Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20010925

Dossier : IMM-6060-00

OTTAWA (ONTARIO), LE 25 SEPTEMBRE 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE J.E. DUBÉ

ENTRE :

                                                 VERNON SARATH PERERA

                                                                                                                                        demandeur

                                                                            et

                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

                                                              ORDONNANCE

L'affaire est renvoyée à la section d'appel pour que celle-ci rende une décision conforme aux présents motifs.


La question ci-après énoncée, de portée générale, est certifiée :

L'expression « véritable lien de filiation » figurant à l'article 2(1) du Règlement sur l'immigration vise-t-elle le lien existant entre un parent adoptif et un enfant au moment où l'agent des visas effectue l'appréciation ou vise-t-elle le lien futur?

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., trad.a.


Date : 20010925

Dossier : IMM-6060-00

Référence neutre : 2001 CFPI 1047

ENTRE :

                                                 VERNON SARATH PERERA

                                                                                                                                        demandeur

                                                                            et

                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

                                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGEDUBÉ

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision par laquelle la section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la section d'appel) a rejeté, le 3 novembre 2000, l'appel que le demandeur avait interjeté contre la décision d'un agent des visas de refuser la demande parrainée que les deux fils adoptifs du demandeur, Ramesh Probadaa Yahathugoda et Haritha Prasad Yahathugoda, avaient présentée en vue de résider en permanence au Canada.


Les faits

[2]                 Le demandeur, qui a cinquante ans, a obtenu le droit d'établissement au Canada à titre de requérant indépendant au mois de mai 1969; il est maintenant citoyen canadien. Au mois de septembre 1985, à la suite d'un divorce, il est retourné à Sri Lanka et a épousé sa deuxième conjointe, Indra, qui a obtenu le droit d'établissement en 1988 et est maintenant elle aussi citoyenne canadienne. Ils ont une fille de onze ans.

[3]                 Les deux enfants adoptés sont les fils de la soeur cadette d'Indra Perera; ils ont maintenant 13 et 14 ans respectivement. Le demandeur et sa conjointe se sont rendus à Sri Lanka en 1998 afin de visiter leurs familles respectives. Ils ont constaté que la soeur de Mme Perera avait de la difficulté à élever ses trois enfants à la suite du décès de son mari, qui était alcoolique. La soeur de Mme Perera et ses trois enfants vivaient chez un frère qui devait se marier et qui ne pouvait pas continuer à subvenir à leurs besoins. Le demandeur et sa conjointe ont demandé des renseignements à Citoyenneté et Immigration Canada et au Ministry for Children and Families, en Colombie-Britannique, en vue d'adopter leurs neveux et de les faire venir au Canada.

[4]                 Il est reconnu que l'adoption était légale à Sri Lanka et que le Department of Probation and Child Care Services, à Sri Lanka, et l'Adoption and Counselling Services, en Colombie-Britannique, l'ont approuvée.


[5]                 Dans une lettre en date du 6 septembre 1999, le ministère en cause à Sri Lanka a fait savoir ce qui suit :

[TRADUCTION] [...] Ces enfants sont au courant de l'adoption et ont hâte d'être avec leur tante maternelle et leur famille. Ils sont au courant de l'adoption et ils croient que la chose leur assurera un meilleur avenir.

Je vous serais fort reconnaissant de me faire parvenir la lettre par laquelle l'autorité centrale ou l'agence accréditée au Canada approuve cette adoption de façon que la procédure puisse être menée à bonne fin.

[6]                 D'autre part, CHOICES, l'Adoption and Counselling Services, une agence d'adoption accréditée sans but lucratif en Colombie-Britannique, a dit ce qui suit, dans un document en date du 22 février 1999 :

[TRADUCTION] [...] Les requérants susmentionnés ont satisfait aux normes établies par CHOICES à l'égard de la procédure d'adoption et de préparation et leur demande d'adoption est approuvée conformément à l'Adoption Act de la Colombie-Britannique. On les a recommandés en tant que parents adoptifs de leurs neveux, Prasad Haritha Yahatugoda, né le 21 janvier 1987, et Ramesh Probodha Yahatugoda, né le 18 janvier 1986, qui résident à Sri Lanka.

La décision de l'agent des visas

[7]                 Par une lettre en date du 11 février 2000, l'agent des visas a informé les deux fils adoptés qu'ils ne pouvaient pas être admis au Canada à titre de fils à charge du répondant conformément au paragraphe 2(1) du Règlement sur l'immigration de 1978, dans lequel le mot « adopté » est défini comme suit :


« adopté » Personne adoptée conformément aux lois d'une province ou d'un pays étranger ou de toute subdivision politique de celui-ci, dont l'adoption crée avec l'adoptant un véritable lien de filiation. La présente définition exclut la personne adoptée dans le but d'obtenir son admission au Canada ou celle d'une personne apparentée.

[Non souligné dans l'original.]

[8]                 Dans sa lettre, l'agent des visas a dit qu'il croyait que les enfants étaient adoptés dans le but d'obtenir leur admission au Canada :

[TRADUCTION] [...] Vous sembliez être satisfaits et l'on semblait bien s'occuper de vous et vous avez admis être heureux à Sri Lanka [...] Vous avez déclaré avoir rencontré vos parents adoptifs (votre oncle et votre tante) deux fois seulement, et ce, pour une période relativement courte [...] Je crois que vous avez principalement été adoptés dans le but d'obtenir votre admission au Canada et d'y poursuivre vos études.

La décision de la section d'appel

[9]                 La section d'appel a fait remarquer que M. Perera avait témoigné que sa conjointe et lui venaient de grosses familles et qu'ils aimeraient avoir un plus grand nombre d'enfants. Il se sont rendu compte que la soeur de Mme Perera, Dona Renuka, avait sur le plan financier énormément de difficulté à élever ses fils. La section d'appel a mentionné les facteurs à prendre en compte en appréciant si un lien de filiation est établi, notamment les motifs de l'adoption, les communications entre les parents adoptifs et l'enfant, le soutien affectif et financier offert à l'enfant par les parents adoptifs et l'influence morale que ces derniers exercent sur l'enfant adopté.

[10]            La section d'appel a conclu qu'il existait peu d'éléments de preuve indiquant l'existence d'un véritable lien de filiation entre les Perera et les demandeurs :


[...] M. et Mme Perera sont plutôt un oncle et une tante bienveillants qui veulent emmener les garçons au Canada pour qu'ils puissent faire leur éducation. Il n'y a eu aucune tentative de séparation de leur mère naturelle et, en fait, ils vivent toujours avec elle et la considèrent comme leur mère.

[11]            La section d'appel n'a aucunement fait mention des deux principaux documents susmentionnés qui avaient dûment été déposés avant l'audience. Elle a conclu ce qui suit :

[...] selon la prépondérance des probabilités, l'appelant a adopté les requérants principalement dans le but d'obtenir leur admission au Canada à titre de parents et [...] il n'y a pas de véritable lien de filiation entre l'appelant et les requérants.

Analyse

[12]            Il est clair au départ que l'omission de la section d'appel de tenir compte des deux documents cruciaux susmentionnés constitue une erreur fatale qui a amené celle-ci à rendre une décision erronée. Ces deux documents se rapportent directement à la question du véritable lien de filiation et, plus particulièrement, aux motifs du demandeur et de sa conjointe et à leurs projets.


[13]            En outre, la section d'appel a adopté un concept erroné en ce qui concerne le « véritable lien de filiation » en disant que le fait que les parents adoptifs voulaient amener les garçons au Canada et leur assurer une meilleure vie et une meilleure instruction va à l'encontre de la création d'un véritable lien de filiation. Contrairement à l'interprétation que la section d'appel a donnée à la définition du mot « adopté » , les mots « véritable lien de filiation » n'exigent pas l'existence d'un lien de filiation bien établi entre les parents adoptifs et les enfants au moment où la demande parrainée est présentée. En général, c'est l'adoption qui crée le véritable lien de filiation. Le simple fait que les parents adoptifs veulent amener avec eux les enfants adoptés dans le pays où ils habitent ne permet pas de présumer qu'ils tentent de créer une adoption de convenance. Les parents canadiens se rendent partout au monde pour trouver et adopter des enfants. À coup sûr, les agents de visas ne fermeront pas la porte à ces enfants en se fondant sur le fait qu'aucun véritable lien de filiation n'a encore été créé.

[14]            Comme dans le cas d'un soi-disant « mariage de convenance » (dans le cadre duquel deux personnes qui ne se connaissent absolument pas font semblant d'entretenir une relation conjugale illusoire de façon à admettre un conjoint temporaire au Canada), les citoyens canadiens, dans le cas d'une « adoption de convenance » , prétendraient adopter un enfant inconnu de façon à l'amener au Canada en échange d'une récompense financière. À coup sûr, tel n'est pas ici le cas.

[15]            De toute évidence, les deux enfants adoptés vivent encore avec leur mère naturelle parce qu'on ne les laisse pas joindre leurs parents adoptifs au Canada. Encore une fois, si l'adoption vise à créer un véritable lien entre les nouveaux parents et les enfants adoptés, la création de ce lien ne dépend pas d'événements passés mais d'événements futurs résultant de l'adoption. Le Processus d'immigration en adoption internationale publié par le gouvernement du Canada traite du parrainage; sous le titre « Qui peut être parrainé? » , il est dit ce qui suit :


Les enfants de moins de 19 ans qui ont été adoptés à l'étranger conformément aux lois d'un autre pays peuvent être parrainés pour venir au Canada. La demande de résidence permanente est approuvée si l'agent des visas croit qu'un véritable lien de filiation est créé par suite de l'adoption. La demande peut être refusée si l'agent des visas en arrive à la conclusion que le but réel de l'adoption est de se soustraire aux exigences de l'immigration.

[Non souligné dans l'original.]

[16]            Les mots « un véritable lien de filiation est créé par suite de l'adoption » sont fort significatifs. Ils indiquent un lien futur qui doit être créé plutôt que la confirmation de la situation actuelle. L'adoption donne naissance à un lien orienté vers l'avenir.

[17]            En l'espèce, le demandeur et sa conjointe ont délibérément pris des mesures en vue d'établir un lien de filiation. Premièrement, en 1998, les Perera sont allés visiter leurs familles à Sri Lanka; ils se sont rendu compte que la soeur de Mme Perera avait de la difficulté à élever ses trois enfants à la suite du décès de son conjoint. Ils ont alors décidé d'adopter leurs deux neveux avec le consentement de la mère des enfants. Deuxièmement, ils ont pris les mesures nécessaires à Sri Lanka en vue d'adopter leurs neveux. Troisièmement, ils se sont présentés devant Citoyenneté et Immigration Canada et le Ministry for Children and Families en Colombie-Britannique en vue de mener l'adoption à bonne fin. Quatrièmement, M. Perera a apporté une aide financière considérable à la famille de ses neveux. Cinquièmement, ils veulent et désirent ardemment amener les deux enfants chez eux au Canada et leur assurer une bonne instruction et un avenir dans ce pays. Il ne s'agit pas d'une adoption de convenance; un véritable lien a été créé.

[18]            Après l'audience, l'avocate du défendeur a attiré mon attention sur la décision Kwan et le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (30 août 2001), IMM-5527-00, où mon collègue, Monsieur le juge Muldoon, a dit ce qui suit, au paragraphe 65 :

[65] Le fait que Mme Zhao voulait un enfant ne suffit pas à satisfaire au critère de la loi qui exige l'existence d'un lien véritable. Le fait qu'elle voulait avoir un enfant chez elle illustre sa motivation pour procéder à une adoption, mais il n'établit pas l'existence d'un lien véritable.

[19]            Je souscris à l'avis selon lequel le simple fait de vouloir un enfant « n'établit pas l'existence d'un lien véritable » . Toutefois, cela démontre que l'on veut créer pareil lien au moyen de l'adoption.

Dispositif

[20]            Par conséquent, l'affaire est renvoyée à la section d'appel pour que celle-ci rende une décision conforme aux présents motifs.

[21]            L'avocate du défendeur a soulevé une question de portée générale aux fins de la certification. Puisqu'il ne semble y avoir aucune décision antérieure de cette cour portant directement sur ce point, il convient de certifier la question, qui est ainsi libellée :


[TRADUCTION] L'expression « véritable lien de filiation » figurant à l'article 2(1) du Règlement sur l'immigration vise-t-elle le lien existant entre un parent adoptif et un enfant au moment où l'agent des visas effectue l'appréciation ou vise-t-elle le lien futur?

Juge

OTTAWA (Ontario),

le 25 septembre 2001.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., trad.a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                                                          IMM-6060-00

INTITULÉ :                                                                     VERNON SARATH PERERA

c.

MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           LE 6 SEPTEMBRE 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :                   MONSIEUR LE JUGE DUBÉ

DATE DES MOTIFS :                                                  LE 25 SEPTEMBRE 2001

COMPARUTIONS :

M. PETER GOLDEN                                                     POUR LE DEMANDEUR

MME KIM SHANE                                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. PETER GOLDEN

(VANCOUVER, C.-B.)                                                  POUR LE DEMANDEUR

M. Morris Rosenberg                                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada                                 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.