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Date: 20020419

Dossier : T-584-01

Référence neutre : 2002 CFPI 454

ENTRE :

                                                              PATRICIA BARBEAU,

                                                                                                                                             demanderesse,

                                                                                   et

                                              PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

                                                       T. MARWITZ et C. OLENIUK,

                                                                                                                                                    défendeurs,

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]                 Il s'agit d'une demande présentée par la demanderesse en vue du contrôle judiciaire de la décision du comité d'appel de la Commission de la fonction publique (ci-après appelée le « comité d'appel » ) datée du 23 février 2001 et rendue à la suite d'un appel déposé par la demanderesse aux termes de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique (ci-après appelée la « Loi » ).


FAITS

[2]                 Le 15 juin 2000, Développement des ressources humaines Canada (DRHC) a donné avis à tous les employés travaillant dans le secteur de direction de Kingston-Pembroke de DRHC (SDKP) de son intention de tenir un concours interne d'une durée déterminée pour le poste de généraliste en ressources humaines et de coordonnateur du programme Appuyer les gens (PE-02).

[3]                 M. Rick Mallory, le gestionnaire de la prestation des services pour le Centre des ressources humaines du Canada (CRHC), a donné avis de la tenue du concours au moyen d'un courriel auquel étaient joints un énoncé de qualités et une description de travail.

[4]                 M. Rick Mallory et Mme Karen Gunn ont rédigé l'énoncé de qualités pour le poste PE-02 et ils étaient aussi membres du comité de sélection établi pour le concours visant ce poste.

[5]                 M. Rick Mallory a envoyé un deuxième courriel pour donner avis d'un énoncé de qualités corrigé où les critères de sélection relatifs à l'expérience étaient libellés différemment. Cette correction n'a eu aucune incidence sur le concours et n'est pas en cause en l'espèce.

[6]                 L'avis d'emploi vacant indiquait que seuls seraient convoqués en entrevue les candidats éventuels qui respectaient les critères minimums relatifs à la formation et à l'expérience.


[7]                 Environ dix (10) jours avant la date limite de présentation des demandes, une candidate éventuelle, Mme Colleen Kelley, a envoyé une demande de renseignements par courriel à deux (2) membres du comité de sélection, M. Rick Mallory et Mme Karen Gunn, afin d'obtenir des éclaircissements au sujet de l'exigence minimale relative à l'expérience.

[8]                 Plus particulièrement, le comité de sélection a informé Mme Colleen Kelley qu'il n'était pas nécessaire que l'expérience des candidats se rapporte à chacun des éléments énumérés ni que cette expérience ait été acquise au sein de DRHC.

[9]                 Ce changement n'a jamais été communiqué officiellement à l'un quelconque des autres candidats; il n'a été communiqué qu'à Mme Colleen Kelley en réponse à sa demande de renseignements.

[10]            En fin de compte, seuls trois (3) personnes ont présenté leur candidature au poste PE-02 : la demanderesse et les défendeurs Marwitz et Oleniuk. Le comité de sélection a jugé que ces trois (3) personnes possédaient les qualités nécessaires en matière d'expérience et les ont admises au concours afin qu'elles soient évaluées en fonction des critères de « connaissances » , de « compétences » et de « qualités personnelles » .

[11]            La demanderesse ne satisfaisait pas aux critères relatifs aux « qualités personnelles » et elle n'a donc pas obtenu le poste.


[12]            Le 6 juillet 2000, la demanderesse a interjeté appel au comité d'appel conformément à l'article 21 de la Loi.

[13]            La demanderesse a présenté plusieurs allégations devant le comité d'appel. Toutefois, ce qui est en cause dans la présente demande est l'allégation selon laquelle le comité de sélection a appliqué une exigence relative à l'expérience moins stricte pour l'admissibilité au poste PE-02 que ce qui était précisé dans l'énoncé de qualités.

[14]            Dans la présente demande, la demanderesse soutient que le président du comité d'appel, M. J.R. Ojalammi (ci-après appelé le « président » ), a commis une erreur de droit en rendant sa décision.

LÉGISLATION PERTINENTE

[15]            Le paragraphe 10(1) de la Loi établit le principe du mérite selon lequel les meilleurs candidats possibles doivent être choisis en vue d'une nomination au sein de la fonction publique fédérale :



10. (1) Les nominations internes ou externes à des postes de la fonction publique se font sur la base d'une sélection fondée sur le mérite, selon ce que détermine la Commission, et à la demande de l'administrateur général intéressé, soit par concours, soit par tout autre mode de sélection du personnel fondé sur le mérite des candidats que la Commission estime le mieux adapté aux intérêts de la fonction publique.

10. (1) Appointments to or from within the Public Service shall be based on selection according to merit, as determined by the Commission, and shall be made by the Commission, at the request of the deputy head concerned, by competition or by such other process of personnel selection designed to establish the merit of candidates as the Commision considers is in the best interests of the Public Service.


[16]            L'article 21 de la Loi prévoit la possibilité d'interjeter un appel à l'égard d'une nomination réelle ou projetée au sein de la fonction publique fédérale :


21. (1) Dans le cas d'une nomination, effective ou imminente, consécutive à un concours interne, tout candidat non reçu peut, dans le délai fixé par règlement de la Commission, en appeler de la nomination devant un comité chargé par elle de faire une enquête, au cours de laquelle l'appelant et l'administrateur général en cause, ou leurs représentants, ont l'occasion de se faire entendre.

21. (1)Where a person is appointed or is about to Be appointed under this Act and the selection of the person for appointment was made by closed competition, every unsuccessful candidate may, within the period provided for by the regulations of the Commission, appeal against the appointment to a board established by the Commission to conduct an inquiry at which the person appealing and the deputy head concerned, or their representatives, shall Be given an opportunity to be heard.


QUESTION EN LITIGE

[17]            Le président a t-il commis une erreur de droit en ne décidant pas s'il était possible que l'interprétation qu'a donnée le comité de sélection aux critères relatifs à l'expérience ait eu une incidence défavorable sur le principe de sélection fondé sur le mérite?

ANALYSE

La norme de contrôle


[18]            La Cour d'appel fédérale a confirmé que le comité d'appel ne possède pas suffisamment de connaissances lui permettant d'interpréter la Loi pour justifier que la Cour fasse preuve de retenue, sauf dans des circonstances particulières. En conséquence, les erreurs de droit, les erreurs de compétence et les exigences du principe du mérite qui soulèvent une question de droit sont toutes susceptibles d'un contrôle en fonction de la norme de la décision correcte. Ce principe a été confirmé dans les décisions suivantes :

[19]            Dans Boucher c. Canada (procureur général), [1998] F.C.J. No 1557 (C.F. 1re inst.), le Juge McKeown a statué ce qui suit :

[paragraphe 7] De nombreux arguments ont été invoqués au sujet de la norme de contrôle à appliquer en l'espèce. À mon avis, en ce qui concerne les conclusions de fait, la norme se trouve à un bout du spectre - c'est-à-dire que la Cour appelée à exercer le contrôle judiciaire doit faire preuve d'énormément de retenue à l'égard de pareilles conclusions. Par contre, les conclusions relatives aux erreurs de droit se trouvent à l'autre bout du spectre et sont traitées avec moins de retenue.

[20]            Ce principe a été confirmé ultérieurement par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Boucher c. Canada (Procureur général), [2000] F.C.J. No 86 (C.A.F.).

[21]            Il a aussi été question de la norme de contrôle applicable dans le cadre d'un appel interjeté en vertu de l'article 21 dans l'arrêt Buttar c. Canada (Procureur général), [2000] F.C.J. No 437 (C.A.F.) où les juges Décary, Sharlow et Malone ont statué ce qui suit :

[paragraphe 17] Le Dr Buttar a cherché à obtenir le contrôle judiciaire de cette décision. Cela soulève une question de droit quant aux exigences relatives au principe du mérite et la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte : Boucher c. Procureur général du Canada, A-699-98, 20 janvier 2000; [2000] F.C.J. No 86.

Application à la présente espèce

[22]            La présente affaire concerne l'interprétation donnée à l'exigence relative à l'expérience qui figure dans l'énoncé de qualités, ce qui soulève une question mixte de fait et de droit. Au paragraphe 32 de son dossier de demande, le défendeur soutient ce qui suit :


[TRADUCTION] Les conclusions de faittirées par un comité d'appel ont droit à un haut degré de retenue, sauf lorsque ces conclusions sont erronées parce qu'elles ont été tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve.

[23]            À l'appui de cet énoncé, le défendeur cite la décision Maassen et al. c. Canada (Procureur général) et al., [2001] F.C.J. No 961 (C.F. 1re inst.) où le juge McKeown a statué ce qui suit :

[paragraphe 14] [...] Selon moi, il s'agit d'une conclusion de fait à l'égard de laquelle je dois faire preuve d'une certaine retenue. La norme de contrôle de la décision du comité d'appel est celle de la décision correcte en ce qui concerne les questions de droit comme l'interprétation de la LEFP. Voir : Boucher c. Canada (Procureur général), [2000] A.C.F. No 86 (C.A.F.). Toutefois, les conclusions de fait tirées par les comités d'appel ont droit au plus haut degré de retenue, sauf si elles sont tirées sans tenir compte de la preuve présentée au comité d'appel. Voir : Canada (Procureur général) c. Rogerville, (1996) 117 F.T.R. 53 (1re inst.).

[24]            Le défendeur cite aussi la décision Lai c. Canada (Procureur général et al., [2001] F.C.J. No 1088 (C.F. 1re inst.), où le juge Blanchard a statué ce qui suit :

[paragraphe 14] En ce qui concerne les erreurs de faits, la norme de contrôle applicable est celle qui est énoncée à l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale. Notre Cour peut accorder une réparation si elle est convaincue que l'office fédéral en question a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire sans tenir compte des éléments dont il disposait.

  

[25]            Par conséquent, il semble que la norme de contrôle applicable en l'espèce soit simplement celle de la décision raisonnable.

Article 21 de la Loi


[26]            L'article 21 de la Loi prévoit le droit d'interjeter appel à l'égard de nominations réelles ou projetées au sein de la fonction publique fédérale découlant d'un concours interne. Cet article vise en partie à s'assurer que les personnes dont la candidature est rejetée ont la possibilité de vérifier si le principe du mérite établi au paragraphe 10(1) de la Loi est respecté à l'égard des sélections en vue d'une nomination au sein de la fonction publique fédérale.

[27]            Les nominations à l'interne au sein de la fonction publique doivent s'appuyer sur la sélection fondée sur le mérite. Dans l'arrêt Bambrough c. Canada (comité d'appel de la Commission de la Fonction publique), [1976] 2 C.F. 109 (C.A.F.) (Ci-après appelé Bambrough], la Cour d'appel fédérale a statué ce qui suit :

[paragraphe 10] La Loi confère à la Commission de la Fonction publique le pouvoir et le devoir de nommer à des postes de la Fonction publique les personnes possédant les qualités requises, conformément au principe du mérite. La sélection selon le principe du mérite constitue l'objectif principal de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique et le critère essentiel d'appréciation de l'exercice des pouvoirs conférés par la Loi. On peut considérer que la Loi exige implicitement que la sélection se fasse de manière équitable dans la mesure où cette exigence est nécessairement liée à la sélection établie au mérite, mais les nominations ne devraient pas être annulées pour de prétendues irrégularités de procédures lorsqu'il n'y a aucune raison de croire que le processus de sélection n'était pas fondé sur le mérite.

L'énoncé de qualités

[28]            L'énoncé de qualités original a été envoyé le 15 juin 2000 :

[TRADUCTION] Expérience en matière de conseils, d'orientation et de services à l'intention des directeurs, de l'équipe de direction et des autres membres du personnel de DRHC liés à la gestion des ressources humaines.

[29]            L'énoncé de qualités a ensuite été corrigé et envoyé de nouveau le 16 juin 2000 :

[TRADUCTION] Expérience en matière de conseils, d'orientation et de services à l'intention des directeurs, de l'équipe de direction et des membres du personnel de DRHC liés à la gestion des ressources humaines et à l'apprentissage, au perfectionnement du personnel et à la formation du personnel.


[30]            L'établissement des qualités inhérentes à un poste relève de la prérogative exclusive du ministère qui propose de créer et de combler un poste. La Commission de la Fonction publique n'a aucun rôle à jouer dans l'établissement de ces qualités. Cette thèse a été confirmée dans Bambrough.

Interprétation de l'énoncé de qualités

[31]            Je conclus que le libellé de l'énoncé de qualités sous-entend que l'expérience doit être obtenue au sein de DRHC : « expérience en matière de conseils, d'orientation et de services à l'intention des administrateurs, de l'équipe de direction et des membres du personnel de DRHC [...] » (non souligné dans l'original).

[32]            Toutefois, dans la série de courriels échangés entre M. Rick Mallory, Mme Karen Gunn et Mme Coleen Kelley, on donne une interprétation différente à l'exigence relative à l'expérience. M. Rick Mallory et Mme Karen Gunn ont tous les deux informé Mme Colleen Kelley que l'expérience pouvait avoir été acquise à l'extérieur de DRHC. Dans un courriel envoyé à Mme Colleen par Mme Karen Gunn Kelley, cette dernière a écrit :

[TRADUCTION] Bonjour Colleen. Nous avons pensé, en travaillant à l'énoncé de qualités pour ce poste, que toute personne qui participe à la préparation de la formation, des plans de cours, qui dispense la formation etc. aux membres du personnel, à l'équipe de direction ou au directeur respecterait les critères relatifs à l'expérience. [...] Et, il n'est pas nécessaire que cette expérience soit propre à DRHC.

(Non souligné dans l'original)


[33]            De plus, dans le courriel que M. Rick Mallory a envoyé à Mme Colleen Kelley, ce dernier écrit :

[TRADUCTION] Lorsque que Karen Gunn et moi-même avons préparé l'énoncé de qualités, nous avons laissé l'exigence relative à l'expérience aussi large que possible, y compris la mention des « ressources humaines » , mais aussi les mentions « apprentissage, perfectionnement du personnel et formation du personnel » , de manière à ce qu'elle « englobe » davantage de personnes. [...]

Il n'y a aucun processus concurrentiel où l'expérience se limite à DRHC; le comité de sélection examinera toujours toute expérience pertinente.

(Non souligné dans l'original)

[34]            Il existe une différence marquante entre les libellés de l'exigence relative à l'expérience qui figure dans l'énoncé de qualités et l'interprétation qu'en ont faite M. Rick Mallory et Mme Karen Gunn dans leurs courriels où ils mentionnent que l'expérience obtenue à l'extérieur du DRHC serait acceptable.

[35]            À cet égard, le comité d'appel a déclaré :

[TRADUCTION] [...] Vu cette réponse et le fait que les activités précisées dans l'exigence relative à l'expérience sont plutôt de nature générique, l'application du jugement Brown m'amène à conclure qu'un candidat n'aurait pas été éliminé de ce concours juste parce qu'il n'avait pas acquis son expérience au sein du DRHC. Pour dire les choses simplement, je ne vois aucune différence entre l'expérience que posséderait un candidat s'il l'avait obtenue dans un ministère autre que DRHC plutôt qu'à DRHC même.

(Non souligné dans l'original)

[36]            La demanderesse allègue que l'information concernant l'exigence de l'expérience obtenue à l'extérieur de DRHC n'a été officiellement communiquée qu'à un seul candidat et que ce manque de communication mine le principe du mérite. Je souscris à l'argument de la demanderesse.


[37]            J'estime que la différence marquante entre le libellé de l'énoncé de qualités et l'interprétation qui en a été faite dans l'échange de courriels a vicié dès le début le processus de concours.

Les personnes qui ont rédigé l'énoncé de qualités étaient aussi membres du comité de sélection.

  

[38]            En l'espèce, les personnes qui ont rédigé l'énoncé de qualités, soit M. Rick Mallory et Mme Karen Gunn, faisaient aussi partie du comité de sélection.

[39]            Ce fait ressort clairement des courriels qu'ont écrits M. Rick Mallory et Mme Karen Gunn à Mme Colleen Kelley, lesquels ont été reproduits ci-dessus et qui se trouvent tous les deux aux pages 68 et 69 du dossier de demande de la demanderesse (Volume I de III). À titre d'exemple, à la page 68, Mme Karen Gunn écrit ce qui suit :

[TRADUCTION]Nous avons pensé, en préparant l'énoncé de qualités pour ce poste, que [...]

(Non souligné dans l'original)

[40]            À la page 69, M. Rick Mallory écrit ce qui suit :

[TRADUCTION][...] Lorsque Mme Karen Gunn et moi-même avons préparé l'énoncé de qualités [...]

(Non souligné dans l'original)


[41]            Les mêmes personnes, soit M. Rick Mallory et Mme Karen Gunn, ont donc participé à deux (2) étapes importantes et essentielles du concours; plus particulièrement, ils ont rédigé l'énoncé de qualités et ils faisaient partie du comité de sélection.

[42]            Dans un monde idéal, d'autres personnes que celles qui faisaient partie du comité de sélection auraient rédigé l'énoncé de qualités. Étant donné que ce n'est pas le cas en l'espèce, le moins auquel on puisse s'attendre est que les exigences écrites dans l'énoncé de qualités soient appliquées et interprétées de la même manière par les mêmes personnes qui l'ont rédigé. Toutefois, cela n'a pas été le cas. M. Rick Mallory et Mme Karen Gunn ont donné à Mme Colleen Kelley une interprétation très différente de ce qui figurait dans l'énoncé de qualités et ont ainsi jeté l'ombre d'un doute sur le concours.

Le comité de sélection


[43]            Le comité de sélection est le moyen qu'utilise la Commission de la Fonction publique pour s'acquitter de sa tâche de choisir des candidats d'après le mérite. Son rôle consiste à évaluer les candidats et à choisir ceux qu'elle estime les plus compétents pour le poste en cause selon le principe du mérite. Après avoir examiné et étudié les demandes des candidats, le comité de sélection doit examiner les autres documents et effectuer les examens, les tests, les entrevues et les enquêtes qu'il juge nécessaires ou souhaitables, choisir les candidats qui sont admissibles au poste et inscrire leurs noms sur une liste d'admissibilité par ordre de mérite, et ce, conformément aux articles 16 et 17 de la Loi. Un comité de sélection n'a pas le pouvoir d'établir des qualités pour un poste ni de les changer; toutefois, il peut expliciter les exigences que dénotent les qualités originales, conformément à l'arrêt Bambrough.

[44]            La demanderesse allègue que le comité de sélection a commis une erreur en élargissant indûment la qualité relative à l'expérience et en ne communiquant pas ce changement aux candidats éventuels. Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Asselin, [1999] F.C.J. No 1572 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a statué ce qui suit :

[paragraphe 11] Il appert, à première vue, que le pouvoir de révision que confère l'article 12.1 et dont nous avons plus haut décrit les paramètres, est un pouvoir qui doit être exercé par la Commission avant qu'un concours donné ne soit complété. Le procureur de la Commission nous a souligné que l'article 12.1 pouvait trouver application indépendamment de la tenue d'un concours particulier puisqu'il permet de réviser les qualifications établies pour « telle catégorie de poste » . Quand bien même cela serait, il n'en reste pas moins qu'à l'égard d'un « poste » en particulier, il est impensable que le pouvoir de révision soit exercé pendant la tenue du concours au détriment des candidats en lice ou de ceux qui ont été écartés ou ne se sont pas présentés en raison d'une qualification que la Commission voudrait maintenant réviser. La Commission devrait très certainement recommencer le processus de sélection ou l'ajuster en conséquence dès lors qu'elle changerait en cours de route les règles du jeu.    

(Non souligné dans l'original)

  

[45]            Je conclus qu'étant donné que l'exigence relative à l'expérience qui figure dans l'énoncé de qualités a été interprétée différemment par M. Rick Mallory et Mme Karen Gunn dans leur échange de courriels avec Mme Colleen Kelley, tout le concours était entaché.


Interprétation du comité de sélection

[46]            Pour la demanderesse, l'information communiquée à Mme Colleen Kelley a eu pour effet d'exclure du concours des candidats éventuels. Je suis d'accord avec la demanderesse sur ce point.

[47]            L'aveu de M. Rick Mallory dans son courriel qui se trouve à la page 69 du dossier de demande de la demanderesse (Volume I de III), et qui souligne qu'il y a eu confusion à l'égard de l'exigence relative à l'expérience telle qu'elle figure dans l'énoncé de qualités, fait ressortir davantage ce fait :

[TRADUCTION] P.S. Auriez-vous objection à ce que je fasse part de vos questions et mes réponses à tous les membres du personnel?

[48]            C'est cette confusion qui a mené à une interprétation différente du libellé de l'énoncé de qualités.

Le comité d'appel


[49]            Il est bien reconnu que lorsqu'un candidat non retenu exerce son droit d'appel en vertu de l'article 21 de la Loi, la question fondamentale n'est pas la protection des droits de l'appelant, mais plutôt le fait d'empêcher une nomination qui contrevient au principe du mérite. Il incombe par conséquent au comité d'appel d'exposer et de corriger les erreurs commises dans l'application des normes et des modes d'évaluation qui ont pour effet de miner le principe de la sélection fondée sur le mérite.

[50]            En l'espèce, le comité d'appel a tenté de bonne foi de rectifier une situation embrouillée. Toutefois, il est impossible de redresser un tort qui s'est produit si tôt dans le processus de concours.

[51]            Le comité d'appel a jugé que l'énoncé de qualités était empli de redondances et de généralités, ce qui confirme le fait qu'il a suscité une grande confusion. Par exemple, à la page 7 de sa décision, le comité d'appel écrit ce qui suit :

[TRADUCTION] Le libellé de l'exigence relative à l'expérience est redondant aussi lorsqu'il mentionne les « directeurs » et la « direction » . Un directeur est un gestionnaire et il fait donc partie de la direction.

[52]            Aussi, à la page 8 de sa décision, le comité d'appel déclare ce qui suit :

[TRADUCTION] Dans ce texte, les redondances sont nombreuses. Apprentissage et formation, tel qu'employés dans ce texte, sont presque des synonymes et le perfectionnement des membres du personnel concerne l'apprentissage et la formation.

Interprétation des mots « et » et « ou »

[53]            L'énoncé de qualités renferme le mot « et » , qui est répété trois (3) fois :

[TRADUCTION] Expérience en matière de conseils, d'orientation et de services à l'intention des directeurs, de l'équipe de direction et des membres du personnel de DRHC liés à la gestion des ressources humaines et à l'apprentissage, au perfectionnement du personnel et à la formation du personnel.

(Non souligné dans l'original)


[54]            Toutefois, il semble qu'il subsiste encore de la confusion parce que le mot « et » a été interprété par Mme Karen Gunn comme s'il signifiait « ou » , ce qui ressort clairement de l'échange de courriels entre Mme Karen Gunn et Mme Colleen Kelley.

[55]            À la page 68 du dossier de demande de la demanderesse (Volume I de III), on lit ce qui suit dans le courriel que Mme Karen Gunn a envoyé à Mme Colleen Kelley :

[TRADUCTION] Bonjour Colleen. Nous avons pensé, en travaillant à l'énoncé de qualités pour ce poste, que toute personne qui participe à la préparation de la formation, des plans de cours, qui dispense la formation etc. aux membres du personnel, à l'équipe de direction ou au directeur respecterait les critères relatifs à l'expérience. Je ne crois pas que beaucoup de membres du personnel aient une expérience connexe semblable . [...]

(Non souligné dans l'original)

[56]            À la page 68 du dossier de demande de la demanderesse (Volume I de III), on peut aussi lire ce qui suit dans le courriel de réponse de Mme Colleen Kelley à Mme Karen Gunn :

[TRADUCTION] Merci Karen,

Je trouve encore qu'il s'agit d'un énoncé très confus. Il indique que cette personne doit avoir dispensé cette expérience à des directeurs, des équipes de direction et non ou [sic] aux membres du personnel. Cela me semble vouloir dire que pour être admissible à poser sa candidature, la personne doit avoir entretenu certains rapports avec le directeur de l'équipe de direction au sujet de questions liées à la gestion des ressources humaines. Pouvez-vous préciser.[...]

[57]            Afin d'éclaircir le sens de ces mots, je reproduis les définitions des mots « and » et « or » tirés du Oxford English Dictionary On-ligne :

[TRADUCTION]Et, conj. De relation logique : À côté de, en outre, avec, en plus de. [...] Simplement connecteur.

Ou, adv. Comme comparatif.


[58]            Le comité d'appel a commenté la substitution des mots « et » et « ou » comme suit au paragraphe 21 de la page 17 de sa décision :

[TRADUCTION] L'appelante prétend que le comité de sélection a ignoré les mots « et » figurant dans l'exigence relative à l'expérience et qu'il semble les avoir traités comme s'il s'agissait du mot « ou » . Étant donné les redondances et les généralités dans le texte portant sur l'exigence relative à l'expérience, les distinctions qui existent normalement entre les mots « et » et « ou » perdent leur signification dans ce texte.

[59]            Toutefois, c'est dans le paragraphe suivant de la décision que le comité d'appel a interprété erronément l'énoncé de qualités. Au paragraphe 22, à la page 17, on lit ce qui suit :

[TRADUCTION] D'après l'analyse de l'exigence relative à l'expérience susmentionnée tel que rédigée dans l'énoncé de qualités, je conclus que cette exigence ne visait que des candidats qui possèdent une expérience de la prestation d'un service lié à la gestion des ressources humaines à l'intention de la direction et des membres du personnel.

[60]            Cette interprétation de l'exigence relative à l'expérience est erronée et justifie l'intervention de notre Cour.

[61]            Dans sa conclusion, le comité d'appel a jugé que le comité de sélection n'avait pas modifié ni élargi l'exigence relative à l'expérience. À son avis, le comité de sélection a tout simplement interprété raisonnablement et appliqué le libellé large de l'énoncé de qualités. Au début de la page 9 de sa décision, le comité d'appel dit ce qui suit :

[TRADUCTION] À partir de cette conclusion, il s'ensuit naturellement que les méthodes retenues par le comité de sélection n'était pas un élargissement de l'exigence relative à l'expérience figurant dans l'énoncé de qualités, mais plutôt une simple interprétation de cette exigence. En conséquence, la première allégation est rejetée.


[62]            Je ne peux souscrire à ce raisonnement. Vu ce qui précède, je conclus qu'une différence importante s'est établie entre ce qui a été écrit dans l'exigence relative à l'expérience de l'énoncé de qualités et dans les courriels qui l'interprétaient différemment. Une erreur a été commise dès le début, et cela a vicié tout le processus de concours. Par conséquent, le comité d'appel, en toute innocence, a lui aussi commis une erreur.

[63]            Il est difficile d'imaginer que les mêmes personnes qui ont rédigé l'énoncé de qualités puissent l'interpréter d'une manière aussi différente. Une telle situation doit être corrigée pour préserver la transparence du processus de concours. Il est donc justifié que la Cour intervienne.

                                                               O R D O N N A N C E

[64]            En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie;

-          La décision du comité d'appel rendue le 23 février 2001 est annulée;

-          La question est renvoyée au comité d'appel pour un nouvel examen conformément à la présente ordonnance;

-          La demanderesse a droit à ses dépens.

  

Pierre Blais                                          

Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 19 avril 2002

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                    AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            T-584-01

INTITULÉ :                                           PATRICIA BARBEAU c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET AUTRES

LIEU DE L'AUDIENCE :                   OTTAWA

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE 15 AVRIL 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS :                        LE 19 AVRIL 2002

COMPARUTIONS :

Me DAVID YAZBECK                                                                POUR LA DEMANDERESSE

Me SANDERSON GRAHAM                                        POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

RAVEN, ALLEN, CAMERON & BALLANTYNE                  POUR LA DEMANDERESSE

Ottawa (Ontario)                                                 

MORRIS ROSENBERG                                                              POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur général du Canada

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