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     Date : 19990113

     Dossier : T-2589-97

Entre :


LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     appelante,


     - et -



     FATEHALI FAZALBHOY,

     intimé.



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE GIBSON


[1]      L'intimé demande une ordonnance de confidentialité concernant [TRADUCTION] " [...] tous les documents déposés par l'intimé relativement au présent appel ". Les motifs de cette requête sont énoncés à la Règle 151 des Règles de la Cour fédérale (1998)1. Cette règle est rédigée dans les termes suivants :

151. (1) On motion, the Court may order that material to be filed shall be treated as confidential.



(2) Before making an order under subsection (1), the Court must be satisfied that the material should be treated as confidential, notwithstanding the public interest in open and accessible court proceedings.


[emphasis added]

151. (1) La Cour peut, sur requête, ordonner que des documents ou éléments matériels qui seront déposés soient considérés comme confidentiels.

(2) Avant de rendre une ordonnance en application du paragraphe (1), la Cour doit être convaincue de la nécessité de considérer les documents ou éléments matériels comme confidentiels, étant donné l'intérêt du public à la publicité des débats judiciaires.

[non souligné dans l'original]

[2]      L'intimé a demandé la citoyenneté canadienne le 18 décembre 1996 en déposant le formulaire intitulé " Demande de citoyenneté canadienne - Adultes " qui lui avait apparemment été fourni par l'appelante (la Ministre). L'intimé a indiqué l'adresse de son avocat comme adresse postale aux fins des communications relatives à sa demande. Il semble donc que, pendant toute la période pertinente, l'intimé ait bénéficié des conseils de son avocat. À la première et à la troisième pages du formulaire, figurent les mots " confidentiel une fois rempli ". En outre, la mention suivante figure à la troisième page :

         Renseignements confidentiels
         Fichier de renseignements personnels SSC/P-PU-050
         Les renseignements demandés dans ce formulaire sont recueillis en vertu de la Loi sur la citoyenneté pour déterminer l'admissibilité à la citoyenneté canadienne et pour tenir un registre des personnes auxquelles un certificat de citoyenneté a été délivré. En vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, vous avez le droit d'obtenir accès aux renseignements à votre sujet, de demander que des corrections y soient apportées ou d'y joindre des mentions.

[3]      À l'appui de sa demande, l'intimé a déposé auprès du ministre de nombreux autres documents et renseignements personnels.

[4]      La citoyenneté canadienne a été accordée à l'appelant par un juge de la citoyenneté le 29 septembre 1997, même s'il avait été absent du Canada au cours des années précédant immédiatement la date de sa demande pendant des périodes beaucoup plus longues que ce qui est normalement permis.

[5]      La ministre a déposé un avis d'appel contre la décision du juge de la citoyenneté le 27 novembre 1997. Le 21 mai 1998, le juge de la citoyenneté a déposé auprès de la présente Cour une copie certifiée du dossier dont était saisi le juge de la citoyenneté. Ainsi donc, la demande de citoyenneté canadienne et les documents à l'appui déposés par l'intimé se sont retrouvés dans les dossiers publics du greffe de la présente Cour sans que l'intimé en ait fait la demande et sans son contentement, ni exprès ni implicite.

[6]      Le 21 décembre 1998, sept mois après que le dossier certifié eut été déposé devant la présente Cour, l'intimé a présenté cette demande en vue d'obtenir une ordonnance de confidentialité.

[7]      Je ferai de brèves observations sur trois questions préliminaires qui n'ont pas été soulevées devant moi. La première question porte sur le temps qui s'est écoulé entre le dépôt du dossier certifié et le dépôt de la demande dont je suis saisi. Ce délai ne peut que semer le doute sur l'authenticité des préoccupations qu'entretient l'intimé au sujet de la confidentialité des renseignements personnels du fait du dépôt du dossier certifié. Deuxièmement, la requête dont je suis saisi demande que soient considérés comme confidentiels [...] " tous les documents déposés par l'intimé relativement au présent appel ". Bien entendu, le dossier certifié n'a pas été déposé devant la présente Cour par l'intimé. Finalement, la Règle 151(1) traite d'une requête de confidentialité ayant trait à des " documents [...] qui seront déposés [...] ", comme je l'ai souligné dans le passage de la Règle qui figure ci-dessus. La requête dont je suis saisi ne demande bien entendu pas une ordonnance de confidentialité relativement à des documents qui seront déposés, mais plutôt à l'égard de documents qui ont été déposés il y a quelques mois.

[8]      J'aborde maintenant le fond de l'argument soulevé devant moi.

[9]      L'avocat de l'intimé a instamment fait valoir que l'intimé avait le droit de se fier aux assurances données au sujet de la protection des renseignements qui figurent sur la demande de citoyenneté canadienne qu'il a remplie. En outre, l'avocat a fait observer que l'intimé a déclaré ce qui suit dans l'affidavit établi sous serment qu'il a déposé à l'appui de sa demande :

         [TRADUCTION]
         J'ai pris pour acquis que ces mots [les mots " confidentiel une fois rempli " dans la demande] signifient que les renseignements que j'ai fournis demeureraient confidentiels, c'est-à-dire entre moi et le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration. J'ai donné les renseignements en me fiant à cette garantie, car j'aime que mes affaires demeurent privées.

Finalement, l'avocat a aussi fait valoir que " l'intérêt du public à la publicité des débats judiciaires ", dont il est question à la Règle 151(2), ne serait pas compromis en maintenant la confidentialité du dossier du tribunal parce que l'audition de l'appel concernant l'octroi de la citoyenneté à l'intimé sera elle-même publique.

[10]      L'avocat de la ministre me renvoie au passage suivant des motifs du juge McGuigan dans l'arrêt Pacific Press Ltd. c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'immigration)2 :

         Lorsque nous abordons l'alinéa 2b) de la Charte, nous constatons que le principe de l'accès du public aux tribunaux a été établi avant l'avènement de la Charte en 1982. Dans l'affaire Le Procureur général de la Nouvelle-Écosse c. MacIntyre, [1982] 1 R.C.S. 175, [...] où il s'agissait de l'accès d'un journaliste à des dossiers judiciaires, une majorité de la Cour suprême a approuvé l'énoncé fait par le juge Dickson (à la page 182, R.C.S. [...]) selon lequel " il y a présomption en faveur de l'accès du public à ces dossiers et il incombe à celui qui veut empêcher l'exercice de ce droit de faire la preuve du contraire. " Le juge Dickson (aux pages 185 et 186 [...]) a également énoncé le principe selon lequel " restreindre l'accès du public ne peut se justifier que s'il est nécessaire de protéger des valeurs sociales qui ont préséance ".
         Dans un arrêt récent relatif à la Charte, l'arrêt Edmonton Journal c. Le procureur général de l'Alberta, [1989] 2 R.C.S. 1326 [...], qui portait sur les dispositions de la Judicature Act de l'Alberta limitant la publication des détails sur les instances matrimoniales et les procédures civiles généralement, le juge Cory, au nom de trois des sept membres de la Cour (à la page 1336) a fait état des " termes absolus " de l'alinéa 2b ), qui " ne devraient être restreints que dans les cas les plus clairs. " Il a parlé du rôle de la presse par rapport aux tribunaux (1337 et 1346) :
             Il est certain que les tribunaux jouent un rôle important dans toute société démocratique. C'est là que sont résolus non seulement les litiges qui opposent les citoyens entre eux, mais aussi les litiges qui opposent les citoyens à l'État dans toutes ses manifestations. Plus la société devient complexe, plus le rôle des tribunaux devient important. En raison de cette importance, il faut que le tribunal puisse faire l'examen critique des tribunaux et de leur fonctionnement.
             [...]
             Dans la société d'aujourd'hui, ce sont les comptes rendus de la presse qui font que les tribunaux sont accessibles au public.
         Le juge Wilson, également de la majorité, a convenu (à la page 1362) qu'" il faudrait des raisons très sérieuses pour justifier des atteintes à la publicité du processus judiciaire ".
         [non souligné dans l'original] [certains renvois omis]


[11]      Pour justifier une dérogation au principe de la publicité des débats judiciaires, et je suis convaincu que ce principe s'étend à la publicité et à l'accessibilité des dossiers de la Cour, la Règle 151(2) exige que la Cour soit convaincue de la nécessité de considérer les documents ou éléments matériels en question comme confidentiels. Le passage tiré de l'arrêt Pacific Press, précité, indique clairement que la partie qui demande la confidentialité, c'est-à-dire l'intimé en l'espèce, a un lourd fardeau à assumer. Je ne suis tout simplement pas convaincu que l'intimé s'est acquitté de ce fardeau d'après les faits dont je suis saisi. Tous les engagements de confidentialité donnés par la ministre ne lient pas la présente Cour. L'intimé n'a mentionné aucune raison spéciale pouvant justifier que les renseignements personnels qu'il a fournis soient considérés comme confidentiels dans les dossiers de la présente Cour. Le fait qu'il s'appuie sur les mots utilisés dans le formulaire mis à sa disposition et qu'il souhaite garder ses affaires privées et le fait que des renseignements le concernant se retrouvent devant la Cour sans qu'il l'ait demandé sont certes propres à attirer la sympathie de la Cour, mais ces considérations ne suffisent pas pour conclure qu'il s'est acquitté du fardeau qui lui incombait de justifier la délivrance d'une ordonnance de confidentialité.

[12]      Par ces motifs, la demande de l'intimé est rejetée.

[13]      Je recommande à la ministre d'envisager la possibilité de préciser sur les formulaires de demande de citoyenneté en usage à son ministère que la protection qui s'applique à ces formulaires et à des documents connexes ne s'étend pas aux cas où ils doivent, du fait de la loi, être communiqués aux fins de procédures judiciaires.

                             " Frederick E. Gibson "

                                

                                 Juge


Toronto (Ontario)

le 13 janvier 1999



Traduction certifiée conforme



Laurier Parenteau, LL. L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA


Avocats et procureurs inscrits au dossier



No DU GREFFE :                      T-2589-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :              LA MINISTRE DE LA

                             CITOYENNETÉ ET DE

                             L'IMMIGRATION

                             - et -

                             FATEHALI FAZALBHOY

DATE DE L'AUDIENCE :              LE LUNDI 11 JANVIER 1999

LIEU DE L'AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :          LE JUGE GIBSON

DATE :                          LE MERCREDI 13 JANVIER 1999


ONT COMPARU :                      Kevin Lunney

                                 pour l'appelant

                             Barbara Jo Caruso

                                 pour l'intimé


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :      Morris Rosenberg

                             Sous-procureur général du Canada

                                 pour l'appelant

                             Smith Lyons

                             Avocats et procureurs

                             Place Scotia

                             Bureau 5800

                             40, rue King ouest

                             Toronto (Ontario)

                             M5H 3Z5

                                 pour l'intimé




COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Date : 19990113
     Dossier : A-2589-97

Entre :

LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION,

     appelante,

- et -

FATEHALI FAZALBHOY,

     intimé.






MOTIFS DE L'ORDONNANCE




__________________

1      DORS/98-106.

2      (1991), 127 N.R. 325, page 335 (C.A.F.)

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