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     Date : 1997.12.17

     T-1398-97

Ottawa (Ontario), le 17 décembre 1997

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE WETSTON

E N T R E :

     COMPULIFE SOFTWARE INC.,

     requérante,

     et

     COMPUOFFICE SOFTWARE INC.,

     intimée.

     ORDONNANCE

     La requête est rejetée. Compuoffice se voit toutefois accorder un délai supplémentaire de 40 jours à compter du prononcé de la présente ordonnance pour déposer sa réponse et sa preuve par affidavit relativement à la demande de radiation que Compulife a présentée en vertu de l'article 57 de la Loi sur les marques de commerce. L'adjudication des dépens de la présente requête devra être examinée par le juge qui entendra la demande de radiation.

     Howard I. Wetston

                                     Juge

Traduction certifiée conforme     

                                 C. Bélanger, LL. L.                                 

     Date : 1997.12.17

     T-1398-97

E N T R E :

     COMPULIFE SOFTWARE INC.,

     requérante,

     et

     COMPUOFFICE SOFTWARE INC.,

     intimée.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE WETSTON

[1]      La requérante, Compuoffice, demande une suspension d'instance en vertu du paragraphe 50(1) de la Loi sur la Cour fédérale relativement à la demande présentée par Compulife en vue d'obtenir la radiation des marques de commerce enregistrées " COMPUOFFICE " (TMA 457,165) et " ACROSS THE BOARD " (TMA 445,444) en vertu de l'article 57 de la Loi sur les marques de commerce . À titre subsidiaire, Compuoffice demande à la Cour de rendre une ordonnance radiant de la demande de radiation de Compulife les conclusions relatives à la marque de commerce " ACROSS THE BOARD " ou joignant la demande de radiation et l'action en contrefaçon en vertu de la règle 1714 des Règles de la Cour fédérale . Pour le cas où les réparations susmentionnées ne seraient pas accordées, Compulife demande un délai supplémentaire de 30 jours pour préparer sa réponse et sa preuve par affidavit relativement à la demande de radiation.

[2]      Compulife a déposé sa demande de radiation par voie d'avis de requête introductive d'instance le 27 juillet 1997. Les marques de commerce en litige ont été accordées à Compuoffice le 21 juillet 1995 (TMA 445,444) et le 3 mai 1996 (TMA 457,165). Une demande antérieure d'enregistrement de la marque de commerce " COMPUOFFICE ", qui avait été présentée par Compuoffice, avait fait l'objet d'une opposition de la part de Compulife, ainsi que d'un désistement.

[3]      L'utilisation de la marque " COMPUOFFICE " par Compuoffice, en plus d'autres marques, fait également l'objet d'une action en contrefaçon, en imitation frauduleuse et en dépréciation d'achalandage. Cette action a été introduite devant la Cour fédérale le 17 mai 1995 par Compulife. Le 17 juillet 1995, Compuoffice a déposé une défense et une demande reconventionnelle par laquelle elle nie avoir contrefait la marque en question et allègue que Compulife a contrefait la marque " ACROSS THE BOARD ". Le 28 août 1995, Compulife a déposé une réponse et une défense à la demande reconventionnelle. Elle y affirme que la marque " ACROSS THE BOARD " est invalide.

[4]      En plus de l'action en contrefaçon et de la demande ultérieure de radiation, Compulife a également exercé un recours administratif devant le Ministère de la Consommation et du Commerce de l'Ontario pour demander au directeur de modifier les statuts constitutifs de Compuoffice Software Inc. en remplaçant le nom de cette compagnie par un nom qui ne comprend pas le mot " COMPUOFFICE ". Le ministère de la Consommation et du Commerce de l'Ontario a décidé de suspendre ce recours administratif jusqu'à ce que la Cour tranche la présente demande.

[5]      Compulife s'est également opposée à une autre demande de marque de commerce présentée par Compuoffice relativement à la marque " MULTI-LIFE ". Elle a également intenté des poursuites en diffamation contre Compuoffice et certains de ses dirigeants.

[6]      La question de principe que soulève la présente requête est celle de savoir si la demande de radiation présentée par Compulife en vertu de l'article 57 de la Loi sur les marques de commerce devrait être suspendue en attendant l'issue de l'action en contrefaçon qu'elle a déjà intentée en vertu de l'article 55 de la Loi sur les marques de commerce au sujet de l'utilisation des mêmes marques que celles qui sont en litige dans l'instance en radiation.

[7]      Compuoffice soutient que, en introduisant à la fois une action en contrefaçon et une demande de radiation, Compulife sollicite la même réparation (c'est-à-dire la réduction de l'utilisation que Compuoffice fait des marques en litige) en invoquant les mêmes moyens (principalement la confusion créée avec les marques déjà enregistrées de Compulife). Elle fait également valoir que, si la Cour devait permettre aux deux instances de se poursuivre, la preuve administrée dans chaque d'entre elles serait identique. Elle ajoute que, comme elle invoque son enregistrement de la marque " COMPUOFFICE " comme moyen de défense à l'action en contrefaçon, Compulife devrait tout simplement modifier sa déclaration pour débattre de la question de la validité de cet enregistrement au lieu de présenter une demande de radiation qui fait double emploi.

[8]      Compuoffice soutient que l'action en contrefaçon a une portée plus large que l'instance en radiation, de sorte qu'elle permet notamment de vider la question de la validité de l'enregistrement des marques en question. Qui plus est, l'action en contrefaçon intentée par Compulife est antérieure à l'instance en radiation. En conséquence, Compuoffice affirme que la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire d'accorder une suspension, étant donné que ces instances multiples introduites par Compulife sont vexatoires et qu'elles constituent un abus de procédure et qu'en conséquence elles ne servent pas les intérêts de la justice.

[9]      Finalement, Compuoffice soutient que, si la suspension demandée n'est pas accordée, la Cour devrait, pour économiser les ressources judiciaires, ordonner la jonction des deux instances en vertu de l'article 1714 des Règles de la Cour fédérale, étant donné que cette mesure ne causerait aucun préjudice aux parties (Gund Inc. c. Ganz Bros. Toys Ltd. (1990), 29 C.P.R. (3d) 55 (C.F. 1re inst.), à la page 57).

[10]      Compulife soutient que la Cour ne devrait pas accorder de suspension, étant donné que la requérante n'a pas démontré que la poursuite de l'instance introduite en vertu de l'article 57 causerait un préjudice ou une injustice à la défenderesse ou que la suspension ne causerait pas de préjudice à la demanderesse. Elle soutient que la Cour devrait exercer avec modération son pouvoir discrétionnaire d'accorder une suspension d'instance et qu'elle ne devrait ordonner une suspension que lorsqu'il existe un risque qu'une décision soit prochainement rendue par deux tribunaux différents. Compulife soutient en conséquence que Compuoffice n'a pas réussi à démontré que l'instance en radiation lui causerait un préjudice ou une injustice. Compulife ajoute que ce même critère s'applique à la requête en jonction d'instances (Mon-Oil Ltd. c. Canada (1989), 27 F.T.R. 50, à la page 51).

[11]      Compulife affirme en outre que le législateur fédéral voulait accorder un recours permettant de faire trancher de façon sommaire la question de l'enregistrabilité, en plus de tout autre recours qui peut être exercé pour contrefaçon. Il a matérialisé cette volonté à l'article 57 de la Loi. Qui plus est, les Règles de la Cour fédérale prévoient une procédure plus expéditive comportant l'échange de preuves par affidavits et la tenue d'interrogatoires. Compulife soutient qu'on ne devrait pas lui nier le droit que la loi lui reconnaît de procéder à ce stade-ci en vertu de l'article 57. Si on lui niait ce droit, on l'empêcherait également de poursuivre le recours qu'elle a commencé à exercer devant le ministère de la Consommation et du Commerce de l'Ontario.

[12]      Compulife soutient que la demande de radiation devrait être entendue, de manière à ce que la question de l'enregistrabilité des marques en question soit tranchée, ce qui simplifierait l'action en contrefaçon. Même si elle ne permettrait pas de résoudre complètement l'action, parce qu'il faudrait de toute façon trancher les questions de lien de causalité et de détermination des dommages et satisfaire aux conditions régissant le prononcé d'une injonction, une décision au sujet de l'instance fondée sur l'article 57 accélérerait l'examen des questions à résoudre au procès.

[13]      Compulife précise que, si une suspension n'est pas accordée relativement à la demande de radiation, elle supprimera de sa défense en réponse à la demande reconventionnelle de Compuoffice le moyen suivant lequel la marque " ACROSS THE BOARD " est invalide. Elle prendra cette mesure dans le but d'éviter que deux décisions soient inutilement rendues sur la même question.

[14]      Je n'ai pu trouver aucun précédent dans lequel la Cour fédérale se serait penchée sur l'opportunité d'accorder une suspension d'instance lorsqu'elle est saisie à la fois d'une action en contrefaçon et d'une demande de radiation. J'ai toutefois trouvé une affaire dans laquelle la Cour fédérale a refusé de suspendre une instance en radiation malgré le fait qu'un tribunal supérieur provincial était saisi d'une action en contrefaçon qui était fondée sur des marques identiques et dans laquelle l'invalidité d'une marque était également alléguée (Association of Parents Support Groups v. York, (1987), 14 C.P.R. (3d) 263 (C.F. 1re inst.).

[15]      Il est de jurisprudence constante qu'une suspension d'instance ne peut être accordée que si l'on peut démontrer : (1) que la poursuite de l'action causerait un préjudice ou une injustice au défendeur, et non de simples inconvénients ou frais supplémentaires; (2) que la suspension ne serait pas injuste pour le demandeur. C'est à celui qui demande la suspension qu'il incombe de démontrer que ces conditions sont réunies (Discreet Logic Inc. c. Canada (registraire des droits d'auteur) (1993), 51 C.P.R. (3d) 191 (C.F. 1re inst.), à la page 191). En l'espèce, Compuoffice n'a pas réussi à démontrer que la poursuite de l'instance en radiation causerait un tel préjudice ou une telle injustice. C'est ce que j'estime malgré le plaidoyer fort éloquent et complet de l'avocat de Compuoffice.

[16]      La Cour n'accorde une suspension d'instance en vertu du paragraphe 50(1) de la Loi sur la Cour fédérale, dans l'exercice son pouvoir discrétionnaire, que dans les cas les plus patents. Pour déterminer si le fait d'accorder une suspension causerait une injustice au demandeur ou au requérant, la Cour répugne à limiter tout droit de recours, sauf s'il y a un risque que deux tribunaux différents rendent prochainement une décision sur la même question (Association olympique canadienne c. Olympic Life Publishing Ltd. (1986), 8 C.P.R. (3d) 405 (C.F. 1re inst.), aux pages 407 et 408, Discreet Logic, précité, et York, précité).

[17]      Dans l'affaire qui m'est soumise, les parties en sont encore à l'échange de plaidoiries modifiées et n'en sont même pas encore rendues à l'étape de l'enquête préalable dans l'action en contrefaçon. L'instance en radiation sera donc probablement entendue et jugée avant que l'action en contrefaçon ne soit instruite. L'instance en radiation se soldera par une décision in rem concernant la validité des marques enregistrées, ce qui devrait, dans une certaine mesure, limiter la portée du débat dans l'instance en contrefaçon (Keramchemie GMBH v. Keramchemie (Canada) Ltd. (1993), 50 C.P.R. (3d) 289 (protonotaire)).

[18]      L'instance en radiation implique le prononcé d'une décision in rem portant sur l'enregistrabilité des marques en question, tandis que l'action en contrefaçon implique une décision in personam concernant l'utilisation des marques en question, ainsi que les dommages, s'il en est, qui ont été causés du fait de cette utilisation (Gainers Inc. c. Robin Hood Multifoods Inc. (1996), 67 C.P.R. (3d) 349 (C.F. 1re inst.), à la page 355, et Association olympique canadienne, précité). Qui plus est, une instance en radiation est, de par sa nature, une procédure sommaire, contrairement à une action.

[19]      Il est manifeste qu'en édictant l'article 57 de la Loi sur les marques de commerce, le législateur fédéral voulait conférer un droit distinct de recours devant la Cour fédérale pour permettre de contester l'enregistrement de marques de commerce en vertu de la Loi. En suspendant une pareille instance, on limite le recours au présent tribunal qui est prévu par la loi. Pour justifier une suspension, la partie qui la demande doit non seulement démontrer que la suspension est nécessaire suivant la prépondérance des inconvénients, mais aussi qu'il est dans l'intérêt de la justice de l'accorder (Dominion Mail Order Products Corp. c. Weider (1976), 28 C.P.R. (2d) 27 (C.F. 1re inst.), à la page 30).

[20]      Il semblerait que la jurisrprudence récente ne favorise pas le recours au critère de la prépondérance des inconvénients lorsqu'il s'agit de déterminer s'il y a lieu d'accorder une suspension (Sanwa Tekki Corporation c. Pacific Scientific Co., (1984), 3 C.I.P.R. 154 (C.F. 1re inst.), à la page 155, Jordan & Ste-Michelle Cellars Ltd. c. Anders Wines Ltd., (1970), 45 C.P.R. (2d) 189 (C.F. 1re inst.), à la page 193, Inline Fiberglass Ltd. c. Omniglass Ltd., (1993), 48 C.P.R. (3d) 214, à la page 215 (P.A.)). Suivant l'approche actuelle, à laquelle je souscris, une suspension doit être accordée pour éviter le risque que des décisions contradictoires soient rendues, et non pour éviter que des instances ne se chevauchent (94272 c. Moffatt, [1990] F.C.J. No. 1013 (Q.L.) (C.F. 1re inst.)).

[21]      Compuoffice a demandé, à titre subsidiaire, que deux des paragraphes qui se trouvent dans l'avis de requête introductive d'instance soient radiés en vertu de la règle 419 des Règles de la Cour fédérale. Or, la Cour n'a pas le pouvoir, en vertu de la règle 419, de radier quelque partie que ce soit d'un avis de requête introductive d'instance (David Bull Laboratories c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588 (C.A.F.), à la page 594).

[22]      Compuoffice demande également, à titre subsidiaire, que la demande de radiation soit jointe à l'action en contrefaçon. Toutefois, le critère qui s'applique dans le cas d'une requête en suspension d'instance vaut également dans le cas d'une requête en jonction d'instances (Mon-Oil, précité). Comme Compuoffice n'a pas réussi à démontter qu'elle subirait une injustice ou un préjudice si la Cour autorisait la poursuite de l'examen de la demande, la jonction des instances ne convient pas. J'estime qu'il y a lieu d'établir une distinction entre la présente espèce et l'affaire Gund, précitée, parce que cette dernière concernait la jonction de deux actions, la première en violation de l'enregistrement d'un dessin industriel, et la seconde en violation de droit d'auteur et en imitation frauduleuse, et non la jonction d'une action en contrefaçon et d'une demande de radiation.

[23]      La requête est par conséquent rejetée. J'accorde toutefois à Compuoffice un délai supplémentaire de 40 jours à compter du prononcé de la présente ordonnance pour déposer sa réponse et sa preuve par affidavit relativement à la demande de radiation que Compulife a présentée en vertu de l'article 57 de la Loi sur les marques de commerce. Je lui accorde dix (10) jours de plus que ce qu'elle a demandé, à compter de la date de la présente ordonnance, étant donné que la période des vacances de Noël approche.

[24] L'adjudication des dépens de la présente requête devra être examinée par le juge qui entendra la demande de radiation.

     Howard I. Wetston

                                         Juge

Ottawa (Ontario)

Le 17 décembre 1997.

Traduction certifiée conforme     

                                 C. Bélanger, LL. L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                  T-1398-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :          COMPULIFE SOFTWARE INC.
                         c. COMPUOFFICE SOFTWARE INC.
LIEU DE L'AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE :              LE 10 NOVEMBRE 1997
MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE WETSTON                     
EN DATE DU :                  17 DÉCEMBRE 1997

    

ONT COMPARU :

JOHN HOVLAND                  POUR LA REQUÉRANTE

JONATHAN COLOMBO              POUR L'INTIMÉE

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

OSLER, HOSKIN                  POUR LA REQUÉRANTE

& HARCOURT

TORONTO (ONTARIO)

BERESKIN & PARR              POUR L'INTIMÉE

TORONTO (ONTARIO)

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