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Date : 20000107



Dossier : IMM-841-99



ENTRE :

            

     BEANT SINGH MEELU

                                     demandeur

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION


                     défendeur

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE


LE JUGE GIBSON


[1]      Ces motifs trouvent leur source dans la demande de contrôle judiciaire d"une décision de la Section d"appel (le tribunal) de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié, dans laquelle le tribunal a conclu que :

         [traduction]

         La Section d"appel est convaincue que la demanderesse s"est mariée principalement dans le but d"obtenir l"admission au Canada à titre de parent. Le requérant n"a pu établir au vu de la prépondérance des probabilités que la demanderesse avait l"intention de vivre en permanence avec lui.

Dans cette citation, la " demanderesse " est la conjointe présumée du demandeur dans la présente demande de contrôle judiciaire. Le renvoi dans cette citation au " requérant " vise le demandeur au présent contrôle judiciaire. Dans ces motifs, la demanderesse dont on parle dans cette citation sera identifiée comme la " conjointe " du demandeur.

[2]      La décision du tribunal soumise au contrôle judiciaire est datée du 8 février 1999.

[3]      Le demandeur est un résident permanent du Canada depuis 1992. Le 16 février 1997, il a contracté une forme de mariage en Inde avec sa conjointe. Le demandeur a parrainé sa conjointe aux fins de l"immigration au Canada. La conjointe du demandeur a présenté une demande de résidence permanente au Canada dans la catégorie des parents auprès du haut-commissariat canadien à New Delhi le 18 juin 1997. Cette demande est fondée sur le parrainage de son conjoint. Sa demande a été rejetée en vertu de l"alinéa 19(2)d ) de la Loi sur l"immigration1, au motif qu"elle était membre d"une catégorie de personnes non admissibles. La catégorie de personnes non admissibles en question est celle qui est décrite au paragraphe 4(3) du Règlement sur l"immigration de 19782. Ce paragraphe se lit comme suit :

(3) The family class does not include a spouse who entered into the marriage primarily for the purpose of gaining admission to Canada as a member of the family class and not with the intention of residing permanently with the other spouse.

(3) La catégorie des parents ne comprend pas le conjoint qui s'est marié principalement dans le but d'obtenir l'admission au Canada à titre de parent et non dans l'intention de vivre en permanence avec son conjoint.

[4]      Le demandeur en l"instance, qui parrainait la demande d"immigration, a fait appel au tribunal du rejet de la demande de résidence permanente au Canada de son épouse. C"est la décision du tribunal dans cet appel qui est soumise au contrôle judiciaire.

[5]      Le tribunal a rejeté l"appel du demandeur en se fondant essentiellement sur les cinq éléments de préoccupation suivants :

-      Premièrement, le tribunal a conclu qu"il y avait des divergences entre le témoignage du demandeur et celui de sa conjointe au sujet des formalités de leur mariage. À ce sujet, il conclut que :

         [traduction]

         Le tribunal considère que ces divergences sont significatives, en ce qu"elles indiquent un manque d"attention et de connaissance qui n"est pas compatible avec une relation conjugale valable.

-      Deuxièmement, le tribunal a noté que les parents proches du demandeur ne sont pas venus au mariage. Il écrit ceci :

         [traduction]

         Le tribunal conclut aussi que le défaut des parents proches de venir au mariage sans explication satisfaisante est troublant. ... L"absence à l"occasion du mariage d"invités aussi importants que les parents proches n"est pas compatible avec un mariage valable.

-      Troisièmement, le tribunal a conclu que la conjointe du demandeur avait présenté un témoignage contradictoire quant au lieu du mariage. De plus, il a conclu qu"elle avait déclaré qu"un cousin du demandeur avait assisté au mariage alors que ce n"était pas le cas.
-      Le tribunal s"est aussi inquiété du fait que la conjointe du demandeur ne connaissait pas vraiment les activités de ce dernier au Canada. Plus particulièrement, elle a déclaré qu"elle savait que le demandeur avait un emploi au Canada, alors qu"en fait il en avait quelques fois deux et, au moins une fois, trois.
-      Finalement, le tribunal s"est inquiété de ce qu"il considérait comme une absence de communication, écrite ou par téléphone, entre le demandeur et sa conjointe après le mariage.

[6]      L"avocat du demandeur soutient que le tribunal a commis une erreur en évaluant l"ensemble de la preuve qui lui a été présentée. Au contraire, l"avocat du défendeur a soutenu que les conclusions de fait du tribunal n"étaient ni abusives, ni arbitraires, et que ce dernier avait tenu compte de tous les éléments dont il disposait. En conséquence, l"avocat du défendeur a soutenu que les conclusions et inquiétudes du tribunal étaient raisonnables.

[7]      Au début de la partie " analyse " de ses motifs, le tribunal déclare ceci :

         [traduction]

         Suite à la décision de la Cour fédérale dans l"affaire Horbas , il faut appliquer un critère à deux volets pour exclure un conjoint aux termes du paragraphe 4(3) du Règlement sur l"immigration de 1978... . Premièrement, il faut que le mariage ait été contracté principalement dans le but d"obtenir l"admissibilité au Canada en tant que membre de la catégorie des parents. Deuxièmement, il faut démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la demanderesse n"a pas l"intention de vivre en permanence avec le requérant.

L"expression " décision de la Cour fédérale dans l"affaire Horbas " renvoie à Horbas c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration)3.

[8]      Aux fins de cette décision, je suis disposé à présumer que la décision du tribunal liée à la première partie du critère de l"affaire Horbas était raisonnable, bien que je sois convaincu qu"on aurait pu interpréter la chose autrement au vu de l"ensemble de la preuve.

[9]      Quant au deuxième volet du critère, le tribunal conclut ceci sans l"analyse :

         [traduction]

         Le requérant [donc le demandeur en l"instance] n"a pas établi selon la prépondérance des probabilités que la demanderesse [la conjointe du demandeur en l"instance] avait l"intention de vivre en permanence avec le requérant.

[10]      Dans Canada (Solliciteur général) c. Bisla4, M. le juge Denault écrit, au paragraphe 12 :

... La jurisprudence Horbas a certes défini un critère double, mais cela ne signifie pas nécessairement que les réponses se rapportant au premier élément du critère ne peuvent pas servir à l"analyse du second élément. Autrement dit, le témoignage selon lequel l"intéressé a contracté mariage principalement dans le but de se faire admettre au Canada peut entrer en ligne de compte lorsqu"il s"agit d"examiner s"il a l"intention de vivre en permanence avec le conjoint répondant.

[11]      Dans Rattan c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration)5, Madame le juge Reed écrit, au paragraphe 10 :

On ne s"attend pas à ce que le conjoint parrainé déclare expressément qu"il n"a pas l"intention de résider en permanence avec le conjoint répondant. En fait, on ne s"y attend guère. Dans ces cas, des conclusions sont habituellement tirées d"un certain nombre d"aspects de la preuve.

[12]      Au vu des faits en l"instance, et bien qu"on pourrait déduire que le tribunal s"est appuyé sur son analyse au sujet du premier volet du critère pour arriver à sa conclusion au sujet du deuxième volet du critère, je conclus qu"au sujet de ce deuxième volet, le tribunal n"a pas tenu compte de la preuve pertinente qui lui était présentée et a de ce fait commis une erreur ouvrant droit au contrôle.

[13]      À la page 18 de la transcription de l"audition devant le tribunal6, le demandeur a témoigné que sa femme est timide et qu"elle a eu une vie très protégée dans son village. Elle était donc très nerveuse lors de son entrevue avec l"agent des visas. La conjointe du demandeur, dans son témoignage au tribunal (présenté dans une communication interurbaine et consignée dans la transcription), indique qu"elle ne parlait pas l"anglais à ce moment-là même si, dans un autre témoignage consigné dans le dossier du tribunal, la conjointe du demandeur a déclaré lire et écrire l"anglais " bien " et le parler " avec difficulté ". Elle a témoigné qu"elle vivait dans un village d"à peu près trois cents foyers. Les lettres personnelles de la conjointe du demandeur qui sont reproduites au dossier du tribunal sont mal écrites, si l"on peut s"appuyer sur la traduction faite à partir de sa langue maternelle, le pendjabi, et elles sont assez simplistes. Bien qu"elle ait fait à peu près quatorze années d"études, la preuve présentée au tribunal indique que ses notes étaient faibles et son dossier d"études porte qu"elle a réussi des cours en " amélioration de l"environnement et en éducation physique et santé ". Tous ces éléments peuvent être traités comme démontrant un style de vie assez limité ou traditionnel. Bien que la transcription de l"audition devant le tribunal indique que la conjointe du demandeur a quelques parents au Canada, ils ne semblent pas être proches.

[14]      Compte tenu de tout ceci, peut-on raisonnablement dire que la conjointe du demandeur aurait pu avoir un autre objectif que celui de vivre en permanence avec ce dernier si elle venait s"établir au Canada? Le Canada représenterait certainement un environnement fort étranger par rapport à son expérience, et on peut raisonnablement imaginer qu"elle s"y adapterait difficilement même avec l"aide de son conjoint. Si le tribunal avait examiné cette question à fond, il pourrait tout à fait arriver à la conclusion qu"il a tirée. Mais il n"y a pas de preuve consignée au dossier, notamment dans les motifs du tribunal, qui indique qu"il s"est livré à un tel examen ou à une telle analyse. Dans les circonstances, le fait de ne pas avoir procédé à cette analyse et de s"être appuyé uniquement sur l"analyse portant sur l"aspect valable du mariage pour tirer une conclusion quant à l"intention de vivre avec son conjoint m"indique clairement qu"il y a une erreur ouvrant droit au contrôle.

[15]      Pour tous ces motifs, la décision du tribunal sous examen est infirmée et la question est renvoyée à la Commission de l"immigration et du statut de réfugié pour audition et examen par un tribunal différent.

[16]      Une conférence téléphonique sera organisée avec les avocats afin de leur permettre de présenter leurs prétentions quant à savoir si cette affaire soulève une question de portée générale.





FREDERICK E. GIBSON

Juge


Ottawa (Ontario)

Le 7 janvier 2000




Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



No DU GREFFE :              IMM-841-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :          BEANT SINGH MEELU c. MCI


LIEU DE L'AUDIENCE :          CALGARY (ALBERTA)
DATE DE L'AUDIENCE :          LE 13 DÉCEMBRE 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. LE JUGE GIBSON

EN DATE DU :              7 JANVIER 2000



ONT COMPARU

M. CHARLES R. DARWENT              POUR LE DEMANDEUR

M. BRAD HARDSTAFF                  POUR LE DÉFENDEUR



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

M. CHARLES R. DARWENT              POUR LE DEMANDEUR




M. Morris Rosenberg                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

__________________

1      L.R.C. (1985), ch. I-2.

2      DORS/78-172, tel que modifié.

3      [1985] 2 C.F. 359 (C.F. 1re Inst.).

4      (1994) 88 F.T.R. 312.

5      [1994] J.C.F. no 32 (C.F. 1re Inst.), (jugement qui n"a pas été cité par les parties).

6      Page 038 du dossier du tribunal.

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