d'entre eux. Le demandeur déclare que les abus commis par la police au Bangladesh ne sont pas liés aux objectifs politiques poursuivis par la Ligue Awami. Il fait également valoir qu'il incombait à la Commission d'établir une lien entre les actes reprochés et la personne qu'elle se propose d'exclure et qu'en l'espèce, la Commission ne s'était pas déchargée de son fardeau.

[37]            Il appert clairement de la lecture de la décision de la Commission que celle-ci ne disposait d'aucune preuve de la participation du demandeur à la violence perpétrée par la Ligue Awami.

[38]            En se fondant sur la preuve documentaire des exécutions sommaires dont la police s'est fait l'auteur sous le régime de la Ligue Awami, la Commission a conclu que la Ligue était [traduction] « un parti politique qui se livrait à de graves violations des droits de la personne » . Toutefois, en ce qui a trait au demandeur, la preuve a établi qu'il était un des dirigeants de l'aile jeunesse d'une section de la Ligue Awami, qui en compte près de 500 au pays. À mon sens, le fait de décrire le demandeur comme un « membre influent de la Ligue Awami » qui occupait « un rôle important au sein de l'organisation » constitue une conclusion de fait erronée, surtout dans un cas où la complicité du demandeur est établie à partir de violations des droits de la personne qui ont essentiellement été commises par la police sous un gouvernement formé par la Ligue Awami plutôt que par des membres de ce parti ou de son aile jeunesse.


[39]            Je conclus que la preuve en l'espèce ne respecte pas le critère établi dans Ramirez, précité. Cette preuve étaye la conclusion que le demandeur était membre du comité exécutif de la section jeunesse du parti de la Ligue Awami. La Ligue Awami compte environ un million de membres au Bangladesh et près de 500 divisions administratives comprenant des ailes jeunesse ou « thanas » . Il est vrai que la preuve documentaire associe la violence au Bangladesh à la scène politique. Toutefois, il ne s'ensuit pas forcément que quiconque participe au processus politique ou appartient à un parti politique au Bangladesh est de ce fait complice de crimes contre l'humanité. En fait, la preuve tend plutôt à démontrer que seule une minorité de gens s'adonnent à des actes de violence. Elle ne permet simplement pas de soutenir que le demandeur partage avec les parties qui commettent des actes de persécution une intention commune et une connaissance de ces actes.

[40]            Par conséquent, je conclus que la décision de la Commission portant que le demandeur est exclu pour ces motifs constitue une erreur susceptible de révision.

(iii) Le demandeur a-t-il été dûment avisé de la question de l'exclusion?

[41]         Dans Yang c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), 2001 CFPI 219, [2001] A.C.F. no 412 (QL), le juge en chef adjoint Lutfy s'est penché sur la question de l'équité procédurale en rapport avec l'audience lors de laquelle la question de l'exclusion avait été soulevée pour la première fois au cours du témoignage du demandeur. Les parties n'avaient jamais mentionné, dans le cadre de leurs communications antérieures, que la question de l'exclusion serait débattue. Le tribunal a suspendu l'audience, et l'avocat du revendicateur a alors sollicitéun ajournement. Le tribunal ne lui a accordé qu'une interruption de 80 minutes.

[42]            Saisi de la demande de contrôle judiciaire, le juge en chef adjoint Lutfy a statué qu'il y avait eu atteinte au droit du demandeur à l'équité procédurale. Au paragraphe 10, il déclare ce qui suit :


Les circonstances diffèrent d'une affaire à l'autre, mais la Cour fédérale a toujours insisté sur le fait qu'il était important de donner un avis adéquat à l'intéressé au sujet de la possibilité que la question de l'exclusion se pose : Aguilar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 911 (QL) (1re inst.); Bermudez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 6 Imm. L.R. (3d) 135 (C.F. 1re inst.); Arica c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1995), 182 N.R. 392 (C.A.); et Malouf c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] 1 C.F. 537 (1re inst.).

[43]        Le juge Lutfy a indiqué que lorsque la question de l'exclusion était soulevée pour la première fois en cours d'audience, le tribunal sera avisé « d'ajourner l'audience pour une période raisonnable » afin de permettre au revendicateur et à son avocat d'examiner la question et de se préparer.

[44]            En l'espèce, le revendicateur n'a pas été informé préalablement à l'audience du fait que la question de l'exclusion serait soulevée. Je constate que ce n'est qu'une fois l'audience commencée que cette question a été soulevée, et ce, par le président du tribunal. L'avocat du ministre a alors répondu qu' « il était possible    » que la question de l'exclusion se pose. Je conclus que cette réponse provisoire donnée par l'avocat du ministre et le fait que la question ait été soulevée pour la première fois en cours d'audience ne répondent pas aux exigences en matière d'équité procédurale qui sont énoncées dans la jurisprudence à laquelle renvoie l'arrêt Yang, précité.


[45]            S'ils avaient été informés préalablement à l'audience ou qu'ils avaient obtenu l'ajournement de l'audience, une fois la question soulevée, le demandeur et son avocat auraient pu disposer d'un certain temps pour préparer des observations. Dans les circonstances, le président du tribunal n'a prévu que le dépôt d'observations écrites à l'issue de l'audience. Je suis d'avis que cela ne suffit pas à garantir l'équité de la procédure à l'audience.

[46]            À la lumière de mes constatations sur les questions précédentes, notamment la seconde et la troisième, lesquelles sont déterminantes pour la présente demande, il ne me sera pas nécessaire d'aborder la quatrième et dernière question soumise par le demandeur.

Conclusion

[47]            La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci procède à une nouvelle audition.


[48]            Les avocats sont priés de signifier et de déposer leurs observations, le cas échéant, au sujet de la certification d'une question de portée générale dans un délai de sept (7) jours suivant la réception des présents motifs. Chaque partie disposera d'un délai supplémentaire de trois (3) jours pour signifier et déposer une réponse aux observations de la partie adverse. À l'issue de ce processus, une ordonnance sera rendue.

                                                                                                                             « Edmond P. Blanchard »                    

                                                                                                                                                                 Juge                      

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           IMM-5041-02

INTITULÉ :                                        Mohammad Salah Chowdhury c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :              Le 14 mai 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                     LE JUGE BLANCHARD

DATE DES MOTIFS :                      Le 13 juin 2003

COMPARUTIONS :

Jean-Michel Montbriand                                                                POUR LE DEMANDEUR

Daniel Latulippe                                                                              POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Doyon & Montbriand                                                                     POUR LE DEMANDEUR

6337, rue St-Denis

Montréal (Québec)    H2S 2R8

                   

Morris Rosenberg                                                                           POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

200, boul. René-Lévesque Ouest

Montréal (Québec)    H2Z 1X4

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.