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Date : 20021119

Dossier : T-1013-01

OTTAWA (ONTARIO), le mardi 19 novembre 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON

ENTRE :

                                                         WENDY SHELLIE MORRIS

                                                                 et LINDA WILCOX

                                                                                                                                            demanderesses

                                                                                   et

                                 LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, S. NOEL,

                                              D. R. KELLY, A. PEACH, L.M. WILCOX

                                                                                                                                                     défendeurs

                                                                     ORDONNANCE

Cette demande de contrôle judiciaire est rejetée.

Il n'est pas adjugé de dépens.

                                                                                                                                « Frederick E. Gibson »           

                                                                                                                                                                 Juge                          

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


Date : 20021119

Dossier : T-1013-01

Référence neutre : 2002 CFPI 1197

ENTRE :

                                                         WENDY SHELLIE MORRIS

                                                                 et LINDA WILCOX

                                                                                                                                            demanderesses

                                                                                   et

                                 LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, S. NOEL,

                                              D. R. KELLY, A. PEACH, L.M. WILCOX

                                                                                                                                                     défendeurs

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

INTRODUCTION

[1]                 Les présents motifs font suite à une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Commission de la fonction publique (la Commission), qui avait imposé les « mesures correctives » suivantes à l'égard d'un « concours interne » achevé :

- Le ministère veillera à une sélection selon le mérite en enclenchant une nouvelle sélection interne;


- Le ministère veillera à ce que tous les candidats à la sélection 1998-REH-CC-NFLD-60 aient la possibilité de poser leur candidature à cette nouvelle sélection interne;

- De nouveaux instruments d'évaluation seront mis au point pour l'évaluation des candidats qui se prévaudront de la sélection;

- Une nouvelle liste d'admissibilité sera établie et de nouveaux droits d'appel seront donnés; et

- Le ministère notifiera à tous les candidats la mesure corrective.

La décision ici contestée est reflétée dans une lettre datée du 10 mai 2001 envoyée par la Commission à un « conseiller en ressources humaines » du ministère du Développement des ressources humaines (DRHC) à Saint-Jean (Terre-Neuve)[1].

[2]                 Les demanderesses sollicitent une ordonnance annulant la décision contestée et renvoyant l'affaire à la Commission, avec ordre donné à celle-ci d'appliquer immédiatement une décision antérieure de la Commission datée du 3 août 2000 qui exigeait diverses « mesures correctives » . Les demanderesses voudraient aussi que leur soient adjugés les dépens de la demande.

LE RÉGIME LÉGISLATIF

[3]                 Le régime législatif en vertu duquel sont faites les nominations, à des postes de la fonction publique du Canada, de personnes qui en font partie ou non est assez complexe. Comme il intéresse l'objet du présent contrôle judiciaire, on peut brièvement le décrire ainsi.


[4]                 Le paragraphe 3(1) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique[2] (la Loi) établit la Commission. L'alinéa 5a) et l'article 8 de la Loi donnent à la Commission compétence exclusive pour nommer à des postes de la fonction publique des personnes, en faisant partie ou non, dont la nomination n'est régie par aucune autre loi fédérale. Ces nominations doivent porter sur des personnes qualifiées, conformément aux dispositions et principes énoncés dans la Loi. Les paragraphes 6(1) et (5) autorisent la Commission à déléguer, sous réserve de quelques exceptions, l'un quelconque de ses pouvoirs et fonctions à un administrateur général, et ils autorisent un administrateur général à sous-déléguer les pouvoirs et fonctions que la Commission l'a autorisé à exercer.

[5]                 L'un des principes est le « principe du mérite » énoncé à l'article 10 de la Loi. Ce principe est généralement considéré comme le principe fondamental en vertu duquel les nominations doivent être faites.


[6]                 L'un des pouvoirs et fonctions de la Commission qui ne peuvent être délégués par celle-ci apparaît dans l'article 21 de la Loi, qui confère un droit d'appel des nominations consécutives à un concours interne, ou à une sélection interne effectuée autrement que par concours. L'expression « concours interne » , définie au paragraphe 2(1) de la Loi, désigne un concours réservé aux personnes employées dans la fonction publique. Le paragraphe 21(1) donne à un candidat non reçu le droit de faire appel à un comité d'appel. Le comité d'appel a pour mandat de faire enquête sur la sélection visée par l'appel. Une fois informée de la décision d'un comité d'appel, et sous réserve du paragraphe 21(3), la Commission doit, si la nomination a eu lieu suite à la sélection visée par l'appel, confirmer ou révoquer la nomination. Si aucune nomination n'a eu lieu, le comité d'appel peut procéder ou non à la nomination.

[7]                 Le paragraphe 21(3) de la Loi autorise la Commission, lorsqu'un comité d'appel a relevé une irrégularité dans la procédure de sélection appliquée pour une nomination, à prendre toute mesure qu'elle juge indiquée pour remédier à l'irrégularité. Le paragraphe 21(4) confère un droit d'appel dans le cas d'une nomination, effective ou imminente, consécutive à l'application de « mesures correctives » ordonnées par la Commission conformément au paragraphe 21(3).

[8]                 Le paragraphe 3(1), les mots introductifs de l'article 5 et l'alinéa a) de cet article, les paragraphes 6(1) et (5), les articles 8 et 10 et les paragraphes 21(1), (3) et (4) de la Loi sont reproduits dans une annexe des présents motifs.

CONTEXTE


[9]                 Les demanderesses ont fait appel avec succès, en application du paragraphe 21(1) de la Loi, d'une nomination ou de plusieurs nominations, effectives ou projetées, faites à la suite d'un concours interne pour le poste d'agent d'enquête et de contrôle au bureau de DRHC à Harbour Grace, à Terre-Neuve. Par une décision datée du 1er mars 2000, le comité d'appel a fait droit à l'appel des demanderesses au motif que le jury de sélection ne s'était pas acquitté de son obligation d'évaluer les candidats d'après les commentaires figurant sur les références, commentaires qui représentent la moitié des points pour chacun des cinq sous-facteurs des « qualités personnelles » . Le comité d'appel a aussi conclu que la notation des connaissances de l'un des candidats reçus était déraisonnable. Il n'a été demandé aucun contrôle judiciaire de la décision du comité d'appel.

[10]            La décision du comité d'appel a été soumise à la Commission en vue d'une éventuelle ordonnance de « mesures correctives » selon le paragraphe 21(3) de la Loi. Les représentants de DRHC et ceux des demanderesses ont été consultés et ont été invités à s'exprimer. Une ordonnance officielle de « mesures correctives » a été rendue par la Commission le 3 août 2000.


[11]            DRHC s'est opposé aux « mesures correctives » ordonnées. Encore une fois, les représentants de DRHC et ceux des demanderesses ont été consultés et ont eu la possibilité de s'exprimer. Finalement, des « mesures correctives » modifiées ont été ordonnées, qui exposaient plus en détail la nature et l'étendue de l'examen qu'entreprendrait DRHC pour chacune des questions du concours interne qui portaient sur les connaissances. DRHC a continué de s'opposer aux « mesures correctives » , même modifiées, et a informé la Commission qu'il ne les appliquerait pas, en particulier pour ce qui concernait la date limite de mise en oeuvre qu'avait fixée la Commission, c'est-à-dire le 30 avril 2001. Le 26 avril 2001, le représentant des demanderesses écrivait à la Commission. Sa lettre[3] renferme le passage suivant :

[Traduction] ... Nous sommes fermement d'avis qu'un autre concours n'est pas justifié. Nous croyons que les bonnes procédures ont été suivies et qu'il y a, selon la L.E.F.P., obligation juridique de faire appliquer les mesures correctives.

À cet égard, et au nom des appelantes, je voudrais vous informer qu'elles ont été bien plus que patientes durant la résolution de cette affaire. Il s'est écoulé environ 16 mois depuis que le dossier a été présenté, et 14 mois depuis que la décision a été rendue.

Je demande par conséquent que l'on mène cette affaire à terme en donnant au ministère des instructions claires et précises et que cette affaire soit résolue au plus tard le 15 mai. Demander que l'affaire soit résolue « dans un délai raisonnable » ne paraît plus applicable en l'occurrence. Si l'affaire ne peut être résolue d'ici au 15 mai, je n'aurai d'autre choix que de demander l'ouverture d'une enquête.

Je voudrais être informé dès que possible des mesures auxquelles on peut s'attendre.

[12]            Une consultation s'ensuivit parmi les agents de la Commission. Apparemment sans autre avis à DRHC, et certainement sans autre avis aux demanderesses, malgré le dernier des paragraphes susmentionnés de la lettre de leurs représentants datée du 26 avril 2001, la décision ici contestée a été rendue. Pour résumer, la décision ici contestée annulait le concours interne antérieur et ordonnait à DRHC de tout reprendre à zéro. Et cela quasiment deux ans après la conclusion du concours interne qui avait conduit à l'appel couronné de succès des demanderesses devant le comité d'appel.


POINTS EN LITIGE

[13]            Selon mes propres termes plutôt que les termes avancés au nom des demanderesses et du défendeur, les points soulevés dans cette demande de contrôle judiciaire sont les suivants :

            - d'abord, la Commission avait-elle le pouvoir de rendre la décision ici contestée, ou était-elle dépouillée de ses fonctions en raison des « mesures correctives » , et de la révision ou clarification de ces « mesures correctives » , précédemment ordonnées en vertu du paragraphe 21(3) de la Loi, qui découlaient du même concours interne et qui étaient entièrement différentes, par leur nature, des « mesures correctives » imposées dans la décision ici contestée;

            - deuxièmement, lorsqu'elle est arrivée à la décision ici contestée, la Commission a-t-elle manqué à son obligation d'équité?

            - troisièmement, la décision ici contestée peut-elle être l'objet d'un contrôle judiciaire? et

            - quatrièmement, lorsqu'elle est arrivée à la décision ici contestée, la Commission a-t-elle exercé son pouvoir dans un dessein illicite?

[14]            Un cinquième point, non soulevé au nom des demanderesses ni au nom des défendeurs, ce point étant le principe du caractère théorique, a été soulevé par la Cour au début de l'instruction de cette demande de contrôle judiciaire. J'examinerai brièvement d'abord cet aspect.


ANALYSE

           a)         Principe du caractère théorique

[15]            Au début de l'instruction de cette affaire, les avocats m'ont informé que le nouveau concours interne envisagé par l'ordonnance ici contestée avait eu lieu et que les demanderesses avaient participé à ce concours. Les résultats de ce deuxième concours étaient l'objet d'un appel devant un comité d'appel. Le comité d'appel a rendu sa décision concernant le concours, et cette décision est aujourd'hui l'objet d'une demande de contrôle judiciaire devant la Cour. En bref, depuis la date de la décision ici contestée, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts en ce qui a trait aux efforts déployés par DRHC pour pourvoir un poste ou des postes d'agent d'enquête et de contrôle dans les bureaux de DRHC à Harbour Grace, à Terre-Neuve. Se pose alors la question suivante : vu le temps écoulé, cette demande de contrôle judiciaire est-elle aujourd'hui dépourvue d'utilité pratique?

[16]            Dans l'arrêt Borowski c. Canada (Procureur général)[4], le juge Sopinka s'est exprimé ainsi, pour la Cour, à la page 353 :


La doctrine relative au caractère théorique est un des aspects du principe ou de la pratique générale voulant qu'un tribunal peut refuser de juger une affaire qui ne soulève qu'une question hypothétique ou abstraite. Le principe général s'applique quand la décision du tribunal n'aura pas pour effet de résoudre un litige qui a, ou peut avoir, des conséquences sur les droits des parties. Si la décision du tribunal ne doit avoir aucun effet pratique sur ces droits, le tribunal refuse de juger l'affaire. Cet élément essentiel doit être présent non seulement quand l'action ou les procédures sont engagées, mais aussi au moment où le tribunal doit rendre une décision. En conséquence, si, après l'introduction de l'action ou des procédures, surviennent des événements qui modifient les rapports des parties entre elles de sorte qu'il ne reste plus de litige actuel qui puisse modifier les droits des parties, la cause est considérée comme théorique. Le principe ou la pratique générale s'applique au litige devenu théorique à moins que le tribunal n'exerce son pouvoir discrétionnaire de ne pas l'appliquer.                                                                                                              [non souligné dans le texte]

[17]            Au regard du critère qui précède, je suis persuadé que les événements qui sont survenus après l'introduction de la présente instance ont modifié les rapports des parties de telle sorte qu'il ne reste plus, dans la décision ici contestée, de litige actuel qui puisse modifier les droits des parties. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de litige actuel, mais plutôt que le litige actuel découle d'événements qui se sont substitués à la décision ici contestée et à l'introduction de la présente instance.

[18]            Mais cela ne règle pas la question. Comme le note le juge Sopinka, il reste un pouvoir discrétionnaire de s'écarter de la politique ou pratique générale en ce qui concerne les litiges devenus théoriques. L'une des circonstances qui justifieraient une telle entorse à la politique ou pratique générale est l'existence d'une possibilité de décider un point de grande importance lorsqu'une telle décision est dans l'intérêt public. Le juge Sopinka écrit, à la page 361 de ses motifs, dans l'arrêt Borowski :

Il faut mettre en balance la dépense de ressources judiciaires et le coût social de l'incertitude du droit.

[19]            Mettant en équilibre la dépense de ressources judiciaires, au vu du dossier, et le coût social de l'incertitude du droit en ce qui a trait au pouvoir de la Commission de rendre une ordonnance comme celle qui est contestée ici, alors qu'elle a déjà ordonné des mesures correctives au titre du paragraphe 21(3) de la Loi, et prenant aussi en considération le fait que le présent litige est arrivé au stade de l'instruction, avec tout ce que cela comporte de temps et de moyens, et cela sans qu'aucune des parties ne s'oppose, pour cause d'absence d'utilité pratique de l'instance, à ce que l'instruction se poursuive, j'ai été convaincu que je devais instruire l'affaire, nonobstant ma conclusion selon laquelle il n'existe, entre les demanderesses et les défendeurs, aucun litige actuel découlant de la décision ici contestée.

b)         La Commission avait-elle le pouvoir de rendre l'ordonnance ici contestée, ou était-elle dépouillée de ses fonctions en raison des mesures correctives précédemment ordonnées en vertu du paragraphe 21(3), qui découlaient du même concours interne et qui étaient entièrement différentes, par leur nature, des « mesures correctives » imposées dans la décision ici contestée?


[20]            L'avocat des demanderesses a admis que, à la suite de la décision d'un comité d'appel dans des circonstances comme celles dont il s'agit ici, il est loisible à la Commission de ne pas exercer son pouvoir de prendre des « mesures correctives » selon le paragraphe 21(3) de la Loi, et d'ordonner la tenue d'un nouveau concours ou, en d'autres termes, d'ordonner à un ministère fédéral de revenir au point de départ en lançant un nouveau concours. Dans l'affaire Maassen c. Canada (Procureur général)[5], le juge McKeown avait affaire à une situation très semblable. Dans cette affaire, la Commission avait ordonné à un ministère fédéral de lancer un nouveau concours à la suite d'un appel couronné de succès à un comité d'appel. Dans la lettre qui renfermait l'ordre en question, la Commission écrivait :

[Traduction] Je crois qu'il est important de rappeler à ce stade que cette procédure de sélection est une nouvelle procédure, non une mesure corrective. En tant que nouvelle procédure de sélection, elle n'a aucun lien avec la procédure antérieure, et elle génère son propre ensemble de droits.       [c'est moi qui souligne]

[21]            Le juge McKeown écrivait, aux paragraphes [16] et [17] de ses motifs :

Les demandeurs soutiennent que le paragraphe 21(3) exige que la Commission prenne des mesures correctrices après avoir révoqué une nomination visée par un appel accueilli par un comité d'appel. Les demandeurs s'appuient sur une décision antérieure d'un comité d'appel, [...], qui statuerait que la Commission doit prendre des mesures correctrices en conformité avec la décision du comité d'appel. Je suis néanmoins d'avis que le paragraphe 21(3) confère simplement à la Commission le pouvoir de remédier à une irrégularité signalée par le comité d'appel, sans l'obliger à y remédier. Comme je l'ai déjà mentionné, selon les paragraphes 21(2) et 21(3), la seule mesure que la Commission est tenue de prendre lorsqu'un appel d'une nomination est accueilli consiste à révoquer cette nomination.

À mon avis, la Commission avait le pouvoir d'ordonner la tenue d'un processus entièrement nouveau en vertu [de l'alinéa 5a), de l'article 8 et du paragraphe 6(1)] ... et de l'article 10 de la LEFP...

[omission d'une référence et du texte du paragraphe 10(1) de la Loi; c'est moi qui souligne]


[22]            D'après les circonstances de la présente affaire, la Commission, au lieu d'ordonner directement la tenue d'un nouveau concours, a ordonné des mesures correctives en application du paragraphe 21(3) de la Loi, ce qu'elle avait indiscutablement le pouvoir de faire. L'avocat des demanderesses a indiqué que, ayant suivi cette ligne de conduite, la Commission avait l'obligation de faire appliquer les mesures correctives qu'elle avait ordonnées et que, même s'il était loisible à la Commission de modifier ou d'augmenter lesdites mesures correctives, ce qu'elle a fait en l'occurrence, la Commission n'avait pas le loisir d'y renoncer purement et simplement devant l'opposition de DRHC à l'application de telles mesures, et d'ordonner plutôt un nouveau concours. Selon l'avocat des demanderesses, après avoir exercé son pouvoir en application du paragraphe 21(3), la Commission était dépouillée du pouvoir que lui confère ce paragraphe et ne pouvait pas ordonner des « mesures correctives » complètement différentes.

[23]            Il ne s'agit pas, j'en suis persuadé, de savoir si la Commission était ou non dépouillée du pouvoir que lui confère le paragraphe 21(3) de la Loi.


[24]            La décision de la Commission qui est ici contestée est intitulée « mesures correctives » , l'action ordonnée par elle est décrite comme une « action corrective » et le fondement législatif de l'ordonnance est désigné comme le paragraphe 21(3) de la Loi, mais je suis convaincu que ces éléments de la décision ne disposent pas de la nature de la décision, ni de la nature du pouvoir en vertu duquel elle est prise. Je me range à l'avis du juge McKeown quand il mentionne, dans l'extrait susmentionné de l'affaire Maassen, qu'en réalité, le pouvoir de la Commission d'ordonner un nouveau concours découlait non pas du paragraphe 21(3) de la Loi, mais plutôt de l'alinéa 5a), de l'article 8 et du paragraphe 6(1) de la Loi, dispositions qui confèrent un pouvoir général étendu de s'assurer que les personnes nommées à des postes de la fonction publique, qu'elles en fassent ou non partie, sont ainsi nommées en conformité avec le principe du mérite énoncé au paragraphe 10(1) de la Loi. L'ordonnance ici contestée n'imposait donc pas une « action corrective » au regard du concours antérieur. Elle imposait plutôt un nouveau concours dans un contexte où la Commission, ayant tenté d'obtenir une « action corrective » au regard du concours antérieur, est arrivée à la conclusion que, vu le passage du temps et la mauvaise volonté de DRHC à appliquer cette action corrective, l'action corrective devait être abandonnée afin de sauver ce qui restait d'une relation rationnelle entre le mandat de la Commission, le délai écoulé depuis la tenue du concours antérieur et les objectifs de la Loi considérés globalement.

[25]            Finalement, je suis d'avis que la question de savoir si la Commission avait ou non le pouvoir de substituer d'autres mesures correctives à celles qu'elle avait déjà ordonnées en application du paragraphe 21(3), et qu'elle avait modifiées une fois, n'est tout simplement pas à propos, puisque le pouvoir en vertu duquel la Commission avait rendu l'ordonnance ici contestée n'était pas le paragraphe 21(3) de la Loi.

[26]            Finalement, je répondrai à cette question par l'affirmative. La Commission avait bien le pouvoir de rendre l'ordonnance ici contestée. Ce pouvoir découlait non pas du paragraphe 21(3) de la Loi, mais plutôt de l'alinéa 5a), de l'article 8 et du paragraphe 6(1) de la Loi, et ce pouvoir a continué d'exister bien que la Commission eût tenté auparavant de « rafistoler » les irrégularités du premier concours par des « mesures correctives » .


c)         Lorsqu'elle est arrivée à la décision ici contestée, la Commission a-t-elle manqué à son obligation d'équité?

[27]            Il n'a pas été contesté devant moi que la décision de la Commission ici contestée était une décision de nature administrative et que c'était une décision que la Commission avait pleine liberté de prendre ou non. Cela dit, même si l'on peut affirmer que le contenu de l'obligation d'équité qui incombait à la Commission lorsqu'elle est arrivée à la décision est minime, cette obligation n'était pas inexistante si l'on tient compte des critères exposés dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[6]. Vu ces critères, je suis convaincu que la Commission avait le devoir de tenir les parties au différend informées des arguments à présenter, et le devoir de leur donner l'occasion de répondre à tels arguments.


[28]            Comme je l'ai dit plus tôt dans les présents motifs, les demanderesses, par leur représentant, avaient informé la Commission qu'elles avaient de sérieux doutes sur une ligne de conduite qui entraînerait un abandon des mesures correctives déjà en place et un retour au point de départ en raison de l'obligation de lancer un nouveau concours. Comme je l'ai dit également auparavant dans les présents motifs, il y avait au sein de la Commission des pourparlers internes, qui ont été consignés, sur le pour et le contre des trois mesures suivantes : faire appliquer les mesures correctives, enclencher une enquête en application de l'article 7.1 de la Loi, et ordonner un nouveau concours. D'après moi, la Commission avait l'obligation d'informer les demanderesses et DRHC de ces diverses mesures ainsi que du pour et du contre de chacune d'elles, et l'obligation de donner aux demanderesses et à DRHC la possibilité d'y réagir promptement. Elle ne l'a pas fait.

[29]            Eu égard aux propos qui précèdent, je suis d'avis que la Commission, qui semble-t-il s'est appliquée à garantir l'équité aux parties jusqu'au jour où elle a commencé d'envisager des solutions de remplacement à la ligne de conduite qu'elle avait jusqu'alors suivie, a manqué à son obligation d'équité envers lesdites parties lorsqu'elle a rendu la décision ici contestée. Cela dit, vu les événements qui sont survenus depuis la décision ici contestée, événements évoqués plus haut dans les présents motifs, je ne suis tout simplement pas convaincu que le manquement à l'équité dont je viens de parler justifie l'annulation de la décision ici contestée et le renvoi à la Commission de la question du premier concours. Je suis sûr que cela serait incompatible avec l'application du principe du mérite dans la tâche consistant à pourvoir rapidement le poste ou les postes en question, pour autant qu'il soit encore possible de les pourvoir.

d)         La décision ici contestée peut-elle être l'objet d'une demande de contrôle judiciaire?

[30]            Je suis convaincu que la réponse à cette question est tout simplement affirmative.


[31]            L'avocat des défendeurs a indiqué que, s'agissant de concours internes où une plainte est déposée à propos de la conduite du concours, la Loi constitue un régime ou code complet, et que la Cour doit respecter l'intention qu'avait le législateur lorsqu'il a institué ce régime ou code. Il ne fait aucun doute que la Cour doit respecter l'intention du législateur. Cela dit, je suis convaincu qu'en examinant cette demande de contrôle judiciaire, la Cour ne va nullement à l'encontre de l'intention du législateur. Le jugement qu'elle a rendu dans l'affaire Maassen, précitée, s'accorde avec ce qui précède.

[32]            Ici, un concours interne a eu lieu. Les demanderesses se sont plaintes de la tenue de ce concours. Leur plainte a abouti devant un comité d'appel. Le comité d'appel a rendu une décision qui n'a pas été l'objet d'un contrôle judiciaire. La Commission a ensuite exercé le pouvoir que lui confère le paragraphe 21(3). Si ses mesures correctives avaient été appliquées d'une manière insatisfaisante pour l'une ou l'autre des parties, la question aurait pu revenir devant un comité d'appel. Mais les mesures correctives fixées par la Commission n'ont jamais été appliquées. Au lieu de cela, la Commission a finalement décidé, en application d'une disposition autre que le paragraphe 21(3), comme je l'ai indiqué plus haut, d'ordonner la tenue d'un nouveau concours. La Loi n'offre, pour l'examen de la décision qui ordonne un nouveau concours, aucune solution autre qu'un contrôle judiciaire devant la Cour fédérale.


[33]            Je suis convaincu que l'intention du législateur, c'était qu'une décision d'ordonner la tenue d'un nouveau concours puisse faire l'objet d'un contrôle dans les circonstances de la présente affaire. Si le législateur n'avait pas voulu cela, je suis sûr que sa volonté aurait constitué une exception aux principes généraux du droit administratif et qu'elle aurait donc été clairement exprimée. En l'absence d'une disposition excluant expressément le pouvoir général de surveillance exercé par la Cour, je suis d'avis que ce pouvoir n'a pas été exclu.

            e)         Lorsqu'elle est arrivée à la décision ici contestée, la Commission a-t-elle exercé son pouvoir dans un dessein illicite?

  

[34]            L'avocat des demanderesses a indiqué que, par l'inertie de la Commission, DRHC a pu en réalité tourner le processus d'appel prévu dans l'article 21 de la Loi en se soustrayant à l'application des mesures correctives légalement fixées par la Commission, et en amenant finalement la Commission à annuler tout simplement ses mesures correctives et à les remplacer par l'ordonnance ici contestée. L'avocat a mentionné aussi que, en laissant DRHC faire en sorte que la Commission finisse par décider qu'elle devait tenir un nouveau concours, la Commission a en fait exercé dans un dessein illicite son pouvoir d'ordonner un nouveau concours, le dessein en question étant d'éviter une impasse avec DRHC à propos de l'application de mesures correctives légalement ordonnées par la Commission.


[35]            Je ne suis pas de cet avis. Je crois que l'avocat des demanderesses se méprend sur la motivation qu'avait la Commission lorsqu'elle est arrivée à la décision ici contestée. Lorsque la décision a été prise, le concours en question avait eu lieu près de deux ans auparavant. Dans bien des cas, il revient sans conteste à un comité d'appel de se demander si la preuve qu'il a devant lui montre qu'une liste d'admissibilité est fondée sur des données qui sont périmées, mais, nonobstant l'arrêt rendu par la Cour d'appel dans l'affaire Canada (Procureur général) c. MacKintosh[7], je suis convaincu qu'il y a des cas où cette question peut fort bien être examinée par la Commission elle-même. Les circonstances de la présente affaire, qui montrent qu'il n'y avait aucun espoir d'une résolution rapide des irrégularités constatées dans le premier concours, constituent l'un de ces cas. Il ressort clairement de l'arrêt MacKintosh que le caractère périmé de données peut validement être considéré par un comité d'appel lorsqu'il est saisi de la question, mais je ne crois pas que cet arrêt permette d'affirmer davantage que ce principe.

[36]            Je suis d'avis que, lorsqu'elle est arrivée à la décision ici contestée, la Commission n'a pas exercé son pouvoir dans un dessein illicite.

CONCLUSION

[37]            En définitive, nonobstant le manquement de la Commission à son obligation d'équité, un manquement que j'ai évoqué plus haut, cette demande de contrôle judiciaire est rejetée.


DÉPENS

[38]            Les défendeurs n'ont pas requis l'adjudication de dépens contre les demanderesses. Il ne sera pas adjugé de dépens.

  

                                                                            « Frederick E. Gibson »           

                                                                                                             Juge                           

  

Ottawa (Ontario)

le 19 novembre 2002

      

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                 ANNEXE


3. (1) Est constituée la Commission de la fonction publique, composée de trois membres ou commissaires, dont le président, nommés par le gouverneur en conseil.

...

3. (1) There is hereby established a Commission, to be called the Public Service Commission, consisting of a President and two other members to be appointed by the Governor in Council.

...

5. La Commission :

a) conformément aux dispositions et principes énoncés dans la présente loi, nomme ou fait nommer à un poste de la fonction publique des personnes qualifiées, appartenant ou non à celle-ci;

...

5. The Commission shall

(a) appoint or provide for the appointment of qualified persons to or from within the Public Service in accordance with the provisions and principles of this Act;

...

6. (1) La Commission peut autoriser un administrateur général à exercer, selon les modalités qu'elle fixe, tous pouvoirs et fonctions que lui attribue la présente loi, sauf en ce qui concerne ceux prévus aux articles 7.1, 21, 34, 34.4 et 34.5.

...

6. (1) The Commission may authorize a deputy head to exercise and perform, in such manner and subject to such terms and conditions as the Commission directs, any of the powers, functions and duties of the Commission under this Act, other than the powers, functions and duties of the Commission under sections 7.1, 21, 34, 34.4 and 34.5.

...

(5) Sous réserve du paragraphe (6), un administrateur général peut autoriser des subordonnés ou toute autre personne à exercer l'un des pouvoirs et fonctions que lui confère la présente loi, y compris, mais avec l'approbation de la Commission et conformément à la délégation de pouvoirs accordée par celle-ci en vertu du présent article, l'un de ceux que la Commission l'a autorisé à exercer.

...

(5) Subject to subsection (6), a deputy head may authorize one or more persons under the jurisdiction of the deputy head or any other person to exercise and perform any of the powers, functions or duties of the deputy head under this Act including, subject to the approval of the Commission and in accordance with the authority granted by it under this section, any of the powers, functions and duties that the Commission has authorized the deputy head to exercise and perform.

...


8. Sauf disposition contraire de la présente loi, la Commission a compétence exclusive pour nommer à des postes de la fonction publique des personnes, en faisant partie ou non, don't la nomination n'est régie par aucune autre loi fédérale.

...

8. Except as provided in this Act, the Commission has the exclusive right and authority to make appointments to or from within the Public Service of persons for whose appointment there is no authority in or under any other Act of Parliament.

...


10. (1) Les nominations internes ou externes à des postes de la fonction publique se font sur la base d'une sélection fondée sur le mérite, selon ce que détermine la Commission, et à la demande de l'administrateur général intéressé, soit par concours, soit par tout autre mode de sélection du personnel fondé sur le mérite des candidats que la Commission estime le mieux adapté aux intérêts de la fonction publique.

(2) Pour l'application du paragraphe (1), la sélection au mérite peut, dans les circonstances déterminées par règlement de la Commission, être fondée sur des normes de compétence fixées par celle-ci plutôt que sur un examen comparatif des candidats.

L.R. (1985), ch. P-33, art. 10; 1992, ch. 54, art. 10.

...

10. (1) Appointments to or from within the Public Service shall be based on selection according to merit, as determined by the Commission, and shall be made by the Commission, at the request of the deputy head concerned, by competition or by such other process of personnel selection designed to establish the merit of candidates as the Commission considers is in the best interests of the Public Service.

(2) For the purposes of subsection (1), selection according to merit may, in the circumstances prescribed by the regulations of the Commission, be based on the competence of a person being considered for appointment as measured by such standard of competence as the Commission may establish, rather than as measured against the competence of other persons.

...

21. (1) Dans le cas d'une nomination, effective ou imminente, consécutive à un concours interne, tout candidat non reçu peut, dans le délai fixé par règlement de la Commission, en appeler de la nomination devant un comité chargé par elle de faire une enquête, au cours de laquelle l'appelant et l'administrateur général en cause, ou leurs représentants, ont l'occasion de se faire entendre.

...

21. (1) Where a person is appointed or is about to be appointed under this Act and the selection of the person for appointment was made by closed competition, every unsuccessful candidate may, within the period provided for by the regulations of the Commission, appeal against the appointment to a board established by the Commission to conduct an inquiry at which the person appealing and the deputy head concerned, or their representatives, shall be given an opportunity to be heard.

...

(3) La Commission peut prendre toute mesure qu'elle juge indiquée pour remédier à toute irrégularité signalée par le comité relativement à la procédure de sélection.

(4) Une nomination, effective ou imminente, consécutive à une mesure visée au paragraphe (3) ne peut faire l'objet d'un appel conformément aux paragraphes (1) ou (1.1) qu'au motif que la mesure prise est contraire au principe de la sélection au mérite.

...

(3) Where a board established under subsection (1) or (1.1) determines that there was a defect in the process for the selection of a person for appointment under this Act, the Commission may take such measures as it considers necessary to remedy the defect.

(4) Where a person is appointed or is about to be appointed under this Act as a result of measures taken under subsection (3), an appeal may be taken under subsection (1) or (1.1) against that appointment only on the ground that the measures so taken did not result in a selection for appointment according to merit.

...



                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            T-1013-01

INTITULÉ :                                           Wendy Shellie Morris et Linda Wilcox

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                 le 31 octobre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : MONSIEUR LE JUGE GIBSON

DATE DES MOTIFS :                        le 19 novembre 2002

COMPARUTIONS :

M. David Yazbeck                                                            POUR LES DEMANDERESSES

M. J. Sanderson Graham                                                  POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. David Yazbeck                                                            POUR LES DEMANDERESSES

Raven, Allen, Cameron & Ballantyne

Avocats

Ottawa (ONTARIO)

M. J. Sanderson Graham                                                  POUR LES DÉFENDEURS

Ministère de la Justice

Section du contentieux en matière civile

Ottawa (Ontario)



[1]         Dossier de demande des demanderesses, volume 1, page 114.

[2]         L.R.C. (1985), ch. P-33, et modifications.

[3]         Dossier de demande des demanderesses, volume 1, pages 82 et 83.

[4]         [1989] 1 S.C.R. 342.

[5]         (2001), 206 F.T.R. 13 (C.F. 1re inst.).

[6]         [1999] 2 R.C.S. 817.

[7]         (1991), 126 N.R. 389 (C.A.F.).

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