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Date : 20040212

Dossier : T-155-02

                                                                                                      Référence : 2004 CF 204

Ottawa (Ontario), le 12 février 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

LA COMPAGNIE PHARMACEUTIQUE PROCTER & GAMBLE CANADA INC.

                                       et PROCTER & GAMBLE COMPANY

                                                                                                                      demanderesses

                                                                       et

                           LE MINISTRE DE LA SANTÉ et GENPHARM INC.

                                                                                                                              défendeurs

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LA JUGE SNIDER


[1]                Les demanderesses (P & G) produisent et vendent l'unique médicament à base d'étidronate disodique approuvé pour le traitement de l'ostéoporose au Canada - à savoir la trousse Didrocal®. Cette trousse est utilisée dans le cadre d'un traitement cyclique intermittent (TCI) de l'ostéoporose qui comporte trois étapes principales : 1) la plus faible dose efficace d'étidronate est administrée au patient pendant 14 jours; 2) ces 14 jours écoulés, un placebo ou un supplément de calcium est administré pendant 76 jours; 3) le cycle est ensuite répété. La trousse Didrocal et le TCI sont protégés par le brevet canadien no 1,338,376 (le brevet 376). Ce brevet, qui expire le 9 avril 2008, consiste en deux groupes de revendications : les revendications concernant l' « usage » et les revendications concernant la « trousse » (analysées plus loin).

[2]        Les procédures entre P & G et Genpharm concernant le brevet 376 se poursuivent depuis octobre 1999. Une instance antérieure a mené à la délivrance d'une ordonnance d'interdiction, laquelle a été confirmée par la Cour d'appel fédérale (La compagnie pharmaceutique Procter & Gamble Canada, Inc. c.Canada (Ministre de la Santé) (2001), 15 C.P.R. (4th) 496 (C.F. 1re inst.), conf. (2002), 20 C.P.R. (4th) 1 (C.A.F.)), autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée (P & G 2001).

[3]         Le 19 décembre 2001, Genpharm a signifié un avis d'allégation dans lequel elle alléguait que le produit pharmaceutique projeté, un composé d'étidronate disodique pour le traitement de l'ostéoporose - appelé GEN-ETI-CAL CAREPAC -, ne contrefera pas certaines revendications du brevet 376 et que, en tout état de cause, ce brevet est invalide. Dans l'avis d'allégation et dans l'énoncé détaillé qui en fait partie, Genpharm soutient, en ce qui concerne les revendications en cause dans la présente demande, que :


·          le brevet 376 - qui comprend à la fois les revendications concernant la « trousse » et les revendications concernant l' « usage » - n'est pas valide puisque les revendications ne sont pas nouvelles, ou sont évidentes ou les deux à la fois;

·           les revendications 7 à 12 (les revendications concernant la « trousse » ) du brevet ne seront pas contrefaites par l'utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par Genpharm de son produit;

·           son produit ne contrefera pas les revendications concernant la « trousse » puisque les comprimés de calcium (la deuxième étape du TCI) seront fournis dans une bouteille plutôt que dans un emballage coque.

[4]        Bien que Genpharm ait allégué à l'origine que le brevet était invalide pour cause d'évidence et d'antériorité, elle n'a pas repris l'argument de l'antériorité à l'audience. Je souligne également que Genpharm n'allègue pas la non-contrefaçon des revendications du brevet 376 concernant l' « usage » .


[5]        Dans la présente demande, introduite par voie d'avis de demande le 1er février 2002, P & G sollicite la délivrance d'une ordonnance, conformément au paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS 93-133 (le Règlement), interdisant au ministre de la Santé (le ministre) de délivrer un avis de conformité en vertu du paragraphe C.08.004(4) du Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870, à la défenderesse, Genpharm Inc. (Genpharm), pour son produit GEN-ETI-CAL CAREPAC.

Questions en litige

[6]         Les parties conviennent que les questions en litige sont les suivantes :

1.          L'allégation par Genpharm de l'invalidité du brevet en raison de son évidence est-elle fondée?

2.          L'allégation par Genpharm de la non-contrefaçon des revendications concernant la « trousse » est-elle fondée?

[7]         Genpharm soulève également la question de savoir si les revendications concernant la « trousse » échappent à la définition de « médicament » à l'article 2 du Règlement. Dans l'affirmative, elle n'aurait pas à alléguer la non-contrefaçon de ces revendications. Comme j'estime que cet argument fait partie de l'argument de Genpharm concernant la non-contrefaçon, je l'examinerai au même moment que cette question.


[8]         Dès le départ, il est important d'établir clairement quelles seront les conséquences si Genpharm a gain de cause en ce qui concerne l'une ou l'autre des questions en litige. La question cruciale pour Genpharm est son allégation d'invalidité pour cause d'évidence. Si le brevet 376 est jugé valide, le produit de Genpharm contrefera alors les revendications de ce brevet concernant l'usage. Il en est ainsi parce que la thérapie que Genpharm souhaite commercialiser est identique à celle revendiquée par P & G dans son brevet. Dans une instance antérieure relativement au brevet 376 (P & G 2001, précité), la Cour d'appel fédérale a conclu que « si un patient utilise le produit de Genpharm pour l'ostéoporose, les revendications pour l'utilisation que comporte le brevet 376 de P & G seraient contrefaites » . Dans cette affaire, Genpharm a tenté de distinguer son produit, le Gen-étridonate (qui contient les mêmes constituants que la trousse GEN-ETI-CAL CAREPAC, le produit en cause dans la présente espèce), en alléguant qu'il ne serait pas utilisé pour le traitement de l'ostéoporose, tel qu'indiqué dans le brevet 376, mais plutôt pour le traitement de la maladie de Paget et l'hypercalcémie maligne. En l'espèce, Genpharm tente ouvertement de commercialiser son produit pour le traitement de l'ostéoporose. Rien ne me permet de distinguer cet aspect de la décision antérieure de la Cour d'appel de la présente affaire. En conséquence, à moins que le brevet 376 soit invalide, Genpharm contreferait le brevet 376.

[9]        Les parties ont convenu que les seules revendications du brevet en litige dans la présente demande sont les revendications 7 à 12 concernant la « trousse » et les revendications 25 à 30 concernant l' « usage » .


Question préliminaire

[10]       Au cours des escarmouches préliminaires qui ont mené à la présente audience, Genpharm a présenté devant la Cour une requête sollicitant le rejet de la demande de P & G. La requête alléguait que le brevet 376 n'avait pas été présenté au ministre dans les 30 jours suivants sa délivrance par le commissaire aux brevets et n'était donc pas admissible à l'inscription au registre. Sans enregistrement valide, allègue Genpharm, la demande d'ordonnance d'interdiction de P & G est dénuée de fondement.

[11]       La requête de Genpharm a été rejetée par le juge Gauthier de notre Cour. Dans une décision majoritaire, la Cour d'appel fédérale a rejeté l'appel de cette décision et a conclu que l'admissibilité du brevet 376 au registre ne pouvait être soulevée dans cette instance (La compagnie pharmaceutique Procter & Gamble Canada Inc. c. Canada (Ministre de la santé), [2003] A.C.F. no 1805 (C.A.) (Q.L.) (P & G 2003)).

[12]       Les juges majoritaires de la Cour d'appel ont fondé leur décision sur l'application de la doctrine de la préclusion pour question déjà tranchée. La Cour a estimé que :

1.        les parties à l'appel et à la procédure antérieure, P & G 2001, précité, sont les mêmes;


2.          la décision judiciaire antérieure était définitive puisqu'une ordonnance d'interdiction a été rendue et que l'appel de cette ordonnance a été rejeté par la Cour d'appel fédérale;

3.          Genpharm a déjà soulevé et plaidé la question de l'inadmissibilité lors de la procédure antérieure P & G 2001 et, bien que la Cour n'ait pas expressément examiné cette question dans sa décision, celle-ci « doit être considérée comme ayant implicitement tranché que le brevet 376 était admissible à l'inscription au registre des brevets » (P & G 2003, précité, au par. 21).

[13]       Ayant conclu que les éléments de la préclusion pour question déjà tranchée étaient réunis, la Cour a jugé que Genpharm ne pouvait soulever en l'espèce la question de l'inadmissibilité.

[14]      Comme les motifs du jugement n'ont été rendus publics qu'après la clôture de la présente audience, les parties ont eu la possibilité de présenter des arguments relativement à l'incidence de ceux-ci.


[15]       P & G fait valoir que l'effet pratique de la décision de la Cour d'appel fédérale est que l'admissibilité du brevet 376 ne devrait pas être soulevée en l'espèce. Toutefois, je tiens à souligner que la question de l'admissibilité qui m'a été soumise dans la présente affaire diffère de celle présentée devant le juge saisi de la requête et devant la Cour d'appel. Alors que la question de l'inadmissibilité était l'objet de la décision de la Cour d'appel, en l'espèce, l'argument principal de Genpharm est celui de l'invalidité pour cause d'évidence. Même si Genpharm avait pu (et aurait probablement dû) plaider cette question dans son argumentation dans l'affaire P & G 2001, précité, elle ne l'a pas fait. D'autre part, P & G pouvait faire valoir que Genpharm était empêchée de soulever la validité de son brevet 376 en l'espèce, mais elle ne l'a pas fait avant la présentation des arguments concernant l'incidence des motifs de la décision P & G 2003, précitée. Compte tenu de la différence dans la question en litige et de l'absence d'une argumentation complète concernant l'application de la préclusion aux prétentions présentées en l'espèce, j'examinerai la question de l'évidence sur le fond.


[16]      Toutefois, on ne peut affirmer avec autant de certitude que la doctrine de la préclusion pour question déjà tranchée, telle qu'examinée dans P & G 2003, précité, s'applique à la question soulevée par Genpharm, à savoir que les revendications concernant la « trousse » ne sont pas visées par la définition de « médicament » à l'article 2 du Règlement. En soulevant cette question, Genpharm aborde directement celle de l'admissibilité du brevet, question qui a implicitement été examinée par la Cour dans P & G 2001. Il semble que cette question soit clairement visée par la décision de la Cour d'appel fédérale. Toutefois, compte tenu de l'argumentation limitée qui m'a été présentée, je ne suis pas convaincue que cet argument précis relatif à l'admissibilité ait été examiné dans P & G 2001. J'examinerai donc la question au fond.

Interprétation du brevet

[17]       Avant de me pencher sur les questions d'invalidité et de contrefaçon, je dois d'abord cerner les éléments essentiels de l'invention revendiquée par P & G dans son brevet 376 (Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, au par. 43).

[18]       Le brevet 376 contient deux types de revendications. Les revendications 17 à 37 portent sur l'usage des polyphosphonates, tel que l'étidronate, qui inhibent la résorption osseuse. Les revendications 1 à 16 portent sur une trousse pour le traitement et la prévention de l'ostéoporose.

[19]       Tel que mentionné précédemment, le brevet 376 a déjà fait l'objet d'un litige entre P & G et Genpharm avant la présente instance. En conséquence, il semble approprié de se pencher sur la façon dont ce brevet a été interprété dans ces décisions antérieures puisque

[traduction] [l]orsque les tribunaux ont précédemment interprété le même brevet, particulièrement si cette interprétation a été retenue en appel, des arguments solides doivent être soumis à la Cour, dans une autre procédure à laquelle prennent part des présumés contrefacteurs différents, pour que celle-ci parvienne à une conclusion différente. [Roger T. Hughes et John H. Woodley, « Patented Medicines - Notice of Compliance » CD-ROM : Hughes and Woodley on Patents, Release 19, juillet 2003 (Markham : LexisNexis Canada Inc.) à l'art. 18A]


[20]      Dans P & G 2001, précité, aux par. 3 à 5, le juge McKeown de la Cour fédérale a repris le résumé de l'invention visée par le brevet 376 :

[Traduction] La présente invention porte sur une méthode de traitement ou de prévention de l'ostéoporose chez les humains et les animaux inférieurs qui sont atteints d'ostéoporose ou qui risquent de ltre, consistant en un schéma posologique comprenant deux cycles ou plus, et dont chaque cycle stend sur une période allant de 1 à 90 jours durant laquelle un polyphosphonate inhibant la résorption osseuse est administré quotidiennement en quantité limitée et efficace et sur une période de repos allant de 50 à 120 jours durant laquelle aucune substance inhibant la résorption osseuse n'est administré.

La présente invention porte de plus sur un kit pour le schéma posologique cyclique décrit précédemment, lequel comprend de 1 à 90 doses quotidiennes dont chacune comprend une quantité limitée et efficace de polyphosphonate inhibant la résorption osseuse, de 50 à 120 doses d'un placebo ou d'un supplément nutritionnel et d'un moyen de disposer les éléments pour en faciliter la prise conformément au schéma posologique.

[21]      En appel, le juge Rothstein, aux par. 30 et 31, a décrit ainsi l'invention visée par le brevet 376 :

L'invention faisant l'objet du brevet 376 de P & G comprend l'utilisation d'étidronate disodique en cycles intermittents pour le traitement de l'ostéoporose. Ce produit de P & G est le Didrocal. P & G prétend que ses revendications du brevet 376 pour l'utilisation en cycles intermittents d'un polyphosphonate, à savoir l'étidronate disodique, pour le traitement de l'ostéoporose, seraient contrefaites [...] par Genpharm [...].

[22]       Il ressort de ces décisions que les éléments essentiels du brevet 376 peuvent être dégagés et résumés ainsi :

1.          Relativement aux revendications concernant l' « usage » :

a. L'usage de l'étidronate à la plus faible dose efficace (LED) pour le traitement de l'ostéoporose;

b. Dans le cadre d'un régime thérapeutique, l'administration intermittente en deux phases :


i) l'usage de l'étidronate;

ii) une période de repos au cours de laquelle le patient prend un placebo ou un supplément tel que du calcium.

c. L'usage sur une base cyclique.

2.          Relativement aux revendications concernant la « trousse » :

a. Une trousse pour le traitement de l'ostéoporose :

i) contenant des constituants d'étidronate et un placebo ou un supplément tel que du calcium;

ii) constituant un moyen d'organiser les éléments pour faciliter l'observance du régime thérapeutique.


[23]      Genpharm allègue que, nulle part dans les revendications du brevet 376, il n'est indiqué clairement qu'un activateur des cellules osseuses ne fait pas partie du TCI. Pour cette raison, elle soutient qu'un composé d'activation des cellules osseuses pourrait faire partie du traitement revendiqué par le brevet 376. Je n'accepte pas cet argument. Dans les revendications les plus larges concernant l' « usage » et la « trousse » du brevet 376, P & G indique expressément en quoi consistent les deux étapes de son cycle thérapeutique : l'administration de l'étidronate, suivie d'une période de repos avec la prise d'un supplément, tel que le calcium, ou d'un placebo. Après cette période de repos, le cycle recommence par l'administration de l'étidronate. Il n'y a pas de troisième étape, ce qui signifie qu'il n'y a pas de place au cours de ce cycle pour l'administration d'un composé d'activation des cellules osseuses. Pour cette raison, je n'accepte pas l'argument de Genpharm portant que le brevet 376 est ambigu en ce qui concerne la question de savoir si ce composé fait partie du TCI. Il est évident que ce n'est pas le cas.

[24]       Dans sa description des éléments essentiels du brevet, P & G a indiqué, à la fois sous les revendications concernant l' « usage » et celles concernant la « trousse » , que le régime thérapeutique devait être suivi pendant [traduction] « deux cycles ou plus » . Toutefois, définir le traitement comme étant intermittent et cyclique signifie nécessairement que l'étidronate est administrée plus d'une fois. Genpharm s'est appuyée sur l'exigence des deux cycles pour faire valoir que sa trousse d'un seul cycle ne créait pas de contrefaçon. Toutefois, la nature cyclique du régime thérapeutique ressort non pas des revendications concernant la « trousse » , mais des revendications concernant l' « usage » . Le libellé du brevet 376 l'indique clairement en rattachant le concept de cycle au traitement et non à la définition de la trousse en soi. Par exemple, la revendication 1 indique :

[traduction] Une trousse concernant l'usage du traitement ou la méthode de prévention de l'ostéoporose, chez les humains et les animaux inférieurs qui sont atteints d'ostéoporose ou qui risquent de l'être, selon un schéma posologique comportant deux cycles ou plus [...] et un moyen d'organiser les éléments pour faciliter l'observance du régime thérapeutique. (Non souligné dans l'original.)

Comme le régime thérapeutique est par définition de nature cyclique, une trousse qui en facilite l'observance vise à faire en sorte que le patient ne complète pas qu'un seul cycle.


[25]       Pour ces motifs, la présence dans la trousse d'une quantité de médicament suffisante pour compléter deux cycles ou plus ne constitue pas un élément essentiel des revendications concernant la « trousse » . Dans la mesure où la trousse facilite la prise conformément au TCI, l'élément essentiel des revendications du brevet 376 concernant la « trousse » (en présumant leur validité) serait contrefait.

[26]       Enfin, pour interpréter le brevet 376, il est impératif de se rappeler que les revendications concernant l' « usage » s'appliquent à un régime thérapeutique qui constitue une invention par combinaison. Le traitement cyclique intermittent n'est pas composé d'éléments autonomes qui agissent de façon indépendante et qui sont simplement juxtaposés. Au contraire, le traitement de P & G pour l'ostéoporose est le résultat d'un complexe médicamenteux formé de la plus faible dose efficace d'étidronate, administrée de façon intermittente et cyclique. Ceci est au coeur de son invention revendiquée :

[traduction] On découvre maintenant que la perte osseuse peut être inhibée et que la masse osseuse peut être augmentée par la prise de certains polyphosphonates, en faible dose efficace, selon un régime thérapeutique de dosage intermittent déterminé, plutôt que chronique. Ce régime thérapeutique est au coeur de la présente invention.

Analyse


Question 1 : L'allégation par Genpharm de l'invalidité du brevet pour cause d'évidence est-elle fondée?

[27]       Comme le juge Binnie de la Cour suprême du Canada l'a affirmé dans Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd. (2002), 21 C.P.R. (4th) 499, au 37, « [l]e monopole conféré par un brevet ne devrait s'acquérir qu'au prix de divulgations nouvelles, ingénieuses, utiles et non évidentes » . Ainsi, une invention ne devrait pas être brevetable si l'objet est évident. Un monopole ne devrait pas être accordé, ou les inventions antérieures « renouvelées à perpétuité » pour des ajouts évidents ou non inventifs (Whirlpool Corp., précité, au par. 37).

[28]      Les parties conviennent que la date à laquelle l'évidence de l'invention doit être appréciée est présumée être celle du dépôt prioritaire, soit le 6 juin 1985 (Lubrizol Corp. c. Imperial Oil Ltd. (1992), 45 C.P.R. (3d) 449, aux pages 462 et 463 (C.A.F.)).


[29]       Genpharm a soutenu dans son avis d'allégation que, vers le milieu des années 1980, les éléments essentiels de l'invention revendiquée dans le brevet 376 de P & G n'étaient pas nouveaux, qu'ils étaient en fait évidents. Elle fait valoir que les références indiquées dans le brevet 376, telles que l'ouvrage de Chesnut, étaient toutes connues des personnes versées dans l'art dont relève l'invention à la date déterminante. Selon le témoin expert de Genpharm, M. Timothy Chambers, ces références étaient considérées comme des [traduction] « connaissances générales courantes » dans le domaine de la recherche sur l'ostéoporose vers les milieu des années 1980 et les enseignements qui sont indiqués dans le brevet 376 font de l'invention qui y est décrite et revendiquée une évidence.

[30]       Avant d'examiner les règles de droit concernant l'évidence ou les faits spécifiques sur lesquels les parties appuient leur argumentation, il est utile de comprendre la maladie traitée par le produit de P & G et dont le traitement est également visé par Genpharm.

i) Ostéoporose

[31]       L'ostéoporose entraîne une diminution de la masse osseuse du squelette et accroît la fragilité des os. La perte nette du capital osseux résulte d'un déséquilibre dans le processus de remodelage osseux, la perte osseuse (résorption) étant supérieure à la quantité d'os formée. Le remodelage osseux est un processus permanent de destruction et de reconstruction des os. Ce renouvellement est nécessaire pour que les os poursuivent leur croissance et pour que les lésions mineures associées au stress quotidien soient réparées. L'ostéoporose serait, semble-t-il, causée par un déséquilibre dans le processus de remodelage osseux.


[32]       Le Dr Graham Russell, dans son affidavit, présente un résumé utile et succinct de la théorie du remodelage osseux la plus communément acceptée, que nous reproduisons ci-dessous :

[Traduction]

a)         Une unité multicellulaire de remodelage (BMU) est activée (activation).

b)          Des cellules appelées ostéoclastes sont mobilisées à la surface de l'os pour dégrader (ou résorber) ce dernier. Elles résorbent une quantité donnée d'os (résorption) et disparaissent.

c)         Des cellules appelées ostéoblastes vont se placer dans la lacune de résorption, synthétisent du tissu osseux nouveau pour remplacer l'os qui a été détruit, puis deviennent inactives (formation). L'étape de formation comprend à la fois le remplissage des lacunes de résorption de même que la minéralisation de la matrice osseuse qui vient d'être apposée. La minéralisation consiste dans le dépôt de cristaux d'hydroxyapatite, formés surtout de calcium et de phosphate ( « minéralisation » ), pour durcir la matrice osseuse déposée par les ostéoblastes durant la formation du tissu osseux.

[33]       Normalement, les BMU sont activées au hasard, et la résorption, la formation et la minéralisation font en sorte que la quantité nette de tissu osseux demeure inchangée. Dans l'ostéoporose, les ostéoclastes résorbent une plus grande quantité d'os que les ostéoblastes en forment, ce qui entraîne une perte osseuse nette. Les traitements de l'ostéoporose tentent d'inhiber la résorption osseuse suffisamment pour rétablir l'équilibre entre résorption et formation osseuses. L'objet de la présente instance est un traitement contre l'ostéoporose revendiqué par P & G dans le brevet 376.


ii) Le critère juridique servant à apprécier l'évidence

[34]       Le brevet 376 a été délivré en vertu de l'ancienne Loi sur les brevets, L.R.C. (1970), ch. P-4. Aucune disposition spécifique de la Loi sur les brevets, telle qu'elle existait à l'époque, ne comportait d'exigence quant à l'inventivité ou à l'ingéniosité inventive. Toutefois, selon Diversified Products Corp. c. Tye-Sil Corp. (1991), 35 C.P.R. (3d) 350, aux pages 365 et 366 (C.A.F.), il est bien établi que, par l'emploi des termes « invention » et « inventeur » dans l'ensemble de la Loi sur les brevets, l'inventivité est une condition de validité du brevet.

[35]       Le juge Hugessen de la Cour d'appel fédérale fournit, dans Beloit Canada Ltée/Ltd. c. Valmet Dy (1986), 8 C.P.R. (3d) 289, à la page 294 (C.A.F.), une description utile de ce qu'est un technicien versé dans son art, description dont la présente Cour et les experts qui témoignent en l'espèce doivent tenir compte au moment d'apprécier l'allégation de Genpharm en ce qui concerne l'évidence :

Pour établir si une invention est évidente, il ne s'agit pas de se demander ce que des inventeurs compétents ont ou auraient fait pour solutionner le problème. Un inventeur est par définition inventif. La pierre de touche classique de l'évidence de l'invention est le technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d'esprit inventif ou d'imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d'intuition; un triomphe de l'hémisphère gauche sur le droit. Il s'agit de se demander si, compte tenu de l'état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l'invention aurait été faite, cette créature mythique (monsieur tout-le-monde du domaine des brevets) serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet. C'est un critère auquel il est très difficile de satisfaire.

Ce critère a été largement cité et suivi par la présente Cour.


[36]       La Cour suprême du Canada (Farbwerke Hoechst Aktiengesellschaft c. Halocarbon (Ontario) Ltd. (1979), 42 C.P.R. (2d) 145, à la page 155 (C.S.C.)) et la Cour d'appel fédérale (Reading & Bates Construction Co. c. Baker Energy Resources Corp. (1987), 18 C.P.R. (3d) 180, à la page 188 (C.A.F.)) ont mis les tribunaux inférieurs en garde contre les examens après coup puisque bien peu d'inventions constituent des découvertes imprévues. La solution au problème existant doit être « simple comme bonjour » ou « claire comme de l'eau de roche » (Bayer Aktiengesellschaft c. Apotex Inc. (1995), 60 C.P.R. (3d) 58, aux pages 80 et 81 (Div. gén. Ont.), conf. (1998), 82 C.P.R. (3d) 526 (C.A. Ont.); autorisation de pourvoi refusée). La Cour doit déterminer si un technicien mythique versé dans l'art arriverait, en fonction de l'état des connaissances, à l'invention revendiquée sans effectuer de plus amples expérimentations, réflexions ou recherches sérieuses (Farbwerke, précité; Diversified Products Corp., précité; SmithKline Beecham Pharma Inc. c. Apotex Inc. (2001), 14 C.P.R. (4th) 76, aux pages 99 à 101 (C.F. 1re inst.), conf. (2002), 291 N.R. 168 (C.A.F.)). De plus, « [i]l est bien établi qu'une simple "parcelle d'invention" est suffisante pour appuyer la validité d'un brevet » (Diversified Products Corp., précité). Par conséquent, la simplicité d'une invention n'exclut pas sa validité.


[37]       Dans la présente instance, il existe une présomption légale réfutable de validité du brevet de P & G (Lubrizol Corp., précité; Bayer Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2000), 6 C.P.R. (4th) 285 (C.A.F.)). Toutefois, il y a également une présomption réfutable selon laquelle les faits allégués par Genpharm dans son avis d'allégation sont vrais (Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994), 55 C.P.R. (3d) 302, à la page 319 (C.A.F.), conf. (1994), 53 C.P.R. (3d) 368). En dernière analyse, il incombe à P & G de démontrer, selon la prépondérance de la preuve, que les allégations d'invalidité et d'évidence figurant dans l'avis d'allégation de Genpharm ne sont pas fondées (H. Lunkdeck A/S c. Canada (Ministre de la Santé) [2003] A.C.F. no 1481, au par. 50 (1re inst.) (QL), citant la décision Pfizer Canada Inc. c. Nu-Pharm Inc. (1998), 83 C.P.R. (3d) 1, à la page 3).

[38]       Ainsi, tel qu'affirmé dans Bayer, précité, au par. 9, la présomption de validité n'opère en faveur de P & G que dans une certaine mesure :

L'application de la présomption légale en présence d'une preuve de l'invalidité dépend de la force de cette preuve. Si celle-ci démontre selon la probabilité la plus forte que le brevet est invalide, la présomption est réfutée et n'est plus pertinente : Diversified Products Corp. c. Tye-Sil Corp. (1991), 35 C.P.R. (3d) 350 (C.A.F.), à la page 359.

[39]       Compte tenu du critère juridique d'application en matière d'évidence, il est nécessaire de passer en revue l'état de la technique avant le 6 juin 1985.

iii) Antériorité

[40]       À la fin des années 1960 et au début des années 1970, on a découvert que certains composés de la catégorie des polyphosphonates ou des bisphosphonates peuvent inhiber la résorption osseuse.


[41]       Au milieu des années 1980, seuls trois bisphosphonates étaient utilisés pour le traitement des troubles osseux tels que la maladie de Paget et l'ostéoporose : le clodronate, l'étidronate et le pamidronate. Bien que le brevet 376 revendique l'usage de plusieurs polyphosphonates, la présente procédure porte sur l'usage de l'étidronate pour le traitement de l'ostéoporose.   

[42]       Voici les études menées à cette date et sur lesquelles Genpharm se fonde dans son avis d'allégation :

1.         Jowsey J. et al, « The treatment of osteoporosis with disodiumethane-1-hydroxy-1, 1-diphosphonate » (1971) Journal of Laboratory and Clinical Medicine, 78:574-584 ( « Jowsey » ).

2.          Russell R.G.G. et al, « Diphosphonates in Paget's disease » (1974) Lancet; 1:894-898 ( « Russell » ).

3.         Heaney R.P., Saville P.D., « Etidionate disodium in postmenopausal osteoporosis » (1976) Clin. Pharmacol Ther.; 20(5):593-604 ( « Heaney » ).

4.         Khairi M.R.A., Altman R.D., De Rosa G.P., Zimmerman J., Schenk R.K., Johnston C.C., « Sodium étidronate in the treatment of Paget's disease of bone » (1977) Annals of Internal Medicine; 87:656-663 ( « Khairi » ).

5.         Canfield R. et al, « Diphosphonate therapy of Paget's disease on bone » (1977) Journal of Clinical Endoctrinology and Metabolism; 44:96-106 ( « Canfield » ).

6.         Parfitt A.M., « Quantum concept of bone remodelling and turnover; implications for the pathogenesis of osteoporosis. » (1979) Calcif. Tiss. Int.; 28:1-5 ( « Parfitt » ).


7.         Frost H., « Treatment of osteoporosis by manipulation of coherent bone cell populations. » Clinical Orthopaedics and related research. 1979; 143:227-244 ( « Frost » ).

8.         Siris et al, « Long term therapy of Paget's disease of bone with EHDP. » (1980) Arthritis and Rheumatism; 23(10):1177-1184 ( « Siris » ).

9.         Rasmussen H. et al., « Effect of combined therapy with phosphonate and calcitonin on bone volume in osteoporosis. » (1980) Metabolic Bone Disease and Related Research; 2:107-111( « Rasmussen » ).

10.       Harris S.T. et al, « Secondary hyperparathysoidism associated with dischloromethane disphosphonate treatment of Paget's disease. » (1982) Journal of Clinical Endocrinology and Metabolism. 1982; 55:1100-1107 ( « Harris » ).

11.        Anderson et al, « Preliminary observations of a form of coherence therapy for osteoporosis » (1984) Calcif. Tissue Int.; 36:341 ( « Anderson » ).

12.       Chesnut III., « C.H. Synthetic salmon calcitonin, disphosphonates and anabolic steroids in the treatment of post-menopausal osteoporosis » (1984) Proceedings of the Copenhagen International Symposium on Osteoporosis; 549 (Chrislianson et al. ed., 1984) ( « Chestnut » ).

[43]      Je vais maintenant examiner la preuve soumise par les parties en ce qui concerne l'allégation d'évidence de Genpharm.

iv) Les déposants


[44]       P & G et Genpharm ont toutes deux produit le témoignage d'un expert pour aider la Cour à déterminer l'évidence, ou l'absence d'évidence, de l' « invention » revendiquée dans le brevet 376. Les deux experts ont passé en revue les ouvrages scientifiques publiés antérieurement par P & G au dépôt de la demande visant l'obtention du brevet 376 (énumérés plus haut) et se sont prononcés sur l'évidence des éléments essentiels des revendications concernant l' « usage » et la « trousse » aux yeux d'un technicien versé dans l'art à la date déterminante, à savoir le 6 juin 1985.

[45]       Le Dr Graham Russell, expert pour P & G, occupe le poste de professeur Norman Collisson des sciences musculosquelettiques à l'Université Oxford et de directeur de l'Institute of Musculoskeletal Sciences à la même université. Pendant près de 40 ans, il a étudié les effets biologiques des bisphosphonates et le traitement des troubles osseux. C'est un expert de premier plan dans les bisphosphonates et les ostéopathies cliniques et il l'était également au milieu des années 80. Cette compétence lui est reconnue absolument et sans conteste par le Dr Chambers, expert pour Genpharm. Il a été un « témoin oculaire » de l'évolution du traitement de l'ostéoporose et, en particulier, de l'émergence de la thérapie en cause dans la présente instance.

[46]       Le Dr Timothy Chambers est professeur de pathologie cellulaire et directeur du Département de pathologie cellulaire au St. George's Hospital Medical School, Université de Londres, en Angleterre. C'est un histopathologiste de formation. Le Dr Chambers est un expert en biologie cellulaire de l'os et effectue des recherches dans ce domaine depuis plus de 20 ans.

[47]       Dans son avis d'allégation, Genpharm a prétendu à l'évidence de ce qui suit :


i)           l'administration de bisphosphonates en quantités limitées;

ii)          l'administration de bisphosphonates de façon intermittente plutôt que chronique;

iii)          l'omission d'un composé d'activation osseuse;

iv)         une trousse qui facilite l'observance du traitement en organisant les divers éléments du régime.

v) Preuve et analyse

a)          Dose efficace limitée (LED)

Preuve

[48]       Le brevet 376 revendique la prise quotidienne de quantités d'étidronate allant d'environ 0,25 x LED à environ 4 x LED. C'est l'équivalent de 1 mg/kg à quelque 16 mg/kg d'étidronate. Tous les intervalles de doses semblent être établis d'après une évaluation de l'effet de chaque bisphosphonate sur la résorption osseuse dans le cadre d'expériences faites sur des rats mâles à l'aide des modèles de Schenk et TPTX. Il est possible d'extrapoler les doses humaines à partir de ces expériences, car les doses pour les humains sont proportionnellement liées aux LED dans le modèle TPTX chez le rat.


[49]       Selon le Dr Chambers, les études de Siris, Heaney, Khairi, Russell et Canfield n'indiquent pas la dose de bisphosphonate à utiliser dans le traitement de l'ostéoporose, mais recommandent à une personne versée dans l'art de limiter la dose de biphosphonate à un niveau qui prévient la résorption tout en évitant les effets secondaires indésirables. Le Dr Chambers croit que ces études ont établi le principe d'administration de la LED à un patient ostéoporotique, principe selon lequel une personne versée dans l'art choisirait des épreuves telles que le modèle de Schenk et le modèle TPTX, qui sont mentionnés dans le brevet 376, pour identifier l'intervalle de doses susceptible d'être efficace. Le Dr Chambers fait remarquer que Heaney a proposé l'utilisation de 5 à 10 mg/kg/jour pour traiter l'ostéoporose. Ces doses se situent dans l'intervalle décrit dans le brevet 376.

[50]       Le Dr Chambers affirme qu'Anderson a utilisé des doses se situant dans l'intervalle proposé par le brevet 376 pour prévenir la perte osseuse. Ces doses étaient donc, selon lui, évidentes pour une personne versée dans l'art. Il ajoute qu'il ne connaît aucune raison pour laquelle la présence ou l'absence d'un activateur des cellules osseuses, comme celui utilisé par Anderson, influerait sur la dose de bisphosphonate retenue.


[51]       Le Dr Chambers est d'avis que Chesnut montre clairement aux yeux d'une personne versée dans l'art que le régime posologique limité pour le clodronate qu'il utilise est efficace et que la dose équivalente d'étidronate peut facilement être obtenue en utilisant des essais comme les modèles de Schenk ou TPTX. Chesnut montre qu'un bisphosphonate devrait être administré en doses efficaces limitées et, vu que les inventions revendiquées dans le brevet 376 renvoient à l'utilisation des bisphosphonates en général, cette démonstration antérieure rend évidente la LED pour l'étidronate.

[52]       Selon le Dr Russell, bien que Heaney, Khairi, Russell et Canfield indiquent qu'on serait tenté d'utiliser la LED pour éviter les effets secondaires négatifs qui accompagnent l'utilisation de l'étidronate à de fortes doses, il existe en réalité un intervalle de doses qui peut être efficace si l'on extrapole à partir des études sur la maladie de Paget. Dans l'intervalle de 1 à 7,5 mg/kg/jour, on trouve quatre doses, 1, 2,5, 5 et 7,5 mg/kg/jour, qui ont été étudiées et qui ont toutes prévenu l'effet secondaire d'inhibition de la minéralisation (formation osseuse). Si un technicien versé dans l'art devait extrapoler à partir de ces études, il n'aurait aucune raison de retenir une dose plus que les autres.

[53]       De l'avis du Dr Russell, le Dr Chambers laisse entendre que la dose de 5 mg/kg/jour est la seule qui correspond à la définition de LED, soit une dose qui est efficace sans comporter d'effets secondaires importants. Il y a cependant tout un éventail de possibilités, et la dose optimale pour le traitement de l'ostéoporose plutôt que de la maladie de Paget devrait être définie. Elle n'est pas évidente pour le technicien versé dans l'art parce qu'il n'y a pas de précédent dans les études sur l'utilisation de l'étidronate dans le traitement de l'ostéoporose qui pourrait servir à prédire les doses efficaces.


[54]       En outre, on ne devrait pas à partir de la maladie de Paget faire des extrapolations pour l'ostéoporose, car les premières études sur les patients atteints de la maladie de Paget tentaient de déterminer la dose tolérable maximale de bisphosphonate qui pouvait être administrée. La stratégie adoptée consistait à traiter agressivement sur une courte période la maladie de Paget alors que l'objectif du traitement de l'ostéoporose est d'accroître la masse osseuse nette sur une longue période. Pour ces raisons, les doses de bisphosphonate utilisées dans les études sur la maladie de Paget ne seraient pas extrapolées par un technicien versé dans l'art pour être appliquées au traitement de l'ostéoporose.                                             

[55]       Le Dr Russell n'est pas d'accord avec le Dr Chambers qui soutient que Siris enseigne une approche générale pour modifier les doses afin de maximiser l'efficacité et réduire les effets secondaires. Dans l'étude de Siris, des effets secondaires étaient acceptés dans le cadre du traitement tout comme de fortes doses d'étidronate. Siris a tenté d'obtenir une réponse optimale avec de fortes doses d'étidronate administrées sur une courte période et a prévu pour compenser un intervalle d'arrêt de la médication pour permettre à l'organisme de réparer les dommages associés aux effets secondaires. Des expériences de dosage seraient donc encore nécessaires pour déterminer la dose efficace d'étidronate qui ne s'accompagne pas d'effets secondaires chez les patients ostéoporotiques traités pendant plusieurs années et non seulement sur une courte période.


[56]       Contrairement à ce que déclare le Dr Chambers, le Dr Russell affirme que les essais de Schenk et TPTX sont des essais de première ligne et, partant, ne permettraient d'établir que l'intervalle de doses susceptible d'être efficace chez les animaux, et non pas la LED pour traiter les humains atteints de la maladie.

[57]       Le Dr Russell soutient que Heaney n'a étudié qu'une dose de 20 mg/kg/jour d'étidronate et a conclu que l'étidronate a peu de chances d'apporter un bienfait thérapeutique dans le cas de l'ostéoporose. Heaney a par la suite émis l'hypothèse qu'une dose de 5 à 10 mg/kg/jour d'étidronate pourrait être efficace, mais il ne propose pas de schéma thérapeutique. Selon le Dr Russell, il n'était pas du tout évident de voir ce qui arriverait si cette dose d'étidronate était administrée de façon intermittente pour traiter l'ostéoporose. Le Dr Chambers a admis en contre­-interrogatoire que, bien que Heaney ait laissé entendre qu'une dose plus faible d'étidronate mériterait peut-être d'être essayée, il ne dit pas qu'une telle dose fonctionnera.


[58]       Le Dr Russell établit une distinction entre l'utilisation faite par Anderson et la dose d'étidronate dans le brevet 376 en indiquant que cette dose a été employée dans le contexte du protocole d'Anderson, la théorie de la cohérence, qui fait appel à un activateur des cellules osseuses. D'après le Dr Russell, on ne savait pas dans le milieu des années 80 si cette dose fonctionnerait à l'extérieur de la théorie de la cohérence. En outre, la théorie de la cohérence à cette époque n'avait pas fait l'objet d'un examen détaillé, de sorte que le rôle de chaque facteur n'était pas connu.

[59]       Le Dr Russell établit plusieurs différences en ce qui concerne l'étude de Chesnut. Premièrement, le Dr Russell affirme que Chesnut ne divulgue pas les régimes posologiques optimaux pour le clodronate indiqués dans le brevet 376 et que, par conséquent, le Dr Chambers compare à tort le clodronate et l'étidronate. Le Dr Chambers soutient que la dose optimale d'étidronate peut être extrapolée à partir d'une dose probablement non optimale (milieu de l'intervalle) de clodronate. Le milieu de l'intervalle de doses de chlodronate pour Chesnut n'aiderait pas directement une personne versée dans l'art à déterminer la dose limitée d'étidronate. La dose de Chesnut ne permettrait pas non plus de prévoir les résultats associés à l'étidronate, étant donné que ces composés ont une activité différente.

[60]       Le Dr Chambers a admis en contre-interrogatoire que le clodronate est un inhibiteur de la résorption osseuse plus puissant que l'étidronate; autrement dit, qu'on peut en administrer une plus grande quantité sans effets secondaires. Il a de plus admis que Chesnut a utilisé une dose de clodronate 8 fois plus forte que la LED revendiquée dans le brevet 376. Il n'a pas considéré cependant ce fait comme un obstacle pour arriver à la LED d'étidronate d'après les résultats de Chesnut.


Analyse

[61]       J'accepte le témoignage du Dr Russell selon lequel l'usage de la plus faible dose efficace d'étidronate revendiquée dans le brevet 376 n'aurait pas été « simple comme bonjour » ou « claire comme de l'eau de roche » aux yeux d'un technicien versé dans l'art à la date déterminante.

[62]       Le témoignage du Dr Chambers, bien que solide, passe à côté de la question juridique que la Cour doit trancher. Le Dr Chambers semble examiner l'invention du point de vue d'un inventeur plutôt que celui d'un technicien fictif versé dans l'art et non inventif. Il allègue essentiellement que l'échelle de dosage de l'étidronate revendiquée dans le brevet 376 est évidente parce qu'il est possible d'extrapoler et d'arriver à cette solution à partir d'un éventail d'études. En somme, le Dr Chambers indique à la Cour qu'un technicien versé dans l'art conclurait :

[Traduction]

1)         à partir des études (sur la maladie de Paget) de Siris, Khairi, Russell, Canfield et de l'étude (sur l'ostéoporose) de Heaney, que le traitement de l'ostéoporose est assuré par l'administration de la LED d'un bisphosphonate, et que

2a)       ou bien à partir de l'étude d'Anderson, la même dose utilisée par Anderson, qui est revendiquée dans le brevet 376, peut être employée même sans activateur de cellules osseuses,


2b)       ou bien à partir de l'étude de Chesnut, la dose de clodronate peut être extrapolée pour obtenir la dose d'étidronate.

[63]       Genpharm prétend que P & G établit une distinction artificielle entre la maladie de Paget et l'ostéoporose pour soutenir que les études sur la maladie de Paget ne peuvent apporter à un technicien versé dans l'art de renseignements sur l'autre maladie. Cet argument vise à prouver la validité de l'inférence (1) mentionnée ci-dessus mais n'amène pas Genpharm bien loin. C'est que même si j'accepte la première inférence ci-dessus, j'ai des problèmes avec les inférences 2(a) et 2(b). Les inférences que, selon le Dr Chambers, un technicien versé dans l'art ferait à partir des études d'Anderson et de Chesnut requerraient à tout le moins une parcelle d'invention.

[64]       Anderson adoptait comme prémisse la théorie de la cohérence de Frost; autrement dit, il a utilisé un activateur de cellules osseuses dans son étude. J'accepte les commentaires du Dr Russell selon lesquels dans le milieu des années 80, on ne savait pas clairement quels facteurs dans la théorie de la cohérence étaient efficaces et lesquels ne l'étaient pas. Compte tenu de cette incertitude, j'ai de la difficulté à accepter qu'un technicien versé dans l'art trouverait à l'époque évident que la dose utilisée par Anderson dans son étude serait efficace ou appropriée sans l'utilisation d'un activateur de cellules osseuses.


[65]       Le Dr Chambers a attesté qu'il ne voit aucune raison pour laquelle un technicien versé dans l'art ne prendrait pas un élément de la théorie de la cohérence pour l'appliquer à l'extérieur de ce contexte. Cela ne revient pas à dire qu'il aurait été évident à l'époque de faire une telle chose. Comme on ne savait pas bien quels éléments de la théorie de la cohérence étaient efficaces, la dose utilisée par Anderson aurait dû être essayée pour voir si elle était efficace sans activateur. Ainsi, le technicien versé dans l'art du Dr Chambers n'applique plus simplement des techniques mécanistes mais innove, ce qui déborde le cadre du critère juridique de l'évidence. Je dois garder en tête à quel point une chose peut paraître évidente après coup, une fois qu'on l'a divulguée clairement dans un brevet. Les commentaires du Dr Russell à ce sujet semblent se placer davantage dans le contexte dans lequel le tribunal doit effectuer son analyse que dans celui des connaissances à l'époque.


[66]       Pour ce qui est de l'étude de Chesnut, j'accepte la preuve des deux experts qui soutiennent que le clodronate et l'étidronate ont une activité différente. J'accepte également les commentaires du Dr Russell voulant que l'étidronate ait une tendance relativement forte à inhiber la minéralisation osseuse. De même, le Dr Russell comme le Dr Chambers reconnaissent que l'étude de Chesnut avait recours à une dose de clodronate qui était 8 fois supérieure à la LED du clodronate revendiquée dans le brevet 376. Pour ces raisons, on ne peut extrapoler la dose de clodronate utilisée par Chesnut pour obtenir l'intervalle de doses d'étidronate revendiqué dans le brevet 376. Chesnut lui-même distinguait les deux bisphosphonates en proposant en conclusion une étude utilisant l'étidronate conjointement avec un activateur de cellules osseuses. Dans son étude de 1984, Chesnut déclarait :

[Traduction] Il n'a pas encore été démontré si d'autres phosphonates (EHDP [étidronate], APD) partageaient ce même effet bénéfique apparent sur les os.

[67]       Cela semble indiquer que, même si les deux produits sont similaires, l'art antérieur considérait toujours le clodronate et l'étidronate comme ayant des propriétés distinctes. Le Dr Chambers a admis en contre-interrogatoire qu'à la lumière de ce que déclare Chesnut concernant l'étidronate, on ne pourrait savoir quelle dose il administrerait s'il menait à bien l'étude qu'il propose. Il semble donc que la dose de clodronate utilisée par Chestnut ne permettait pas d'établir de façon évidente l'intervalle de doses.


[68]       Genpharm souligne toutefois que les différences d'activité de ces bisphosphonates sont prises en compte dans le modèle de Schenk et le modèle TPTX chez le rat, sur lesquels s'appuie le brevet 376, pour déterminer la LED de chaque produit. Cet argument ne tient cependant pas compte du fait que le technicien mythique versé dans l'art n'effectue pas d'autres tests, une réflexion ou des recherches sérieuses pour en arriver à l'invention revendiquée. Accepter l'argument de Genpharm reviendrait à étendre la portée du critère juridique de l'évidence. C'est que le technicien mythique versé dans l'art, après avoir vu l'étude de Chestnut faisant appel au clodronate, et sachant qu'il existe une différence d'activité par rapport à l'étidronate :

1)         effectuerait des tests à l'aide des modèles de Schenk et TPTX pour obtenir l'intervalle de doses pour l'étidronate chez le rat;

2)         se servirait de ces données pour extrapoler les doses aux humains revendiquées par P & G dans son brevet 376.

À mon avis, cela va au-delà de ce qu'on entend habituellement en droit par évidence.

[69]       Pour ces motifs, je ne crois pas que l'intervalle de doses pour l'étidronate revendiqué par P & G dans son brevet 376 était évident pour un technicien versé dans l'art à la date déterminante, soit le 6 juin 1985. Même si la LED de l'étidronate était déjà connue, ma tâche consiste à évaluer si l'association médicamenteuse inventée par P & G était évidente à la date déterminante. Par souci d'exhaustivité et de clarté, cependant, je continuerai d'examiner la preuve en ce qui a trait à chaque élément du traitement de P & G.

b)          Administration intermittente d'étidronate

Preuve


[70]       Le Dr Chambers soutient qu'à la date déterminante il était évident que, pour prévenir les effets délétères de l'étidronate, il était préférable de recourir à un traitement intermittent plutôt que prolongé. Il affirme que c'est ce qui ressort de l'utilisation du traitement intermittent par Khairi et Siris pour traiter la maladie de Paget.

[71]       Le Dr Chambers a déclaré que, bien qu'elle ait recours au clodronate, l'étude de Chesnut montre que les bisphosphonates en général devraient être administrés de façon intermittente. Il ajoute que même le brevet 376 revendique que les bisphosphonates devraient être administrés de façon intermittente et que le brevet ne renvoie pas expressément à l'étidronate à cet égard.

[72]       Selon le Dr Chambers, Rasmussen a affirmé qu'une hormone, la calcitonine, peut être utilisée comme un bisphophonate pour inhiber la résorption osseuse dans l'ostéoporose et que lorsqu'elle est administrée de façon intermittente, on observe une augmentation du volume de la masse osseuse. Le Dr Chambers s'appuie sur les résultats de Rasmussen pour avancer qu'une personne versée dans l'art serait amenée à penser qu'un traitement intermittent de l'ostéoporose au moyen d'inhibiteurs de la résorption osseuse peut être préférable à un traitement continu.


[73]       Enfin, Anderson a constaté que, lorsque les patients ostéoporotiques reçoivent un traitement intermittent à l'étidronate en association avec un activateur des cellules osseuses, la masse osseuse nette augmente de façon marquée. D'après le Dr Chambers, bien qu'Anderson attribue ces résultats distincts à l'association d'un bisphosphonate administré de façon intermittente et d'un agent d'activation, une personne versée dans l'art verrait que l'expérience de Chestnut a aussi entraîné une augmentation de la masse osseuse après une monothérapie intermittente au clodronate et serait amenée à conclure que c'est le caractère intermittent du traitement au bisphosphonate et non l'inclusion de l'agent d'activation qui est l'élément essentiel du traitement.

[74]       Le Dr Russell adopte une position différente. Il déclare que les effets secondaires négatifs observés dans les études portant sur l'étidronate ont été attribués aux fortes doses d'étidronate utilisées dans ces études et non à la durée de la médication. Autrement dit, une personne versée dans l'art ne serait pas amenée à administrer un traitement intermittent pour éviter les effets inhibiteurs de l'étidronate sur la minéralisation. Le Dr Russell affirme qu'aucune étude médicale publiée ne corrobore la déclaration du Dr Chambers, à savoir qu'une personne versée dans l'art saurait que les effets délétères de l'étidronate peuvent être atténués par un traitement intermittent.


[75]       Le Dr Russell soutient que le Dr Chambers ne caractérise pas bien l'étude de Chesnut en laissant entendre que celui-ci a fait état d'une augmentation de la masse osseuse. Chesnut a mesuré la quantité totale de calcium dans l'organisme en utilisant la méthode d'analyse par activation neutronique. Cette méthode mesure la quantité totale de calcium minéral dans l'organisme, sans pour autant définir sa localisation anatomique, ce qui veut dire que les résultats ne brossent pas un tableau complet de l'effet obtenu du point de vue de l'augmentation de la masse osseuse à des sites critiques du squelette. Chesnut lui-même souligne que ces observations ne peuvent être appliquées à d'autres bisphosphonates qu'il n'a pas étudiés, notamment l'étidronate. Pour cette raison, le Dr Russell déclare que le Dr Chambers n'est pas justifié d'affirmer qu'un technicien versé dans l'art saurait que des résultats similaires seraient susceptibles d'être obtenus avec d'autres bisphosphonates.

[76]       Le Dr Russell affirme que le Dr Chambers a exagéré ce que démontre l'étude de Chesnut. Selon le Dr Russell, Chesnut ne montre pas qu'un bisphosphonate devrait ou pourrait même être administré de façon intermittente. Dans le meilleur des cas, les résultats de Chesnut apportent une observation intéressante concernant le traitement de l'ostéoporose au moyen du clodronate, observation qui requiert des expériences et des explications plus approfondies.

Analyse

[77]       Je suis d'accord avec le Dr Russell que rien dans la littérature n'établit de lien entre l'usage continu de l'étidronate et les effets secondaires négatifs qu'il entraîne. La littérature attribue plutôt les effets secondaires négatifs de l'étidronate aux fortes doses administrées dans divers essais cliniques.


[78]       Le Dr Chambers ne peut indiquer une étude où les effets délétères de l'étidronate sur la minéralisation osseuse ont été attribués à un usage continu. En outre, ni Chesnut ni Anderson n'attribuent leurs résultats positifs à l'administration intermittente de bisphosphonates.

[79]       Dans l'étude de Siris, où une forte dose d'étidronate a été administrée de façon intermittente, des périodes de repos étaient jugées nécessaires pour réparer les dommages causés par les fortes doses du produit et n'avaient pas pour effet de réduire les effets secondaires délétères de l'étidronate. En fait, le Dr Chambers a admis en contre-interrogatoire que le traitement de Siris est distinct de la période de repos prévue dans le brevet 376 parce que Siris utilise cette période pour réparer les problèmes de minéralisation causés par l'administration de fortes doses d'étidronate. Les commentaires du Dr Chambers renforcent ce qui a déjà été indiqué, à savoir que l'art antérieur doit faire valoir l'évidence de l'association médicamenteuse inventée dans le brevet 376, et pas seulement de certains éléments distincts de cette association. Je remarque également que l'étude de Siris visait à stopper et à ralentir la destruction du tissu osseux causée par la maladie de Paget, alors que le traitement cyclique intermittent de P & G vise à produire une augmentation nette de la masse osseuse.


[80]       Le fait que le Dr Chambers s'appuie sur l'étude de Rasmussen ne me convainc pas que le traitement intermittent à base d'étidronate était évident. L'étude de Rasmussen, qui comportait l'utilisation intermittente d'une hormone et d'un agent d'activation des cellules osseuses, ne montre pas qu'il est probable que l'utilisation intermittente de bisphosphonates sans activateur aurait un effet bénéfique sur le traitement de l'ostéoporose. Le Dr Chambers dit essentiellement que l'étude de Rasmussen montre au technicien versé dans l'art que cela « vaut la peine » de faire l'essai du traitement intermittent aux bisphosphonates. Cela ne suffit pas pour conclure que l'idée d'administrer de façon intermittente de l'étidronate n'était pas originale (Bayer AG, précité, p. 84).

[81]       Enfin, il n'est pas nécessaire d'examiner les commentaires du Dr Russell concernant ce que nous enseigne l'étude de Chesnut, parce que je trouve que le raisonnement du Dr Chambers touchant cette étude et celle d'Anderson est illogique. Le Dr Chambers prétend essentiellement que, vu qu'Anderson a obtenu des résultats positifs dans son étude, qui faisait appel à un activateur des cellules osseuses, et que Chesnut a également obtenu des résultats positifs, mais sans activateur, un technicien versé dans l'art conclurait évidemment qu'un élément essentiel du traitement est l'administration intermittente d'un bisphosphonate et non l'utilisation d'un activateur.


[82]       Si séduisante que cette argumentation apparaisse à première vue, elle comporte des failles. Le Dr Chambers ne tient pas compte du fait que dans les études, on a également utilisé des bisphosphonates, ce que le Dr Chambers semble reconnaître comme un élément essentiel du traitement. Cela dit, il ne semble pas possible qu'un technicien versé dans l'art juge évident que les résultats positifs obtenus dans les deux études peuvent être attribués à l'administration intermittente de bisphosphonates et non simplement aux bisphosphonates eux-mêmes. Essentiellement, mon rejet des opinions du Dr Chambers à cet égard ne fait que traduire les commentaires antérieurs du Dr Russell, à savoir que rien dans la littérature ne permet d'établir un lien clair entre la réduction des effets secondaires de l'étidronate et l'administration intermittente du produit.

[83]       Pour ces motifs, je conclus que l'administration intermittente d'étidronate n'était pas évidente à la date déterminante.

c)          Omission de l'activateur de la résorption osseuse

Preuve


[84]       Le régime de traitement de l'ostéoporose revendiqué dans le brevet 376 ne prévoit pas l'administration d'un activateur des cellules osseuses, tel que le phosphate, qui est un élément essentiel de la théorie de la cohérence de Frost et a été utlisé par Anderson et Rasmussen dans leurs études. Le traitement cyclique intermittent dans le brevet 376 comprend uniquement deux éléments : l'administration d'un bisphosphonate et une période de repos, durant laquelle du carbonate de calcium ou un placebo est administré. Les Drs Russell et Chambers ont discuté de l'antériorité de l'utilisation d'un activateur des cellules osseuses. Il est utile de passer en revue brièvement ces données, car cela donne une meilleure idée de l'état des connaissances à la date déterminante. Bien qu'il ne s'agisse pas en soi d'un élément essentiel, les études touchant l'utilisation d'un activateur des cellules osseuses aideront le tribunal à déterminer si l'art antérieur allait dans le sens d'un traitement cyclique en deux étapes du type décrit dans le brevet 376.

[85]       Le Dr Chambers a admis en contre-interrogatoire que le TCI dans le brevet 376 se distingue de la théorie de la cohérence, qui suppose l'utilisation d'un activateur des cellules osseuses. Il croit cependant que les résultats obtenus par Chesnut montrent clairement à une personne versée dans l'art qu'il est possible d'omettre l'activateur des cellules osseuses dans le traitement de l'ostéoporose. Les résultats de Chesnut mettent en évidence une augmentation importante de la masse osseuse chez les patients ostéoporotiques et font ressortir qu'un traitement intermittent aux bisphosphonates, que ce soit le clodronate ou l'étidronate, peut être utilisé pour traiter l'ostéoporose.


[86]       Le Dr Russell affirme que les résultats de Chesnut, contrairement à ce qu'affirme le Dr Chambers, ne révèlent pas d'augmentation importante de la masse osseuse mais dénotent une hausse de la quantité de calcium corporel mesurée chez ses patients. Chestnut n'explique pas ses résultats, en ce sens qu'il n'indique pas qu'un régime intermittent constitue un traitement efficace ou qu'un activateur des cellules osseuses devrait ou ne devrait pas être utilisé dans un traitement de l'ostéoporose. En outre, l'absence d'activateur ne fait pas ressortir de façon évidente qu'un activateur des cellules osseuses peut être omis dans tous les cas. L'omission de l'activateur par Chesnut peut être due en fait à une augmentation de l'hormone parathyroïde (PTH) découlant de l'utilisation du clodronate. La PTH est responsable du maintien de concentrations appropriées de calcium sanguin. Lorsque la résorption est inhibée par le clodronate, les concentrations de calcium dans le sang chutent parce que l'os perd une moins grande quantité de calcium. Par conséquent, la PTH est sécrétée pour compenser la baisse de la calcémie. Cette réponse d'adaptation n'est pas induite par l'étidronate. Pour ces raisons, le Dr Russell déclare qu'on ne pourrait s'attendre à ce que Chesnut obtiennent ces résultats si l'étidronate était utilisé sans activateur, ce qu'indique bien Chesnut lorsqu'il suggère d'effectuer une étude de suivi utilisant de l'étidronate et un activateur.

[87]       Le Dr Chambers a admis en contre-interrogatoire que Chesnut recommande l'utilisation de l'étidronate et d'un activateur et qu'une personne versée dans l'art au milieu des années 80 saurait que le clodronate déclenche une réponse de la PTH, car de telles données avaient été publiées.


Analyse

[88]       Je préfère les commentaires du Dr Russell à ceux du Dr Chambers. Le TCI dans le brevet 376 ne comporte pas l'utilisation d'un activateur, et aucune étude dans le milieu des années 80 n'infirmait la théorie de la cohérence. Le Dr Chambers reconnaît que Chesnut lui-même croyait qu'un activateur devait être utilisé en association avec l'étidronate. J'admets que l'usage du produit est requis à cause de la réponse du PTH, déclenchée par le clodronate et non par l'étidronate. Les deux experts reconnaissent que cette réponse était du domaine public à l'époque. Cette réponse de la PTH amènerait les techniciens versés dans l'art à ne pas utiliser le clodronate de la même façon que l'étidronate. De même, compte tenu des limites techniques liées à la mesure de l'efficacité des traitements de l'ostéoporose au milieu des années 80, que reconnaissent les deux experts, on ne peut dire que les résultats de Chesnut faisaient état d'une augmentation importante de la masse osseuse. Si tel est le cas, ce que je crois, on ne peut dire qu'un technicien versé dans l'art trouverait évident qu'un activateur des cellules osseuses n'est pas un élément essentiel d'un traitement de l'ostéoporose.


d)          Trousse

Preuve

[89]       La trousse revendiquée par P & G dans le brevet 376 est décrite comme un moyen [Traduction] « d'organiser les éléments de façon à faciliter l'observance du régime thérapeutique » .

[90]       Le Dr Chambers déclare que les trousses du type indiqué dans le brevet 376, prévoyant des périodes d'administration de médicament et des périodes sans médication, sont bien connues dans le domaine. Il renvoie à un compendium, le Data Sheet Compendium, pour appuyer ses dires. En outre, le Dr Chambers souligne que le brevet 1,024,135 du Royaume-Uni et le brevet américain 3,568,828 renvoient à des ensembles qui facilitent les traitements requérant l'administration cyclique ou périodique d'un produit.


[91]       Le Dr Russell a passé en revue l'information fournie dans le Data Sheet Compendium auquel a fait référence le Dr Chambers et a distingué les références qu'on y trouve de la trousse revendiquée par P & G dans le brevet 376. Il indique que le Data Sheet Compendium traite des trousses pour les contraceptifs, qui comprennent un médicament actif et un placebo placés dans un ordre correspondant au cycle menstruel. Selon le Dr Russell, ces trousses sont différentes parce qu'elles ne visent pas à faciliter l'observance d'un régime thérapeutique contre l'ostéoporose, qui comprend l'administration d'étidronate et d'un placebo ou d'un supplément nutritionnel. Un cycle menstruel est un cycle naturel et se distingue donc du traitement cyclique d'un problème osseux qui s'appuie sur des prédictions théoriques concernant la façon d'optimiser les effets inhibiteurs de la résorption osseuse exercés par divers médicaments. Tout comme le fait qu'un traitement intermittent n'aurait pas été envisagé au milieu des années 80, une trousse pour garantir l'observance du régime thérapeutique proposé contre l'ostéoporose était également une innovation dans ce domaine, selon le Dr Russell.

Analyse


[92]       J'abonde dans le sens du Dr Chambers qui croit qu'à la date déterminante, un technicien versé dans l'art pouvait mettre au point facilement une trousse susceptible de faciliter l'observance du TCI de P & G. Une telle trousse est évidente vu que tous connaissaient à l'époque les trousses pour contraceptifs. Le Dr Russell tente de distinguer les trousses de contraceptifs de la trousse de P & G en soutenant que le cycle menstruel est un cycle naturel et que le cycle mis au point par P & G ne l'est pas. À mon avis, une telle distinction n'est pas pertinente. Je ne vois pas pourquoi un technicien versé dans l'art hésiterait à appliquer les leçons tirées des trousses brevetées pour contraceptifs à une trousse pour le traitement de l'ostéoporose simplement parce que les premières suivent un cycle naturel alors que la dernière ne le fait pas. L'origine du cycle n'a aucune importance dans le cas de la trousse visant à faciliter l'observance d'un régime thérapeutique.

e) Combinaison des éléments essentiels                  

[93]       Par souci d'exhaustivité et pour répondre aux arguments présentés par les parties, j'ai examiné chaque élément de l'invention revendiquée dans le brevet 376. Néanmoins, je garde à l'esprit que l'essence de l'invention revendiquée par P & G n'est pas l'un ou l'autre de ces éléments pris isolément, mais plutôt leur usage combiné.

[94]       Dans Crila Plastic Industries Ltd. c. Ninety-eight Plastic Trim Ltd. (C.A.F.) (1987), 18 C.P.R. (3d) 1, la Cour d'appel fédérale a conclu qu'un tribunal ne commet pas d'erreur susceptible de contrôle s'il détermine si chacun des éléments essentiels était antérieurement connu, examine l'art antérieur et enfin détermine si le fait de combiner les éléments ferait de l'invention une invention par combinaison ou une simple juxtaposition. Ce genre d'analyse est « convena[ble] » (Crila Plastic Industries, précité, à la page 11).


[95]       Le critère servant à déterminer l'évidence ne doit pas être appliqué à chacun des éléments pris isolément, mais plutôt à la combinaison des éléments comme ensemble (Bayer AG, précité, au par. 86). Ainsi, même si tous les éléments du brevet 376 étaient connus antérieurement, je dois déterminer si leur combinaison, l'intégration d'une idée sous une forme pratique, constitue de l'inventivité (Bayer AG, précité, au par. _86). Je crois que oui.

[96]       La Cour fédérale a fourni des exemples récents de brevets invalides en raison de l'évidence dans le cas où une invention revendiquée était « raisonnablement prévisible    » ou « était évidente » ou encore que « parmi un nombre limité de possibilités [...] le brevet en présente une » .

·          Dans SmithKline, précité, la Cour d'appel fédérale a conclu que le choix d'une formulation par voie sèche, qui constituait l'une des nombreuses solutions de rechange pour la fabrication de la paroxétine, n'était pas une invention puisque cette solution aurait probablement été retenue par un formulateur de métier avant le dépôt de la demande de brevet.

·           Dans Novartis AG c. Apotex Inc. (2001), 15 C.P.R. (4th) 417 (C.F. 1re inst.), conf. (2002), 22 C.P.R. (4th) 450 (C.A.F.), la Cour fédérale a conclu que la fabrication d'un médicament selon une technique connue d'une personne versée dans l'art, bien qu'elle n'ait pas été utilisée antérieurement pour la fabrication de ce médicament, ne constitue pas une invention puisqu'elle était évidente.


·           Dans Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc. (2002), 22 C.P.R. (4th) 466 (C.F. 1re inst.), la Cour fédérale a conclu qu'une invention brevetée, à savoir un nouvel usage pour un médicament connu, est de caractère évident. Aucun esprit inventif ni expérimentation exagérée n'était requis. Il n'y a pas d'inventivité à suivre une voie déjà tracée et évidente en appliquant des technologies et des mélanges déjà éprouvés.

[97]      Genpharm se fonde sur ces décisions pour faire valoir que les revendications du brevet de P & G sont évidentes. Toutefois, ces trois décisions peuvent facilement être distinguées des faits de la présente affaire. Dans SmithKline et Novartis, précités, la Cour devait déterminer si l'usage d'une méthode connue pour l'élaboration d'une invention constituait ou non une évidence. En l'espèce, aucune méthode connue n'est en cause. Dans Pfizer, précité, la Cour devait déterminer si un nouvel usage d'un médicament existant constituait une évidence. En l'espèce, l'étidronate, le médicament existant, n'est pas seulement utilisé pour le traitement d'une maladie à l'égard de laquelle il n'a jamais été utilisé. En fait, certaines études, mentionnées précédemment, démontrent l'utilisation de l'étidronate pour le traitement de l'ostéoporose. Dans la présente affaire, je dois déterminer si la méthode bien précise d'utilisation de l'étidronate, selon la plus faible dose efficace (LED), administrée de façon intermittente et cyclique dans le cadre du traitement de l'ostéoporose, était évidente à la date déterminante.


[98]      Les nombreuses explications proposées par le Dr Russell en ce qui concerne la question de l'évidence, considérées ensemble, sont, comme l'a affirmé le juge Hugessen dans Beloit, précité, irrésistibles (Diversified, précité). Le Dr Russell est davantage qu'un technicien versé dans l'art. Il était, à la date déterminante, et est encore aujourd'hui un expert imaginatif dans le domaine du traitement de l'ostéoporose. De plus, la crédibilité de ce témoin n'a jamais été mise en doute. Le Dr Russell a été surpris d'apprendre l'existence du TCI :

[traduction] ...même si je travaillais à temps plein dans ce domaine durant cette période, l'invention n'était pas évidente à mes yeux compte tenu des études qui avaient été faites dans ce domaine. La valeur de cette méthode de faibles doses d'étidronate administrées de façon intermittente pour le traitement de l'ostéoporose, décrite dans le brevet 376, m'a considérablement surpris.

[99]      Si l'invention revendiquée par P & G n'était pas évidente du point de vue d'un expert à la date déterminante, il est difficile de concevoir qu'un technicien versé dans l'art et dépourvu d'imagination ait pu considérer cette solution comme étant « simple comme bonjour » . La réaction du Dr Russell à cette invention confirme qu'il était nécessaire de faire preuve de davantage qu'une étincelle d'imagination pour créer le produit final.

[100]    Enfin, je ne suis pas certaine que l'analyse de l'évidence de l'invention effectuée par le Dr Chambers soit conforme à l'exercice juridique auquel je dois procéder.


[101]     D'abord, le rapport initial du Dr Chambers, qui faisait partie de l'énoncé détaillé de Genpharm, n'a pas expliqué de quelle façon la combinaison des éléments du brevet 376 aurait constitué une évidence pour un technicien versé dans l'art. Il a plutôt considéré les éléments un par un en affirmant [traduction] « cet élément est évident » . Son témoignage ne portait pas vraiment sur la question de l'étincelle inventive en cause dans la présente instance.

[102]     J'ai soigneusement examiné les témoignages des Drs Russell et Chambers et j'ai conclu que, selon la prépondérance de la preuve, l'antériorité ne rendait pas l'invention revendiquée dans le brevet 376 évidente. Comme l'a dit le juge Hugessen dans Beloit, précité, je ne crois pas que, à la date déterminante, un technicien versé dans l'art et dépourvu d'imagination serait arrivé, directement et sans difficulté, à la solution en laquelle consiste le brevet 376.

[103]    Pour ces motifs, j'estime que l'allégation d'invalidité de Genpharm n'est pas fondée.

Question 2 : L'allégation par Genpharm de la non-contrefaçon des revendications concernant la « trousse » est-elle fondée?

[104] Normalement, je devrais maintenant déterminer si les revendications du brevet concernant la « trousse » seront contrefaites par le produit de Genpharm. Celle-ci allègue que son médicament pour le traitement de l'ostéoporose - le GEN-ETI-CAL CAREPAC - n'emportera pas contrefaçon de ces revendications.


[105]     Toutefois, pour que le Règlement s'applique, la première personne doit avoir revendiqué un médicament ou un usage de ce médicament inscrit au registre des brevets. L'article 2 du Règlement définit ainsi le terme « médicament » :


« médicament » Substance destinée à servir ou pouvant servir au diagnostic, au traitement, à l'atténuation ou à la prévention d'une maladie, d'un désordre, d'un état physique anormal, ou de leurs symptômes. (medicine)

"medicine" means a substance intended or capable of being used for the diagnosis, treatment, mitigation or prevention of a disease, disorder or abnormal physical state, or the symptoms thereof; (médicament)


[106]     Genpharm soutient que les revendications 1 à 16 du brevet 376 ne devraient pas faire l'objet des présentes procédures en vertu du Règlement puisqu'elles ne portent ni sur le médicament en soi ni sur son utilisation et qu'elles s'apparentent à un système d'administration du schéma thérapeutique (articles 2, 4(1) et 4(2)b) du Règlement; Janssen-Ortho Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2003), 24 C.P.R. (4th) 438 (C.F. 1re inst.); Novartis Pharmaceuticals Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2002), 22 C.P.R. (4th) 361 (C.F. 1re inst.); Glaxo Group Ltd. c. Novopharm Ltd. (1998), 79 C.P.R. (3d) 488, conf. (1999), 87 C.P.R. (3d) 525 (C.A.F.), autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée le 20 avril 2000).

[107]     Dans Hoffmann-La Roche Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1999), 86 C.P.R. (3d) 303, à la page 308 (C.F. 1re inst.) (Hoffmann-La Roche # 1), ce genre d'argument a été considéré comme une allégation de non-contrefaçon :


Pour l'essentiel, l'allégation précise que les brevets sur lesquels La Roche se fonde ne sont pas des brevets portant sur une revendication soit pour un médicament en soi, soit pour son utilisation, et que par conséquent, la vente de naproxen par Genpharm ne constitue pas une contrefaçon de ces revendications. L'allégation visée au sous-alinéa 5(1)b)(iv) est implicite [non-contrefaçon].

[108]    En réponse, P & G fait d'abord valoir que cette question n'a pas été soulevée dans l'avis d'allégation de Genpharm, mais plutôt pour la première fois dans son mémoire des faits et du droit. En conséquence, soutient P & G, je ne devrais pas me pencher sur cette question. Je ne suis pas d'accord. L'avis d'allégation comportait cet énoncé clair :

[traduction] Le présent brevet ne contient aucune revendication pour le médicament en soi, mais uniquement pour l'utilisation d'un médicament comprenant de ltidronate disodique selon un régime thérapeutique intermittent, ainsi que des revendications relativement à une trousse contenant ce médicament. À ce titre, vous n'avez pas inscrit ce brevet à bon droit au registre des brevets puisque les revendications relatives à la trousse ne portent pas elles-mêmes sur le médicament en soi ou sur l'utilisation de ce médicament. En vertu de l'alinéa 4(2)b) dudit Règlement, seules les revendications de brevet pour le médicament en soi et pour son utilisation peuvent être inscrites au registre. Par conséquent, nous vous demandons de radier du registre les revendications concernant la trousse ou, au minimum, de ne pas les faire valoir dans le présent contexte.

[109]    À mon avis, ce paragraphe indique clairement à P & G que cette question était en jeu. Comme dans Hoffmann-La Roche # 1, précité, l'essence de l'allégation est que les revendications concernant la trousse sur lesquelles P & G s'appuie ne sont pas des revendications pour un médicament en soi ou pour l'utilisation de celui-ci et que, par conséquent, la vente du produit de Genpharm n'emportera pas contrefaçon de l'une ou l'autre de ces revendications.


[110]    En ce qui concerne le fond de cette question, P & G allègue que la revendication concernant la trousse n'est pas une revendication relative à un bien matériel servant à l'administration du médicament en question. La trousse, soutient P & G, fait partie intégrante du TCI et en constitue un élément essentiel et, à ce titre, les revendications concernant la « trousse » sont des revendications pour le médicament en soi. P & G compare la trousse à un mélange qui comprend un ingrédient actif, comme celui qui était en cause dans Hoffmann-La Roche Ltd. c. Canada (Ministre de la Santéet du Bien-être social) (1995), 62 C.P.R. (3d) 58 (C.F. 1re inst.), conf. (1995), 67 C.P.R. (3d) 25 (C.A.F.) (Hoffman La Roche #2). Dans cette affaire, la Cour a conclu que le vaporisateur nasal composé de l'ingrédient actif flunisolide et d'autres éléments constituait un médicament au sens du Règlement.


[111]    Le critère applicable pour déterminer si une substance est un « médicament » au sens du Règlement a été décrit dans l'arrêt Novartis Pharmaceuticals Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2003] A.C.F. no 1065 (C.A.F.) (QL). La Cour doit se poser la question suivante : la trousse est-elle administrée au patient ou est-ce un système qui sert àadministrer les substances au patient? La trousse de P & G n'est pas administrée aux patients. Il s'agit plutôt d'un système servant àfaciliter l'observance du traitement cyclique intermittent. Un dispositif utilisé pour administrer un médicament n'est pas un « médicament » au sens du Règlement (Janssen-Ortho, précité; Glaxo Group Ltd., précité). La trousse n'est pas le médicament en soi et les faits de l'affaire Hoffman-La Roche #2, précitée, ne peuvent s'appliquer. Le mélange examiné par la Cour dans Hoffman-La Roche #2, précité, était une composition pharmaceutique dans laquelle l'ingrédient actif était ajouté ou mélangé à des ingrédients non actifs. Il ne s'agit pas d'une telle composition pharmaceutique en l'espèce. Vu sous l'angle du bon sens, la trousse ressemble davantage au timbre ou à l'inhalateur des affaires Janssen-Ortho ou Glaxo Group Ltd., précitées, qu'au vaporisateur nasal visé dans Hoffman-La Roche #2, précité. Une trousse qui facilite l'observance ne diffère guère, à mon avis, d'un timbre qui garantit que le médicament soit administré au patient selon les doses appropriées. Pour ces motifs, j'estime que les revendications concernant la « trousse » se rattachent à un système d'administration du TCI et qu'elles ne devraient pas faire l'objet de procédures en vertu du Règlement. Par conséquent, Genpharm n'avait pas à alléguer la non-contrefaçon relativement aux revendications concernant la « trousse » .

[112]    Si mon interprétation est correcte, ceci constitue peut-être une petite victoire pour Genpharm, mais ne signifie pas qu'elle remporte la guerre. Comme je l'ai mentionné précédemment dans les présents motifs, la question déterminante est la validité du brevet 376.


[113]     Comme j'ai conclu que la trousse n'est pas un médicament au sens du Règlement, l'allégation de non-contrefaçon de ces revendications n'est pas pertinente. Il n'y a en effet aucune disposition du Règlement qui soit applicable. De plus, compte tenu de ma conclusion que l'allégation d'invalidité n'est pas fondée, je devrais normalement me pencher sur l'allégation de contrefaçon des revendications concernant l' « utilisation » . Cependant, Genpharm n'a fait aucune allégation de ce genre. Une ordonnance d'interdiction devrait donc être rendue puisque le brevet 376 est valide. Toute analyse additionnelle est inutile.

[114]     Toutefois, dans l'éventualité où j'aurais tiré des conclusions erronées concernant la validité du brevet ou le fait que la trousse ne relève pas des procédures d'avis de conformité, je vais compléter mon analyse en me penchant sur le fond de l'allégation de non-contrefaçon de Genpharm.

[115]    Genpharm soutient que son produit n'emportera pas contrefaçon des revendications du brevet 376 concernant la « trousse » . Les revendications concernant la « trousse » sont, telles que définies par les parties, un [traduction] « moyen d'organiser les éléments de façon à faciliter l'observance du régime thérapeutique » . Genpharm signale deux différences dans son produit :

1.         Pour la seconde étape du TCI, Genpharm embouteille les comprimés de calcium plutôt que de les emballer dans une bande alvéolée thermoformée;

2.        le produit de Genpharm est prescrit pour un seul cycle et non pour deux.


[116]    Genpharm soutient qu'un patient doit consulter un médecin ou un pharmacien avant de renouveler sa prescription pour ce produit. Bien que la différence soit minime, elle soutient que le brevet 376 met l'accent sur l'observance stricte de deux cycles ou plus. On ne pourrait prétendre qu'il y a eu contrefaçon « de la substance » ou d'éléments « essentiels » (Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024).

[117]     Genpharm fait également valoir que l'emballage, qui contient des plaquettes thermoformées d'étidronate et une bouteille de comprimés de calcium, ne facilite pas l' « observance stricte » du régime thérapeutique, laquelle est essentielle suivant le brevet 376. Ainsi, selon son argumentation, l'allégation de non-contrefaçon est fondée.

[118]    Comme je l'ai expliqué précédemment, j'interpréterais la « trousse » revendiquée de la façon suivante :

a)          Trousse pour le traitement de l'ostéoporose :

i)        qui contient de l'étidronate et un placebo ou un supplément nutritionnel comme du calcium;

ii)       qui offre un moyen d'organiser ces éléments pour faciliter l'observance du régime thérapeutique.

[119]    La trousse revendiquée par P & G dans son brevet facilite la prise par le patient du bon produit au bon moment. P & G décrit sa trousse Didrocal® de la façon suivante :

[Traduction]

a)         les deux éléments du régime [étidronate et calcium/placebo] y sont séparés physiquement et par couleur;

b)         les deux éléments sont emballés dans la même boîte;


c)         des instructions sont fournies sur les étiquettes de chaque élément et sur la boîte elle-même indiquant la façon de prendre les éléments conformément au TCI - on indique que les comprimés d'étidronate doivent être pris d'abord, une fois par jour pendant 14 jours, puis les comprimés de calcium, une fois par jour pendant 76 jours;

d)         une carte de rappel pour le renouvellement d'ordonnance est également incluse.

Chacun des « blisters » est identifié par le jour de la semaine pour faciliter l'observance du régime thérapeutique.

[120]     La trousse GEN-ETI-CAL CAREPAC de Genpharm est décrite de la façon suivante :

[Traduction] Le produit que Genpharm propose de mettre en marché au Canada comprend suffisamment de médicament pour un traitement cyclique de 90 jours. Il sera vendu dans une boîte contenant de l'étidronate disodique [...] Une bouteille contenant 76 comprimés de carbonate de calcium accompagnera cette plaquette thermoformée [...] Les instructions suivantes sont fournies sur l'emballage ainsi que dans la monographie du produit :

« POSOLOGIE POUR ADULTES : pour l'ostéoporose postménopausique et la prévention de l'ostéoporose, prendre un comprimé d'étidronate disodique par jour pendant 14 jours consécutifs, puis un comprimé jaune de carbonate de calcium chaque jour pendant 76 jours consécutifs. Usage non recommandé pour les enfants. »

[121]    Chacune des parties a fait témoigner des experts qui ont indiqué si la bouteille de comprimés de calcium dans la trousse GEN-ETI-CAL CAREPAC pouvait ou non être distinguée des six plaquettes thermoformées de comprimés de calcium dans la trousse Didrocal®. Il est utile de passer brièvement en revue les opinions formulées par ces experts.


[122]    Le Dr Alan Tenenhouse, expert pour P & G, est directeur du Centre de maladies osseuses de l'Université McGill et directeur de la Division du métabolisme osseux de l'Hôpital général de Montréal. Le Dr Tenenhouse est un spécialiste de l'ostéoporose. Selon le Dr Tenenhouse, le produit de Genpharm ordonne les éléments du régime thérapeutique de façon à faciliter l'observance. Il est de cet avis parce que la trousse de Genpharm utilise un emballage qui distingue les éléments qui y sont contenus (plaquette thermoformée d'étidronate et bouteille de calcium); les comprimés sont de couleur différente; le produit est vendu comme une association médicamenteuse, les éléments étant emballés dans la même boîte; et des instructions sont fournies pour indiquer que l'étidronate doit être pris d'abord pendant 14 jours, puis les comprimés de calcium pendant 76 jours.

[123]    Le Dr Spiridon Goussios est pharmacien et témoin pour P & G et il pense également que le produit de Genpharm facilite l'observance du TCI. Il est de cet avis parce que l'emballage de Genpharm montre clairement qu'il y a deux éléments dans le TCI et fournit ces éléments dans la même boîte avec des instructions indiquant qu'il faut prendre les comprimés d'étidronate d'abord, conformément au TCI.


[124]    Le témoin expert de Genpharm dans ce domaine était le Dr Richard Pike, vice-président principal du secteur recherche et développement ainsi qu'aux affaires réglementaires de Genpharm Inc. Il est l'auteur des observations de Genpharm à l'intention de la Direction des produits thérapeutiques (DPT) de Santé Canada. Il a fourni à la Cour l'étiquette, l'emballage et l'avis (joint à l'emballage) que Genpharm entend utiliser pour le GEN-ETI-CAL CAREPAC.

[125]     Le Dr Pike souligne que, alors que la trousse décrite dans le brevet 376 contiendrait des médicaments en quantité suffisante pour deux cycles ou plus, la trousse de Genpharm contient des médicaments pour un seul cycle, de sorte que le patient doit contacter un médecin ou un pharmacien pour renouveler sa prescription.

[126]    M. Robert Côté est un pharmacien, témoin pour le compte de Genpharm. Il affirme que différents degrés d'observance sont facilités par différents moyens et que chaque fois qu'un pharmacien exécute une ordonnance, il contribue dans une certaine mesure à l'observance du schéma thérapeutique. Les moyens de facilitation peuvent aller du moyen primaire (la préparation de comprimés en vrac sans instructions) au moyen le plus strict que représente, à son avis, la trousse Didrocal® et qu'illustre le libellé du brevet 376 :

[traduction] Nous estimons que la stricte observance du régime thérapeutique cyclique mentionné précédemment est essentielle à sa réussite. La trousse de la présente invention est conçue de façon à faciliter l'observance de ce régime en ce sens qu'elle fournit un moyen pratique et efficace pour s'assurer que le patient prenne le bon médicament selon le dosage approprié chaque jour du régime thérapeutique. [Non souligné dans l'original.]


[127]    M. Côté établit une distinction entre le moyen strict de facilitation de la trousse Didrocal® par le biais d'un aide-mémoire - les jours de la semaine sont indiqués sur les plaquettes thermoformées - et celui de l'emballage de Genpharm qui ne comportera aucun aide-mémoire de ce genre. Il souligne également que, alors que les comprimés de calcium de la trousse Didrocal® sont bleus et empaquetés dans six plaquettes thermoformées, ceux de Genpharm sont jaunes et seront empaquetés en vrac dans un flacon.

[128]    En contre-interrogatoire, M. Côté a admis que l'emballage proposé par Genpharm garantira qu'un patient prenne le bon médicament, selon le bon dosage, la bonne journée. Il a également admis que la trousse facilitait l'observance de ce schéma par l'utilisation de deux couleurs de comprimés et par la séparation des deux constituants de ce schéma.


[129]    En me fondant sur les observations des experts, j'arrive à la conclusion que, selon toute vraisemblance, la trousse revendiquée par Genpharm constituerait une contrefaçon des revendications du brevet 376 concernant la trousse. Le Dr Pike tente d'établir une distinction entre la trousse de Genpharm et celle de P & G en affirmant que la première ne contient qu'une quantité de médicament suffisante pour un cycle, tandis que la seconde contient des médicaments en quantité suffisante pour plus d'un cycle. J'estime que cette distinction n'est pas convaincante pour trancher la question de la contrefaçon et ce, pour deux raisons. Premièrement, cette distinction s'attaque au régime thérapeutique en soi et non à la question de savoir si la trousse en cause facilite l'observance du régime. Deuxièmement, l'étiquette que Genpharm entend utiliser, divulguée par le Dr Pike, établit clairement qu'un patient qui emploie la trousse de Genpharm disposerait d'un moyen de s'assurer d'obtenir les médicaments nécessaires pour un second cycle. Cela s'explique par le fait que le produit de Genpharm contiendrait, à l'intérieur de la boîte d'emballage, un aide-mémoire de renouvellement. Ainsi, un aide-mémoire est mis à la disposition de l'utilisateur du produit de Genpharm pour assurer l'observance du régime thérapeutique.

[130]    En ce qui concerne les commentaires de M. Côté, celui-ci établit une distinction entre les degrés d'observance qui sont facilités par divers moyens. Je souligne toutefois qu'il a émis ses commentaires sans avoir vu l'étiquette proposée par Genpharm pour son produit.

[131]    En fait, après avoir examiné soigneusement les emballages des trousse Didrocal® et GEN-ETI-CAL CAREPAC, j'estime que les deux sont pratiquement identiques. De plus, les instructions contenues dans la trousse de Genpharm ne font pas, comme le prétend M. Côté, qu'indiquer la façon de prendre chacun des constituants de la trousse. Elles vont plus loin et décrivent le traitement thérapeutique dans son entièreté, assurant ainsi l'observance du TCI.


[132]    Outre ces instructions, la trousse Didrocal® et le produit de Genpharm contiennent de l'étidronate et des comprimés de calcium de couleurs différentes qui sont vendus ensemble dans une boîte où les comprimés d'étidronate sont placés dans une plaquette thermoformée. La plaquette de Genpharm contient des instructions détaillées pour les patients. De plus, même si les comprimés de calcium de Genpharm ne sont pas placés dans une plaquette thermoformées, ils sont néanmoins séparés physiquement à l'intérieur de la trousse, sont de couleurs différentes et le patient a pour directive de prendre tous les comprimés avant de pouvoir obtenir un renouvellement du médicament. Les Drs Tenenhouse et Goussios, et même M. Côté, conviennent que la trousse de Genpharm facilite l'observance du régime thérapeutique.

[133]    Pour tous ces motifs, j'estime que la trousse de Genpharm facilite l'observance, voire la stricte observance du traitement cyclique intermittent. Par conséquent, son allégation selon laquelle les revendications du brevet 376 concernant la « trousse » ne seront pas contrefaites n'est pas, selon la prépondérances de la preuve, fondée.

Conclusion

[134]    En résumé, mes conclusions sont les suivantes :

1.          L'allégation de non-contrefaçon pour cause d'invalidité n'est pas, selon la prépondérance de la preuve, fondée;

2.          Les revendications concernant la « trousse » ne sont pas visées par la définition de « médicament » telle qu'énoncée dans le Règlement et ne devraient pas, en conséquence, faire l'objet de procédures en vertu du Règlement;

3.          En supposant la validité des revendications concernant la « trousse » et le fait que celles-ci portent sur un « médicament » au sens du Règlement, l'allégation selon laquelle les revendications concernant la « trousse » ne sont pas contrefaites n'est pas, selon la prépondérance de la preuve, fondée.


[135]    Compte tenu de ma première conclusion, qui est déterminante, la demande sera accueillie et une ordonnance d'interdiction sera rendue, conformément au paragraphe 6(1) du Règlement, empêchant le ministre de délivrer un avis de conformité à Genpharm pour son produit GEN-ETI-CAL CAREPAC jusqu'à l'expiration du brevet 376. Les dépens seront accordés à P & G.

« Judith A. Snider »

                                                                                                                                                                                                             

Juge

Traduction certifiée conforme

Christine Gendreau, LL.B.              


                                                           COUR FÉDÉRALE

                                            AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                             T-155-02

INTITULÉ :                            LA COMPAGNIE PHARMACEUTIQUE PROCTER & GAMBLE CANADA, INC. et al.

c.

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et al.

                                                                                                  

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LES 2 ET 3 DÉCEMBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LA JUGE SNIDER

DATE :                                                LE 12 FÉVRIER 2004

COMPARUTIONS :   

Ronald Dimock                                     POUR LES DEMANDERESSES

S. Block

Roger Hughes                                        POUR LA DÉFENDERESSE GENPHARM INC.

Kamleh Nicola

J. Chan                                    

Aucune comparution                              POUR LE DÉFENDEUR MINISTRE DE LA SANTÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

DIMOCK STRATTON CLARIZIO s.r.l.        POUR LES DEMANDERESSES

Toronto (Ontario)

Sim Hughes Ashton & McKay s.r.l.                   POUR LA DÉFENDERESSE

Toronto (Ontario)                                              GENPHARM INC.

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR                    

Sous-procureur général du Canada                    MINISTRE DE LA SANTÉ


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