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                                               Date : 19980813

                                         Dossier : IMM-4044-98

OTTAWA (ONTARIO), le jeudi 13 août 1998

EN PRÉSENCE DE : MONSIEUR LE JUGE EVANS

ENTRE

                      OMOKARO UKPONMWAN,

                                                    demandeur,

                              et

      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                                    défendeur.

                          ORDONNANCE

          VU LA REQUÊTE, introduite par l'avocat du demandeur, en sursis à l'exécution de la mesure d'expulsion en attendant qu'il soit statué sur la demande de contrôle judiciaire du demandeur;

          APRÈS avoir pris connaissance des documents présentés par les avocats des parties et après les avoir entendus par conférence téléphonique;

          LA COUR ORDONNE :

          La requête en sursis à l'exécution du renvoi du demandeur du Canada prévue pour le 13 août 1998 est rejetée.

                                           John M. Evans   

                                                Juge

Traduction certifiée conforme

Tan, Trinh-viet


                                               Date : 19980813

                                         Dossier : IMM-4044-98

ENTRE

                      OMOKARO UKPONMWAN,

                                                    demandeur,

                              et

      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                                    défendeur.

                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE EVANS

A. Introduction

[1]        Le 10 août 1998, le demandeur, M. Omokaro Ukponmwan, citoyen nigérian, s'est fondé sur l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration pour solliciter l'autorisation de demander, en application de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, le contrôle judiciaire d'une décision qui avait été prise et qui lui avait été communiquée le 30 juillet 1998 par M. Peter Loewry, un agent chargé d'exécuter la loi d'Immigration Canada, lui enjoignant de se présenter aux fins de renvoi du Canada le 13 août 1998. Cette décision donnait effet à une mesure d'expulsion datée du 29 janvier 1996 qui était devenue exécutoire lorsque la revendication du statut de réfugié présentée par M. Ukponmwan avait été rejetée par la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié le 29 juillet 1997; l'autorisation de demander le contrôle judiciaire de la décision de la Commission a été refusée le 27 novembre 1997.


[2]        La présente requête, entendue d'urgence le 12 août 1998 par conférence téléphonique, est introduite par le demandeur pour faire suspendre son renvoi, notamment pour le motif qu'il est probable qu'il soit soumis à la détention et à la torture par les autorités nigérianes dans l'éventualité de son retour, tant parce qu'il est un Ogoni et un membre d'un groupe de résistance, le Movement of Survival of the Ogoni People (le mouvement de la survie du peuple Ogoni), que parce qu'il est une personne qui a en vain présenté une revendication du statut de réfugié à l'étranger, ce que, selon le demandeur, les autorités nigérianes considèrent comme un dénigrement de la réputation du Nigeria.

B. Le pouvoir de la Cour d'accorder un sursis d'exécution

[3]        La présente requête soulève deux questions de compétence. La première a trait à la portée du pouvoir de la Cour de surseoir à l'exécution du renvoi d'une personne contre qui une mesure d'expulsion a été prise lorsque la validité de la mesure elle-même n'est pas en question. La seconde porte sur le pouvoir de la Cour de contrôler des décisions prises concernant l'exécution de mesures d'expulsion.

[4]        Au moins depuis la promulgation en 1992 de l'article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale, il est bien établi que la Cour a compétence pour ordonner le sursis à l'exécution d'une mesure d'expulsion en attendant qu'il soit statué sur une demande de contrôle judiciaire contestant la validité de la mesure, que l'autorisation de demander le contrôle judiciaire ait déjà été accordée ou non : Hosein c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1992), 17 Imm. L.R. (2d) 125 (C.F.1re inst.). Il est plus incertain que la Cour ait compétence lorsque la demande de contrôle judiciaire ne conteste pas la mesure elle-même mais son exécution.

[5]        Pour ce qui est de la dernière question, il existe une jurisprudence pour ou contre cette idée, dont une grande partie est résumée dans l'affaire Llewellyn c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 24 Imm. L.R. (2d) 154 (C.F.1re inst.). Par exemple, il a été décidé que la Cour n'avait pas compétence pour surseoir à l'exécution d'un renvoi en attendant qu'il soit statué sur une demande présentée en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration pour que le demandeur soit autorisé à demeurer au Canada pour des raisons d'ordre humanitaire : Shchelkanov c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 76 F.T.R. 151 (C.F.1re inst.); Paul c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 76 F.T.R. 11 (C.F.1re inst.). D'autre part, des sursis d'exécution ont été ordonnés lorsqu'il était nécessaire de maintenir la compétence de la Cour sur une demande de contrôle judiciaire alléguant l'illégalité du renvoi sans contester la validité de la mesure d'expulsion elle-même : voir par exemple Petit c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 2 C.F. 505 (C.F.1re inst.); Llewellyn (supra), Samakhvalov c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1994), 76 F.T.R. 56 (C.F.1re inst.).

[6]        Certes, la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire rédigée à la hâte présentée par le demandeur ne le dit pas clairement; mais le demandeur semblerait prétendre essentiellement qu'il est illégal pour le défendeur de le renvoyer du Canada dans des circonstances où, à son retour, il est probable qu'il soit détenu sans procès et soumis à la torture par les autorités nigérianes. Probablement, on prétendra que le défendeur va par là imposer au demandeur une peine cruelle et inhabituelle, contrairement à l'article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, ou priver le demandeur des droits qu'il tient de l'article 7. Puisque cela saperait la compétence de la Cour sur la présente demande si le demandeur était renvoyé au Nigeria avant que celle-ci ne soit tranchée, je déciderais que la Cour a compétence pour surseoir à l'exécution du renvoi jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la demande : comparer Nguyen c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 1 C.F. 696, 708 et 709 (C.A.F.)

[7]        La seconde question de compétence soulevée par Me Friday, avocat du défendeur, concerne la soumission au contrôle judiciaire de la décision prise par l'agent chargé d'exécuter la loi enjoignant au demandeur de se présenter aux fins de renvoi, lorsque la validité de la mesure d'expulsion elle-même n'est pas contestée. Je sais bien que la Cour devrait répugner à soumettre à un examen minutieux afin de trouver une erreur de droit les dispositions prises pour exécuter une mesure de renvoi « dès que les circonstances le permettent » , comme l'exige l'article 48 de la Loi sur l'immigration. Toutefois, comme l'avocat du demandeur, Me Yallen, a demandé pour la forme au débat : si le demandeur ne peut contester la validité de son renvoi au Nigéria à ce stade, de quelle autre façon est-ce qu'il peut protéger son droit de ne pas être soumis par Immigration Canada à la torture et à la détention illégale aux mains des autorités nigérianes? Notre droit a pour principe capital que des personnes ne devraient pas se voir refuser une mesure de redressement efficace pour faire valoir leurs droits légaux, particulièrement, bien entendu, ceux qui sont garantis par la Constitution. En conséquence, je conclus que la Cour a compétence pour contrôler la validité des directives données pour le renvoi du demandeur au Nigeria et pour ordonner sa suspension lorsque, comme en l'espèce, le demandeur allègue qu'il est probable qu'il soit torturé ou détenu par les autorités nigérianes dans l'éventualité de son retour.

C. L'exercice de la compétence

[8]        Le pouvoir de la Cour de surseoir à l'exécution d'une expulsion en attendant qu'il soit statué sur une demande de contrôle judiciaire est, bien entendu, discrétionnaire. En exerçant son pouvoir, la Cour se laisse guider par le critère à trois volets établi dans l'arrêt Toth c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 1 C.F. 536 (C.A.F.).

[9]        La première partie du critère exige du demandeur de sursis d'exécution qu'il convainque la Cour qu'il existe une sérieuse question ou une cause raisonnablement soutenable à déterminer à l'occasion de la demande de contrôle judiciaire dont est saisie la Cour. Je dois présumer qu'aux fins de la présente requête, la question de savoir si le renvoi du Canada d'une personne, qui n'a pas été reconnue comme réfugié, vers un pays où il est probablement soumis à torture ou à une détention prolongée sans procès, va à l'encontre des articles 7 ou 12 de la Charte est une sérieuse question de droit. Toutefois, ce qui est plus difficile pour le demandeur, c'est la question de savoir s'il a produit assez d'éléments de preuve pour me convaincre, selon la prépondérance des probabilités, qu'il est probable qu'il connaisse ces malheurs s'il est renvoyé au Nigeria conformément aux directives de M. Lowery.

[10]       Dans son affidavit et dans les documents y joints, et dans les observations orales de son avocat, le demandeur témoigne des abus des droits de la personne commis dans les années récentes par des membres de l'armée et de la police du Nigeria contre des dissidents politiques, particulièrement contre le peuple Ogoni et ceux qui s'associent avec le MOSOP. Le demandeur témoigne également de l'instabilité continue de la situation des droits de la personne au Nigeria par suite des décès récents du général Abacha et du Chef Abiola, malgré les intentions annoncées du gouvernement actuel, conduit par le général Abubakar, de restaurer l'autorité civile au Nigeria. De plus, le demandeur a produit des éléments de preuve provenant d'une source selon lesquels il est probable que les revendicateurs du statut de réfugié déboutés soient torturés à leur retour. De plus, puisque le passeport du demandeur a été perdu, il sera envoyé du Canada muni d'un [TRADUCTION] « document de voyage canadien à but unique » , dont la conséquence sera de le remettre aux autorités d'immigration nigérianes, ce qui augmente la possibilité qu'il soit torturé ou emprisonné.

[11]       En réponse, le défendeur s'est appuyé dans une grande mesure sur le fait que le demandeur a été jugé non crédible par la Commission lorsqu'elle a rejeté sa revendication du statut de réfugié. Dans ses motifs de décision, la Commission a rejeté la prétention du demandeur selon laquelle il était un Ogoni et avait été un militant au sein du MOSOP. Pour ce qui est de la situation actuelle du Nigeria, M. Friday s'est appuyé sur des déclarations attribuées le mois dernier à un général nigérian, récemment libéré après avoir été emprisonné pour son opposition au régime précédent, qui exprimaient un optimisme prudent concernant la perspective de la situation des droits de la personne à l'égard de l'engagement manifeste du général Abubakar de rétablir le gouvernement civil.

[12]       Malgré les efforts louables de Me Yallen, je ne suis pas convaincu que la demande de contrôle judiciaire soulève une sérieuse question ou une cause raisonnablement soutenable. En conséquence, je refuse d'exercer mon pouvoir discrétionnaire pour suspendre le renvoi du demandeur prévu pour le 13 août 1998.    Le rejet par la Commission de la revendication du statut de réfugié présentée par le demandeur pour des motifs de crédibilité fait qu'il est très difficile pour lui de soutenir qu'il est probable qu'il soit soumis à la torture en sa qualité d'Ogoni ou de militant au sein du MOSOP. De plus, bien qu'il existe indubitablement des incertitudes quant à l'avenir, la situation des droits de la personne au Nigeria semble s'améliorer sous le régime du général Abubakar, ce qui réduit la possibilité que le demandeur soit détenu indéfiniment ou torturé simplement parce que les autorités d'immigration au Nigeria pourraient le reconnaître comme un revendicateur du statut de réfugié débouté au Canada.

[13]       En fait, l'argument de l'avocat du demandeur équivaut presque à une affirmation selon laquelle tout Nigérian qui présente une revendication du statut de réfugié au Canada, peu importe si elle est sans fondement, ne peut, sur le plan juridique, être renvoyé au Nigeria, au moins en l'absence d'un passeport. Cela ne saurait être exact. Que la situation du Nigeria soit actuellement telle que les revendicateurs du statut de réfugié déboutés devraient être autorisés à demeurer au Canada pour des raisons d'ordre humanitaire est, bien entendu, une question qui relève du pouvoir discrétionnaire du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, et non de la Cour.

[14]       Étant donné ces conclusions, il m'est inutile d'examiner les autres éléments du critère énoncé dans la décision Toth, savoir si le renvoi causerait un préjudice irréparable au demandeur, et savoir en faveur de qui penche la prépondérance des inconvénients. Je note seulement que le motif que j'ai invoqué pour conclure qu'il n'existe aucune question sérieuse à trancher réduit également à rien la prétention du demandeur selon laquelle il subirait un préjudice irréparable dans l'éventualité de son renvoi au Nigeria.

[15]       En conséquence, la requête en sursis d'exécution

introduite par le demandeur est rejetée.

                                     John M. Evans   

                                           Juge

OTTAWA

Le 13 août 1998

Traduction certifiée conforme

Tan, Trinh-viet


                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                 SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

           AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :IMM-4044-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :Omokaro Ukponmwan c. M.C.I.

REQUÊTE ENTENDUE PAR CONFÉRENCE TÉLÉPHONIQUE ENTRE OTTAWA ET TORONTO

DATE DE L'AUDIENCE :               le 12 août 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :       le juge Evans

EN DATE DU13 août 1998

ONT COMPARU :

Arthur Yallen                         pour le demandeur

Godwin Friday                         pour le défendeur

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:

Gilbert & Yallen

Toronto (Ontario)                pour le demandeur

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

                                pour le défendeur

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