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Date : 20000706
Dossier : IMM-3549-99

ENTRE :

BLOSSOM WYNTER

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

[1] La demanderesse, Blossom Wynter, cherche à obtenir le contrôle judiciaire de la décision, datée du 25 juin 1999, dans laquelle le gestionnaire de l'Immigration Gord Eckertt a déterminé qu'elle n'était pas admissible en vertu de l'alinéa 12(2)a) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), et conclu qu'il n'y avait pas suffisamment de motifs d'ordre humanitaire pour justifier la délivrance d'un permis ministériel lui permettant de demeurer au Canada.

[2] Dans une ordonnance datée du 1er octobre 1999, le juge Evans a ordonné qu'il soit sursis à l'exécution de la mesure de renvoi qui avait été prise contre la demanderesse. Le 1er mars 2000, le juge Evans a accordé à la demanderesse l'autorisation de déposer la présente demande de contrôle judiciaire.

I. Le contexte

[3] La demanderesse est une citoyenne de la Jamaïque. Elle est arrivée au Canada en 1984 en tant que visiteuse. En 1986, elle a épousé Delroy Wynter et déposé une demande de résidence permanente dans le cadre de la catégorie de la famille, son époux s'engageant à lui fournir de l'aide. La demanderesse a obtenu un permis ministériel qui lui permettait de demeurer au Canada pendant que sa demande était traitée. Ce permis a été renouvelé chaque année jusqu'en 1989.

[4] La demanderesse a deux enfants qui sont nés au Canada et qui, par conséquent, sont des citoyens canadiens. Bass Wynter est né le 9 septembre 1987 et Esau Wynter, le 5 septembre 1989.

[5] Le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration a dispensé la demanderesse des exigences habituelles en matière de visa prévues au paragraphe 9(1) de la Loi le 14 janvier 1988. Cependant, malgré cette dispense, le traitement de la demande de résidence permanente de la demanderesse a été retardé plusieurs fois. Le premier retard s'est produit avant 1990, à l'occasion d'une vérification des antécédents criminels de la demanderesse qui a révélé que des accusations relatives aux stupéfiants avaient été portées contre cette dernière. La demanderesse n'a cependant pas été condamnée par suite de ces accusations. Il ressort des notes de l'agent d'immigration que le traitement de la demande de résidence permanente de la demanderesse a été retardé une deuxième fois par suite d'une autre vérification des antécédents criminels de cette dernière, effectuée en 1992, qui a révélé qu'elle faisait l'objet d'une autre accusation relative aux stupéfiants.

[6] En janvier 1993, la demanderesse a signé une déclaration sous serment mentionnant qu'elle s'était séparée de son époux, qui a par la suite mis fin à son engagement d'aider la demanderesse. La demanderesse et M. Wynter ont depuis obtenu un divorce, et ce dernier a été expulsé du pays.

[7] Le 5 mai 1998, les autorités de l'Immigration ont arrêté et détenu la demanderesse, en compagnie d'un certain Esau Basaragh. On a rouvert le dossier d'immigration de la demanderesse et procédé à une autre vérification de ses antécédents criminels, qui a révélé qu'elle avait été reconnue coupable de trois infractions entre 1992 et 1995. En effet, le 1er octobre 1992, la demanderesse a été reconnue coupable d'avoir omis de respecter les termes d'un engagement et une peine d'emprisonnement d'une journée lui a été imposée. Le 14 octobre 1994, la demanderesse a été reconnue coupable de fraude relativement à un montant de plus de 1 000 $, et une condamnation avec sursis lui a été imposée, de même qu'une période de probation de 12 mois. Le 30 juin 1995, la demanderesse a été reconnue coupable de vol d'un montant de moins de 1 000 $; une condamnation avec sursis lui a été imposée, de même qu'une période de probation de 12 mois.

[8] Au terme d'une enquête, le 27 mai 1998, on a conclu que la demanderesse était visée par les alinéas 27(2)a) et 19(2)a) de la Loi. Les autorités de l'Immigration lui ont signifié une mesure d'expulsion, et le 9 juillet 1998, on l'a avisée qu'elle serait expulsée vers la Jamaïque le 14 juillet 1998.

[9] L'avocat de la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente au Canada fondée sur des motifs d'ordre humanitaire, le 10 juillet 1998. Il a également déposé une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire à la Cour fédérale.

[10] L'exécution de la mesure de renvoi prise contre la demanderesse a été reportée au 10 août 1998. Dans une lettre datée du 13 août 1998, l'avocate du ministre a communiqué à la demanderesse une offre de règlement de la demande qu'elle avait déposée devant la Cour fédérale. Voici ce qu'elle lui proposait : la demanderesse se désisterait de sa demande devant la Cour fédérale; son dossier serait renvoyé aux autorités compétentes de l'Immigration pour qu'elles continuent de traiter sa demande de résidence permanente; dans le cas où les autorités détermineraient qu'elle n'est pas admissible, on aviserait la demanderesse et lui donnerait l'occasion de faire des observations concernant la délivrance d'un permis ministériel; et dans le cas où l'on refuserait d'accorder à la demanderesse le droit de s'établir au Canada et de lui délivrer un permis ministériel, la mesure d'expulsion datée du 27 mai 1998 serait exécutée. Après avoir accepté cette offre, la demanderesse a été libérée.

[11] Dans une lettre datée du 3 mai 1999, l'agent d'immigration V. Huang a informé la demanderesse que même si elle avait été dispensée des exigences légales en matière de visa en 1988, le ministère était d'avis qu'elle était visée par l'alinéa 19(2)a) de la Loi sur l'immigration vu ses condamnations criminelles. On a invité la demanderesse à faire des observations écrites au sujet de cette question et de la question du permis ministériel.

[12] Le 14 juillet 1999, la demanderesse et son avocat ont eu une entrevue avec l'agent Huang.

[13] La demanderesse a mentionné à l'entrevue que ses deux enfants canadiens allaient à l'école, qu'elle avait récemment obtenu un emploi de concierge à temps partiel, et qu'elle faisait des études en vue de devenir une spécialiste en soins personnels. Elle a également dit à l'agent d'immigration qu'elle était atteinte de schizophrénie, mais que son état s'était stabilisé et qu'elle prenait des médicaments à faible dose. La demanderesse a également décrit la pauvreté de sa famille en Jamaïque et la promiscuité dans laquelle elle vivait, et elle a dit qu'elle ne pourrait subvenir aux besoins de ses enfants si elle y était renvoyée.

[14] En ce qui concerne ses condamnations, la demanderesse a mentionné qu'elle éprouvait du remords. Elle a dit à l'agent d'immigration qu'elle avait récemment présenté une demande de pardon à la Commission nationale des libérations conditionnelles. Elle a demandé qu'un permis ministériel valable pour une courte période lui soit délivré, ce qui lui permettrait de demeurer au pays pendant le traitement de sa demande de pardon.

[15] L'agent d'immigration a conclu qu'il n'y avait pas suffisamment de motifs justifiant qu'il recommande la délivrance d'un permis ministériel qui permettrait à la demanderesse de chercher à faire cesser son inadmissibilité pour des raisons criminelles. Monsieur Eckertt, le superviseur de l'agent d'immigration, a souscrit à l'avis de ce dernier. C'est cette décision que la demanderesse conteste dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire.

II. Les questions litigieusesII. Les questions litigieuses

Quelle norme de contrôle convient-il d'appliquer?

La demanderesse a-t-elle été privée de l'équité procédurale?

L'octroi d'une dispense en vertu du paragraphe 9(1) de la Loi était-elle pertinente?

La décision de l'agent d'immigration était-elle raisonnable?

III. Les dispositions législatives pertinentes1III. Les dispositions législatives pertinentes

[16] En vertu de l'alinéa 19(2)a) de la Loi sur l'immigration, l'intéressé peut être réputé non admissible s'il a été reconnu coupable d'une infraction criminelle au Canada :

19. (2) No immigrant and, except as provided in subsection (3), no visitor shall be granted admission if the immigrant or visitor is a member of any of the following classes:

(a) persons who have been convicted in Canada of an indictable offence, or of an offence for which the offender may be prosecuted by indictment or for which the offender is punishable on summary conviction, that may be punishable under any Act of Parliament by a maximum term of imprisonment of less than ten years, other than an offence designated as a contravention under the Contraventions Act.

19. (2) Appartiennent à une categorie non admissible les immigrants et, sous réserve du paragraphe (3), les visiteurs qui:

(a) ont été déclarés coupables au Canada d'un acte criminel ou d'une infraction d'ont l'auteur peut être punissable, aux termes d'une loi fédérale, par mise en accusation, d'un emprisonnement maximal de moins de dix ans, à l'exception d'une infraction désignée à titre de contravention sous le régime de la Loi sur les contraventions;

[17] Le ministre peut délivrer un permis ministériel en vertu de l'alinéa 37(1)a) de la Loi pour permettre à une personne qui, autrement, appartiendrait à la catégorie des personnes non admissibles, de venir ou demeurer au Canada :

37. (1) The Minister may issue a written permit authorizing any person to come into or remain in Canada if that person is

(a) in the case of a person seeking to come into Canada, a member of an inadmissible class; or

(b) in the case of a person in Canada, a person with respect to whom a report has been or may be made under subsection 27(2).

37. (1) Le ministre peut délivrer un permis autorisant:

(a) à entrer au Canada, les personnes faisant partie d'une catégorie non admissible;

(b) à y demeurer, les personnes se trouvant au Canada qui font l'objet ou sont susceptibles de faire l'objet du rapport prévu au paragraphe 27(2).

[18] Les parties suivantes du chapitre IP 12 : Permis ministériels, du Guide du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration sont également pertinentes :

1.2 Qu'est-ce qu'un permis ministériel?

Un permis ministériel est un document qui autorise une personne non admissible (L 19) ou une personne qui a fait l'objet ou pourrait faire l'objet d'un rapport aux termes du paragraphe 27(2) de la Loi à venir ou à rester au Canada [L37(1)].

4. CRITÈRES DE PRISE DE DÉCISIONS

4.1 Introduction

Aux termes de la Loi sur l'immigration, une personne qui veut être admise au Canada en qualité d'immigrant ou de visiteur ne doit pas appartenir à une catégorie de personnes non admissibles. Par conséquent, on refusera habituellement les demandes des personnes non admissibles pour des raisons d'ordre médical ou criminel qui se trouvent à l'étranger, et on refusera de traiter les demandes soumises depuis le Canada, même lorsque l'intéressé satisfera aux autres exigences de l'Immigration, à moins que le risque soit minime et que la personne concernée ait un besoin impérieux de venir ou de rester au Canada. Dans une situation de ce genre, plutôt que de refuser le cas sur le champ, l'agent devrait essayer de déterminer s'il y a lieu de faire bénéficier le client de l'application du pouvoir discrétionnaire, c'est-à-dire de lui délivrer un permis ministériel.

6. NON-ADMISSIBILITÉ POUR DES RAISONS D'ORDRE CRIMINEL

6.1 Introduction

Le Parlement a investi les agents de pouvoirs accrus qui leur permettent d'exclure des criminels du Canada ou de les en renvoyer. Le gouvernement est fermement résolu à protéger les Canadiens contre les personnes qui sont susceptibles de se livrer à des activités criminelles; par conséquent, toute décision d'autoriser une personne non admissible pour des raisons d'ordre criminel à venir au Canada devra être mûrement réfléchie.

[19] Les directives en matière humanitaire se trouvent au chapitre IP 5 : Demandes d'établissement présentées au Canada pour des considérations humanitaires (CH) :

6. LA DÉCISION

6.1 Qu'entend-on par " considérations humanitaires "

En présentant une demande R2.1, le demandeur cherche à faciliter son admission au Canada en raison de l'existence de CH. Les dispositions CH permettent d'autoriser des personnes, dont le cas est digne d'intérêt et n'est pas prévu par la Loi, à présenter leur demande au Canada.

Il incombe au demandeur de convaincre l'agent que, vu sa situation, l'obligation, dont il demande d'être dispensé, d'obtenir un visa hors du Canada lui causerait des difficultés i) inhabituelles et injustifiées ou ii) excessives. Le demandeur peut présenter tout fait qu'il juge pertinent pour l'obtention de cette dispense.

Les définitions suivantes ne constituent pas des règles strictes. Plutôt, elles ont pour but d'aider à exercer le pouvoir discrétionnaire de déterminer s'il existe des CH justifiant la dispense demandée du L9(1).

Difficultés inhabituelles et injustifiées

Les difficultés que subirait le demandeur (s'il devait présenter sa demande de visa hors du Canada) doivent, dans la plupart des cas, être inhabituelles. Il s'agit, en d'autres termes, de difficultés qui ne sont pas prévues dans la Loi ou le Règlement, et

Les difficultés que subirait le demandeur (s'il devait présenter sa demande hors du Canada) doivent, dans la plupart des cas, découler de circonstances indépendantes de sa volonté.

Difficultés excessives

Dans certains cas où le demandeur ne subirait de difficultés ni inhabituelles ni injustifiées (s'il devait présenter sa demande de visa hors du Canada), il est possible de conclure à l'existence de CH en raison de difficultés considérées comme excessives pour le demandeur compte tenu de ses circonstances personnelles.

6.2 Lignes directrices sur l'établissement

...

À tenir compte dans l'évaluation du degré d'établissement au Canada :

× Est-ce qu'il y a une histoire de stabilité d'emploi?

× Est-ce qu'il y a une capacité prouvée de bonne gestion de ses propres financées?

× Le demandeur s'est-il intégré dans la collectivité par une participation (bénévolat ou autre) dans des organismes communautaires?

× Le demandeur a-t-il entrepris des études professionnelles, linguistiques ou autres démontrant son intégration au Canada?

× Le demandeur et sa famille ont-ils une bonne réputation au Canada? (Par exemple, pas de violence familiale avec intervention policière, pas d'accusations au criminel.)

IV. L'analyse

1. La norme de contrôle

[20] La norme de contrôle qu'il convient d'appliquer est celle de la décision raisonnable simpliciter. Dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), le juge L'Heureux-Dubé a énoncé ce critère moins empreint de retenue :

Tous ces facteurs doivent être soupesés afin d'en arriver à la norme d'examen appropriée. Je conclus qu'on devrait faire preuve d'une retenue considérable envers les décisions d'agents d'immigration exerçant les pouvoirs conférés par la loi, compte tenu de la nature factuelle de l'analyse, de son rôle d'exception au sein du régime législatif, du fait que le décideur est le ministre, et de la large discrétion accordée par le libellé de la loi. Toutefois, l'absence de clause privative, la possibilité expressément prévue d'un contrôle judiciaire par la Cour fédérale, Section de première instance, et la Cour d'appel fédérale dans certaines circonstances, ainsi que la nature individuelle plutôt que polycentrique de la décision, tendent aussi à indiquer que la norme applicable ne devrait pas en être une d'aussi grande retenue que celle du caractère "manifestement déraisonnable". Je conclus, après avoir évalué tous ces facteurs, que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable simpliciter.

[21] La norme de la décision raisonnable simpliciter, ou la norme de la décision raisonnable, a été définie par le juge Iacobucci dans l'arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc. :

Est déraisonnable la décision qui, dans l'ensemble, n'est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s'il existe quelque motif étayant cette conclusion. Le défaut, s'il en est, pourrait découler de la preuve elle-même ou du raisonnement qui a été appliqué pour tirer les conclusions de cette preuve.

[22] Le juge Lemieux a récemment décrit la démarche qu'il convient d'adopter suivant l'arrêt Baker :

Non seulement l'arrêt Baker exige-t-il que les agents d'immigration aient une démarche plus ciblée, mais il confère également une nouvelle responsabilité, plus " pratique ", au juge de révision. Le juge de révision doit considérer " en profondeur " la décision fondée sur des motifs d'ordre humanitaire et déterminer si elle est raisonnable, en examinant les motifs pour voir s'ils résistent à l'examen assez poussé sur le fondement de la preuve.

2. L'équité procédurale

a. Les motifs

[23] La demanderesse fait valoir que le défendeur a commis une erreur lorsqu'il a omis de fournir des motifs pour étayer sa décision défavorable. Le défendeur soutient que le rapport de l'agent d'immigration constitue des motifs suffisants.

[24] Dans l'arrêt Baker, le juge L'Heureux-Dubé a fait des remarques au sujet de la communication de motifs :

À mon avis, il est maintenant approprié de reconnaître que, dans certaines circonstances, l'obligation d'équité procédurale requerra une explication écrite de la décision. Les solides arguments démontrant les avantages de motifs écrits indiquent que, dans des cas comme en l'espèce où la décision revêt une grande importance pour l'individu, dans des cas où il existe un droit d'appel prévu par la loi, ou dans d'autres circonstances, une forme quelconque de motifs écrits est requise. Cette exigence est apparue dans la common law ailleurs. Les circonstances de l'espèce, à mon avis, constituent l'une de ces situations où des motifs écrits sont nécessaires. L'importance cruciale d'une décision d'ordre humanitaire pour les personnes visées, comme celles dont il est question dans les arrêts Orlowski, Cunningham et Doody, milite en faveur de l'obligation de donner des motifs. Il serait injuste à l'égard d'une personne visée par une telle décision, si essentielle pour son avenir, de ne pas lui expliquer pourquoi elle a été prise.

J'estime, toutefois, que cette obligation a été remplie en l'espèce par la production des notes de l'agent Lorenz à l'appelante. Les notes ont été remises à Mme Baker lorsque son avocat a demandé des motifs. Pour cette raison, et parce qu'il n'existe pas d'autres documents indiquant les motifs de la décision, les notes de l'agent subalterne devraient être considérées, par déduction, comme les motifs de la décision. L'admission de documents tels que ces notes comme motifs de la décision fait partie de la souplesse nécessaire, ainsi que l'ont souligné Macdonald et Lametti, précité, quand des tribunaux évaluent les exigences de l'obligation d'équité tout en tenant compte de la réalité quotidienne des organismes administratifs et des nombreuses façons d'assurer le respect des valeurs qui fondent les principes de l'équité procédurale. Cela confirme le principe selon lequel les individus ont droit à une procédure équitable et à la transparence de la prise de décision, mais reconnaît aussi qu'en matière administrative, cette transparence peut être atteinte de différentes façons. Je conclus qu'en l'espèce les notes de l'agent Lorenz remplissent l'obligation de donner des motifs en vertu de l'obligation d'équité procédurale, et qu'elles seront considérées comme les motifs de la décision.

[25] En l'espèce, les notes, ou le rapport, de l'agent Huang satisfaisaient à l'exigence en matière de motifs énoncée dans l'arrêt Baker.

b. L'avis aux enfants de la demanderesse

[26] La demanderesse soutient que le défendeur a commis une erreur lorsqu'il a omis de convenablement apprécier l'incidence que son renvoi aurait sur ses deux enfants canadiens. Elle fait valoir qu'aucun processus ne permettait au défendeur de considérer l'intérêt et la volonté des enfants avant d'ordonner son expulsion. Pour soutenir cet argument qu'il incombe au défendeur une obligation de consulter les enfants nés au Canada, la demanderesse se fonde sur les décisions Baker et Francis (Litigation guardian of) c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration).

[27] Dans l'arrêt Baker, le juge L'Heureux-Dubé a traité de la question des droits de participation dans le contexte d'une demande de résidence permanente fondée sur le paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration :

En l'espèce, l'appelante a eu la possibilité d'exposer par écrit, par l'entremise de son avocat, sa situation, celle de ses enfants et leur dépendance émotive vis-à-vis d'elle, et de présenter à l'appui de sa demande des lettres d'un travailleur social de la Société d'aide à l'enfance et de son psychiatre. Ces documents étaient à la disposition des décideurs, et ils contenaient les renseignements nécessaires pour la prise de décision. Compte tenu de tous les facteurs pertinents pour évaluer le contenu de l'obligation d'équité, le fait qu'il n'y a pas eu d'audience ni d'avis d'audience ne constituait pas, selon moi, un manquement à l'obligation d'équité procédurale envers Mme Baker dans les circonstances, particulièrement en raison du fait que plusieurs des facteurs militaient en faveur d'une norme plus souple. La possibilité qui a été offerte à l'appelante et à ses enfants de produire une documentation écrite complète relativement à tous les aspects de sa demande remplit les exigences en matière de droits de participation que commandait l'obligation d'équité en l'espèce.

[28] En ce qui concerne la décision Francis, il convient de souligner que la Cour d'appel de l'Ontario l'a récemment infirmée, ce qui lui enlève son utilité pour ce qui est de la présente affaire. Le juge Doherty de la Cour d'appel de l'Ontario a fait remarquer :

[TRADUCTION] Les personnes susceptibles d'être touchées par l'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au par. 114(2), dont les enfants, doivent avoir l'occasion de faire valoir leur point de vue au fonctionnaire qui examine la demande. Dans la plupart des cas portant sur de jeunes enfants, j'imagine que cela se fera par l'entremise du parent.

[29] L'arrêt Baker n'étaye pas la proposition selon laquelle les fonctionnaires de l'Immigration doivent fournir un avis distinct aux enfants du demandeur ou doivent les consulter sans la présence de leur parent.

[30] En conséquence, l'argument de la demanderesse que le défendeur a commis une erreur lorsqu'il a omis de fournir à ses enfants un avis distinct ou de les consulter sans sa présence n'est pas fondé.

3. La dispense relative au paragraphe 9(1)

[31] La demanderesse soutient que comme une dispense de l'application du paragraphe 9(1) de la Loi lui a été accordée en 1988, le représentant du ministre lui avait indiqué qu'elle avait satisfait à toutes les autres exigences de la Loi, dont l'obtention d'une vérification de sécurité. La demanderesse se fonde sur les décisions Dawson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) et Dass c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) pour étayer cette prétention.

[32] Dans l'affaire Dawson, le demandeur s'était vu accorder une dispense de l'application du paragraphe 9(1). Par la suite, son épouse avait cessé de parrainer sa demande. La Cour a conclu que cela n'avait aucune importance vu que le demandeur avait acquis le droit d'obtenir le statut de résident permanent au Canada en tant que personne ayant obtenu le droit de s'y établir, lorsque le décret du gouverneur en conseil a été publié.

[33] Dans l'affaire Dass, le demandeur cherchait, entre autres, à obtenir une ordonnance de mandamus enjoignant au ministre de produire les documents nécessaires établissant qu'il avait le statut de résident permanent du Canada. Dans cette affaire, le ministère refusait de traiter la demande de résidence permanente du demandeur vu ses antécédents criminels, et ce même après que le demandeur a obtenu une dispense de l'application du paragraphe 9(1).

[34] Vu les motifs que j'exposerai plus loin, il n'est pas nécessaire d'examiner davantage cette question.

4. Le caractère raisonnable de la décision

[35] La demanderesse fait valoir que la décision est abusive étant donné que le décideur a omis de tenir compte de l'ensemble de la preuve.

[36] Voici des éléments de preuve que la demanderesse a produits : son témoignage à l'entrevue au sujet de sa vie au Canada et des conditions qui règnent en Jamaïque; ses reçus d'aide sociale; une lettre mentionnant qu'elle a travaillé à temps partiel pendant deux mois avant l'entrevue; un bulletin de notes daté d'avril 1999 établissant qu'elle suivait un programme d'études à temps plein en vue de devenir spécialiste en soins personnels; un arbre généalogique et les certificats de naissance de ses deux fils nés au Canada; une demande de pardon, fondée sur la Loi sur le casier judiciaire, datée du 4 juin 1999; une lettre du médecin de ses enfants mentionnant que la séparation de la demanderesse de ses enfants [TRADUCTION] " occasionnera de l'asthme provoqué par le stress de même que d'autres problèmes de santé chez ses enfants "; douze lettres de recommandation d'amis et de membres de sa famille sur sa personnalité; et des lettres de ses fils.

[37] Dans son rapport, l'agent Huang mentionne qu'il a tenu compte des facteurs suivants en prenant sa décision :

[TRADUCTION] Le droit d'établissement n'a pas été accordé à l'intéressée vu le grand nombre d'accusations criminelles portées contre elle et la rupture de son mariage. En vertu de la directive en matière humanitaire présentement en vigueur (IP5), l'intéressée est inadmissible au Canada en raison de ses antécédents criminels, et sa demande du droit d'établissement doit donc être rejetée. On a fait remarquer qu'elle se trouvait au Canada depuis 15 ans. Elle n'a pas établi qu'elle pouvait se trouver un emploi stable. Elle n'est pas en mesure de subvenir à ses besoins et à ceux des personnes à sa charge sans recourir à l'aide sociale. En fait, il ressort de nos dossiers qu'elle a reçu des prestations familiales [sic] du 18-06-89 au 25-01-90, du 01-06-90 au 31-01-97, du 01-12-97 au 31-07-98, et depuis le 01-09-98 jusqu'à maintenant, en tant que parent s'occupant seul de ses enfants. Elle reçoit présentement 1 500 $ par mois, et elle a touché des prestations totalisant 160 000 $ jusqu'à maintenant. Elle a également reçu des prestations d'aide sociale générale; elle a reçu de l'aide sociale pendant un mois en 1998, alors qu'elle avait besoin de médicaments, et cette aide sociale a pris fin le 15-10-98. Elle n'est pas une bonne citoyenne. Elle a de la famille dans son pays d'origine qui l'accueillera, et même si elle devra peut-être se trouver un logement, je ne suis pas convaincu que cela constitue des difficultés excessives. On a fait remarquer qu'elle avait des parents au Canada, mais elle n'a pas établi l'existence d'un lien de dépendance tel qu'une séparation causerait des difficultés excessives. Il est tenu compte des deux enfants cc [citoyens canadiens] de l'intéressée. Il leur faudra peut-être un certain temps pour s'adapter à un autre pays, mais il revient à l'intéressée de décider si elle souhaite laisser ses enfants au Canada et de prendre les dispositions nécessaires; elle est libre de déterminer l'intérêt des enfants.

[38] Bien qu'il ne soit pas contesté que le décideur n'est pas tenu d'énumérer chacun des éléments de preuve qui lui sont soumis, le processus de prise de décision doit comprendre un examen équitable et complet de toutes les considérations pertinentes, et cela doit se refléter dans ses motifs. L'agent a certainement le loisir d'accepter ou de rejeter des renseignements, mais il ne peut omettre de tenir compte de certains de ceux-ci. Dans le cas où un document ou un renseignement particulier est rejeté, le demandeur doit être avisé des motifs fondant le rejet, particulièrement lorsque le document ou le renseignement servait à étayer sa position. Dans un tel cas, l'agent doit, à tout le moins, commenter le document ou le renseignement.

[39] En l'espèce, rien n'indique comment l'agent a considéré, puis rejeté certains facteurs étayant le point de vue de la demanderesse (on suppose qu'ils ont été rejetés puisque la décision elle-même était défavorable). En effet, un examen des notes de l'agent d'immigration ne permet pas de déterminer si la décision était rationnelle ou raisonnable. L'agent n'a pas mentionné la lettre du médecin des enfants, et il n'a pas commenté les lettres que les enfants eux-mêmes ont écrites. En outre, les notes, ou les motifs, sont surtout incomplets pour ce qui est de la considération de l'intérêt des enfants de la demanderesse. Même s'il ressort très clairement de l'arrêt Baker que de telles considérations sont loin d'être déterminantes en ce qui concerne l'issue de l'affaire, cet arrêt dit clairement que cet intérêt constitue un facteur important :

... pour que l'exercice du pouvoir discrétionnaire respecte la norme du caractère raisonnable, le décideur devrait considérer l'intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt. Cela ne veut pas dire que l'intérêt supérieur des enfants l'emportera toujours sur d'autres considérations, ni qu'il n'y aura pas d'autres raisons de rejeter une demande d'ordre humanitaire même en tenant compte de l'intérêt des enfants. Toutefois, quand l'intérêt des enfants est minimisé, d'une manière incompatible avec la tradition humanitaire du Canada et les directives du ministre, la décision est déraisonnable.

[40] On a tout simplement omis cette étape en l'espèce. Dans ses motifs, l'agent d'immigration ne consacre que deux phrases aux enfants de la demanderesse; dans l'une, il dit qu'il tient compte de ceux-ci, alors que dans l'autre, il mentionne qu'il revient à la mère de déterminer leur intérêt. Il est impossible de savoir comment il a tenu compte de leur intérêt, voire s'il en a effectivement tenu compte. On ne saurait dire que l'agent d'immigration a pris sa décision conformément aux principes énoncés dans l'arrêt Baker :

Par conséquent, l'attention et la sensibilité à l'importance des droits des enfants, de leur intérêt supérieur, et de l'épreuve qui pourrait leur être infligée par une décision défavorable sont essentielles pour qu'une décision d'ordre humanitaire soit raisonnable.

[41] En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision est annulée et l'affaire est renvoyée pour qu'on l'examine de nouveau conformément aux présents motifs.

[42] Comme ni l'un ni l'autre avocat n'a proposé de question à certifier en l'espèce, aucune question ne le sera.

" Max M. Teitelbaum "

juge

CALGARY (Alberta)

Le 6 juillet 2000.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE : IMM-3549-99

INTITULÉ DE LA CAUSE : BLOSSOM WYNTER c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE : Le 30 mai 2000

MOTIFS D'ORDONNANCE EXPOSÉS PAR M. LE JUGE TEITELBAUM

EN DATE DU : 6 juillet 2000

ONT COMPARU : M. Harvey Savage

Pour le demandeur

Mme Cheryl Mitchell

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER : M. Harvey Savage

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

Date : 20000706

Dossier : IMM-3549-99

ENTRE :

BLOSSOM WYNTER

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS D'ORDONNANCE

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