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Date : 20010530

Dossier : T-124-00

Référence neutre : 2001 CFPI 556

Ottawa (Ontario) le 30 mai 2001

                                                         

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

RECOURS EN RÉVISION EXERCÉ en vertu de l'article 44

de la Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), ch. A-1, mod.

ENTRE :

JACQUES WHITFORD ENVIRONMENT LIMITED

demanderesse

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE, représentée par

le ministre de la Défense nationale

défenderesse

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                 La demanderesse exerce le présent recours en vertu de l'article 44 de la Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), ch. A-1, (la Loi), en vue d'obtenir du ministère de la Défense nationale (le Ministère) la révision de sa décision du 5 janvier 2000 de communiquer certains dossiers relatifs à la demanderesse et à la certification ISO 14000/1 d'un programme de contrôle des activités militaires aériennes de la cinquième escadre de Goose Bay.


Faits à l'origine du litige

[2]                 Dans une lettre datée du 20 octobre 1998, la demanderesse, Jacques Whitford Environment Limited, a soumis une proposition spontanée (la proposition spontanée) au Ministère. La proposition spontanée a été présentée pour répondre à un besoin que la demanderesse estimait que le Ministère pouvait avoir mais qui n'avait pas fait l'objet d'un appel d'offres public. La proposition spontanée contenait notamment une explication de la méthodologie qui serait utilisée pour répondre au présumé besoin du Ministère. Les parties ne s'entendent pas sur la question de savoir si la proposition spontanée était une version provisoire et si le Ministère était invité à l'examiner et à formuler des observations avant que la version définitive ne soit rédigée.

[3]     Le Ministère n'a pas accepté la proposition spontanée. Il a toutefois lancé le 24 décembre 1998, un appel d'offres abrégées pour des travaux semblables à ceux qui étaient suggérés dans la proposition spontanée. La demanderesse a répondu à cet appel d'offres. La proposition abrégée ne renfermait pas d'explications de la méthodologie à employer.


[4]                 Le 30 novembre 1998, le Ministère a reçu une demande de communication de tous les documents relatifs [TRADUCTION] « aux démarches entreprises par le Ministère pour obtenir la certification ISO 14000/1 de son programme de contrôle des activités militaires aériennes de la cinquième escadre de Goose Bay » . Après avoir examiné les documents relatifs à la demande, le Ministère a conclu qu'ils contenaient ce qu'il estimait être des « renseignements de tiers » qui avaient trait à la demanderesse. Par télécopie datée du 8 janvier 1999, la demanderesse a été informée de la demande et de l'intention du Ministère d'exclure la proposition spontanée (qui fait l'objet de la présente demande) en vertu des alinéas 20(1)b) et c) de la Loi. La demanderesse a répondu en demandant que sa proposition spontanée ne soit pas divulguée.

[5]                 Au début de mars 1999, en réponse à la demande qui lui avait été adressée, le Ministère a divulgué certains renseignements, mais pas la proposition spontanée. Plus tard au cours du même mois, le Commissariat à l'information a informé le Ministère qu'il enquêtait sur des plaintes portées à la suite de la demande de renseignements. Dans une lettre datée du 26 octobre 1999, le Ministère a informé la demanderesse qu'il estimait maintenant que la proposition spontanée devait être communiquée et il invitait la demanderesse à lui présenter ses observations si elle était d'avis contraire. La demanderesse a formulé des observations, mais dans une lettre datée du 5 janvier 2000, elle a été informée que le Ministère avait décidé de communiquer la proposition spontanée. Voici un extrait de la décision :

[TRADUCTION]


Ainsi que vous le savez, le Commissariat à l'information fait enquête sur une plainte portée au sujet des exemptions demandées pour la protection des renseignements qui se trouvent dans les documents ci-joints. Notre Ministère a effectivement examiné les observations que vous avez formulées dans la lettre que vous nous avez adressée le 18 août 1999, de même que la lettre que vous avez écrite le 4 octobre 1999 à l'enquêteur George Sluzar, au sujet de la protection des documents en vertu des alinéas 20(1)b), c) et d) de la Loi. Les documents ont été examinés et des discussions ont eu lieu avec M. Sluzar, et le Ministère est maintenant d'avis que d'autres renseignements devraient être communiqués, faute de raison justifiant le refus de les divulguer et satisfaisant aux critères énoncés au paragraphe 20(1). En conséquence, conformément à l'alinéa 28(1)b) de la Loi (voir copie ci-jointe), nous avons décidé de divulguer les renseignements demandés. Les renseignements personnels continueront à être protégés en vertu du paragraphe 19(1) de la Loi.

Moyens invoqués au soutien du recours

[6]    La demanderesse invoque les moyens suivants :

1.       La communication des documents est interdite par l'alinéa 20(1)b) de la Loi, parce qu'ils renferment des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques fournis au ministère de la Défense nationale par la demanderesse, qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante par la demanderesse.

2.       La communication des documents est interdite par l'alinéa 20(1)c) de la Loi, parce qu'ils renferment des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes financières appréciables à la demanderesse ou de nuire à sa compétitivité.

Questions en litige

[7] La demanderesse formule les questions en litige de la façon suivante :


3.                    Les renseignements contenus dans la proposition spontanée qui sont des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques qui ont été fournis à une institution fédérale par la demanderesse et qui sont de nature confidentielle, et que la demanderesse a traités comme tels de façon constante, sont-ils soustraits à l'obligation de communication en vertu de l'alinéa 20(1)b) de la Loi?

4.                    La divulgation de la proposition spontanée risque-t-elle vraisemblablement de causer des pertes financières appréciables à la demanderesse ou de nuire à sa compétitivité au sens de l'alinéa 20(1)c) de la Loi?

5.                    Si la Cour conclut que la proposition spontanée n'est pas soustraite en entier à l'obligation de communication, certains des renseignements devraient-ils être retranchés du reste du document avant la divulgation des renseignements qui ne sont pas exemptés?

Prétentions et moyens de la demanderesse

[8]         La demanderesse affirme qu'il lui incombe de démontrer que les documents demandés ne devraient pas être communiqués : Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé et du Bien-être social, (1989), 30 C.P.R. (3d) 473 (C.F. 1re inst.).


[9]         L'alinéa 20(1)b) de la Loi

La demanderesse invoque le jugement Air Atonabee Ltd. c. Canada (Ministre des Transports), (1989), 27 F.T.R. 194 (C.F. 1re inst.), dans lequel M. le juge MacKay a fait remarquer que les documents demandés doivent satisfaire aux quatre critères suivants pour être exemptés de l'obligation de communication en vertu de l'alinéa 20(1)b). Ainsi, les renseignements contenus dans les documents demandés doivent être :

1.                    des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques;

2.                    de nature confidentielle;

3.                    fournis à une institution fédérale par un tiers;

4.                    traités de façon confidentielle de façon constante par ce tiers.

[10]       Renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques

La demanderesse fait valoir que, dans le jugement Air Atonabee, précité, le juge MacKay s'est contenté d'accepter le sens courant donné par les dictionnaires pour conclure, à la page 208, qu' « il suffit, pour l'application de l'alinéa 20(1)b), que les renseignements concernent des questions financières, commerciales, scientifiques ou techniques, au sens courant de ces termes » .


[11]       La demanderesse soutient en outre que la question de savoir si la proposition soumise par une société en réponse à un appel d'offres lancé par le Secrétariat d'État constituait ou non des renseignements commerciaux n'a pas été explicitement abordée par Monsieur le juge Strayer (maintenant juge à la Cour d'appel) dans le jugement Société Gamma Inc. c. Canada (Secrétariat d'État), (1994), 79 F.T.R. 42 (C.F. 1re inst.). La demanderesse affirme toutefois qu'il semble que la Cour a tenu pour acquis que les propositions en litige constituaient effectivement des « renseignements commerciaux » .

[12]       La demanderesse invoque également le jugement Keddy c. Agence de promotion économique du Canada atlantique, (1993), 66 F.T.R. 227 (C.F. 1re inst.), dans lequel le juge MacKay a statué que les renseignements demandés, en l'occurrence les « renseignements financiers, les prix proposés, le genre de développement proposé, la mise en marché proposée et la demande prévue de chambres d'hôtel » constituaient soit des renseignements financiers, soit des renseignements commerciaux. La demanderesse affirme en conséquence que, dans ces conditions, il est peu douteux que les documents demandés constituent des renseignements commerciaux au sens de l'alinéa 20(1)b) de la Loi. Les documents demandés renferment un exposé de l'ampleur des travaux proposés, une explication de l'approche et de la méthodologie à employer et une estimation du prix des travaux proposés. La demanderesse exploite une entreprise qui fournit le type de travaux visés par les documents dont la communication est réclamée et elle exécute ces travaux dans un contexte de concurrence. La demanderesse affirme par conséquent que les documents demandés se rapportent directement à ses activités commerciales.


[13]       Renseignements de nature confidentielle

La demanderesse affirme que le juge MacKay a résumé l'état du droit sur la question dans le jugement Air Atonabee, précité, à la page 208 :

La deuxième exigence de l'alinéa 20(1)b), c'est-à-dire celle qui prévoit que les renseignements doivent être de nature confidentielle, a été examinée dans plusieurs décisions. Ces décisions établissent que les renseignements doivent être de nature confidentielle suivant un critère objectif qui tienne compte du contenu des renseignements, de leur but et des conditions dans lesquelles ils ont été préparés et communiqués (le juge en chef adjoint Jerome dans le jugement Montana, précité, à la page 25). Il ne suffit pas que le tiers déclare, sans autre preuve, que les renseignements sont confidentiels (voir, par ex., Merck Frosst Canada Inc., précité, Noël c. Administration de pilotage des Grands Lacs Ltée et autres, (1987), 45 D.L.R. (4th) 127 (C.F. 1re inst.)). Des renseignements ont été jugés non confidentiels, même si le tiers les considérait comme tels, lorsque le public y avait accès par une autre source (Canada Packers Inc. c. Ministre de l'Agriculture, [1988] 1 C.F. 483 (C.F. 1re inst.) et la jurisprudence connexe, appel rejeté pour d'autres motifs à [1989] 1 C.F. 47 (C.A.F.)), ou lorsqu'ils pouvaient être obtenus antérieurement ou sous une autre forme de l'Administration (Canada Packers Inc., précité, Merck Frosst Canada Inc., précité). Les renseignements ne sont pas confidentiels s'ils peuvent être obtenus par observation, quoiqu'avec plus d'efforts de la part de l'auteur de la demande (jugement Noël, précité). Comme le juge en chef adjoint Jerome l'a souligné dans des décisions antérieures relatives à l'alinéa 20(1)b) :

Il ne suffit pas que [la requérante] ait considéré [...] que les renseignements étaient confidentiels [...] Il faut aussi qu'ils aient été gardés confidentiels par les deux parties et doivent donc [...] ne pas avoir été divulgués dune autre manière ni pouvoir être obtenus de sources auxquelles le public a accès.

Maislin Industries Ltd. c. Ministre de l'Industrie et du Commerce et autre,[1984] 1 C.F. 939; 10 D.L.R. (4th) 417, 80 C.P.R. (2d) 253 (C.F. 1re inst.), à la page 257 C.P.R.); (DMR Associates c. Ministre des Approvisionnements et Services, (1984), 11 C.P.R. (3d) 87, à la page 91 (C.F. 1re inst.) .

Et, plus loin, à la page 210 :

Cet examen m'amène à considérer ce qui suit comme un exposé détaillé de l'opinion formulée par le juge en chef adjoint Jerome dans le jugement Montana, précité, dans lequel celui-ci a déclaré que la question de savoir si un renseignement est de nature confidentielle dépend de son contenu, de son objet et des circonstances entourant sa préparation et sa communication, c'est-à-dire :


a) le contenu du document est tel que les renseignements qu'il contient ne peuvent être obtenus de sources auxquelles le public a autrement accès, ou ne peuvent être obtenus par observation ou par étude indépendante par un simple citoyen agissant de son propre chef;

b) les renseignements doivent avoir été transmis confidentiellement dans l'assurance raisonnable qu'ils ne seront pas divulgués;

c) les renseignements doivent être communiqués, que ce soit parce que la loi l'exige ou parce qu'ils sont fournis gratuitement, dans le cadre d'une relation de confiance entre l'Administration et la personne qui les fournit ou dans le cadre d'une relation qui n'est pas contraire à l'intérêt public, et la communication des renseignements confidentiels doit favoriser cette relation dans l'intérêt du public.

La demanderesse soutient que ce dernier passage a été appliqué dans le jugement Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Ministre des Affaires extérieures), [1990] 3 C.F. 665 (C.F. 1re inst.), dans lequel M. le juge Denault a toutefois fait remarquer que les points susmentionnés devaient être utilisés comme indices du caractère confidentiel plutôt que comme conditions de celui-ci.

[14]       La demanderesse affirme que les documents demandés ont été produits sous réserve d'une exception légitime de confidentialité. La proposition spontanée qui a été soumise n'était qu'une version provisoire, car la demanderesse s'attendait à ce que le Ministère lui fasse connaître ses observations après l'avoir examinée. La demanderesse affirme que ce document n'était pas de façon réaliste censé être communiqué à un vaste groupe indifférencié. Les documents demandés ont été envoyés de façon non officielle et n'étaient donc pas sollicités. En d'autres termes, suivant la demanderesse, les documents demandés n'ont pas été produits dans le cadre d'une procédure d'appel d'offres officielle, ou même non officielle.


[15]       Le Ministère a d'abord décidé de ne pas diffuser au grand public la proposition spontanée. Suivant la demanderesse, cette décision indique que le Ministère considérait lui aussi ces renseignements comme confidentiels. La demanderesse fait également remarquer que le public n'a pas accès à ces renseignements par une autre source.

[16]       La demanderesse cite le jugement Société Gamma Inc., précité, dans lequel le juge Strayer (maintenant juge à la Cour d'appel) a déclaré, à la page 46 : « Il existe peut-être de bonnes raisons de considérer les propositions ou les soumissions comme confidentielles tant que le contrat n'aura pas été adjugé [...] » La demanderesse fait remarquer que la proposition spontanée n'a pas été acceptée en l'espèce et que, bien que le Ministère ait lancé un appel d'offres en vue de recevoir des propositions abrégées, la demanderesse n'a pas divulgué -- et n'a pas été obligée de divulguer -- les renseignements mêmes dont on cherche présentement à obtenir la communication.

[17]       Fournis à une institution fédérale par un tiers

La demanderesse affirme qu'elle a fourni la proposition spontanée au Ministère.

[18]       Traités comme [des renseignements confidentiels] de façon constante par ce tiers


La demanderesse affirme qu'elle a essentiellement traité de cette question dans les observations qu'elle a formulées sous la rubrique « renseignements de nature confidentielle » . Elle souligne qu'elle n'a pas dévoilé publiquement la méthodologie exposée en détail dans la proposition spontanée. La demanderesse soutient que dans ces conditions la proposition spontanée devrait être soustraite à l'obligation de communication en vertu de l'alinéa 20(1)b) de la Loi.

[19]       Alinéa 20(1)c)

Bien qu'un nombre appréciable de décisions aient été rendues au sujet de l'alinéa 20(1)c) de la Loi, la demanderesse signale que la décision de principe semble être l'arrêt Canada Packers Inc. c. Canada (Ministre de l'Agriculture), [1989] 1 C.F. 47 (C.A.F.), dans lequel M. le juge MacGuigan a déclaré, à la page 60 : « J'estime qu'on doit interpréter les exceptions au droit d'accès figurant aux alinéas c) et d) comme exigeant un risque vraisemblable de préjudice probable. » La demanderesse affirme que cette interprétation a par la suite été confirmée dans l'arrêt Saint John Shipbuilding Ltd. c. Canada (Ministre des Approvisionnements et Services), (1990), 107 N.R. 89 (C.A.F.). La demanderesse cite également l'extrait suivant du jugement Canada (Commissaire à l'information), précité, à la page 679 :

Ainsi, bien que la loi soit claire, et que le critère applicable ne soit pas contesté, la détermination de ce qui constitue « un risque vraisemblable de préjudice probable » soulèvera invariablement de sérieuses divergences d'opinion, comme c'est le cas en l'espèce.


[20]       La demanderesse signale qu'il n'est pas nécessaire de faire témoigner un expert, particulièrement lorsque les affidavits produits par les parties démontrent l'existence d'un risque vraisemblable de préjudice probable. Elle cite le jugement Perez Bramalea Ltd. c. Commission de la capitale nationale, [1995] A.C.F. no 63, T-2572-91, T-611-92 et T-1393-93 (18 janvier 1995) (C.F. 1re inst.), à l'appui de cet argument.

[21]       La demanderesse cite également le jugement Culver c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), [1999] A.C.F. no 1641, T-1390-98 (27 octobre 1999) (C.F. 1re inst.), dans lequel M. Culver réclamait une copie des contrats conclus entre Standard Aero Ltd. et le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux ayant pour objet la réparation, la révision ou la modification de certaines turbines d'avion. Standard Aero s'opposait à la communication des renseignements de ces contrats qui concernaient le mode d'établissement des prix, les frais, les descriptifs et d'autres renseignements, au motif que leur divulgation donnerait à ses concurrents un avantage injuste en ce qui concerne les appels d'offres futurs tant du secteur public que du secteur privé. Le ministère concerné a accepté de ne pas divulguer les renseignements, à la suite de quoi M. Culver en a réclamé la communication. Voici ce que Mme le juge McGillis a conclu, au paragraphe 17 :


Je conclus, après examen de toutes les preuves et témoignages versés au dossier, que le ministre a prouvé, selon la norme de la probabilité la plus forte, qu'il y a pour Standard Aero un « risque vraisemblable de préjudice probable » . Dans son témoignage, M. Ozog a fait savoir que les renseignements en question permettraient aux concurrents de sa compagnie « de calculer divers tarifs éventuels qui permettent de vendre moins cher » qu'elle pour ce qui est du contrat avec le ministère « ou d'autres contrats » . Elle leur fournirait encore, dans ce secteur d'activités où la concurrence est féroce à travers le monde, un « lot important d'informations et de renseignements confidentiels d'ordre financier et commercial » . L'effet préjudiciable d'une divulgation serait d'autant plus grave que Standard Aero n'a pas accès aux renseignements du même genre chez ses concurrents. Ce qui revient à dire que la divulgation « compromettrait la compétitivité de Standard Aero » . Ces éléments clés du témoignage de M. Ozog n'ont été ni réfutés ni contestés de quelque façon que ce fût durant le contre-interrogatoire. À mon avis, ce témoignage pris dans son ensemble constitue la preuve, selon la norme de la probabilité la plus forte, que la divulgation des renseignements en question « risquerait vraisemblablement de nuire à la compétitivité » de Standard Aero. Autrement dit, il constitue la preuve d'un risque vraisemblable de préjudice probable pour la compagnie.

[22]       Dans l'affaire Prud'homme c. Agence canadienne de développement international et al. (1994), 85 F.T.R. 302 (C.F. 1re inst.), le demandeur, qui était le premier responsable du principal concurrent d'Agric Air Inc., réclamait la communication du contrat conclu entre Agric Air et l'Agence canadienne de développement international (ACDI) au sujet d'une offre permanente de services de consultants et de professionnels concernant un programme de lutte antiacridienne par épandage aérien en Afrique de l'Ouest. L'ACDI avait auparavant refusé de divulguer plusieurs annexes du contrat. Monsieur le juge Pinard a déclaré ce qui suit, aux pages 305 et 306 :

La preuve au dossier est suffisamment convaincante pour me permettre de conclure que les taux inscrits aux clauses financières contenues aux articles 1.2 à 1.8 de l'annexe C ainsi que la liste du personnel d'Agric Air Inc. contenue à la page 7 de l'annexe D de l'accord constituent des informations qui traduisent l'expertise spécifique acquise par Agric Air Inc., à la suite d'investissements importants en temps et en argent, dans un domaine très spécialisé. Je suis de la même façon satisfait que c'est d'ailleurs en raison de son expertise particulière et de son personnel spécialisé qu'Agric Air Inc. a pu obtenir son accréditation à titre de consultant et de fournisseur de services auprès de l'ACDI, accréditation que le requérant recherche mais n'a pas encore obtenue, précisément en raison de son manque d'expertise et de personnel spécialisé dans ce domaine. Agric Air Inc. est aussi enregistrée en regard de contrats émis par la FAO, USAID et la Banque mondiale. À mon point de vue, la communication au requérant de toutes ces informations, dans les circonstances, équivaudrait à divulguer au principal compétiteur d'Agric Air Inc. le résultat du savoir-faire exceptionnel de cette dernière entreprise dans le domaine de l'épandage aérien et de la consultation qui s'y rattache.

Dans tout ce contexte résultant de la preuve soumise par Agric Air Inc. à l'ACDI, preuve corroborée de façon importante par le requérant lui-même tout au cours de son contre-interrogatoire sur affidavit, la crainte exprimée par Agric Air Inc. de voir la communication de l'information refusée nuire à sa compétitivité m'apparaît fort justifiée. Compte tenu de la nature même de l'information recherchée, de son utilisation potentielle et de la confidentialité dont elle a été constamment entourée, je considère donc que sa divulgation au requérant, dans les circonstances, comporte pour Agric Air Inc. « un risque vraisemblable de préjudice probable » .


[23]       Dans l'affaire Société Gamma Inc., précitée, le tiers demandeur exploitait un service de traduction et sollicitait une ordonnance interdisant au ministère fédéral avec lequel il avait signé un contrat de divulguer les offres de services de traduction soumises en réponse à ce qui équivalait à un appel d'offres. La Cour a finalement conclu que le tiers ne remplissait pas les conditions prévues à l'alinéa 20(1)c) de la Loi. Toutefois, suivant la demanderesse, il y a lieu de signaler que, dans l'affaire Société Gamma Inc., le ministère fédéral concerné avait déjà accepté de retrancher une grande partie des renseignements relatifs au personnel ou avait caché leur identité pour protéger leur vie privée. Le ministère en question avait également convenu de supprimer des détails au sujet de l'équipement que possédait le demandeur, de la capacité de production annuelle de ses traducteurs, certains autres détails concernant ses ressources humaines ainsi que les prix au mot proposés aux termes du contrat.


[24]       La demanderesse affirme que la présente espèce est comparable aux affaires Culver et Prud'homme, dans lesquelles la Cour a refusé d'ordonner la divulgation des renseignements de tiers réclamés (bien que, dans l'affaire Culver, le contrat en litige avait déjà été conclu par les parties). Si le genre de travaux sur lequel portait la proposition spontanée de la demanderesse avait fait l'objet d'un appel d'offres public, tout concurrent en mesure d'exécuter ces travaux aurait bénéficié des démarches entreprises par la demanderesse pour mettre au point sa méthodologie unique à cet égard. Contrairement à la situation dans l'affaire Prud'homme, la demanderesse n'est pas au courant de l'identité de la personne qui réclame les renseignements. Toutefois, selon la demanderesse, une fois que les renseignements seront divulgués, il sera indifférent de savoir qui a demandé les renseignements car ils feront déjà partie du domaine public. La demanderesse affirme donc que les chances ne seront pas égales et qu'en conséquence, il existe un risque raisonnable de préjudice probable.

[25]       Prélèvement

La demanderesse invoque l'article 51 de la Loi pour le cas où la Cour conclurait qu'une partie des renseignements contenus dans les documents demandés devraient être communiqués, et elle affirme qu'il faut rapprocher l'article 51 de l'article 25.

[26]       La demanderesse cite l'affaire Bande indienne de Montana c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1989] 1 C.F. 143 (C.F. 1re inst.), dans laquelle la question du caractère raisonnable du prélèvement a été soulevée. Dans le jugement Montana, M. le juge en chef adjoint Jerome a statué que, si pratiquement tout le contenu d'un document devait être expurgé, supprimant ainsi le contexte du reste du document, le « travail de prélèvement nécessaire de la part du Ministère [ne serait] pas raisonnablement proportionné à la qualité de l'accès qui s'ensuivrait » .


[27]       La demanderesse soutient également qu'il ressort du jugement Ottawa Football Club c. Canada (Ministre de la Condition physique et du Sport amateur), [1989] 2 C.F. 480 (C.F. 1re inst.), que le prélèvement de renseignements exemptés qui n'empêche pas le reste du document d'avoir « un sens » et qui « n'altère pas le sens du [document] original » constitue un prélèvement raisonnable. Finalement, la demanderesse cite le jugement Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Solliciteur général), [1988] 3 C.F. 551 (C.F. 1re inst.), dans lequel le juge en chef adjoint Jerome a statué que « des bribes de renseignements pouvant être divulgués, extraites de passages par ailleurs protégés, ne peuvent être prélevées sans poser de problèmes sérieux » parce que ce qui sera divulgué « peut s'avérer dépourvu de sens ou induire en erreur puisque les renseignements qu'il contient sont tout à fait hors contexte » et que, ce qui reste peut « fournir des indices quant au contenu des extraits retranchés » .

[28]       La demanderesse affirme qu'il n'y a pas de raison particulière pour laquelle certains des renseignements ne peuvent être prélevés du reste du document, permettant ainsi à une partie d'être divulguée tout en exemptant les passages qui devraient être protégés en vertu de l'alinéa 20(1)b) ou de l'alinéa 20(1)c) ou des deux. Sans mentionner les détails exacts du document lui-même, la demanderesse fait valoir que les dispositions portant sur l'ampleur des travaux, l'approche et la méthodologie à employer, l'échéancier et l'estimation du prix constituent des renseignements qui devraient être exemptés.


Prétentions et moyens de la défenderesse

[29]       Objet de la Loi

La défenderesse affirme que le paragraphe 2(1) de la Loi précise bien que celle-ci a pour objet de consacrer le principe du droit du public à la communication des documents de l'administration fédérale et que les exceptions à ce droit d'accès doivent être précises et limitées. La défenderesse fait valoir que les tribunaux ont jugé que ce principe de base de la Loi signifie que les tribunaux ne doivent entraver cet accès du public que dans les cas les plus évidents et que le fardeau de persuasion incombe à celui qui refuse de communiquer les renseignements demandés. La défenderesse reconnaît toutefois que le droit d'accès n'est pas absolu et qu'il doit être examiné en tenant compte des autres dispositions de la Loi et des exceptions qu'elle renferme (Rubin c. Canada (Greffier du Conseil privé), [1994] 2 C.F. 707 (C.A.F.), confirmé à [1996] 1 R.C.S 6, (1996), 191 N.R. 394 (C.S.C.)).

[30]       Suivant la défenderesse, lorsqu'on examine l'application des exemptions prévues par la Loi, la norme de preuve applicable dans le cas des alinéas 20(1)b) et c) est celle de la probabilité la plus forte.


[31]             Alinéa 20(1)b) de la Loi

La défenderesse soutient que les renseignements doivent satisfaire aux quatre critères articulés dans le jugement Air Atonabee, précité, pour pouvoir être exemptés de l'obligation de communication, et elle fait remarquer qu'il ne suffit pas qu'un tiers affirme, sans autre preuve, que les renseignements sont confidentiels. La défenderesse affirme en outre qu'il doit être démontré objectivement que les renseignements sont effectivement confidentiels. Elle cite les jugements Société Gamma Inc. et Maislin Industries, précités, à l'appui de cette proposition.

La défenderesse soutient que le fait que l'Administration et le tiers ont jusqu'à maintenant respecté le caractère confidentiel des renseignements ne satisfait qu'à un des volets du critère prescrit par l'alinéa 20(1)b) de la Loi. Elle invoque le jugement Société Gamma Inc., précité, à l'appui de cet argument. La défenderesse soutient qu'il faut également se demander si les renseignements ont été communiqués à la condition que leur caractère confidentiel soit respecté ou à la condition expresse qu'ils ne soient pas divulgués sans permission. Elle invoque les jugements Keddy, précité, et Occam Marine Technologies Ltd. c. Conseil national de recherche du Canada, (1998), 155 F.T.R. 117 (C.F. 1re inst.), au soutien de cet argument. La défenderesse cite également le jugement Bande indienne de Montana, précité, à l'appui de la proposition que la réponse à la question de savoir si les renseignements sont confidentiels dépend de leur contenu, de leur objet et des circonstances dans lesquelles ils ont été compilés et communiqués.


[32]       Application de l'alinéa 20(1)b) aux faits

La défenderesse affirme que la demanderesse n'a pas réussi à avancer quelque élément de preuve que ce soit à l'appui de sa prétention que les renseignements devraient être soustraits à l'obligation de communication. L'affidavit que Michael Van Aanhout a souscrit pour le compte de la défenderesse ne renferme aucun élément de preuve qui appuie la prétention de la demanderesse suivant laquelle les renseignements sont confidentiels. La défenderesse affirme qu'au mieux, les seuls éléments de preuve qui appuient l'exemption de communication sont les observations que la demanderesse a formulées à l'intention de la défenderesse dans le cadre du processus de consultation des tiers. Dans ces observations, la demanderesse affirmait que les renseignements étaient confidentiels, mais elle ne citait aucun fait pour justifier cette affirmation, selon la défenderesse.

La défenderesse soutient en outre que la proposition n'était pas assortie de la condition expresse qu'elle ne soit pas divulguée sans permission. Elle ne contenait pas non plus de disposition précisant qu'il s'agissait d'une version provisoire qui ne deviendrait définitive qu'après que la défenderesse l'aurait examinée. La défenderesse affirme en conséquence que les affirmations non étayées de la demanderesse ne constituent pas la preuve exigée par la Cour pour décider qu'on est objectivement justifié d'accorder l'exemption prévue à l'alinéa 20(1)b) de la Loi.


[33]             Alinéa 20(1)c) de la Loi

La défenderesse affirme que, bien qu'il soit nécessaire qu'il existe un risque raisonnable de préjudice probable pour invoquer l'exemption prévue à l'alinéa 20(1)c), il n'est pas obligatoire d'établir l'existence d'un lien de causalité entre la divulgation et le préjudice en question. La défenderesse cite les jugements Canada Packers, Saint John Shipbuilding et Société Gamma Inc., précités, à l'appui de cet argument.

[34]       La défenderesse affirme que la perte de revenus, qui correspond à un très faible pourcentage des revenus annuels et qui se limite à une région géographique déterminée, n'équivaut peut-être pas à une « perte financière appréciable » . Elle cite le jugement Burns Meats Ltd. c. Canada (Ministre de l'Agriculture) et autres, (1987), 14 F.T.R 137 (C.F. 1re inst.) à l'appui de cet argument. La défenderesse ajoute que le requérant qui se contente d'affirmer dans un affidavit que la divulgation lui causerait des pertes financières et nuirait à ses relations, notamment à ses relations contractuelles, ne démontre pas que la divulgation créerait un risque raisonnable de préjudice probable. La défenderesse cite les jugements SNC-Lavalin Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics), (1994), 79 F.T.R. 113 (C.F. 1re inst.) et Société Radio-Canada. c. Commission de la capitale nationale, (1998), 147 F.T.R. 264 (C.F. 1re inst.) et soutient qu'il faut soumettre à la Cour d'autres éléments de preuve démontrant que ces éventualités sont raisonnablement probables.


[35]       Application de l'alinéa 20(1)c) aux faits

La défenderesse affirme que la preuve de la demanderesse est tout au plus une simple répétition du critère qui a été énoncé par les tribunaux et que la défenderesse n'a aucunement démontré que les éventualités évoquées risquent probablement de se produire. Suivant la défenderesse, ces affirmations non étayées ne constituent pas des éléments de preuve qui permettraient à la Cour de conclure que ces éventualités sont raisonnablement probables.

[36]       Prélèvement

La défenderesse affirme qu'une fois qu'il a décidé de refuser la communication de certains documents, le responsable de l'institution fédérale doit déterminer s'il est raisonnablement possible d'en prélever des parties. Selon la défenderesse, le prélèvement n'est pas raisonnable lorsque ce qui est divulgué du document est dépourvu de sens ou induit en erreur parce que les renseignements qu'il contient sont hors contexte. La défenderesse affirme qu'elle a correctement prélevé la proposition en question.

Dispositions législatives pertinentes

[37]       Voici les dispositions pertinentes de la Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), ch. A-1 :



2. (1) La présente loi a pour objet d'élargir l'accès aux documents de l'administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication, les exceptions indispensables à ce droit étant précises et limitées et les décisions quant à la communication étant susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif.

2. (1) The purpose of this Act is to extend the present laws of Canada to provide a right of access to information in records under the control of a government institution in accordance with the principles that government information should be available to the public, that necessary exceptions to the right of access should be limited and specific and that decisions on la disclosure of government information should be reviewed independently of government.



20. (1) Le responsable d'une institution fédérale est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article, de refuser la communication de documents contenant_ :

a) des secrets industriels de tiers;

b) des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques fournis à une institution fédérale par un tiers, qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante par ce tiers;

c) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou profits financiers appréciables à un tiers ou de nuire à sa compétitivité;

d) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement d'entraver des négociations menées par un tiers en vue de contrats ou à d'autres fins.

20. (1) Subject to this section, the head of a government institution shall refuse to disclose any record requested under this Act that contains

(a) trade secrets of a third party;

(b) financial, commercial, scientific or technical information that is confidential information supplied to a government institution by a third party and is treated consistently in a confidential manner by the third party;

(c) information the disclosure of which could reasonably be expected to result in material financial loss or gain to, or could reasonably be expected to prejudice the competitive position of, a third party; or

(d) information the disclosure of which could reasonably be expected to interfere with contractual or other negotiations of a third party.


25. Le responsable d'une institution fédérale, dans les cas où il pourrait, vu la nature des renseignements contenus dans le document demandé, s'autoriser de la présente loi pour refuser la communication du document, est cependant tenu, nonobstant les autres dispositions de la présente loi, d'en communiquer les parties dépourvues des renseignements en cause, à condition que le prélèvement de ces parties ne pose pas de problèmes sérieux.

25. Notwithstanding any other provision of this Act, where a request is made to a government institution for access to a record that the head of the institution is authorized to refuse to disclose under this Act by reason of information or other material contained in the record, the head of the institution shall disclose any part of the record that does not contain, and can reasonably be severed from any part that contains, any such information or material.

44. (1) Le tiers que le responsable d'une institution fédérale est tenu, en vertu de l'alinéa 28(1)b) ou du paragraphe 29(1), d'aviser de la communication totale ou partielle d'un document peut, dans les vingt jours suivant la transmission de l'avis, exercer un recours en révision devant la Cour.

44. (1) Any third party to whom the head of a government institution is required under paragraph 28(1)(b) or subsection 29(1) to give a notice of a decision to disclose a record or a part thereof under this Act may, within twenty days after the notice is given, apply to the Court for a review of the matter.

51. La Cour, dans les cas où elle conclut, lors d'un recours exercé en vertu de l'article 44, que le responsable d'une institution fédérale est tenu de refuser la communication totale ou partielle d'un document, lui ordonne de refuser cette communication; elle rend une autre ordonnance si elle l'estime indiqué.

51. Where the Court determines, after considering an application under section 44, that the head of a government institution is required to refuse to disclose a record or part of a record, the Court shall order the head of the institution not to disclose the record or part thereof or shall make such other order as the Court deems appropriate.


Analyse et décision

[38]             Première question

Les renseignements contenus dans la proposition spontanée qui sont des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques qui ont été fournis à une institution fédérale par la demanderesse et qui sont de nature confidentielle, et que la demanderesse a traités comme tels de façon constante, sont-ils soustraits à l'obligation de communication en vertu de l'alinéa 20(1)b) de la Loi?


Dans le jugement Air Atonabee Ltd. c. Canada (Ministre des Transports), précité, le juge MacKay a fait remarquer que les documents demandés doivent satisfaire à quatre critères pour échapper à l'obligation de communication en vertu de l'alinéa 20(1)b) de la Loi. Les renseignements contenus dans les documents demandés doivent :

5.                    être des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques;

6.                    être de nature confidentielle;

7.                    avoir été fournis à une institution fédérale par un tiers;

8.                    avoir été traités de façon confidentielle de façon constante par ce tiers.

[39]       À l'instruction de la présente affaire, j'ai ordonné le huis clos.

[40]       Les parties ont convenu à l'audience que les documents demandés satisfont aux critères 1, 3 et 4 exposés au paragraphe 38. Je suis du même avis. La Cour doit maintenant décider si le document constitue un renseignement confidentiel. Par souci de commodité, je répète les propos formulés par le juge MacKay dans le jugement Air Atonabee, précité, aux pages 208 et 210 :


La deuxième exigence de l'alinéa 20(1)b), c'est-à-dire celle qui prévoit que les renseignements doivent être de nature confidentielle, a été examinée dans plusieurs décisions. Ces décisions établissent que les renseignements doivent être de nature confidentielle suivant un critère objectif qui tienne compte du contenu des renseignements, de leur but et des conditions dans lesquelles ils ont été préparés et communiqués (le juge en chef adjoint Jerome dans le jugement Montana, précité, à la page 25). Il ne suffit pas que le tiers déclare, sans autre preuve, que les renseignements sont confidentiels (voir, par ex., Merck Frosst Canada Inc., précité, Noël c. Administration de pilotage des Grands Lacs Ltée et autres, (1987), 45 D.L.R. (4th) 127 (C.F. 1re inst.)). Des renseignements ont été jugés non confidentiels, même si le tiers les considérait comme tels, lorsque le public y avait accès par une autre source (Canada Packers Inc. c. Ministre de l'Agriculture, [1988] 1 F.C. 483 (C.F. 1re inst.) et la jurisprudence connexe, appel rejeté pour d'autres motifs à [1989] 1 C.F. 47 (C.A.F.)), ou lorsqu'ils pouvaient être obtenus antérieurement ou sous une autre forme de l'Administration (Canada Packers Inc., précité, Merck Frosst Canada Inc., précité). Les renseignements ne sont pas confidentiels s'ils peuvent être obtenus par observation, quoiqu'avec plus d'efforts de la part de l'auteur de la demande (jugement Noël, précité). Comme le juge en chef adjoint Jerome l'a souligné dans des décisions antérieures relatives à l'alinéa 20(1)b) :

Il ne suffit pas que [la requérante] ait considéré [...] que les renseignements étaient confidentiels [...] Il faut aussi qu'ils aient été gardés confidentiels par les deux parties et doivent donc [...] ne pas avoir été divulgués dune autre manière ni pouvoir être obtenus de sources auxquelles le public a accès.

Maislin Industries Ltd. c. Ministre de l'Industrie et du Commerce et autre,[1984] 1 C.F. 939; 10 D.L.R. (4th) 417, 80 C.P.R. (2d) 253 (C.F. 1re inst.), à la page 257 C.P.R.); (DMR Associates c. Ministre des Approvisionnements et Services, (1984), 11 C.P.R. (3d) 87, à la page 91 (C.F. 1re inst.) .

Et, plus loin, à la page 210 :

Cet examen m'amène à considérer ce qui suit comme un exposé détaillé de l'opinion formulée par le juge en chef adjoint Jerome dans le jugement Montana, précité, dans lequel celui-ci a déclaré que la question de savoir si un renseignement est de nature confidentielle dépend de son contenu, de son objet et des circonstances entourant sa préparation et sa communication, c'est-à-dire :

a) le contenu du document est tel que les renseignements qu'il contient ne peuvent être obtenus de sources auxquelles le public a autrement accès, ou ne peuvent être obtenus par observation ou par étude indépendante par un simple citoyen agissant de son propre chef;

b) les renseignements doivent avoir été transmis confidentiellement dans l'assurance raisonnable qu'ils ne seront pas divulgués;

c) les renseignements doivent être communiqués, que ce soit parce que la loi l'exige ou parce qu'ils sont fournis gratuitement, dans le cadre d'une relation de confiance entre l'Administration et la personne qui les fournit ou dans le cadre d'une relation qui n'est pas contraire à l'intérêt public, et la communication des renseignements confidentiels doit favoriser cette relation dans l'intérêt du public.


[41]             Monsieur Van Aanhout déclare ce qui suit au paragraphe 9 de son affidavit :

[TRADUCTION]

La proposition spontanée a été soumise à titre confidentiel au Ministère. Une partie appréciable des renseignements qu'elle renferme sont des renseignements financiers, commerciaux et techniques que JWEL a considérés de façon constante comme des renseignements confidentiels dans le cours normal de ses affaires.

Une partie appréciable des renseignements contenus dans la proposition spontanée sont des renseignements auxquels le public n'a pas accès par une autre source.

Il ressort par ailleurs de l'affidavit souscrit par Elco Ypma pour le compte de la défenderesse que celle-ci voulait dans un premier temps exclure le document en question de la demande de renseignements. Aucun élément de preuve n'a été soumis pour réfuter la preuve de la demanderesse suivant laquelle elle considère ces renseignements comme confidentiels dans le cours normal de ses affaires et que le public n'a pas accès à ces renseignements par une autre source.


[42]       Je suis convaincu que la demanderesse satisfait à tous les critères exposés par le juge MacKay dans le jugement Air Atonabee, précité, pour que les renseignements soient considérés comme confidentiels, sous réserve des exceptions que j'ai évoquées dans mon analyse de la question du prélèvement. Les renseignements confidentiels contenus dans le document ne peuvent être obtenus de sources auxquelles le public a autrement accès, ou ne peuvent être obtenus par observation ou par étude indépendante par un simple citoyen agissant de son propre chef. Les renseignements confidentiels contenus dans le document ont été à la fois obtenus et transmis confidentiellement dans l'assurance raisonnable qu'ils ne seraient pas divulgués. Les renseignements ont été réunis et communiqués par la demanderesse en réponse à un besoin qu'elle percevait chez la défenderesse. À mon avis, les renseignements ont été communiqués dans le cadre d'une relation qui n'est pas contraire à l'intérêt public et la communication des renseignements confidentiels favorisait cette relation dans l'intérêt du public. Je conclus donc qu'à l'exception des parties qui en ont été prélevées, les renseignements contenus dans la proposition spontanée satisfont aux exigences de l'alinéa 20(1)b) de la Loi et qu'ils ne doivent par conséquent pas être divulgués.

[43]             Deuxième question

La divulgation de la proposition spontanée risque-t-elle vraisemblablement de causer des pertes financières appréciables à la demanderesse ou de nuire à sa compétitivité au sens de l'alinéa 20(1)c)?


Je ne suis pas convaincu que la preuve soumise permet au document (la proposition spontanée) de respecter les conditions requises pour être soustrait à l'obligation de communication en vertu de l'alinéa 20(1)c) de la Loi. J'ai examiné l'affidavit de Michael Van Aanhout et je n'y trouve que des affirmations non étayées suivant lesquelles la demanderesse serait désavantagée sur le plan concurrentiel et qu'elle subirait des dommages incalculables. Par exemple, jusqu'à quel point la demanderesse serait-elle désavantagée sur le plan concurrentiel ou subirait-elle des dommages incalculables? L'alinéa 20(1)c) parle de divulgation qui « risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou profits financiers appréciables [...] » Les dommages incalculables dont il est question dans l'affidavit risqueraient-ils « vraisemblablement de causer des pertes financière appréciables » ? Ainsi, au vu de l'ensemble de la preuve, je conclus que la proposition spontanée ne remplit pas les conditions requises pour être soustraite à l'obligation de communication en vertu de l'alinéa 20(1)c) de la Loi.

[44]             Troisième question

Si la Cour conclut que la proposition spontanée n'est pas soustraite en entier à l'obligation de communication, certains des renseignements devraient-ils être retranchés du reste du document avant la divulgation des renseignements qui ne sont pas exemptés?

J'ai envisagé la possibilité de retrancher les parties des documents qui ne renferment pas de renseignements confidentiels au sens de l'alinéa 20(1)b). Je me suis inspiré des propos tenus par le juge Strayer (maintenant juge à la Cour d'appel) dans le jugement Ottawa Football Club c. Canada (Ministre de la Condition physique et du Sport amateur), précité, aux pages 488 et 489. Avec l'accord de la demanderesse, les paragraphes suivants sont retranchés et divulgués en vertu de l'article 51 de la Loi :

Le premier paragraphe commençant par les mots « Thank you » ;

Le deuxième paragraphe intitulé « Background » ;

Le troisième paragraphe intitulé « Rationale » ;

Le dernier paragraphe intitulé « Closing » .


Évidemment, les renseignements personnels tombant sous le coup du paragraphe 19(1) de la Loi ne seront pas divulgués.

[45]       Comme chaque partie obtient gain de cause sur une des questions en litige, il n'y a pas d'adjudication de dépens.

ORDONNANCE

[46]             LA COUR ORDONNE :

1.          À l'exception des paragraphes retranchés mentionnés au paragraphe 44 de la présente décision, la proposition spontanée satisfait aux exigences de l'alinéa 20(1)b) de la Loi et elle ne sera pas divulguée;

2.                    La proposition spontanée ne satisfait pas aux exigences de l'alinéa 20(1)c) de la Loi;

3.                    Les paragraphes mentionnés au paragraphe 44 de la présente décision seront divulgués, mais les renseignements personnels tombant sous le coup du paragraphe 19(1) de la Loi ne le seront pas;


4.          Aucuns dépens ne sont adjugés.

« John A. O'Keefe »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 30 mai 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL. L., trad. a.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                        T-124-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                     Jacques Whitford Environment Limited

c.

Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                         Halifax (Nouvelle-Écosse)

DATE DE L'AUDIENCE :                       le 16 janvier 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE PAR :                      MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :                               le 30 mai 2001

ONT COMPARU

Scott Barnett                                                  pour la demanderesse

Kathleen McManus                                       pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Stewart McKelvey Stirling Scales                 pour la demanderesse

Halifax (Nouvelle-Écosse)

Morris Rosenberg                                        pour la défenderesse

Sous-procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle-Écosse)

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