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Date : 20040519

Dossier : T-896-02

Référence : 2004 CF 725

ENTRE :

                                        DAVID J. BAUR, PETER R. MACDONALD

                                                  ET FREEMAN GLEN STEVENS

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                          - et -

                      LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, SCOTT BURGWIN,

        RANDALL BRUSHETT, TIMOTHY FULTON, JOHN HINES, ALAN JOHNSON,

                    DAVID MORSE, BYRON RANDALL, RODNEY STROWBRIDGE,

DANIEL THOMPSON, MICHAEL WILLIS, DERRICK COOLEN, RICHARD COOPER, RICHARD COTIE, FERGUS FRANCEY, ROBERT GARBER, HAROLD RINK, WILLIAM SARTY, KENNETH BROWN, GUISEPPE CIMELLO,

              BYRON GIBBONS, ROY LOCKYER, ANNE MILLER, CRAIG MILLER,

             GARY SAUNDERS, GLEN THOMPSON, RICHARD VAN DER BAAREN,

             PAUL BRAGG, RONALD COLLIER, ROBERT GRAY, DANIEL HORNIK,

                     JOHN JENNER, SHELDON MACDONALD, CLAUDE WARREN,

                                      RONALD DOUCETTE ET SCOTT MCADAM

                                                                                                                                          défendeurs

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX


[1]                Le point soulevé dans cette procédure de contrôle judiciaire introduite en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale est celui de savoir si un comité d'appel (le tribunal) établi en vertu de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique (la Loi) a commis une erreur lorsqu'il a rejeté, par une décision du 8 mai 2002, les appels des demandeurs pour défaut de compétence, en jugeant que l'opération de dotation en personnel qui était l'objet de la plainte, une opération effectuée sans concours, n'équivalait pas à une « nomination » , condition préalable à la compétence du comité d'appel pour mener une enquête ou juger un appel selon le paragraphe 21(1) de la Loi. Les articles 10, 11 et 21 de la Loi sont ainsi formulés :


Nominations au mérite

10. (1) Les nominations internes ou externes à des postes de la fonction publique se font sur la base d'une sélection fondée sur le mérite, selon ce que détermine la Commission, et à la demande de l'administrateur général intéressé, soit par concours, soit par tout autre mode de sélection du personnel fondé sur le mérite des candidats que la Commission estime le mieux adapté aux intérêts de la fonction publique.

Appointments to be based on merit

10. (1) Appointments to or from within the Public Service shall be based on selection according to merit, as determined by the Commission, and shall be made by the Commission, at the request of the deputy head concerned, by competition or by such other process of personnel selection designed to establish the merit of candidates as the Commission considers is in the best interests of the Public Service.

10(2) Idem

(2) Pour l'application du paragraphe (1), la sélection au mérite peut, dans les circonstances déterminées par règlement de la Commission, être fondée sur des normes de compétence fixées par celle-ci plutôt que sur un examen comparatif des candidats.

L.R. (1985), ch. P-33, art. 10; 1992, ch. 54, art. 10.

10(2) Idem

(2) For the purposes of subsection (1), selection according to merit may, in the circumstances prescribed by the regulations of the Commission, be based on the competence of a person being considered for appointment as measured by such standard of competence as the Commission may establish, rather than as measured against the competence of other persons.

R.S., 1985, c. P-33, s. 10; 1992, c. 54, s. 10.

11 Nominations internes

11. Les postes sont pourvus par nomination interne sauf si la Commission en juge autrement dans l'intérêt de la fonction publique.

S.R., ch. P-32, art. 11.

11 Appointments to be from within Public Service

11. Appointments shall be made from within the Public Service except where, in the opinion of the Commission, it is not in the best interests of the Public Service to do so.

R.S., c. P-32, s. 11.


21. (1) Dans le cas d'une nomination, effective ou imminente, consécutive à un concours interne, tout candidat non reçu peut, dans le délai fixé par règlement de la Commission, en appeler de la nomination devant un comité chargé par elle de faire une enquête, au cours de laquelle l'appelant et l'administrateur général en cause, ou leurs représentants, ont l'occasion de se faire entendre.

21. (1) Where a person is appointed or is about to be appointed under this Act and the selection of the person for appointment was made by closed competition, every unsuccessful candidate may, within the period provided for by the regulations of the Commission, appeal against the appointment to a board established by the Commission to conduct an inquiry at which the person appealing and the deputy head concerned, or their representatives, shall be given an opportunity to be heard.21(1.1) Idem

(1.1) Dans le cas d'une nomination, effective ou imminente, consécutive à une sélection interne effectuée autrement que par concours, toute personne qui satisfait aux critères fixés en vertu du paragraphe 13(1) peut, dans le délai fixé par règlement de la Commission, en appeler de la nomination devant un comité chargé par elle de faire une enquête, au cours de laquelle l'appelant et l'administrateur général en cause, ou leurs représentants, ont l'occasion de se faire entendre.

Idem

21(1.1) Where a person is appointed or about to be appointed under this Act and the selection of the person for appointment was made from within the Public Service by a process of personnel selection, other than a competition, any person who, at the time of the selection, meets the criteria established pursuant to subsection 13(1) for the process may, within the period provided for by the regulations of the Commission, appeal against the appointment to a board established by the Commission to conduct an inquiry at which the person appealing and the deputy head concerned, or their representatives, shall be given an opportunity to be heard.

21(2) Mesures

(2) Sous réserve du paragraphe (3), la Commission, après avoir reçu avis de la décision du comité visé aux paragraphes (1) ou (1.1), doit en fonction de celle-ci :

a) si la nomination a eu lieu, la confirmer ou la révoquer;

b) si la nomination n'a pas eu lieu, y procéder ou non.

21(2) Duty of Commission when notified of decision

(2) Subject to subsection (3), the Commission, on being notified of the decision of a board established under subsection (1) or (1.1), shall, in accordance with the decision,

(a) if the appointment has been made, confirm or revoke the appointment; or

(b) if the appointment has not been made, make or not make the appointment. [emphasis mine]


[2]                Les demandeurs font valoir que, pour que soit respecté le principe du mérite, des concours doivent avoir lieu lorsque, selon les circonstances de la présente affaire, des postes saisonniers à durée indéterminée sont convertis en postes à temps plein à durée indéterminée. Le procureur général du Canada soutient la conclusion du tribunal selon laquelle aucune nomination n'avait été faite puisqu'aucun nouveau poste n'était créé; ce qui s'était produit était simplement une modification des heures de travail des employés saisonniers, aspect qui relevait de la Loi sur la gestion des finances publiques (la LGFP), plus précisément des pouvoirs de gestion du Conseil du Trésor sur les heures de travail et les conditions d'emploi.


LES FAITS

[3]                Les faits essentiels ne semblent pas contestés.

[4]                À la suite d'un examen de programme effectué au début de 1996 à l'occasion de son intégration à Pêches et Océans Canada (le MPO), la Garde côtière canadienne (la GCC) s'est trouvée confrontée à une réduction de sa flotte de gros navires comme de sa flotte de petits navires, réduction qui allait avoir une incidence significative sur ses employés. La GCC a donc examiné diverses structures de constitution des équipages et diverses méthodes de fonctionnement pour appliquer ses programmes.

[5]                Dans une note de service datée du 7 août 1996 (dossier des demandeurs, volume 1, page 103), le directeur régional de la Région des Maritimes de la Garde côtière canadienne écrivait :

[traduction] La structure de la flotte comprendra un effectif de base à temps plein et à durée indéterminée, et un effet saisonnier. L'emploi saisonnier nous donnera la possibilité, au sein de la flotte, de gérer notre main-d'oeuvre sans dépasser les crédits alloués et facilitera l'expansion ou la réduction des opérations, selon les besoins. Les postes saisonniers seront pourvus au moyen de concours internes ou sur une base volontaire. Les postes vacants à temps plein seront pourvus grâce à l'effectif saisonnier, au même groupe et au même niveau. Tout sera mis en oeuvre pour étendre l'emploi saisonnier au-delà de la saison prévue de neuf mois. [non souligné dans le texte]

[6]                Il fut décidé que 166 postes à temps plein et à durée indéterminée seraient changés en postes saisonniers à durée indéterminée et considérés comme le résultat d'un réaménagement des effectifs par suite de la cessation de la fonction étalée sur l'année.

[7]                Tous les employés de la GCC furent sondés sur leurs intérêts et choix professionnels. On leur a demandé d'indiquer, par ordre de priorité, leurs choix de carrière, y compris emploi à temps plein, emploi saisonnier, formule d'intéressement, congé avec étalement du revenu, recyclage, etc. Tous les niveaux de classification de la GCC étaient touchés, y compris les officiers et les équipages. Des concours ont eu lieu pour les postes saisonniers à durée indéterminée.

[8]                Les trois demandeurs à l'origine des présentes procédures ont posé leur candidature pour divers postes saisonniers et ont réussi le concours; cependant, après examen de l'affaire, ils n'ont pas accepté les offres d'emploi saisonnier car ils ne voulaient pas abandonner leurs postes existants à temps plein, essentiellement pour des raisons pécuniaires.

[9]                Il est reconnu par la GCC (dossier des demandeurs, volume 1, page 52) ce qui suit en ce qui concerne les concours organisés pour les postes saisonniers :

[traduction] ... il convient de noter que de nombreux employés à temps plein n'ont pas posé leur candidature, par crainte d'être licenciés pour une durée de quelques mois chaque année. C'était là une préoccupation logique, vu la définition de ce qu'est un emploi saisonnier. [non souligné dans le texte]

[10]            Il est également reconnu par la GCC (également à la page 52) que :

[traduction] Parmi ceux qui ont décidé de poser leur candidature, beaucoup ont réussi à obtenir des postes plus élevés d'un niveau ou deux que leur ancien poste à temps plein. Par exemple, un employé à temps plein MAO-04 est devenu un employé saisonnier MAO-06. [non souligné dans le texte]

[11]            Au cours du deuxième semestre de 1997, des offres d'emploi saisonnier ont été faites par le MPO aux candidats reçus. Comme on l'a dit, aucun des demandeurs n'a accepté ces offres.

[12]            Le dossier des demandeurs (page 78) révèle que les nouveaux employés saisonniers avaient reçu des formulaires d'emploi saisonnier indiquant les dates de leur emploi saisonnier. La période d'emploi allait du 1er avril au 31 décembre. Cependant, la note de service d'accompagnement renfermait l'indication suivante :

[traduction] Prière de noter : En fonction des besoins opérationnels et des droits à congé acquis, cette période d'emploi saisonnier pourrait être prorogée. Vous serez informé de toute prorogation avant la date d'achèvement, comme il est indiqué sur le formulaire annexé. [non souligné dans le texte]

[13]            Le dossier des demandeurs montre que, au cours des douze premiers mois d'emploi saisonnier, des prorogations d'emploi ont été accordées en décembre, qui englobaient les mois de janvier, février et mars de l'année suivante. D'autres prorogations ont été accordées dans toutes les périodes subséquentes de douze mois, le résultat étant que les officiers et les équipages saisonniers travaillaient en réalité continuellement et à temps plein.

[14]            En janvier 2001, la GCC développait une proposition selon laquelle tous les employés saisonniers à durée indéterminée qui étaient affectés à la flotte de gros navires deviendraient des employés à temps plein à durée indéterminée. La justification suivante était donnée (dossier des demandeurs, page 53) :

[traduction]

•                Avec 10-2-1, tous les employés de la flotte de gros navires, y compris les employés saisonniers, sont requis de travailler à temps plein. La conversion des employés saisonniers en employés à temps plein légitimise leur statut pour qu'il réponde aux besoins opérationnels. La demande d'employés à temps plein continuera à mesure que nous nous conformerons à nos besoins opérationnels 10-2-1.

•                En bref, bien que la notion d'emploi saisonnier n'existe pas vraiment dans la flotte de gros navires, il reste 77 employés qui portent l'étiquette « saisonnier » .

[15]            La GCC reconnaissait que la proposition n'allait sans doute pas être bien accueillie dans certains quartiers. Voici ce qu'on peut lire dans le dossier des demandeurs, à la page 53 :

[traduction]

•                Ceux qui dans le passé ont décidé de ne pas poser leur candidature aux concours portant sur des emplois saisonniers et qui ont par la suite manqué une occasion d'avancement pourraient être contrariés. C'est cependant ce qu'ils ont choisi de faire. À la lumière des objections prévues, ce sujet a été débattu lors des réunions de l'UMC... Un représentant de l'AFPC avait des objections à formuler et a demandé des éclaircissements à la Commission de la fonction publique. Le bureau local de la CFP a soumis l'affaire à Ottawa et nous avons maintenant une indication précise selon laquelle nous pouvons aller de l'avant. Les RH nous ont assurés qu'aucune opération de dotation n'est requise, parce que le changement concerne les conditions d'emploi. Pour le cas où certains employés saisonniers préféreraient être affectés à un navire saisonnier, des dispositions pourraient être prises en vue de leur mutation à la flotte de petits navires. [non souligné dans le texte]


[16]            La recommandation a été acceptée et, le 16 novembre 2001, le surintendant de la GCC pour la Région des Maritimes écrivait à chacun des officiers et membres d'équipage occupant un emploi saisonnier à durée indéterminée pour l'informer que le MPO entendait procéder à la conversion en offrant à chacun d'eux « l'occasion de transformer votre situation professionnelle de "saisonnier à durée indéterminée" en "plein temps à durée indéterminée" » . L'offre disait que, si elle est acceptée, « votre poste deviendra un poste à temps plein et à durée indéterminée, et vous exercerez vos fonctions 12 mois par année, à compter du 1er janvier 2002 » (dossier des demandeurs, page 63).

[17]            La conversion a eu lieu sans que les postes à temps plein et à durée indéterminée ne soient l'objet d'un concours, et c'est ce à quoi se sont opposés les trois demandeurs.

[18]            Le demandeur David Baur occupe un poste d'attache à titre de SC-ERD-05 (génie). Il fait appel de la conversion d'un poste saisonnier à durée indéterminée en un poste à temps plein à durée indéterminée, au niveau plus élevé SO-MAO-03.

[19]            Le demandeur Peter MacDonald occupe un poste d'attache à titre de SC-DED-04 (matelot), et il fait appel de la conversion d'un poste saisonnier à durée indéterminée en un poste à temps plein à durée indéterminée, au niveau plus élevé SC-DE-05.

[20]            Le demandeur Freeman Stevens occupe un poste d'attache classé SC-ERD-03, et il fait appel de la conversion d'un poste saisonnier à durée indéterminée en un poste à temps plein à durée indéterminée, au niveau plus élevé SO-MAO-03.


[21]            Dans sa demande d'investigation ou d'enquête adressée à la Commission, David Baur écrivait (dossier des demandeurs, page 186) :

[traduction] Il y a cinq ans, le ministère des Pêches et des Océans a ouvert plusieurs postes au sein de la flotte, et j'ai posé ma candidature pour l'un d'eux (MAO-03). Ce poste était à un niveau de classification plus élevé que mon poste d'attache, ce qui allait entraîner pour moi une promotion.

Ces postes étaient classés postes saisonniers. Cela s'accordait avec la nouvelle orientation du ministère, qui était de convertir des postes en postes saisonniers. Pour accepter l'un de ces postes, j'allais devoir abandonner mon statut d'employé à durée indéterminée en statut d'employé saisonnier (neuf mois).

Les postes saisonniers qui ont été pourvus à la suite de ce concours ont été occupés d'une manière continue 12 mois par année, sans rupture de service ni licenciements. Ces postes saisonniers étaient en réalité traités comme des promotions pures et simples. Si j'avais su cela, j'aurais accepté l'offre que j'avais reçue.

Au 1er janvier 2002, des employés qui avaient accepté ces postes saisonniers sont devenus des employés à durée indéterminée, et cela sans concours et sans droits de recours. Je crois qu'un concours organisé pour un emploi saisonnier ne doit être rien d'autre que cela. Pour pourvoir des postes à durée indéterminée, le ministère doit organiser un concours distinct. De cette manière, tous les employés savent ce à quoi ils posent leur candidature. [non souligné dans le texte]

[22]            Dans sa demande d'investigation adressée à la Commission, Peter R. MacDonald écrivait :

[traduction] Je travaille pour la Garde côtière canadienne depuis 24 ans, sur divers navires baliseurs, et j'ai fait office de treuilliste et de maître d'équipage sur divers navires depuis 1984.

Je me suis fixé pour objectif d'occuper un poste de SC-DED-05 au cours de l'année. J'occupe maintenant un poste de SC-DED-04 à la faveur d'un concours tenu en 1994. J'ai posé ma candidature à un concours saisonnier de maître d'équipage, et l'on m'a offert un poste saisonnier pour une durée de neuf mois par année. En tant que niveau 4 passant au niveau 5, il y avait une différence de 30 ¢ l'heure.

Je me suis dit qu'il ne vaudrait pas la peine d'abandonner mon poste à temps plein pour cette différence de salaire. Certains des SC-DED-02 ont accepté le poste, et pour cela ils ont abandonné leurs postes à temps plein pour occuper des postes saisonniers, car la différence de salaire entre un niveau 2 et un niveau 5 dépasse largement 1 $ l'heure.


Je crois que les travailleurs saisonniers qui ont obtenu un poste permanent, en travaillant non plus neuf mois par année, mais douze mois, devraient se soumettre à un concours pour leur emploi à temps plein. (dossier des demandeurs, page 145). [non souligné dans le texte]

[23]            Finalement, voici ce qu'écrivait Freeman Stevens dans sa demande d'enquête adressée à la Commission (dossier des demandeurs, page 174) :

[traduction]

                Je dépose cet appel à l'encontre des pratiques patronales déloyales suivies par le MPO... et à l'encontre de la nomination d'employés saisonniers à des postes à temps plein et à durée indéterminée en tant qu'officiers du génie de niveau SO-MAO-03...

En 1996, j'ai posé ma candidature à un concours pour un poste de SO-MAO-03 et j'ai écrit ce concours... À l'époque, si vous n'écriviez pas ce concours, vous ne pouviez espérer aucune affectation temporaire pouvant se présenter au cours de l'année suivante.

J'ai passé le concours et j'ai été reçu. On m'a offert un poste saisonnier... Après avoir fait quelques recherches sur les postes saisonniers, je me suis aperçu qu'il n'existait aucune sauvegarde protégeant la durée de votre saison. La lettre d'offre que j'avais reçue parlait d'une saison de neuf mois au cours d'une année, mais votre saison pour l'année suivante n'était nullement garantie. On m'avait dit aussi que cette offre était nette pour un travail de neuf mois, mais pour une rémunération sur neuf mois, ce qui comprenait les congés annuels et les autres sommes engagés au cours des neuf mois. Après vérification auprès de l'assurance-chômage et de Revenu Canada, j'ai appris que je pouvais obtenir des prestations d'assurance-chômage après neuf mois, mais que les sommes que je gagnais comme revenu sur... seraient partiellement reprises par Revenu Canada à la fin de l'année, ce qui m'imposait par le fait même un plafond salarial. [non souligné dans le texte]

LA DÉCISION DU TRIBUNAL

[24]            Le critère que le tribunal a adopté pour savoir si une opération de dotation constituait une nomination aux fins des paragraphes 21(1) et 21(1.1) de la Loi est celui que la juge Dawson avait exposé dans l'affaire Abercrombie c. Canada (Procureur général) (2000), 185 F.T.R. 300 :


¶ 15       Un certain nombre d'arrêts ont porté sur la distinction entre une « affectation » et une « nomination » aux fins du processus d'appel prévu par la LEFP et le REFP. Les arrêts principaux sont Canada (Procureur général) c. Brault, [1987] 2 R.C.S. 489, Doré c. Canada, [1987] 2 R.C.S. 503 et Maslanko c. Canada (Procureur général), précité.

¶ 16       Ces arrêts permettent de conclure que le Comité d'appel aurait dû utiliser les critères juridiques suivants pour déterminer s'il y avait eu une nomination : (i) l'affectation de Mme Wipp était-elle d'une « durée à ce point importante et indéterminée » qu'elle puisse être présumée disposer d'un « net avantage » dans un processus de sélection subséquent?; (ii) y a-t-il eu une modification importante ou substantielle des fonctions exigeant des « qualifications supplémentaires ou particulières » de sorte que « l'affectation » équivalait à un nouveau poste?; et (iii) la mesure de dotation était-elle en fait une tentative du Ministère d'éviter l'application du principe du mérite? [non souligné dans le texte]

[25]            De l'avis du tribunal, aucune des trois catégories définies par la juge Dawson ne s'accordait, eu égard aux circonstances de cette affaire-là, avec la conversion d'un poste « saisonnier » en un poste « à durée indéterminée » .

[26]            Puis le tribunal a relevé (dossier des demandeurs, volume 1, page 42) que, même si le mot « nomination » n'est pas défini dans la Loi, il y avait « des raisons contextuelles de croire qu'une nomination interne à un poste de la fonction publique s'articule autour de la notion de "promotion", en ce sens que les opérations de dotation qui sont sujettes à appel en vertu de l'article 21 de la Loi sont en principe caractérisées, en partie, par la question de savoir si elles constituent des promotions » . Le tribunal a aussi souligné que, selon le Règlement sur l'emploi dans la fonction publique (le Règlement) [traduction] « une promotion repose sur un "taux de rémunération" et non sur une "rémunération absolue" fondée sur le nombre d'heures travaillées au cours d'une année, comme l'on pourrait qualifier approximativement la différence entre un emploi saisonnier et un emploi à temps plein » .


[27]            Le tribunal écrivait ce qui suit, à la page 43 du dossier des demandeurs :

[traduction] Un exemple législatif comportant une promotion est une « nomination intérimaire » selon l'article 1 du Règlement, qui est ainsi définie : « le fait pour un fonctionnaire d'exercer temporairement les fonctions d'un autre poste, dans le cas où l'exercice de ces fonctions aurait constitué une promotion, si ce fonctionnaire avait été nommé à ce poste » . Les nominations intérimaires ainsi définies sont sujettes à appel en vertu de l'article 21, sauf pour les quatre premiers mois d'une nomination intérimaire, en application de l'article 7 du Règlement. Les affectations qui ne comportent aucune promotion peuvent être des nominations uniquement si elles entrent dans les catégories indiquées dans l'affaire Abercrombie c. Procureur général du Canada, susmentionnée. [non souligné dans le texte]

[28]            Le tribunal a examiné diverses autres catégories d'opérations de dotation effectuées dans la fonction publique fédérale, par exemple les transferts. Le tribunal a écrit ce qui suit, à la page 43 du dossier des demandeurs :

[traduction] Les transferts prenant la forme de mutations d'un poste à un autre au sein de la fonction publique ne comportent pas non plus de nominations. Le paragraphe 2(1) de la Loi définit ainsi une mutation : le transfert d'un fonctionnaire à un autre poste. Ce sont les administrateurs généraux des ministères, et non la Commission de la fonction publique, qui ont le droit exclusif de procéder à des mutations vers le ministère ou au sein du ministère (article 34.1 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique), et les mutations sont effectuées selon les modalités fixées par le Conseil du Trésor (paragraphe 34.2(1) de la Loi). La Loi prévoit aussi en fait que les mutations ne peuvent empiéter sur la compétence de la Commission de la fonction publique, et cela par l'effet du paragraphe 34.2(2), ainsi rédigé : « Aucune mutation ne peut avoir pour résultat la promotion du fonctionnaire ou la modification de la durée de ses fonctions [c'est le tribunal qui souligne] » [ailleurs c'est moi qui souligne].


[29]            Le tribunal devait tenir compte de la décision antérieure d'un comité d'appel (1988), rendue par la présidente Anna Ker, dans l'affaire Finch et autres, 87-21-PEN-13J, qui avait jugé que la transformation de postes à temps partiel et à durée indéterminée au sein du Service correctionnel, en des postes à temps plein et à durée indéterminée au sein du même Service constituait une nomination conférant un droit d'appel selon l'article 21. Je cite ici un extrait de la décision rendue par la présidente Ker dans l'affaire Finch, où elle expliquait ce qui suit :

                Je reconnais qu'il n'y a pas une différence si importante et substantielle entre les fonctions exercées par M. Harrison avant la conversion de son poste en un poste à temps plein et celles qu'il exerçait à titre d'employé à temps partiel qu'elle nécessite des qualifications supplémentaires ou particulières et leur évaluation. Je crois cependant que M. Harrison a tiré des avantages importants et substantiels de la conversion de son poste et que ces avantages permettent de reprendre le raisonnement de la Cour suprême du Canada dans les arrêts Brault et Dubois et Doré. La question du salaire est importante. Chaque employé de la fonction publique se préoccupe de son salaire, et M. Harrison a maintenant le droit d'être rémunéré pour 37,5 heures de travail par semaine au lieu de 16 heures de travail par semaine; le maximum de son échelle de traitement est également plus élevé, puisqu'il a droit, à titre d'agent correctionnel à temps plein, aux augmentations d'échelon de salaire dont sont privés les agents à temps partiel. De plus, les avantages sociaux de M. Harrison ont augmenté substantiellement, puisque ses congés annuels, congés de maladie, congés pour obligations familiales, etc., sans parler de ses prestations de pension, ne sont plus calculés proportionnellement à une semaine de travail de 16 heures. Ce sont des faits concrets et, en m'appuyant sur ces faits, je dois conclure que la conversion du poste à temps partiel de M. Harrison en un poste à temps plein constitue une nomination au sens de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique.

En venant à cette conclusion, je remarque que le terme « nomination » n'est défini ni dans la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, ni dans le Règlement sur l'emploi dans la fonction publique. Je remarque également que la Cour d'appel fédérale et la Cour suprême du Canada se sont fondées sur un point commun pour décréter que des sélections désignées comme des mutations (Wilkinson), des classifications (Brault et Dubois) et des affectations intérimaires d'une durée prolongée et indéterminée (Doré) constituaient des nominations et que ces sélections pouvaient faire l'objet d'un appel en vertu de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. Ce point commun est l'adhésion au principe du mérite. Le juge Pratte dit ce qui suit dans l'arrêt Le Procureur général du Canada c. Greaves [1982] 1 C.F. 806, à la page 810 :

J'estime que les exigences du principe du mérite sont toujours les mêmes. Elles ne varient pas selon la méthode de sélection choisie. Ce principe exige que la sélection soit faite « au mérite » , ce qui veut dire, « qu'il faut trouver les personnes les plus aptes à remplir les différents postes de la fonction publique » .

En me fondant sur ces principes et sur les faits qui ont été présentés devant moi, j'en conclus que la conversion du poste de M. Harrison constitue une nomination au sens de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. [non souligné dans l'original]

[30]            Le tribunal a écarté la décision Finch, en affirmant ce qui suit :

[traduction]

                Contrairement aux conclusions de la présidente dans l'affaire Finch et autre..., les avantages financiers d'une conversion des postes saisonniers à durée indéterminée (les postes « à temps partiel » dans les circonstances de l'affaire Finch) en des postes à temps plein et à durée indéterminée n'entrent pas dans le champ du raisonnement suivi par la Cour suprême dans l'affaire Brault et Dubois et dans l'affaire Doré, et n'entrent pas non plus dans l'interprétation élargie du critère juridique exposé dans l'affaire Abercrombie, susmentionnée. La décision du comité d'appel dans l'affaire Finch constitue à mon avis une entorse aux trois circonstances qui, selon les tribunaux, équivalaient à des nominations selon la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. En toute justice, le comité d'appel saisi de l'affaire Finch n'avait été saisi d'aucun argument ni élément de preuve relatif à l'autorité rivale du Conseil du Trésor en matière de conditions d'emploi. [non souligné dans le texte]

[31]            C'est à ce stade de ses motifs que le tribunal s'est penché sur la compétence du Conseil du Trésor. Il s'est exprimé ainsi :

[traduction]

La preuve permet de confirmer le point de vue du ministère selon lequel les conversions contestées sont des aspects qui intéressent les conditions d'emploi et qui, à ce titre, relèvent de la compétence exclusive du Conseil du Trésor.

[32]            Le tribunal s'est ensuite référé aux paragraphes 7(1) et 7(1)e) de la LGFP, ainsi qu'aux alinéas 11(2)e) et i) de cette même Loi, dispositions qui, de l'avis du tribunal, « montrent clairement que les modalités d'emploi relèvent du champ de la Loi » . Plus exactement, le tribunal a cité les alinéas 7(1)e) et 11(2)i), ainsi formulés :


7. (1) Le Conseil du Trésor peut agir au nom du Conseil privé de la Reine pour le Canada à l'égard des questions suivantes :

                              . . .

7. (1) The Treasury Board may act for the Queen's Privy Council for Canada on all matters relating to

                              . . .


e) la gestion du personnel de l'administration publique fédérale, notamment la détermination de ses conditions d'emploi;

(e) personnel management in the public service of Canada, including the determination of the terms and conditions of employment of persons employed therein;

11(2) Sous réserve des seules dispositions de tout texte législatif concernant les pouvoirs et fonctions d'un employeur distinct, le Conseil du Trésor peut, dans l'exercice de ses attributions en matière de gestion du personnel, notamment de relations entre employeur et employés dans la fonction publique :

                              . . .

e) prévoir les primes susceptibles d'être accordées aux personnes employées dans la fonction publique pour les résultats exceptionnels, ou autres réalisations méritoires auxquels elles sont parvenues dans le cadre de leurs fonctions, pour des inventions ou pour des idées pratiques d'amélioration; [c'est le président Giffin qui souligne]

11(2) Subject to the provisions of any enactment respecting the powers and functions of a separate employer but notwithstanding any other provision contained in any enactment, the Treasury Board may, in the exercise of its responsibilities in relation to personnel management including its responsibilities in relation to employer and employee relations in the public service, and without limiting the generality of sections 7 to 10,

                              . . .

(i) provide for such other matters, including terms and conditions of employment not otherwise specifically provided for in this subsection, as the Treasury Board considers necessary for effective personnel management in the public service. [emphasis added by Chairwoman Giffin]


[33]            Le tribunal a exprimé l'avis que l'emploi saisonnier est un élément de telles conditions d'emploi, et il s'est référé au chapitre 8 du Manuel du Conseil du Trésor, qui « s'intéresse aux conditions d'emploi des "saisonniers" » , affirmant en outre que [traduction] « le Conseil du Trésor peut à la fois définir les conditions d'emploi et les présenter pour négociation avec les unités de négociation durant le processus de négociation des conventions collectives » .

[34]            Le tribunal s'est aussi référé à la définition de l'expression « employé saisonnier » , dans la Note d'information du MPO sur la Politique de composition des équipages de la Région des Maritimes (ébauche n ° 5), et le tribunal concluait ainsi, à la page 45 :

[traduction] Somme toute, il est évident que le pouvoir de définir l'emploi saisonnier réside dans la compétence du Conseil du Trésor sur les modalités d'emploi, en application de la Loi sur la gestion des finances publiques. Ce qui distingue l'emploi saisonnier à durée indéterminée de l'emploi à temps plein à durée indéterminée, c'est la durée annuelle de l'emploi, et non pas les différences dans les attributions ou dans les taux de rémunération. Par ailleurs, l'emploi est dans les deux cas d'une durée indéterminée au sein de la fonction publique, et ce sont les mêmes tâches qui sont exécutées. [non souligné dans le texte]

[35]            Le tribunal a résumé l'argument des demandeurs comme un argument selon lequel les nominations résultant des concours antérieurs visant à pourvoir des postes saisonniers avaient perdu leur attribut saisonnier pour devenir en réalité de nouvelles nominations lorsque le ministère avait offert à tous les employés saisonniers à durée indéterminée, de plusieurs niveaux, la possibilité de convertir leur emploi saisonnier en un emploi à temps plein à durée indéterminée. Les demandeurs se fondaient de la sorte sur la décision rendue par la juge Tremblay-Lamer dans l'affaire Fixman et autres c. Procureur général du Canada (1995), 93 F.T.R. 312.

[36]            Le tribunal a résumé ainsi ses conclusions, à la page 47 du dossier des demandeurs, volume 1 :

[traduction]

                La principale différence entre la présente affaire et l'affaire Truong est que les nominations intérimaires et les nominations à durée indéterminée relèvent clairement de la compétence de la Commission de la fonction publique, tandis que les emplois « saisonniers » et « à temps plein » relèvent de la compétence du Conseil du Trésor sur les conditions d'emploi. Aucune nouvelle nomination de facto n'est faite lorsqu'un emploi saisonnier à durée indéterminée est converti en un emploi à temps plein à durée indéterminée. C'est le même poste, au sein du même groupe et au même niveau. Ce n'est pas une promotion : ses taux de rémunération sont restés les mêmes. L'emploi est resté un emploi à durée indéterminée. En d'autres termes, la transformation est l'exercice d'un pouvoir autonome du Conseil du Trésor sur lequel les titulaires n'avaient aucun droit de regard, et ils ne pouvaient espérer avoir directement un quelconque droit de regard sur la durée de leurs nominations sauf peut-être indirectement à la faveur de la négociation d'une convention collective. Les avis de concours concernant les diverses nominations saisonnières à durée indéterminée n'auraient donc pu être rédigés d'une manière plus précise pour les demandeurs. S'ils ont décidé de ne pas se présenter à ces concours, cette décision ne saurait être attribuée à une publicité trompeuse de la part du ministère. [non souligné dans le texte]


ANALYSE

a)         Norme de contrôle

[37]            Comme on le sait, la norme de contrôle appliquée par la Cour à la décision d'un tribunal administratif est régie par le critère pragmatique et fonctionnel établi dans plusieurs précédents par la Cour suprême du Canada.

[38]            Appliquons ce critère à la décision qui nous occupe :

(1)        il n'existe aucune clause privative protégeant la décision du tribunal;

(2)        le tribunal n'a aucune spécialisation relative dans l'interprétation de la Loi (Boucher c. Canada (Procureur général), [2000] A.C.F. n ° 86 (C.A.F.);

(3)        la conclusion du tribunal selon laquelle la conversion n'était pas une nomination est une question de droit (Maslanko c. Canada (Procureur général) (1997), 132 F.T.R. 15); et

(4)        l'objet de la Loi est d'établir la Commission de la fonction publique et de réglementer les nominations à des postes de la fonction publique du Canada, et les décisions du tribunal n'appellent donc aucune retenue judiciaire particulière.

[39]            Je suis d'avis que la décision du tribunal dont il s'agit ici est sujette à révision selon la norme de la décision correcte.

[40]            Cette norme de contrôle a été reconnue dans plusieurs jugements récents de la Cour (voir Abercrombie, précité; Carty c. Procureur général et autres, [2003] C.F. 1338 et Levy c. Canada (Procureur général), [2004] C.F. 262).

b)         Principes

[41]            La Loi a été interprétée par la Cour suprême du Canada, la Cour d'appel fédérale et la Cour fédérale, dans plusieurs précédents. Il en a résulté les principes suivants :

(1)        le principe du mérite est au coeur de toutes les nominations à des postes de la fonction publique du Canada (article 10 de la Loi, et Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Commission de la fonction publique), [1992] 2 C.F. 181, (1re inst.), à la page 185);

(2)        l'application du principe du mérite et le droit d'appel prévu par l'article 21 de la Loi ne peuvent dépendre de la manière dont un ministère désigne telle ou telle opération de dotation (une conversion, un transfert, une affectation) ni de la manière dont il considère ce qu'il a fait comme une opération établissant ou non un poste et nommant quelqu'un à ce poste. « C'est ce que le ministère a objectivement fait et non ce qu'il a, en droit, eu l'intention de faire ou l'interprétation qu'il en avait qui doit déterminer l'application du principe du mérite et du droit d'appel » (Canada (Procureur général) c. Brault, [1987] 2 R.C.S. 489, et Doré c. Canada, [1987] 2 R.C.S. 503);


(3)        l'objet de l'article 21 de la Loi qui confère un droit d'appel aux candidats qui ont échoué à un concours est de garantir l'observation du principe de la sélection fondé sur le mérite. Dans l'affaire Charest c. Canada (Procureur général), [1973] C.F. 1217, le juge Pratte écrivait, à la page 1221 :

                Lorsqu'un candidat malheureux exerce ce droit, il n'attaque pas la décision qui l'a déclaré non qualifié, il appelle, comme le dit l'article 21, de la nomination qui a été faite ou qui est sur le point d'être faite en conséquence du concours. Si l'article 21 prévoit un droit d'appel, ce n'est donc pas pour protéger les droits de l'appelant, c'est pour empêcher qu'une nomination soit faite au mépris du principe de la sélection au mérite. [non souligné dans l'original]

(4)        les tribunaux reconnaissent que les ministères fédéraux disposent d'une marge de liberté lorsqu'ils prennent des décisions de dotation, par exemple lorsqu'ils affectent temporairement un employé de la fonction publique à de nouvelles fonctions, sans que cela donne lieu à l'application du principe du mérite et du droit d'appel (arrêt Doré, précité, à la page 511), ou lorsqu'ils apportent aux fonctions d'un poste existant dans la fonction publique des changements mineurs auxquels le titulaire du poste peut être appelé à se plier, sans qu'il en résulte pour autant un nouveau poste pour lequel doit être faite une nomination sur la base d'une sélection fondée sur le mérite (arrêt Brault, précité, à la page 501).

(5)        cependant, au-delà d'un certain point, les droits des gestionnaires fléchissent devant le principe du mérite et le droit d'appel. Dans l'affaire Lucas c. Canada (Comité d'appel de la Commission de la fonction publique), [1987] 3 C.F. 354, le juge Heald écrivait ce qui suit, à la page 362 :


¶ 8       À mon avis, la présidente a commis une erreur de droit en concluant que pour trancher la question en litige, il ne s'agissait pas de débattre si l'affectation en cause était autorisée en vertu de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique ou de toute autre loi. À mon avis, dans les circonstances de l'espèce, la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique détermine et régit les droits du gestionnaire et du présent requérant en l'espèce.    Selon cette Loi, bien que les nominations à la Fonction publique relèvent de la Commission, elles ne sont faites qu'à la demande du sous-chef, et suivant la méthode de sélection fondée sur le principe du mérite. Ce processus comporte obligatoirement la tenue d'un concours ou le fonctionnement d'un autre mécanisme pour déterminer le mérite des candidats. Ces critères de sélection valent tant pour une nomination intérimaire que permanente [Voir Note 6 ci-dessous]. Les gestionnaires ne peuvent donc faire échec à l'intention évidente du législateur comme elle est exprimée dans la Loi en déclarant, comme en l'espèce, que l'opération de dotation dont il est question dans la Loi n'était pas « censée » constituer une « nomination » . [non souligné dans l'original]

(6)        le principe du mérite « a été conçu pour faire plus que simplement assurer la nomination de personnes qualifiées à des postes de la Fonction publique. Il a pour objet de trouver les personnes les mieux qualifiées parmi celles qui sont disponibles » . (Le juge Le Dain, alors juge de la Cour d'appel fédérale, dans l'affaire Procureur général du Canada c. Greaves, [1982] 1 C.F. 806, à la page 811;

(7)         le juge Le Dain, membre de la Cour d'appel fédérale, dans l'arrêt Bambrough c. Canada (Comité d'appel de la Commission de la fonction publique), [1976] 2 C.F. 109, exposait le point suivant, à la page 115 :

                                10       La Loi confère à la Commission de la Fonction publique le pouvoir et le devoir de nommer à des postes de la Fonction publique les personnes possédant les qualités requises, conformément au principe du mérite. La sélection selon le principe du mérite constitue l'objectif principal de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique et le critère essentiel d'appréciation de l'exercice des pouvoirs conférés par la Loi. On peut considérer que la Loi exige implicitement que la sélection se fasse de manière équitable dans la mesure où cette exigence est nécessairement liée à la sélection établie au mérite, mais les nominations ne devraient pas être annulées pour de prétendues irrégularités de procédure lorsqu'il n'y a aucune raison de croire que le processus de sélection n'était pas fondé sur le mérite.


(8)        Il n'y a pas de catégories fermées, ni de circonstances fixes ou bloquées lorsque l'évaluation du principe du mérite a été fautive. Dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Pearce, [1989] 3 C.F. 272, à la page 280 (C.A.), le juge Mahoney avait rejeté la notion de catégories fermées, en déclarant irrecevable un argument avancé au nom du procureur général du Canada, qui donnait à entendre que, selon l'arrêt Doré, précité, l'unique circonstance pouvant heurter le principe du mérite à l'occasion d'une affectation est le cas où l'affectation dure si longtemps qu'elle devient une nomination. Le juge Mahoney s'était exprimé ainsi : « [i]l me semble que d'autres circonstances, jointes à une affectation, peuvent également violer le principe de la sélection au mérite. Ce principe exige que le candidat le plus apte à occuper un emploi obtienne celui-ci, et cette personne n'est pas nécessairement celle qui est la mieux renseignée sur l'emploi en question » . Selon lui, le comité d'appel n'avait pas commis d'erreur de droit, « quand il a conclu qu'une affectation, jointe à un processus de sélection qui a donné un avantage injuste au bénéficiaire de l'affectation, pouvait nuire à l'application du principe de la sélection au mérite » ;


(9)        il ressort clairement de la jurisprudence que le point de savoir si une opération donnée de dotation contrevient au principe du mérite dépend des circonstances particulières du cas. Par exemple, dans l'arrêt Keenan et autre c. Canada (Commission de la fonction publique), [1989] 3 C.F. 643, à la page 646 (C.A.), le juge Mahoney, se demandant si un détachement était une nomination, avait dit que « [l]a jurisprudence est claire à ce sujet : tous deux peuvent constituer ou non une nomination, selon les circonstances » ; en ajoutant, à propos des décisions Brault, Doré et Lucas, précitées, « ces décisions [montrent] que la question n'est pas réglée et qu'elle dépend grandement des circonstances de chaque cas » . (Voir aussi l'arrêt Roberts c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. n ° 323 (C.A.).)

(10)      Dans l'affaire Fixman, précitée, la juge Tremblay-Lamer reconnaissait l'effet que peut avoir une nomination à court terme sur l'objectif de recruter le meilleur candidat possible, lorsqu'elle écrivait les deux phrases suivantes, au paragraphe 9 de son jugement :

Deuxièmement, plus la prolongation s'éloigne de la nomination temporaire originaire, plus il est possible que la meilleure personne n'occupe pas le poste en question. Il en est ainsi parce que la personne la plus qualifiée a pu ne pas postuler un poste à court terme, mais aurait considéré plutôt une nomination intérimaire à long terme. [non souligné dans le texte]

c)         Application des principes à la présente affaire

[42]            Je suis d'avis que la décision du tribunal doit être annulée parce qu'elle renferme plusieurs erreurs qui rendent la décision incorrecte.


[43]            D'abord, le tribunal a interprété le critère résumé par la juge Dawson dans l'affaire Abercrombie, précitée, en ne l'appliquant qu'à trois circonstances qui excluraient de l'examen l'application du principe du mérite à d'autres opérations de dotation qui ne s'accordaient pas avec le moule établi. Le tribunal a par là commis une erreur.

[44]            À mon avis, le principe du mérite aux nominations à des postes de la fonction publique fédérale est le principe directeur essentiel, voire capital, de la sélection pour des postes de cette fonction publique, et il ne fléchit que devant des dispenses législatives ou réglementaires précises ou, ainsi que le reconnaissait l'arrêt Doré, précité, ce principe entre dans la marge de liberté accordée aux ministères fédéraux lorsqu'ils procèdent à des affectations afin de répondre temporairement à de nouvelles fonctions, ou lorsqu'ils apportent des changements mineurs aux fonctions d'un poste existant.

[45]            L'intention du législateur lorsqu'il a promulgué les articles 10 et 21 de la Loi était de garantir l'application du principe du mérite aux nouvelles situations et nouvelles circonstances comme celles auxquelles nous avons affaire ici.

[46]            Deuxièmement, le tribunal n'a pas approché d'une manière contextuelle la question qu'il devait résoudre. Il ressort clairement de sa décision que sa perspective se limitait à l'incidence immédiate de la conversion d'un poste saisonnier à durée indéterminée en un poste à temps plein à durée indéterminée, pour ce qui concernait les fonctions, le terme, les taux de rémunération et la classification.

[47]            Ce que le tribunal a négligé de faire, c'est de considérer la totalité des circonstances entourant les opérations de dotation pour les postes d'officier et de membre d'équipage au sein de la GCC, ce qui l'obligeait certainement à se demander pourquoi des postes saisonniers avaient été établis en 1996, pourquoi des concours avaient été tenus, qui s'y était présenté, pourquoi les candidats reçus avaient refusé des offres d'emploi saisonnier et quel bond en avant avaient obtenu ceux qui les avaient acceptés. Le dossier est, je le pense, clair sur ces aspects, et il laisse voir en l'espèce que la conversion de postes saisonniers en postes à temps plein à durée indéterminée, et cela sans concours, signifie que le meilleur candidat pour le poste ne sera pas nécessairement choisi. À preuve les candidats reçus qui n'ont pas donné suite aux offres d'emploi saisonnier.

[48]            Troisièmement, le tribunal a commis une erreur en s'en remettant au pouvoir certain du Conseil du Trésor sur les conditions d'emploi pour soustraire la conversion à l'application du principe du mérite. Comme dans l'affaire Lucas, précitée, c'est la Loi sur l'emploi dans la fonction publique et non la LGFP qui régit et détermine les droits de la direction et de ces demandeurs.


[49]            Quatrièmement, le tribunal a commis une erreur en écartant la décision Finch, précitée, lorsqu'il a jugé que « les avantages financiers d'une conversion des postes saisonniers à durée indéterminée en des postes à temps plein à durée indéterminée n'entrent pas dans le champ du raisonnement suivi par la Cour suprême dans l'affaire Brault et Dubois... » Cette approche reflète la notion de circonstances bloquées, notion sur laquelle je me suis déjà exprimé. Je ne vois rien d'ailleurs dans les deux arrêts de la Cour suprême du Canada qui puisse soustraire les avantages financiers au champ du raisonnement suivi par la Cour suprême.

[50]            Cinquièmement, je ne vois aucune disposition, dans la Loi ou dans le Règlement, ni aucun précédent, qui permette au tribunal de dire qu'une « nomination » selon la Loi doit comporter une promotion.

[51]            Finalement, je suis d'avis que la conversion de postes saisonniers à durée indéterminée en postes à temps plein à durée indéterminée dont il est question dans les présents motifs sont des nominations au sens de l'article 21 de la Loi, nominations sur lesquelles le tribunal avait compétence, et chaque demandeur dispose d'un droit d'appel.

[52]            Pour tous ces motifs, cette demande de contrôle judiciaire est accueillie, avec dépens, et une ordonnance est rendue qui annule la décision du tribunal datée du 8 mai 2002. Les appels des demandeurs sont renvoyés au tribunal, à charge pour celui-ci de les étudier au fond et d'une manière conforme aux motifs de la Cour, lesquels comportent l'obligation de procéder aux conversions contestées au moyen de nominations déterminées par concours.

[53]            Je confirme aussi l'ordonnance rendue oralement au début de l'audience, ajoutant Freeman Glen Stevens comme demandeur. Il avait été omis de l'intitulé par erreur.

                                                                           _ François Lemieux _              

                                                                                                     Juge                             

OTTAWA (ONTARIO)

LE 19 MAI 2004

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                     

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N ° DU GREFFE :                                  T-896-02

INTITULÉ :                                           DAVID J. BAUR et autres

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et autres

LIEU DE L'AUDIENCE :                     OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                   LE 22 MARS 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :      LE JUGE LEMIEUX

DATE DES MOTIFS :                          LE 19 MAI 2004

COMPARUTIONS :

ANDREW RAVEN                                                                  POUR LES DEMANDEURS

ELIZABETH RICHARDS                                                       POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

RAVEN, ALLEN, CAMERON & BALLANTYNE                POUR LES DEMANDEURS

OTTAWA (ONTARIO)

MORRIS ROSENBERG                                                          POUR LES DÉFENDEURS

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA


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