Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision




Date : 20000818


Dossier : IMM-4424-99



ENTRE :

                    

BALJINDER SINGH MANGAT



demandeur


et



LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION


défendeur



MOTIFS D'ORDONNANCE


LE JUGE GIBSON


[1]      Les présents motifs font suite à une décision, datée du 24 août 1999, dans laquelle la Section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention au sens que le paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration1 confère à cette expression.

[2]      Le demandeur, un citoyen de l'Inde, est un Sikh de l'État du Pendjab. Il soutient qu'il a une crainte fondée d'être persécuté s'il retournait en Inde en raison de ses opinions politiques ou d'opinions politiques qui lui sont imputées. Les membres de famille appuyaient le parti Akali Dal Mann. Il soutient qu'il a plus d'une fois été arrêté, détenu et battu en raison des activités politiques de membres de famille et, plus particulièrement, en raison du fait que les autorités considéraient que son frère aîné était un militant sikh.

[3]      Le demandeur s'est enfui de l'Inde et est arrivé au Canada le 21 octobre 1998. Il a revendiqué le statut de réfugié dès son arrivée au pays.

[4]      Le 26 avril 1999 ou peu de temps après cette date, le demandeur a été avisé que son audition devant la SSR aurait lieu le 30 juin 1999. Le demandeur était de moins en moins satisfait des services de l'avocat dont il avait retenu les services pour présenter son cas devant la SSR. Le 28 juin, le demandeur a retenu les services d'une nouvelle avocate. Le lendemain, soit la veille de l'audition, la nouvelle avocate du demandeur a écrit à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour l'aviser qu'il ne pourrait se présenter à l'audition, car il avait été informé de la tenue de cette dernière que très tardivement, et que, de toute façon, il devait se présenter devant la Cour fédérale le 30 juin. L'avocate a également mentionné qu'elle examinait la possibilité de joindre la revendication du demandeur à celle de son frère aîné. Enfin, l'avocate a fait remarquer que le demandeur ne se présenterait pas à l'audition tel que prévu et qu'elle avait informé ce dernier qu'il reviendrait à la SSR de déterminer si elle consentirait à lui accorder un ajournement. La SSR a refusé d'accorder l'ajournement que l'avocate avait implicitement cherché à obtenir.

[5]      Au début de l'audition du 30 juin, le demandeur s'est effectivement présenté sans avocat. Il a de nouveau demandé un ajournement. Il ressort de la transcription de l'audition que le demandeur, qui témoignait par l'entremise d'un interprète, a eu l'échange suivant avec les membres de la formation de la SSR :

[TRADUCTION]
     MEMBRE (au revendicateur du statut de réfugié)
Désolé. Monsieur, vous avez été avisé il y a deux mois, à la fin d'avril, que votre audition aurait lieu aujourd'hui. Vous aviez choisi [le premier avocat du demandeur] pour vous représenter il y a plusieurs mois.
     R.      Oui.
     Q.      Pourtant, vous attendez au dernier moment pour changer d'avocat. Pourquoi?
     R.      Parce que personne ne me renseignait convenablement au téléphone.
     Q.      Quoi?
     R.      On ne m'écoutait pas vraiment quand je parlais.
     LE PRÉSIDENT (au revendicateur du statut de réfugié)
     Q.      Qui?
     R.      Quand je voulais dire quelque chose, on ne m'écoutait pas vraiment?
     MEMBRE (au revendicateur du statut de réfugié)
     Q.      De qui parlez-vous? Parlez-vous [du premier avocat du demandeur]?
     R.      Oui.
     Q.      Alors veuillez nous expliquer cela afin que nous comprenions. Quand avez-vous retenu les services de [votre premier avocat]?
     R.      En octobre.
     Q.      Il y a environ huit mois?
     R.      Oui.
     Q.      Vous avez mis huit mois à vous décider?
     R.      Oui, je pensais avant qu'étant originaire du Pendjab, il m'écouterait, mais il a changé par la suite.
     Q.      Quand a-t-il changé?
     R.      Avant l'audition, quand je voulais obtenir des renseignements, quand je voulais lui dire quelque chose.
     Q.      Quand cela s'est-il produit?
     R.      Environ 15 à 20 jours avant.
     Q.      Il y a 15 à 20 jours. Pourquoi n'avez-vous donc pas changé d'avocat il y a 20 jours?
     R.      J'avais des réserves.
     -      Un autre problème se pose: vous dites que vous voulez présenté votre cas en même temps que votre frère.
     R.      Oui, quand j'ai rencontré [la nouvelle avocate du demandeur], il a dit que nous pouvions présenter nos cas à la même audition.
     -      Le problème, c'est que votre frère se trouve au Canada depuis trois ou quatre mois.
     R.      Oui.
     -      Quand vous avez reçu votre convocation, en avril, votre frère se trouvait déjà au Canada et il avait déjà revendiqué le statut de réfugié.
     R.      Oui.
     -      Vous aviez tout le temps voulu, à partir de la fin d'avril, pour joindre votre revendication à celle de votre frère. Je ne comprends pas pourquoi vous n'avez rien fait.
     R.      Je reconnais que j'ai commis une erreur.
     -      D'accord. Vous comprenez qu'il vous incombe une responsabilité, comme l'a dit mon collègue, à cet égard.
     R.      Que voulez-vous dire?
     LE PRÉSIDENT (au revendicateur du statut de réfugié)
     -      Vous êtes responsable de votre revendication, Monsieur. En bout de ligne, c'est vous qui êtes responsable de votre revendication.
     R.      Oui, je comprends.
     -      Vous avez retenu les services [du premier avocat du demandeur] pendant huit mois, votre frère se trouve au pays depuis trois ou quatre mois, vous ne demandez pas que vos revendications soient jointes; 48 heures avant l'audition, vous changez d'avocat; votre nouvelle avocate n'est pas disponible aujourd'hui, et, par coïncidence, vous demandez que votre revendication soit jointe à celle de votre frère.
     Q.      Estimez-vous que vous vous comportez de façon responsable?
     R.      Oui, pour autant que je sache, et j'accepte l'erreur que j'ai commise en omettant de demander cela avant2.

[6]      La SSR a encore une fois rejeter la demande d'ajournement. En conséquence, le demandeur a refusé de témoigner à son audition.

[7]      La SSR a rejeté la revendication du demandeur. Elle a écrit :

[TRADUCTION] Après avoir soigneusement lu la réponse que le revendicateur a fournie à la question 37 de son FRP, la formation conclut que son récit manque de crédibilité.

Pour étayer cette conclusion, la SSR a renvoyé, de façon sélective selon l'avocate du demandeur, à la preuve documentaire dont elle était directement saisie et à celle qui était énumérée dans l'index de la preuve documentaire dont elle était saisie.

[8]      L'avocate du demandeur a décrit de la façon suivante, dans son exposé des faits et du droit, les questions litigieuses que soulève la présente demande de contrôle judiciaire :

[TRADUCTION] Le demandeur a-t-il été privé de l'équité procédurale lorsque la [SSR] a refusé de lui accorder un ajournement et de tenir l'audition en l'absence de l'avocate du demandeur?
La [SSR] a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a appliqué [le critère relatif au statut de réfugié au sens de la Convention] et en appréciant la crédibilité du demandeur?

[9]      En ce qui concerne le premier motif seulement, je suis convaincu que la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

[10]      Dans ses motifs de décision, la SSR a traité de son refus d'accorder l'ajournement de la façon suivante :

[TRADUCTION]
Premièrement, la formation analysera les arguments que le revendicateur a invoqués pour soutenir sa demande d'ajournement; deuxièmement, elle analysera le bien-fondé de la revendication.
Les arguments et explications que le revendicateur a fait valoir au sujet de sa demande d'ajournement ne sont pas convaincants. Le revendicateur a été avisé de la tenue de son audition par une convocation qu'il a reçue par la poste le 26 avril 1999. Le revendicateur n'était pas satisfait des services de son ancien avocat vingt jours avant la tenue de l'audition, mais il n'a retenu les services d'une nouvelle avocate, sachant qu'elle ne serait pas disponible, que deux jours avant l'audition. En retenant les services d'une avocate deux jours avant l'audition, le revendicateur devait assumer le risque qu'elle ne serait pas disponible ou qu'elle ne serait pas convenablement préparée.
En conséquence, la formation conclut que le revendicateur avait une arrière-pensée lorsqu'il a changé d'avocat deux jours avant l'audition. Il a tenté, par cette manoeuvre, de retarder indûment la tenue de l'audition qui devait avoir lieu le 30 juin 1999.
En outre, le revendicateur a refusé de témoigner à l'audition.
Compte tenu des faits susmentionnés, la formation estime qu'elle a respecté tous les principes de justice naturelle en tenant l'audition du 30 juin 1999.
Voici ce que la Cour fédérale a dit dans Esin c. M.C.I. :
     [TRADUCTION] Le demandeur avait l'obligation, en changeant d'avocat à la dernière minute, de choisir une personne qui serait disponible ou qui se rendrait disponible pour la journée de l'audition. La date d'audition avait été fixée plusieurs mois à l'avance. La conférence préparatoire en vue de l'audition avait déjà été tenue (l'ancien avocat y a assisté). La Commission a agi tout à fait à bon droit lorsqu'elle a refusé l'ajournement dans les circonstances3.

[11]      Le paragraphe 69(6) de la Loi sur l'immigration limite les circonstances dans lesquelles la SSR peut ajourner une instance. En voici le libellé :

(6) The Refugee Division shall not adjourn any proceedings before it, unless it is satisfied that an adjournment would not unreasonably impede the proceedings.

(6) La section du statut ne peut ajourner une procédure que si elle est convaincue que l'ajournement ne causera pas d'entrave sérieuse.


[12]      Il est utile de renvoyer à la Règle 13(4) des Règles de la Section du statut de réfugié4 pour les fins d'une détermination concernant une demande d'ajournement ou d'une application du paragraphe 69(6). En voici le libellé :

(6) The Refugee Division, in determining whether a hearing shall be postponed, or in determining pursuant to subsection 69(6)

of the Act whether an adjournment of a hearing would unreasonably impede the proceeding, may take into consideration,

where applicable,

(a) the efforts made by the parties to proceed expeditiously;

(b) the nature and complexity of the issues relevant to the proceeding;

(c) the nature of the evidence to be presented, and the likelihood of causing an injustice to any party by proceeding in the

absence of the evidence;

(d) counsel's knowledge of, and experience with, similar proceedings;

(e) the amount of time already afforded the parties for preparation of the case;

(f) the efforts made by the parties to be present at the hearing;

(g) the efforts made by the parties to make an application for a postponement or adjournment of the hearing at the earliest

opportunity;

(h) the number of, and reasons for, any previous postponements or adjournments granted;

(i) whether the hearing was set peremptorily; and

(j) any other relevant facts.

(6) Pour déterminer si elle fera droit à une demande de remise de l'audience ou pour déterminer, conformément au paragraphe

69(6) de la Loi, si l'ajournement de l'audience causera ou non une entrave sérieuse à la procédure, la section du statut peut

prendre en considération, le cas échéant :

a) les efforts déployés par les parties pour procéder avec célérité;

b) la nature et la complexité des questions qui se rapportent à la procédure;

c) la nature des éléments de preuve devant être présentés et le risque de causer une injustice à l'une ou l'autre des parties en

procédant en l'absence de ces éléments de preuve;

d) les connaissances et l'expérience du conseil en ce qui concerne les procédures du même genre;

e) le délai déjà accordé aux parties pour la préparation de l'affaire;

f) les efforts déployés par les parties pour être présentes à l'audience;

g) les efforts déployés par les parties pour demander à la première occasion la remise ou l'ajournement de l'audience;

h) le nombre de remises ou d'ajournements antérieurs accordés, ainsi que les motifs les justifiant;

i) le fait que l'audience a été ou non fixée de façon péremptoire;

j) tout autre fait pertinent.


Les facteurs énumérés au paragraphe 13(4) des Règles s'apparentent aux facteurs qui ont été identifiés dans l'arrêt Siloch c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)5 comme étant pertinents à l'égard de l'exercice, par un arbitre, de son pouvoir discrétionnaire d'accorder un ajournement de l'instance dont il est saisi.

[13]      Dans l'arrêt Siloch, M. le juge Décary a écrit :

Compte tenu des faits de l'espèce, étant donné que la requérante avait incontestablement l'intention de procéder, que rien ne lui permettait de douter de la fiabilité de son conseiller tant qu'il ne s'est pas présenté, que le seul ajournement accordé en l'espèce jusqu'à ce jour visait à permettre à la requérante de constituer un avocat, qu'aucune faute ni qu'aucun blâme ne pouvaient être imputés à la requérante du fait qu'elle n'était pas prête, que l'arbitre a pris en considération un facteur que la requérante ne connaissait pas et qui n'était donc pas pertinent, à savoir le fait que le même jour, dans une autre affaire, il avait eu une expérience similaire et le fait de la mauvaise réputation du conseiller, que l'arbitre ne s'est pas informé de la durée de l'ajournement demandé et n'a pas offert à la requérante un bref ajournement de façon à lui permettre de trouver un nouveau conseiller et qu'absolument rien n'indique qu'un bref ajournement influerait sur le système d'immigration ou retarderait, empêcherait ou paralyserait indûment la conduite de cette enquête particulière, l'arbitre, en refusant l'ajournement le 4 mars 1991, a privé la requérante de son droit à une audience équitable. La lecture de la transcription montre clairement que l'arbitre a pénalisé la requérante pour la mauvaise conduite passée de son conseiller, dont elle ne savait rien et que rien ne lui permettait de soupçonner. Bref, l'ajournement a été refusé parce que la requérante avait eu le malheur, la première fois, de retenir les services d'un conseiller irresponsable et qu'elle avait en outre eu le malheur de faire face à un arbitre qui, depuis longtemps, n'aimait pas ce conseiller.

Une grande partie de cet extrait s'applique à la présente affaire. L'intention de la requérante de procéder dans cette affaire était incontestable. En l'espèce, le demandeur a mis du temps à douter de la fiabilité de son avocat, et ce n'est qu'après avoir reçu l'avis d'audition qu'il a finalement décidé de changer d'avocat. Il n'y avait pas eu d'ajournement antérieur en l'espèce. En outre, la SSR n'a pas demandé de précision sur la durée de l'ajournement que le demandeur cherchait à obtenir et elle n'a pas offert un ajournement plus court au demandeur afin de permettre à sa nouvelle avocate de mieux le connaître et de se familiariser avec les faits qui fondent la revendication et d'examiner davantage la possibilité de joindre sa revendication à celle de son frère. Comme c'était le cas dans Siloch, rien n'indiquait en l'espèce qu'un bref ajournement influerait sur le système d'immigration ou retarderait, empêcherait ou paralyserait indûment la conduite de cette enquête particulière, faisant ainsi intervenir le paragraphe 69(6) de la Loi. Comme c'était le cas dans Siloch, l'incidence du refus d'accorder l'ajournement en l'espèce était de priver le demandeur de son droit à une audience équitable.

[14]      Dans la décision Ahamad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)7, Monsieur le juge Lemieux était saisi d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision dans laquelle la SSR avait conclu que le demandeur s'était désisté de sa revendication du statut de réfugié; on peut considérer qu'il s'agissait d'une décision discrétionnaire qui s'apparentait à une décision de refuser d'accorder un ajournement, si l'on présume que les dispositions du paragraphe 69(4) de la Loi sur l'immigration n'ont pas pour effet de retirer à la SSR son pouvoir discrétionnaire d'accorder un ajournement. Monsieur le juge Lemieux a conclu que la norme de contrôle qu'il convenait d'appliquer à une telle décision discrétionnaire était celle de la décision raisonnable simpliciter. Je suis convaincu qu'il s'agit de la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer en l'espèce étant donné que la SSR n'a pas conclu (du moins selon ses motifs) que le paragraphe 69(4) lui retirait son pouvoir discrétionnaire pour ce qui est de la demande d'ajournement en cause dans la présente affaire.

[15]      Monsieur le juge Lemieux a écrit, au paragraphe 31 de Ahamad :

Appliquant la norme énoncée dans les arrêts Baker et Southam, précités, je suis d'avis que la décision de la SSR selon laquelle le demandeur s'est désisté de sa revendication du statut de réfugié était déraisonnable et qu'elle ne saurait être maintenue vu que : 1) il n'a pas été tenu compte des facteurs pertinents; 2) il n'a pas été tenu compte de la preuve; et 3) il ressort d'un examen assez poussé que les motifs qui ont été exposés pour prononcer le désistement ne sont pas valables.

[16]      Je suis convaincu que l'on peut en dire autant de la présente affaire. À première vue, rien n'indique que la SSR a considéré dans ses motifs les facteurs pertinents tels ceux qui sont énumérés dans la Règle 13(4) des Règles de la Section du statut de réfugié ou encore dans l'arrêt Siloch, précité. De la même façon, je ne peux que conclure qu'il n'a pas été tenu compte d'une grande partie des témoignages devant la SSR que j'ai déjà cités dans les présents motifs à partir de la transcription de l'audition. Malgré les difficultés, qui ressortent de la transcription, que suscitait le témoignage du demandeur par l'entremise d'un interprète, il est évident que le demandeur n'a pas subitement trouvé les services de son premier avocat insatisfaisants 20 jours avant la tenue de l'audition. En fait, son insatisfaction, qui, semble-t-il, grandissait depuis quelque temps déjà et qui semblait fondée, a plutôt culminé à ce moment-là. À l'époque, le demandeur avait 23 ans, sa connaissance de l'une ou l'autre langue officielle du Canada était clairement limitée, voire inexistante; il s'efforçait de comprendre les subtilités d'un système d'octroi du statut de réfugié qu'il ne connaissait pas et d'absorber le choc culturel que l'on pourrait raisonnablement s'attendre qu'il subisse à son arrivée au Canada. Compte tenu des circonstances, on pourrait difficilement considérer que le demandeur a agi de façon déraisonnable en mettant entre deux et trois semaines pour se trouver une nouvelle avocate. La SSR n'a pas expliqué comment elle pouvait conclure, compte tenu du témoignage du demandeur et des franches excuses qu'il a présentées pour avoir tardé à demander un ajournement, qu'il avait une « arrière-pensée » lorsqu'il a changé d'avocat. En bref, je conclus que les motifs que la SSR a exposés pour étayer sa décision de ne pas accorder l'ajournement demandé « ... ne sont pas valables » , car c'est ce qu'il « ... ressort d'un examen assez poussé » .

[17]      Le paragraphe 69(4) de la Loi sur l'immigration prévoit de façon très précise les circonstances dans lesquelles la SSR ne peut pas accorder un ajournement. Je conclus que l'on peut déduire de ce paragraphe, compte tenu d'une « ... interprétation large et libérale des valeurs sous-jacentes à [la Loi sur l'immigration] ... » et des « ... valeurs d'ordre humanitaire centrales dans la société canadienne ... » auxquelles Madame le juge L'Heureux-Dubé a renvoyé dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration8, qu'étant donné que le paragraphe 69(4) n'empêche pas qu'un ajournement soit accordé, la SSR devrait exercer de façon généreuse son pouvoir discrétionnaire d'accorder des ajournements dans des circonstances où rien n'indique que la partie qui en a fait la demande a agi de mauvaise foi, et je suis convaincu qu'en l'espèce, il ne ressort nullement du témoignage du demandeur et des documents dont la SSR a été saisie que ce dernier a agi de mauvaise foi. Cette conclusion revêt une importance particulière en l'espèce vu les conséquences énormes qui pourraient découler d'un refus d'accorder un ajournement.

[18]      En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[19]      Par conséquent, il n'est pas nécessaire que je traite de la deuxième question que le demandeur a soulevée, soit l'appréciation de sa crédibilité et l'argument, qui m'a été présenté pour le compte du demandeur, qu'en faisant cette appréciation, la SSR a renvoyé de façon sélective à la preuve documentaire dont elle était saisie, alors qu'un nombre considérable d'éléments de preuve documentaire étayait la prétention du demandeur selon laquelle sa crainte d'être persécuté s'il retournait en Inde était fondée. Je me contenterai de renvoyer au passage suivant tiré du paragraphe 17 des motifs que M. le juge Evans a exposés dans Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)9 :

Ainsi, une déclaration générale affirmant que l'organisme a examiné l'ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n'a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l'organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu'elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d'inférer que l'organisme n'a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

L'avocate du demandeur a soutenu que c'était le cas en l'espèce. Si cela s'avérait nécessaire, je conclurais que son observation est irrésistible.

[20]      L'avocate du demandeur disposera d'un délai de dix jours à partir de la date des présents motifs pour déposer des observations sur la question de savoir si la présente affaire soulève une question qui mérite d'être certifiée, après avoir signifié ces observations à l'avocate du demandeur. Cette dernière disposera alors d'un délai de dix jours pour signifier et déposer des observations en réponse à celles de l'avocat du défendeur. L'avocat du défendeur pourra alors, dans un délai de trois jours ouvrables à partir de la date à laquelle la réponse du défendeur lui sera signifiée, déposer une réplique.


« Frederick E. Gibson »

                                         J.C.F.C.


Toronto (Ontario)

Le 18 août 2000



Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU GREFFE :                  IMM-4424-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :              BALJINDER SINGH MANGAT

                         c.

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                         ET DE L'IMMIGRATION


DATE DE L'AUDIENCE :              LE MARDI 15 AOÛT 2000

LIEU DE L'AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS D'ORDONNANCE EXPOSÉS PAR M. LE JUGE GIBSON

EN DATE DU :                  VENDREDI 18 AOÛT 2000


ONT COMPARU :

Mme Preevanda Sapru                          POUR LE DEMANDEUR

M. Martin Anderson                              POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :     

Max Berger Associates

Barristers & Solicitors

1033, rue Bay, pièce 207

Toronto (Ontario)

M5S 3A5                                  POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                      POUR LE DÉFENDEUR

__________________

1 L.R.C. (1985), ch. I-2.

2 Dossier du tribunal, aux pages 314 à 316.

3 La note en bas de page des motifs de la SSR qui renvoie à Esin c. M.C.I. est la suivante : (Cour fédérale IMM-3626-95), 12 avril 1996. Le paragraphe cité constitue l'élément narratif d'une approbation refusant d'accueillir une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire d'une décision de la Section du statut de réfugié.

4 DORS/93-45.

5
     6 [1993] A.C.F no 10 (Q.L.), (C.A.F.).

7 [2000] A.C.F. no 289 (Q.L.), (C.F. 1re inst.).

8 [1999] 2 R.C.S. 817, aux paragraphes 67 et 68.

9 (1998) A.C.F. no 1425 (Q.L.), (C.F. 1re inst.).

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.