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Date : 20040916

Dossiers : T-2206-03

04-T-20

Référence : 2004 CF 1272

OTTAWA (ONTARIO), LE 16e JOUR DE SEPTEMBRE 2004

Présent :          L'HONORABLE JUGE MARTINEAU

ENTRE :

                                                          STEVEN ST-JACQUES

                                                                                                                                         Demandeur

                                                                          - et -

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                             

                                                                                                                                     Défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Le demandeur, M. Steven St-Jacques, est un pompier à l'emploi de la municipalité de Laval, province de Québec, depuis 1999. Il est également un cotisant au régime d'assurance-emploi depuis au moins l'année 1997. Le 24 novembre 2003, ce dernier a intenté devant cette Cour une action contre la défenderesse, Sa Majesté la Reine du chef du Canada, réclamant le remboursement de sommes qu'il prétend avoir versées en trop à titre de cotisations d'assurance-emploi pour les années 1997, 1998, 1999, 2000 et 2001. Le demandeur, qui désire également représenter tous les cotisants au régime d'assurance-emploi dans le cadre d'une action en recours collectif, réclame donc de la défenderesse un montant de 1 132,48 $ plus les intérêts.

[2]                Le 7 janvier 2004, la défenderesse a produit une requête pour radier la déclaration du demandeur aux motifs, entre autres, que son recours ne révèle aucune cause d'action valable et qu'on ne peut procéder par action pour contester les décisions d'un office fédéral. En l'espèce, les taux de cotisation sont fixés annuellement par la Commission de l'assurance-emploi. Le 23 avril 2004, le demandeur a déposé une déclaration amendée en y greffant une demande de contrôle judiciaire à l'encontre des décisions de la Commission fixant les taux de cotisation pour les années 1997, 1998, 1999, 2000 et 2001. Le demandeur a également produit une requête en prorogation de délai pour déposer sa demande de contrôle judiciaire, de même qu'une requête pour que la ladite demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s'il agissait d'une action.


[3]                Le juge soussigné a été désigné juge responsable de la gestion de l'instance dans l'action du demandeur (dossier T-2206-03). Rappelons qu'il s'agit d'une action simplifiée en vue d'un recours collectif envisagé. Aucune requête en autorisation n'a encore été présentée à la Cour. D'autre part, les Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106 relatives aux recours collectifs ne s'appliquent à une demande de contrôle judiciaire que dans la mesure où la Cour a ordonné en vertu du paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 que celle-ci soit instruite comme une action (règle 299.11). Le 30 avril 2004, j'ai émis une directive aux fins que les deux requêtes du demandeur en rapport avec sa demande de contrôle judiciaire soient déposées dans un dossier préliminaire distinct (dossier 04-T-20). Ces dernières, ainsi que la requête en radiation de la défenderesse, ont été entendues en même temps le 7 septembre 2004.

[4]                Pour les raisons qui suivent, la requête en radiation m'apparaît bien fondée tandis que le demandeur ne m'a pas convaincu qu'il s'agit d'un cas où, dans l'exercice de la discrétion prévue aux paragraphes 18.1(2) et (4) de la Loi sur les Cours fédérales, cette Cour devrait accorder une prorogation de délai et ordonner que la demande de contrôle judiciaire contenue dans la déclaration amendée soit instruite comme s'il s'agissait d'une action.

Requête en radiation

[5]                La règle 221 permet à la Cour de radier un acte de procédure lorsque, en tenant les faits pour avérés, cet acte de procédure ne révèle aucune cause d'action valable. Ainsi, il doit être évident et manifeste que la partie adverse n'a aucune chance d'avoir gain de cause au procès (Temple c. Ministre du Revenu National) (2001), 214 F.T.R. 305 (C.F. 1re inst.); Martel c. Bande Indienne Samson, [1999] A.C.F. no 374 (C.F. 1re inst.) (QL)). Dans l'affaire Martel, supra, le juge Hugessen précise que l'interprétation de l'acte de procédure contesté doit se faire en fonction du contexte et avec un esprit aussi généreux que possible.


[6]                En premier lieu, je note que la déclaration amendée du demandeur est informe à sa face même. En effet, le demandeur a d'abord intenté une action contre la Couronne pour obtenir le remboursement de sommes prétendument versées en trop. Par la suite, il a produit une déclaration amendée, dans laquelle il incorpore maintenant une demande de contrôle judiciaire à son action initiale. Cette façon de procéder va clairement à l'encontre de la règle 301 qui prévoit qu'une demande de contrôle judiciaire est introduite par un avis de demande distinct établi selon la formule 301. L'intitulé de la cause est également déficient. En effet, dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire, la partie défenderesse devrait être la Commission, et non pas sa Majesté la Reine comme cela est le cas actuellement.


[7]                Il faut également souligner que les nouvelles règles de la Cour concernant les recours collectifs que l'on retrouve aux règles 299.1 à 299.41, et que le demandeur invoque pour justifier ces accrocs importants aux règles de la Cour, ne créent pas de droit d'action distinct et ne sauraient, à ce stade, lui être d'aucun secours. Il s'agit essentiellement d'un régime d'ordre procédural, et à aucun moment, la Cour n'a, comme tel, autorisé que l'action du demandeur procède comme recours collectif. En l'espèce, le demandeur reconnaît lui-même, dans sa déclaration amendée, que les causes d'action qu'il a contre la défenderesse ont pour fondement les alinéas 17(2)a) et d) de la Loi sur les Cours fédérales, d'une part, et les alinéas 18.1(4)a), b), c), d) et f) de la même loi, d'autre part. Or, le cumul dans une même procédure d'une action contre la Couronne et d'une demande de contrôle judiciaire contestant la validité des décisions d'un office fédéral est inapproprié. En effet, ces deux types de recours répondent à des critères légaux différents, tant du point de vue du droit substantif que celui de la constitution du dossier et de l'administration de la preuve devant la Cour. De plus, compte tenu des circonstances particulières de la présente affaire, un tel cumul ne servirait pas les fins de la justice. À mon avis, la solution au litige qui soit juste et la plus économique possible commande que ces deux recours procèdent de façon séparée. De plus, la demande de contrôle judiciaire doit avoir préséance sur l'action contre la Couronne.

[8]                À l'audience, le procureur du demandeur a indiqué à la Cour que la demande de contrôle judiciaire contenue à la déclaration amendée a été ajoutée de manière subsidiaire. Malgré les procédures du demandeur, qui indiquent clairement le contraire, ses procureurs ont fait valoir qu'il est superflu et inutile d'attaquer aujourd'hui, par le biais d'une demande de contrôle judiciaire, les décisions antérieures de la Commission. Ils se fondent, à cet égard, sur un certain nombre de décisions de cette Cour ayant reconnu à des détenus le droit d'intenter une action en dommages-intérêts pour emprisonnement illégal sans préalablement les obliger à procéder par voie de demande de contrôle judiciaire. (Creed c. Canada (Solliciteur général), [1998] A.C.F. no 199 (QL); Nguyen c. Canada, (1997) F.T.R. 241; Shaw c. Canada, [1999] A.C.F. no 657 (QL); Zarzour c. Canada, [2000] A.C.F. no 2070 (QL); Szebenyi c. Canada, [1999] A.C.F. no 1453. (QL).) Il s'agit donc de déterminer si le demandeur peut obtenir la réparation demandée contre la Couronne dans sa déclaration initiale sans d'abord faire annuler comme le soumet la défenderesse, par le biais d'une demande de contrôle judiciaire, les décisions de la Commission relatives à l'établissement des taux de cotisation.

[9]                Après analyse, je ne crois pas que la jurisprudence invoquée par le demandeur soit déterminante. Il semble bien dans ces affaires qu'à cause de l'écoulement du temps, l'annulation de la mesure administrative (transfèrement, isolement, etc) dont le détenu contestait la légalité n'était plus possible. Je comprends qu'en pareil cas une demande de contrôle judiciaire serait devenue théorique et ne servirait aucune fin utile. Ce n'est pas le cas en l'espèce pour les raisons indiquées plus loin. Au passage, je note que dans Zubi c. Canada, (1993) 71 F.T.R. 168, une autre affaire de détenu, cette Cour a décidé que lorsque la réparation recherchée est l'une de celles qui sont prévues à l'article 18, et non simplement des dommages-intérêts, le demandeur doit d'abord déposer une demande en contrôle judiciaire et ensuite, s'il obtient gain de cause, intenter une action en dommages-intérêts. Cela me semble être le cas ici. De toute façon, même si la Cour devait s'en tenir à la déclaration initiale, il est clair que la demande de remboursement des sommes versées par le demandeur au cours des années concernées dépend de la légalité des décisions de la Commission.


[10]            En effet, le reproche essentiel du demandeur est que la Commission a erré ou a agi d'une manière arbitraire en fixant les taux de cotisation, qui sont trop élevés dans les circonstances. L'argument fondamental du demandeur est à l'effet que la Commission n'a aucunement suivi les recommandations, opinions, prévisions et taux de cotisations de l'actuaire en chef. Conséquemment, depuis 1997 les surplus du Compte d'assurance-emploi sont passés de 7,3 milliards de dollars à 40.1 milliards de dollars. Le demandeur prétend à cet égard que les cotisations imposées étaient injustes, abusives, déraisonnables et oppressives, d'autant plus que les contribuables canadiens sont déjà surtaxés et sur-imposés. Il s'agit là, clairement, de motifs de révision judiciaire visés à l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales.

[11]            D'autre part, il ne s'agit pas d'un cas où le problème du demandeur s'est réglé par lui même avec le temps. Ici, il faut se demander si le demandeur aurait pu en temps utile agir en déposant une demande de contrôle judiciaire contestant la décision fixant les taux de cotisation. La réponse est positive. La raison principale invoquée au soutien du principe qu'un demandeur pourrait intenter une action en dommages-intérêts, sans même prendre un recours en contrôle judiciaire, est qu'il serait superflu d'entreprendre un tel recours. Cela suppose que l'on puisse démontrer à la Cour que le problème de ce demandeur causé par la décision rendue par l'office fédéral s'est réglé par lui même parce que ladite décision n'a plus d'effet direct sur celui-ci. Si l'on peut comprendre que ce soit le cas en matière de privation temporaire de liberté, ce n'est certes pas le cas lorsqu'une somme d'argent payable en vertu d'une décision d'ordre général, applicable à un ensemble d'individus, a été exigée et perçue pour une année donnée. Aussi, je ne vois pas comment on peut légalement recouvrer de la Couronne une telle somme d'argent, sans d'abord faire annuler la décision de la Commission en cause.

[12]            L'article 66 de la Loi sur l'assurance-emploi, L.C. (1996), ch. 23, qui était applicable à l'époque où les décisions contestées par le demandeur ont été rendues, prévoyait par ailleurs le processus suivant de fixation du taux de cotisation :



Pour chaque année, la Commission fixe, avec l'agrément du gouverneur en conseil, sur la recommandation du ministre et du ministre des Finances, le taux de cotisation qui, à son avis, permet le mieux, au cours d'un cycle économique, d'assurer un apport de revenus suffisant pour couvrir les débits autorisés sur le Compte d'assurance-emploi et maintenir une certaine stabilité des taux.

The Commission shall, with the approval of the Governor in Council on the recommendation of the Minister and the Minister of Finance, set the premium rate for each year at a rate that the Commission considers will, to the extent possible,

(a) ensure that there will be enough revenue over a business cycle to pay the amounts authorized to be charged to the Employment Insurance Account; and

(b) maintain relatively stable rate levels throughout the business cycle.



[13]            Cette dernière disposition confère une grande discrétion à la Commission. Aucune obligation n'est législativement imposée à la Commission de suivre les recommandations de l'actuaire en chef. Donc, en prenant pour avérés les faits allégués par le demandeur, c'est conformément à l'article 66 de la Loi sur l'assurance-emploi que les taux de cotisations ont été fixés par la Commission et, par conséquent, ceux-ci sont pleinement opposables au demandeur tant qu'ils demeurent en vigueur et n'ont pas été annulés. Dans le cas présent, le demandeur désire obtenir de la Couronne le remboursement d'une partie des sommes d'argent qu'il a versées à titre de cotisations au régime d'assurance emploi. Les sommes en question ne sont pas comme le demandeur le prétend des sommes "versées en trop". En effet, tant qu'il n'y aura pas eu une annulation judiciaire, il faut considérer que lesdites sommes ont été perçues légalement et en conformité avec le taux annuel de cotisation fixé par la Commission d'assurance-emploi. À cet égard, seule la Commission a le pouvoir, selon l'article 66 de la Loi sur l'assurance-emploi, de fixer le taux de cotisation qui, à son avis est le plus approprié. Peut-être que les taux de cotisation sont supérieurs à ce que le demandeur et d'autres personnes (incluant l'actuaire en chef ou le vérificateur général) croient être des taux suffisants pour couvrir les débits autorisés sur le Compte d'assurance-emploi, mais il reste que les sommes exigées des cotisants en raison des décisions de la Commission (confirmées par décrets du gouvernement) n'ont pas été versées en trop par ceux-ci, incluant le demandeur, mais conformément à la loi. Par conséquent, la théorie de la répétition de l'indu et de l'enrichissement injustifié invoquée par le demandeur ne peut certainement pas trouver application dans le cas présent.


[14]            Il est manifeste que dans l'état actuel du dossier, le demandeur n'a aucune cause d'action valable contre la Couronne en vertu de l'article 17 de la Loi sur les Cours fédérales. À mon avis, l'obligation de remboursement qu'allègue le demandeur ne peut naître que si un tribunal compétent annule les décisions en cause de la Commission. Or, ceci ne peut se faire que dans le cadre de l'exercice des pouvoirs que cette Cour possède en vertu du paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales. L'action du demandeur contre la Couronne m'apparaît donc prématurée et irrecevable à sa face même. Quant à la question de savoir si, à la suite de l'annulation éventuelle de la décision par un tribunal compétent, le demandeur pourrait ensuite réclamer de la Couronne quelque montant d'argent que ce soit, cela dépend à mon avis d'un certain nombre de variables. Si le taux de cotisation fixé par la Commission devait être annulé, à première vue, il m'apparaît que l'affaire devrait être retournée à la Commission pour redétermination afin que des nouveaux taux de cotisation soient fixés par la Commission conformément aux instructions que la Cour pourra en pareil cas donner. En effet, cette Cour n'a aucune expertise particulière en matière de fixation de taux de cotisation. Il s'agit d'une compétence discrétionnaire appartenant exclusivement à la Commission. Ainsi, la Cour ne saurait, à mon avis, fixer elle-même le montant de la cotisation qui aurait dû être fixée par la Commission. D'autre part, même si la Commission n'a pas suivi les recommandations de son actuaire en chef et que cela pourrait constituer un motif d'annulation des décisions rendues, je ne crois pas que ce simple fait, en soi, engage la responsabilité extra-contractuelle de la Couronne. Dans tous les cas, la faute doit être prouvée. Or, jusqu'à preuve du contraire, la bonne foi doit être présumée (Monit International Inc. c. Canada, [2004] A.C.F. no 59; Molaison c. Canada, [1993] A.C.F. no 1409).

[15]            La situation actuelle présente une certaine similitude avec l'affaire Tremblay c. Canada, [2004] A.C.F. no 787 (QL). Dans cette affaire, le demandeur avait atteint l'âge limite prévu à la loi. Il contestait sa retraite forcée et réclamait une compensation pour perte de salaire. La Cour d'appel fédérale a jugé que le demandeur ne pouvait pas obtenir sa réintégration en intentant une action et qu'il ne pouvait pas obtenir compensation monétaire par un recours en contrôle judiciaire. La Cour a notamment fait référence à l'affaire Lake Babine Indian Band v. William, [1996] 194 N.R. 44 (C.A.) pour justifier le fait qu'il est impossible d'obtenir un contrôle judiciaire dans une action. Le demandeur dans cette affaire n'avait pas le choix entre deux procédures. Il fallait d'abord qu'il obtienne la nullité de la décision afin d'être réintégré. Ce n'est que par la suite que celui-ci aurait pu, grâce à une action, obtenir compensation pour sa perte de salaire. Le même raisonnement doit prévaloir dans le cas présent.

[16]            La requête en radiation de la défenderesse doit donc être accordée puisque l'action du demandeur n'a, à mon avis, aucune chance de réussir. Compte tenu du résultat et des circonstances particulières de l'affaire, la défenderesse aura droit aux dépens.

Requête en prorogation de délai

[17]            Le demandeur argumente que le délai prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales n'est pas de rigueur et que cette Cour se doit d'exercer son pouvoir discrétionnaire de proroger le délai de présentation de la demande de contrôle judiciaire contenue à sa déclaration amendée pour les raisons suivantes :

a)          D'autres parties se sont déjà adressées en Cour supérieure du Québec afin de faire déterminer la constitutionnalité et la légalité de certains articles de la Loi sur l'assurance-emploi, dont l'article 66 précité. Le demandeur a attendu que le jugement soit rendu dans cette affaire avant d'entreprendre les présentes procédures en Cour fédérale. Or, ce n'est que le 5 novembre 2003 que la Cour supérieure a rendu son jugement : Le Syndicat national des employés d'aluminium d'Arvida Inc. c. Procureur général du Canada, [2003] J.Q. no 15801 (en appel).


b)          Le demandeur s'est tenu informé du déroulement du dossier et se déclare apte et déterminé à représenter l'ensemble des cotisants au régime dans le recours collectif envisagé.

c)          Le demandeur soumet que l'action simplifiée amendée du demandeur repose sur des motifs graves, précis, fondés, sérieux et d'intérêt national, en ce qu'elle s'appuie notamment sur les rapports accablants du vérificateur général et de l'actuaire en chef.

[18]            Le demandeur n'a pas respecté le délai de 30 jours prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales. Il est manifeste que sa requête en prorogation de délai ne rencontre pas les critères que l'on retrouve dans la jurisprudence. Tel qu'énoncé par Madame le juge Desjardins dans l'affaire Tremblay, précitée, le délai statutaire de 30 jours s'explique par la nécessité d'assurer une certaine stabilité dans les décisions de l'administration fédérale. Dans l'affaire Baska c. Neis, [2002] C.A.F. 230 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a rappelé qu'un demandeur doit rencontrer les quatre critères suivants afin d'obtenir une prorogation de délai : a) l'intention continue de poursuivre la demande; b) l'affaire révèle une cause défendable; c) le défendeur ne subit aucun préjudice si la prorogation est accordée; d) il existe une explication justifiant le retard. Au moins trois de ceux-ci ne sont pas satisfaits (premier, troisième et quatrième critères).

[19]            Règle générale, le demandeur doit avoir l'intention ferme de déposer une demande de contrôle judiciaire dans le délai de 30 jours. De plus, cette intention doit être continue jusqu'au dépôt de la demande. En l'espèce, l'intention continue du demandeur de poursuivre l'action n'est pas appuyée par affidavit. Or, il a déjà été établi par la Cour d'appel fédérale que l'affidavit d'un procureur visant à démontrer l'intention continue de poursuivre est irrecevable pour les fins d'une requête en prorogation (Belmonte c. Syndicat de la fonction publique (Syndicat des débardeurs), section locale 375, [2004] C.A.F. 141 (C.A.F.)).

[20]            Sans affirmer ici que la cause du demandeur n'est pas défendable, elle présente des difficultés certaines à cause du lourd fardeau qui incombe à ce dernier en l'espèce. Rappelons simplement que l'article 66 de la Loi sur l'assurance-emploi confie la tâche à la Commission de fixer « le taux de cotisation qui, à son avis, permet le mieux, au cours d'un cycle économique, d'assurer un apport suffisant pour couvrir les débits autorisés sur le Compte d'assurance-emploi et maintenir une certaine stabilité des taux_ » . Or, tous facteurs considérés et en application de la méthode d'analyse pragmatique et fonctionnelle, la norme de contrôle applicable à une telle décision est celle du caractère manifestement déraisonnable de cette dernière. D'autre part, je note que les critères précis qui ont été appliqués par la Commission pour chacune des années en cause ne sont pas connus pour le moment. Il est donc difficile à ce stade de conclure que les décisions en cause sont arbitraires et déraisonnables sans avoir une vue complète de la situation.

[21]            Quant au critère du préjudice, je suis d'avis que le fait de permettre à un cotisant de contester les décisions de la Commission aussi tardivement et hors du délai statutaire (soit approximativement sept ans dans le cas de la première décision concernée) créera inévitablement de l'instabilité dans les décisions de l'Administration et causera un grave préjudice à la partie défenderesse; d'autant plus ici que le demandeur désire également que sa demande de contrôle judiciaire soit traitée comme une action aux fins d'un recours collectif envisagé par des millions de cotisants au régime d'assurance-emploi (Lancashire c. Canada (Conseil du Trésor), [1997] A.C.F. no 1359 (C.A.F.) (QL)).


[22]            Afin de justifier le retard du demandeur, son procureur allègue que le demandeur ne pouvait avoir connaissance de l'illégalité des taux que dans l'année suivant leur fixation ou lors de la publication des rapports du vérificateur général ou de l'actuaire en chef. La preuve de la date de publication de ces derniers documents pour chacune des années visées n'est pas au dossier. Quoi qu'il en soit, il a déjà été décidé dans l'affaire Caisse populaire Desjardins Maniwaki c. Canada (Procureur général), [2003] A.C.F. no 1485 au para. 13 (C.F. 1re inst.) (QL) que le manque de compréhension du demandeur quant aux recours appropriés et qui lui sont disponibles n'est pas un argument que la Cour peut retenir dans le cadre d'une demande en prorogation. De plus, les litiges constitutionnels devant la Cour supérieure du Québec n'ont aucune incidence juridique sur la présente affaire puisqu'ils ne remettent pas directement en question la fixation des taux de cotisation par la Commission. Par conséquent, j'accepte l'argument du défendeur à l'effet que le fait d'attendre l'issue des litiges constitutionnels en Cour supérieure et leur existence n'empêchaient nullement le demandeur de demander le contrôle judiciaire des décisions en cause dans les délais prescrits.

[23]            Pour ces motifs, il n'y a pas lieu que j'exerce ma discrétion. La requête en prorogation du demandeur devrait donc être rejetée avec dépens.

Requête pour traiter la demande comme une action


[24]            Vu la conclusion à laquelle je suis parvenu plus haut, la requête du demandeur pour que la demande de contrôle judiciaire contenue dans sa déclaration amendée soit traitée comme une action devrait également être rejetée avec dépens. D'ailleurs, en tout état de cause, j'aurais rejeté cette dernière requête, et ce, même si j'avais décidé d'accueillir la requête du demandeur en prorogation du délai pour présenter une demande de contrôle judiciaire. Il est vrai que le paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales confère le pouvoir discrétionnaire à la Cour d'ordonner qu'une demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s'il s'agissait d'une action. À cet égard, il faut, d'une part, considérer l'intention du Parlement voulant la Cour statue à bref délai et selon une procédure sommaire sur les demandes de contrôle judiciaire, et considérer les circonstances particulières de chaque cas, d'autre part. Or, même en acceptant ici que l'irrégularité résultant de l'absence d'un avis de demande distinct, conforme à la règle 301, puisse être éventuellement corrigée par le demandeur, rien n'indique que la preuve pertinente relativement aux éléments qui ont été considérés par la Commission et aux circonstances entourant la fixation des taux de cotisation contestés ne pourrait pas s'effectuer de la manière habituelle, soit par le dépôt d'affidavits. Aussi, le demandeur ne m'a pas convaincu qu'il s'agit d'un cas spécial où la Cour devrait permettre que la demande de contrôle judiciaire, qui incidemment vise plusieurs décision, soit instruite comme une action.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

1)          La requête du demandeur pour que la demande de contrôle judiciaire contenue à sa déclaration amendée soit traitée comme une action et la requête du demandeur en prorogation du délai pour déposer une demande de contrôle judiciaire présentées dans le dossier 04-T-20 sont rejetées avec dépens.

2)          La requête de la défenderesse en radiation présentée dans le dossier          T-2206-03 est accueillie et l'action du demandeur est rejetée avec dépens.

                   « Luc Martineau »                  

                                                                                                                                                     Juge                                  


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIERS :                                      T-2206-03 et 04-T-20

INTITULÉ :                                       STEVEN ST-JACQUES c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 7 SEPTEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                     L'HONORABLE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :                     LE 16 SEPTEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

ME BENOÎT GAMACHE                                                  POUR LE DEMANDEUR

ME DAVID BOURGOIN

ME CAROLE BUREAU                                                    POUR LA DÉFENDERESSE

ME LINDA MERCIER

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

ME BENOÎT GAMACHE                                                  POUR LE DEMANDEUR

ME DAVID BOURGOIN

BOURGOIN, SIROIS, GAMACHE

QUÉBEC (QUÉBEC)

M. MORRIS ROSENBERG                                               POUR LA DÉFENDERESSE

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA


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