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Date : 20010822

Dossier : T-1063-98

Référence neutre: 2001 CFPI 932

Entre :

                                                 JEAN ÉDOUARD CONILLE

                                                                                                                         Demandeur

                                                                    - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                            Défendeur

                                              MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

Introduction

[1]                Le 18 janvier 2000, le demandeur, Jean Conille, citoyen d'Haïti et résident permanent du Canada depuis 1973, dépose une requête en vertu de l'alinéa 467(2) des Règles de la Cour fédérale, 1998 (les « Règles » ), visant l'obtention d'une ordonnance citant le défendeur pour répondre à une accusation d'outrage au tribunal reliée à un mandamus émis par le juge Tremblay-Lamer le 30 octobre 1998. Par requête amendée le 19 février 2001, le demandeur précise que l'ordonnance recherchée par lui vise six fonctionnaires du gouvernement du Canada.


[2]                Le 9 mars 2001, le juge Blais ordonne que M. Roger Payette, à l'époque analyste de la Section du règlement des cas du Ministère de la citoyenneté et de l'immigration ( « CIC » ), et Me Pascale-Catherine Guay, avocate au Ministère de la Justice du Canada ( « Justice Canada » ), comparaissent devant la Cour lundi, le 2 avril 2001(subséquemment fixé pour audition le 23 avril 2001) et d'être prêts à entendre la preuve de l'acte reproché et à présenter une défense.

[3]                À l'ouverture de l'audition le 23 avril 2001, le procureur du défendeur, par requête orale, demande l'arrêt des procédures au motif de la non-divulgation par le demandeur de certains renseignements exigés de lui.

Questions en litige

[4]                Les questions soulevées en l'espèce sont de savoir: premièrement, si les exigences de la Cour suprême du Canada en matière de divulgation du ministère public s'applique en matière d'outrage au tribunal prescrit par les Règles; et, deuxièmement, si l'arrêt des procédures est un remède approprié selon l'article 24 de la Chartre des droits et libertés (la « Chartre » ). Subsidiairement, le demandeur demande l'approbation de la Cour, selon la règle 41, que soient délivrés des subpoenas pour contraindre six personnes impliquées dans le dossier de M. Conille à comparaître.


Les faits

[5]                Le demandeur est à la recherche de la citoyenneté canadienne depuis 1991. Une première demande lui est refusée puisqu'il n'a pas les trois années de résidence requises. En 1988, il avait plaidé coupable d'un acte criminel soit « causer la mort par négligence criminelle » . Il reçoit une sentence suspendue et une probation de trois ans qui interrompe sa période de résidence.

[6]                M. Conille dépose une nouvelle demande de citoyenneté le 2 août 1995. Il est sans réponse en 1998 et décide de déposer une demande de mandamus. Afin de contrecarrer la demande de mandamus, M. Payette, au soutien du défendeur, dépose le 22 juin 1998 un affidavit dans laquelle il déclare:

1.         que le 7 décembre 1995, il avait envoyé une lettre au Directeur général adjoint du Service canadien du renseignement de sécurité (le « SCRS » ), l'informant que la demande de citoyenneté présentée par le demandeur, le 2 août 1995, ne serait tranchée que suite à l'autorisation du SCRS;

2.         qu'il avait été informé par les représentants du SCRS que la dossier du demandeur était toujours à l'étude et qu'à ce jour, le 22 juin 1998, le SCRS n'avait jamais donné son autorisation relativement à cette demande;

3.         que la demande de citoyenneté du demandeur ne pourrait être étudiée davantage tant et aussi longtemps que le SCRS n'aurait pas donné son autorisation à ce propos.


[7]                M. Payette est contre-interrogé sur son affidavit le 24 juillet 1998. Me Pascale-Catherine Guay représente le défendeur durant le contre-interrogatoire. Le dossier du défendeur est déposé le 2 septembre 1998. Dans celui-ci, le défendeur rappelle à la Cour qu'une enquête auprès du SCRS que la personne demandant la citoyenneté n'est pas susceptible de se voir refuser l'attribution de la citoyenneté par le gouverneur en conseil aux termes de l'article 20 de la Loi sur la citoyenneté, est une exigence de cette Loi. Le défendeur, s'appuyant sur l'affidavit de M. Payette, dit que l'étude du dossier du demandeur ne pourrait pas avancer tant et aussi longtemps que le SCRS n'aurait pas fourni au défendeur ce rapport d'enquête et qu'en conséquence, le demandeur n'a pas justifié l'octroi d'un mandamus en sa faveur.

[8]                Le 30 octobre 1998, le juge Tremblay-Lamer accueille la demande de contrôle judiciaire déposée par M. Conille. Elle ordonne ceci:

Le greffier doit informer le SCRS qu'à défaut de justifier la poursuite de l'enquête, dans les meilleurs délais que le greffier jugera appropriés, celle-ci sera considérée close.

Si des motifs sérieux justifient la poursuite de l'enquête, le greffier doit alors informer le demandeur que l'enquête se poursuit et que le traitement de sa demande est suspendu jusqu'à la fin de l'enquête.

En l'absence de motifs sérieux ou d'une réponse, le greffier, se fondant sur la présomption que l'enquête est close, doit acheminer la demande auprès d'un juge de la citoyenneté pour qu'il en soit saisi et statue au fond sur la demande.


[9]                À l'appui de sa requête devant le juge Blais, le demandeur prétend que M. Payette a sciemment induit le juge Tremblay-Lamer en erreur, puisque depuis au moins le 14 juillet 1998, il avait écrit par courriel à Diane Desrosiers qu'il venait de recevoir un « clearance » du SCRS.

[10]            En citant M. Payette de répondre à une accusation d'outrage au tribunal, le juge Blais, dans sa décision du 9 mars 2001, A.C.F. 331, écrit aux paragraphes 36 et 37:

Il m'apparaît que le comportement M. Roger Payette et de sa façon particulière d'éviter de répondre directement aux questions qui lui étaient posées le 24 juillet 1998 peuvent être considérés prima facie comme étant une façon d'entraver la bonne administration de la justice.

J'en conclus que les intérêts de la justice seraient bien servis en citant M. Roger Payette à comparaître devant la Cour, le lundi, 2 avril, 2001, à 9h30, au 30, rue McGill, Montréal, Québec, et d'être prêt à entendre la preuve de l'acte qui lui est reproché, soit d'avoir délibérément caché des informations à la Cour en ne répondant pas correctement aux questions lors de l'interrogatoire sur l'affidavit tenu le 24 juillet 1998 et en ne prenant pas les dispositions nécessaires pour s'assurer que les informations contenues dans un affidavit signé le 22 juin 1998 soient modifiées et rendues conformes aux faits avant d'être soumises à la Cour, ce qui constitue une façon d'entraver la bonne administration de la justice. M. Roger Payette devrait également être prêt à présenter une défense, le tout conforme aux dispositions des règles 466 et 467 des Règles de la Cour fédérale, 1998. [Je souligne]

[11]            En citant Me Pascale-Catherine Guay, le juge Blais écrit ce qui suit au paragraphe 50:


En conséquence, la Cour enjoint Me Pascale-Catherine Guay de comparaître à la Cour fédérale du Canada [...] À ce moment, Me Pascale-Catherine Guay devrait être prête à entendre la preuve de l'acte qui lui est reproché, soit de n'avoir pas pris les dispositions nécessaires pour s'assurer que tous les faits pertinents, et à sa connaissance, soient portés à la connaissance de Madame le juge Tremblay-Lamer avant l'audition du 15 octobre 1998, ce qui constitue une façon d'entraver la bonne administration de la justice. Me Pascale-Catherine Guay devrait être prête à la même occasion de présenter une défense, le tout conforme aux dispositions des règles 466 et 467 des Règles de la Cour fédérale, 1998. [Je souligne]

[12]            Le 10 avril 2001, Me Bruno Pateras, représentant le Ministère, écrit la lettre suivante à Me Jean-Ernest Pierre, agissant pour M. Conille:

La comparution de nos clients étant fixée au 23 avril 2001, nous vous demandons formellement par les présentes de nous fournir, conformément à votre devoir de divulgation prévu dans la Chartre canadienne des droits et libertés, les renseignements suivants:

-              le nom des témoins que vous présenterez devant la Cour;

-               copie de toute déclaration antérieure, interrogatoire, témoignage ou à défaut, un « will-say statement » de leur témoignage;

-               copie de toute documentation que vous détenez et qui est pertinente au litige.

Vous comprendrez qu'il est essentiel que nous obtenions ces renseignements le plus tôt possible pour fins de préparation. Nous vous demandons donc de nous les faire parvenir pour le 17 avril 2001.

[13]            Le 18 avril 2001, Me Pierre écrit à Me Pateras ce qui suit:

Tel que demandé, je vous fais parvenir la liste des témoins que je compte présenter à l'audition de la cause citée en titre le 23 avril 2001 prochain. Il s'agit de: Pierre Briand, Diane Elmquist, Mary Eng, Diane Desrosiers, Rosemarie Redden, Jacqueline Gautreau, Jean-Edouard Conille.

En incluant le dossier de réponse produit par Me Pascale-Catherine Guay, toute la preuve documentaire pertinente au litige est déjà en votre possession.

Législation

[14]            Les règles 466 à 470 établissent un code régissant l'outrage au tribunal et elles se lisent comme suit:




466.      Sous réserve de la règle 467, est coupable d'outrage au tribunal quiconque:

a) étant présent à une audience de la Cour, ne se comporte pas avec respect, ne garde pas le silence ou manifeste son approbation ou sa désapprobation du déroulement de l'instance;

b) désobéir à un moyen de contrainte ou à une ordonnance de la Cour;

c) agir de façon à entraver la bonne administration de la justice ou à porter atteinte à l'autorité ou à la dignité de la Cour;

d) étant un fonctionnaire de la Cour, n'accomplit pas ses fonctions;

e) étant un shérif ou un huissier, n'exécute pas immédiatement un bref ou ne dresse pas le procès-verbal d'exécution, ou enfreint une règle dont la violation le rend passible d'une peine.

467.      (1) Sous réserve de la règle 468, avant qu'une personne puisse être reconnue coupable d'outrage au tribunal, une ordonnance rendue sur requête d'une personne ayant un intérêt dans l'instance ou sur l'initiative de la Cour, doit lui être signifiée. Cette ordonnance lui enjoint:

a) de comparaître devant un juge aux date, heure et lieu précisés;

b) d'être prête à entendre la preuve de l'acte qui lui est reproché, dont une description suffisamment détaillée est donnée pour lui permettre de connaître la nature des accusations portées contre elle;

c) d'être prête à présenter une défense.

(2) Une requête peut être présentée ex parte pour obtenir l'ordonnance visée au paragraphe (1).

(3) La Cour peut rendre l'ordonnance visée au paragraphe (1) si elle est d'avis qu'il existe une preuve prima facie de l'outrage reproché.

(4) Sauf ordonnance contraire de la Cour, l'ordonnance visée au paragraphe (1) et les documents à l'appui sont signifiés à personne.

468.      En cas d'urgence, une personne peut être reconnue coupable d'outrage au tribunal pour un acte commis en présence d'un juge et condamnée sur-le-champ, pourvu qu'on lui ait demandé de justifier son comportement.

469.      La déclaration de culpabilité dans le cas d'outrage au tribunal est fondée sur une preuve hors de tout doute raisonnable.

470.      (1) Sauf directives contraires de la Cour, les témoignages dans le cadre d'une requête pour une ordonnance d'outrage au tribunal, sauf celle visée au paragraphe 467(1), sont donnés oralement.

(2) La personne à qui l'outrage au tribunal est reproché ne peut être contrainte à témoigner.

   [Je souligne]

466.      Subject to rule 467, a person is guilty of contempt of Court who:

(a) at a hearing fails to maintain a respectful attitude, remain silent or refrain from showing approval or disapproval of the proceeding;

(b) disobeys a process or order of the Court;

(c) acts in such a way as to interfere with the orderly administration of justice, or to impair the authority or dignity of the Court;

(d) is an officer of the Court and fails to perform his or her duty; or

(e) is a sheriff or bailiff and does not execute a writ forthwith or does not make a return thereof or, in executing it, infringes a rule the contravention of which renders the sheriff or bailiff liable to a penalty.

467.      (1) Subject to rule 468, before a person may be found in contempt of Court, the person alleged to be in contempt shall be served with an order, make on the motion of a person who has an interest in the proceeding or at the Court's own initiative, requiring the person alleged to be in contempt

(a) to appear before a judge at a time and place stipulated in the order;

(b) to be prepared to hear proof of the act with which the person is charged, which shall be described in the order with sufficient particularity to enable the person to know the nature of the case against the person; and

(c) to be prepared to present any defence that the person may have

(2) A motion for an order under subsection (1) may be made ex parte.

(3) An order may be made under subsection (1) if the Court is satisfied that there is a prima facie case that contempt has been committed.

(4) An order under subsection (1) shall be personally served, together with any supporting documents, unless otherwise ordered by the Court.

468.      In a case of urgency, a person may be found in contempt of Court for an act committed in the presence of a judge and condemned at once, if the person has been called on to justify his or her behaviour.

469.      A finding of contempt shall be based on proof beyond a reasonable doubt.

470.      (1) Unless the Court directs otherwise, evidence on a motion for a contempt order, other than an order under subsection 467(1), shall be oral;

(2) A person alleged to be in contempt may not be compelled to testify.


Analyse

a) Obligation de divulgation:

[15]            Je n'ai pas l'intention de m'attarder longuement sur l'obligation de divulgation en matière d'outrage au tribunal prévu par les Règles dont le processus est déclenché par une ordonnance, souvent obtenue ex parte par requête d'une partie ayant un intérêt dans l'instance, enjoignant la personne visée de comparaître devant un juge et d'être prête à entendre la preuve de l'acte qui lui est reproché, dont une description suffisamment détaillée est donnée pour lui permettre de connaître la nature des accusations portées contre elle et aussi d'être prête à présenter une défense.


[16]            L'arrêt Bhatnager c. Canada (Ministre de l'emploi et de l'immigration), [1990] 2 R.C.S. 217 à la page 224 établit les principes suivants en matière d'outrage au tribunal selon les Règles:

1) une allégation d'outrage au tribunal a une dimension criminelle (ou du moins quasi criminelle);

2) il est nécessaire que les éléments constitutifs de l'outrage soient liés aux personnes citées et soient prouvés hors de tout doute raisonnable;

3) la partie qui allègue l'outrage doit démontrer une connaissance réelle de la part de l'auteur de l'outrage allégé;

4) compte tenu de la prémisse que la responsabilité en matière d'outrage au tribunal est essentiellement une responsabilité criminelle, la responsabilité du fait d'autrui étant inconnu au droit criminel n'a aucune implication en matière d'outrage au tribunal.


[17]            Dans l'arrêt R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326, la Cour suprême du Canada, dans le contexte d'actes criminels régis par le Code criminel, décide que le ministère public est tenu en droit de divulguer à la défense tous les renseignements pertinents, aussi bien ceux que le ministère public entend produire en preuve que ceux qu'il n'a pas l'intention de produire, peu importe qu'ils constituent une preuve inculpatoire ou bien disculpatoire. Toute déclaration obtenue de personnes qui ont fourni des renseignements pertinents aux autorités devrait être produite, même si le ministère public n'a pas l'intention de citer ces personnes comme témoin à charge. Lorsqu'il n'existe pas de déclarations, il faut produire d'autres renseignements tels que des notes. En l'absence de notes, il faut communiquer un énoncé de ce qu'on « va dire » , lequel énoncé résume la déposition prévue du témoin et est établi à partir des renseignements dont dispose le ministère public: voir la page 344.

[18]            La Cour suprême du Canada reconnaît que les principes généraux mentionnés dans les motifs de jugement dans la cause Stinchcombe sont formulés dans le contexte des actes criminels. M. le juge Sopinka, au nom de la Cour, à la page 342, poursuit son analyse lorsqu'il s'agit d'autres infractions:

[...] Bien que l'on puisse soutenir que l'obligation de divulguer s'applique à toutes les infractions, il se peut que plusieurs des facteurs que j'ai examiné à fond ne s'appliquent pas du tout ou que leur effet soit moindre dans les cas des infractions punissables sur déclaration sommaire de culpabilité. De plus, le contenu du droit de présenter une défense pleine et entière, qui est consacré à l'article 7 de la Chartre, peut être de nature plus limitée. [...] En attendant qu'une décision soit rendue sur cette question, il ne fait pas de doute que la divulgation volontaire, qui se fait grâce à la collaboration du substitut du procureur général, se poursuivra.


[19]            En tant que principe général, je reconnais qu'en matière d'outrage au tribunal dont la nature est essentiellement pénale, un demandeur qui a obtenu une ordonnance de la Cour en vertu de l'alinéa 467(1) des Règles, enjoignant une personne de comparaître devant la Cour pour entendre la preuve de l'acte qui lui est reproché et d'être prête à se défendre, a une obligation de communiquer sa preuve à la défense, tel que le prétend M. Pateras. Cependant, tel que l'a apprécié la Cour suprême du Canada dans Stinchcombe, pré-cité, la nature et l'étendue de cette divulgation ne peuvent être réglées que dans le contexte de situations concrètes et selon le schéma prévu par les Règles.

[20]            Deux exemples suffisent:

1. En l'espèce, la nature et l'étendue de l'obligation du demandeur de divulguer sa preuve d'après la « common law » est circonscrite par: (1) la preuve dévoilée dans la requête qu'il a présentée pour obtenir une ordonnance de comparution, et; (2) la définition du juge de la requête pour citation de l'acte reproché avec description détaillée, et de l'obligation du demandeur, sauf disposition contraire de la Cour en vertu de l'alinéa 467(4), de signifier avec l'ordonnance de comparution les documents à l'appui. Dans un cas particulier, les Règles de la Cour en matière de divulgation répondront, semble-t-il, largement aux exigences de l'arrêt Stinchcombe, pré-cité.


2. Un problème particulier peut se produire avec les témoins. En l'espèce, le demandeur doit sans doute (à moins qu'elle ne soit admise par le défendeur) faire preuve des documents sur lesquels il s'appuie pour obtenir une condamnation d'outrage au tribunal. Le demandeur (et c'est vraisemblablement le cas ici) n'a aucune déclaration des auteurs de ces documents et doit demander un subpoena pour les contraindre à témoigner pour en faire preuve. Il pourrait ne pas être en possibilité de fournir des « va dire » .

[21]            Ce sera au juge sur le fond de décider dans un contexte précis si les exigences de divulgation en l'espèce ont été respectées. J'encourage le demandeur, par divulgation volontaire, de répondre d'une façon plus complète qu'il ne l'a fait à la demande de divulgation du 10 avril 2001 soumise par Me Pateras.

b) Arrêt des procédures:

[22]            La Cour suprême du Canada, dans l'arrêt R. c. Dixon, [1998] 1 R.C.S. 244, énonce à la page 264 que l'accusé qui établit que l'omission de divulguer au ministère public a porté atteinte à son droit à une défense pleine et entière a droit à une réparation fondée sur le paragraphe 24(1) de la Chartre. Le juge Cory, dans cette cause, qualifie l'arrêt de procédures comme « réparation exceptionnelle » . À la page 262 de l'arrêt Dixon, pré-cité, le juge Cory, au nom de la Cour, écrit ceci:


Le droit à la divulgation n'est qu'une composante du droit à une défense pleine et entière. Bien qu'il puisse y avoir une violation du droit à la divulgation, il se peut qu'il n'y ait aucune atteinte au droit à une défense pleine et entière par suite de cette violation. En fait, différents principes et normes s'appliquent pour déterminer si la divulgation devrait avoir lieu avant la déclaration de culpabilité et pour déterminer l'effet d'une omission de divulguer après la déclaration de culpabilité. Par exemple, lorsque la document non communiquée peut être examinée au procès, le juge qui préside l'audience l'évaluera en fonction du critère préliminaire de l'arrêt Stinchcombe pour déterminer si, en dissimulant cette documentation, le ministère public a manqué à son obligation de divulguer. Dans l'affirmative, une ordonnance de production ou peut-être l'ajournement sera la réparation appropriée. [Je souligne]

[23]            À mon avis, la demande d'arrêt des procédures doit être rejetée pour les raisons suivantes.

[24]            Premièrement, la requête pour arrêt de procédures fut présentée oralement, sans que la Cour en soit avisée au préalable. Cette façon de procéder ne permet pas à la Cour de cerner les dimensions du problème et, plus précisément, de savoir quelle preuve le demandeur a omis de fournir au défendeur ou si cette preuve existe, et si elle existe, sa non-divulgation a porté atteinte au droit des personnes citées à une défense pleine et entière. Le demandeur plaide que toute la preuve est au dossier.

[25]            Deuxièmement, je n'accepte pas, comme le prétend le défendeur, que toutes les exigences de l'arrêt Stinchcombe, pré-cité, s'appliquent intégralement en l'espèce, sans atténuation. Stinchcombe, d'ailleurs, reconnaît que des nuances s'imposent.


[26]            Troisièmement, le défendeur ne satisfait les exigences de la Cour suprême dans l'arrêt Dixon, pré-cité. Il n'a pas établi la gravité de l'atteinte portée aux droits de M. Payette et Me Guay, ainsi que du préjudice causé à ceux-ci.

[27]            Quatrièmement, la demande de divulgation en était une de dernière minute et la réponse laconique du procureur en est témoin.

[28]            Cinquièmement, l'acte reproché à M. Payette et Me Guay est d'ordre public, ce qui est un facteur contre l'arrêt de procédures: voir Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391 à 434.

c) Autorisation de la Cour pour les subpoenas:

[29]            Selon le greffe, le demandeur aurait, jeudi le 19 avril 2001, tardivement demandé que l'administrateur délivre des subpoenas pour contraindre les personnes identifiées dans sa lettre du 18 avril 2001 à Me Pateras.

[30]            Le greffe informe la Cour de cette demande et celle-ci émet une directive orale que la demande pour subpoenas soit discutée lundi le 23 avril 2001.

[31]            Je crois qu'il est dans l'intérêt de la justice que les subpoenas requis par le demandeur soient autorisés afin de faire preuve des documents sur lesquels s'appuie le demandeur.


Dispositifs

[32]            La demande d'arrêt de procédures est rejetée avec frais. La demande du demandeur pour l'émission de subpoenas est accordée. Les subpoenas seront délivrés par l'administrateur, sur demande du demandeur, après que l'administrateur judiciaire aura fixé une nouvelle date d'audition pour faire suite à l'ordonnance du juge Blais en date du 9 mars 2001. Le défendeur doit faciliter la signification des subpoenas aux personnes sous son contrôle.

                                                                              J. François Lemieux

                                                                                                     Juge

O T T A W A, Ontario

le 22 août 2001

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