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Date : 19980911


Dossier : T-1945-97

ENTRE :

GORDON ALCORN, de l"établissement William Head,

DARRELL BATES, de l"établissement de Kent,

DANNY BOLAN, de l"établissement d'Elbow Lake,

JON BROWN, de l"établissement de Matsqui,

SHAWN BUTTLE, du Centre régional de santé,

GARY FITZGERALD, de l"établissement de Ferndale,

ANGUS MacKENZIE, de l"établissement Mountain, et

FABIAN PICCO, de l"établissement de Mission,

demandeurs,


et


LE COMMISSAIRE DU SERVICE

CORRECTIONNEL et LE SOUS-COMMISSAIRE

DU SERVICE CORRECTIONNEL,

RÉGION DU PACIFIQUE, SERVICE

CORRECTIONNEL DU CANADA,

défendeurs.


MOTIFS D'ORDONNANCE

JOHN A. HARGRAVE,

PROTONOTAIRE

[1]      Les présents motifs ont trait à la requête par laquelle les défendeurs sollicitent de la Cour la radiation de la demande de contrôle judiciaire au motif que l"avis introductif de requête a été déposé hors délai ou, subsidiairement, la radiation de divers paragraphes des affidavits de Beth Parkinson, Chrisanna Sampson, et Roy Lee. Les présents motifs ont également trait à la requête par laquelle les demandeurs sollicitent de la Cour la radiation de deux affidavits de Richard Montminy, en date du 20 décembre 1995 et du 10 septembre 1997, joints aux affidavits de Meherun Clippingdale, en date des 11 et 12 septembre 1997 respectivement ou, subsidiairement encore, la radiation de certaines parties des affidavits de Montminy.

LE CONTEXTE

[2]      Disons, pour exposer brièvement le contexte de l"affaire, que la demande de contrôle judiciaire concerne le nouveau système téléphonique installé à l"intention des détenus des centres correctionnels fédéraux. Il s"agit du système téléphonique Millennium.

[3]      Le 4 décembre 1997, les demandeurs ayant fait savoir qu"ils étaient prêts à procéder à l"audience, la Cour a retenu la date du 5 février 1998. En janvier, les demandeurs ont sollicité et obtenu une prorogation des délais pour déposer d"autres affidavits ainsi qu"un dossier complémentaire, de même qu'un report de l"audience. L"audience étant maintenant en vue, les parties sollicitent de la Cour la prise de diverses réparations d"ordre procédural.

LA REQUÊTE EN RADIATION

[4]      Disons d"abord de la requête en radiation déposée par les défendeurs qu"en règle générale, les avis introductifs de requête, maintenant appelés avis de demande, doivent non pas être radiés mais contestés en audience. Dans l"affaire Khalil Hasam c. Procureur général du Canada , décision non rapportée en date du 11 mai 1998 et rendue dans le cadre des dossiers T-316-98 et T-379-98, M. le juge Muldoon a fait vertement savoir aux défendeurs qu"il y avait lieu de se préparer à l"audience et non pas de compter sur une procédure sommaire de radiation. Il a cité, dans le cadre de sa démarche, la jurisprudence pertinente, dont l"arrêt David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc. (1995), 176 N.R. 48, dans lequel la Cour d"appel fédérale a relevé que " ...le moyen direct et approprié par lequel la partie intimée devrait contester un avis de requête introductive d'instance qu'elle estime sans fondement consiste à comparaître et à faire valoir ses prétentions à l'audition de la requête même " (page 52). Cela dit, dans certains cas exceptionnels, la Cour fédérale a ordonné la radiation de demandes de contrôle judiciaire non susceptibles d'être accueillies, en appliquant le commentaire du juge Strayer qui, dans l"arrêt David Bull , avait exposé les motifs de la Cour d"appel selon lesquels la Cour peut ordonner la radiation d"une demande lorsque celle-ci est si manifestement irrégulière au point de n'avoir aucune chance d'être accueillie :

         [15] Pour ces motifs, nous sommes convaincus que le juge de première instance a eu raison de refuser de prononcer une ordonnance de radiation sous le régime de la Règle 419 ou de la règle des lacunes, comme il l'aurait fait dans le cadre d'une action. Nous n'affirmons pas que la Cour n'a aucune compétence, soit de façon inhérente, soit par analogie avec d'autres règles en vertu de la Règle 5, pour rejeter sommairement un avis de requête qui est manifestement irrégulier au point de n'avoir aucune chance d'être accueilli. (Voir, par exemple, Cyanamid Agricultural de Puerto Rico, Inc. c. Commissaire des brevets et autre (1983), 74 C.P.R. (2d) 133 (C.F. 1re inst.); et l'analyse figurant dans la décision Vancouver Island Peace Society c. Canada, [1994] 1 C.F. 102 (1re inst.), aux pages 120 et 121). Ces cas doivent demeurer très exceptionnels et ne peuvent inclure des situations comme celle dont nous sommes saisis, où la seule question en litige porte simplement sur la pertinence des allégations de l'avis de requête. (pages 54-55)                 

[5]      J"ai réfléchi à la question de savoir s"il existe en l"espèce cette circonstance très exceptionnelle d"un avis de demande qui est " manifestement irrégulier au point de n'avoir aucune chance d'être accueilli " (cit.). À l"appui de leur requête en radiation, les défendeurs font valoir que le système téléphonique Millennium a été installé dans les divers établissements représentés par les demandeurs, entre la fin de 1995 et janvier 1997 et, si ces dates sont exactes, les défendeurs peuvent certainement faire valoir que la demande de contrôle judiciaire qui, aux termes du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale doit être déposée dans les 30 jours suivant la première communication à une personne directement concernée de la décision contestée, a été déposée tardivement. Mais l"avocate des demandeurs soutient que l"installation du système téléphonique Millennium ne résulte pas d"une décision écrite prise une fois pour toutes, mais plutôt d"une décision à laquelle on est éventuellement parvenu, d"une décision fluide correspondant au concept examiné par le juge Lutfy dans l"affaire Hunter c. Commissaire du Service correctionnel (1998), 134 F.T.R. 81, à la p. 85. Selon l"argument invoqué par les demandeurs, la directive visée dans l"affaire Hunter avait à diverses reprises fait l"objet de modifications, la dernière modification étant intervenue après le dépôt de la demande de contrôle judiciaire. Il est clair que cela appartient à la catégorie des questions en litige discutables qui, comme le souligne le juge Strayer, ne sont pas de ces requêtes qui, exceptionnellement, peuvent être rejetées sommairement.

[6]      Mais il est une autre raison pour laquelle la présente requête en radiation ne saurait être accueillie. La prescription ne suffit pas à justifier la radiation d"une déclaration et, dans une action, ce qu"il convient de faire c"est de plaider la prescription, soulevant la question parmi les points de droit soumis à la Cour. On trouvera une analyse du problème dans l"affaire B.M.G. Music Canada Inc. c. Vogiatzakis (1996), 67 C.P.R. (3d) 27, aux pp. 33 et 34. Le même principe devrait s"appliquer à la radiation d"un avis introductif de requête ou, sous son appellation nouvelle, d"un avis de demande. Solliciter par requête la radiation d"une demande de contrôle judiciaire, c"est-à-dire d"une procédure justement conçue pour être réglée sommairement, et donc de présenter une requête concernant une autre requête, constitue une perte de temps et de ressources pour toutes les parties à l"instance. La forclusion est une question que les parties doivent débattre de façon complète devant le juge lors de l"audition de la demande.

LA REQUÊTE PRÉSENTÉE PAR LES DÉFENDEURS EN VUE DE LA RADIATION DES AFFIDAVITS

[7]      Les défendeurs sollicitent, subsidiairement, la radiation de diverses parties de certains affidavits, estimant que, sauf en matière interlocutoire, les affidavits doivent se limiter aux faits dont un témoin a une connaissance personnelle : Règle 81(1). Se pose cependant la question de savoir si chaque partie devrait, par souci d"efficacité et en vertu du pouvoir discrétionnaire de la Cour, être autorisée à solliciter la radiation des affidavits de l'autre partie.

[8]      Dans certaines circonstances spéciales, par exemple lorsqu"un affidavit est abusif ou manifestement dénué de pertinence, ou lorsqu"une des parties a obtenu l"autorisation de produire des éléments de preuve qui, en fait, sont manifestement inadmissibles, ou encore lorsqu"un tribunal est convaincu qu"il faudra très tôt trancher la question de l"admissibilité pour permettre à l"audience de se poursuivre dans de bonnes conditions, la radiation d"affidavits ou de certaines parties de ceux-ci peut être ordonnée : voir, par exemple, Home Juice Company v. Orange Maison Ltd. , [1968] 1 Ex.C.R. 163, à la p. 166, une décision du président Jackett, et Unitel Communication Co. et autres c. MCI Communication Corp. et autres (1997), 119 F.T.R. 142, à la p. 143, décision du juge Richard, nommé depuis juge en chef adjoint. Le juge Richard a rappelé que le juge du procès est le mieux placé pour apprécier le poids et l"admissibilité des affidavits (pages 143 et 145).

[9]      Les défendeurs affirment que les paragraphes 3 et 4 de l"affidavit de Parkinson, les paragraphes 6 et 7 de l"affidavit de Sampson et les paragraphes 5, 6, 8 et 10 de l"affidavit de Lee devraient être radiés car ils font état de faits dont les déclarants n"ont aucune connaissance personnelle. Il est clair que les affidavits exprimant des conjectures ou avançant des opinions juridiques ne sauraient être admis, mais la preuve par ouï-dire est désormais admise en fonction de sa fiabilité et de sa nécessité : Ethier c. Gendarmerie royale du Canada (Commissaire) (1993), 151 N.R. 374, à la p.375, la Cour d"appel citant, dans cet arrêt, les arrêts R. c. Khan , [1990] 2 R.C.S. 531, et R. c. Smith, [1992] 2 R.C.S. 915.

[10]      Les paragraphes contestés contiennent, pour la plupart, des ouï-dire mais ce fait en soi ne justifie pas la radiation des passages en question. La Cour doit plutôt s"interroger sur la fiabilité et la nécessité des déclarations en question et j"évoque ici l"examen de ces deux éléments dans l"arrêt R. c. Smith (précité), aux pages 933 et suivantes. Selon moi, l"arrêt du juge en chef Lamer exige que l"on établisse à la fois la fiabilité et la nécessité. Dans la plupart des cas, il conviendra de laisser l"appréciation de ces deux éléments au juge du procès mais, à juste titre d"ailleurs, l"avocate des demandeurs a évoqué les paragraphes contestés des affidavits de Parkinson et de Sampson dans le contexte du contre-interrogatoire des témoins cités par les défendeurs. Se fondant sur ce contre-interrogatoire, l"avocate fait valoir que dans les deux cas les déclarations sont fiables mais qu"elles ont à l"évidence perdu toute nécessité puisque les informations en question ont été soit produites par le témoin des défendeurs, soit confirmées par celui-ci. L"élément de nécessité étant absent, j"ai donc radié les paragraphes 3 et 4 de l"affidavit de Parkinson en date du 21 janvier 1998, ainsi que les paragraphes 6 et 7 de l"affidavit de Sampson fait le même jour, au motif qu"ils sont maintenant sans pertinence et qu"il convient de les radier afin que l"audience puisse se dérouler le plus promptement possible.

[11]      Les paragraphes 5, 6, 8 et 10 de l"affidavit de Lee, en date du 21 janvier 1998, se situent tout autrement. M. Lee, en tant que président du comité des prisonniers de l"établissement de Mission, témoigne en partie sur des choses dont il a une connaissance personnelle et en partie sur la base de renseignements que lui ont transmis en tant que président du comité des prisonniers des membres du personnel correctionnel. L"avocate des demandeurs fait valoir qu"il n"est guère possible d"obtenir des affidavits du personnel du Service correctionnel du Canada et que, cela étant, le critère de la nécessité est respecté. L"avocate des demandeurs soutient que ces renseignements sont aussi fiables que ceux d"autres sources, faisant remarquer qu"une part considérable des affidavits déposés par les défendeurs est fondée elle aussi sur des renseignements ou sur une croyance.

[12]      Ces parties de l"affidavit de Lee ne relèvent nettement d"aucun cas reconnu dans les affaires Home Juice et Unitel Communication (précitées) comme donnant lieu à une radiation à cette étape-ci de la procédure. Il y a lieu de laisser l"affidavit de Lee à l"appréciation du juge du procès qui sera mieux à même de se prononcer sur la question de la nécessité, de la fiabilité, du poids et de l"admissibilité de ces déclarations.

LES AFFIDAVITS DE MONTMINY

[13]      Je fais maintenant porter mon attention sur la requête par laquelle les demandeurs sollicitent soit la radiation des affidavits de Montminy, en date du 20 décembre 1995 et du 10 septembre 1997, joints aux affidavits de Clippingdale en date des 11 et 12 septembre 1997, soit, subsidiairement, la radiation de parties importantes des affidavits de Montminy au motif que l"auteur des affidavits ne fait pas état de choses dont il a personnellement connaissance mais d"interprétations de certaines règles de droit, d"opinions personnelles et de renseignements de seconde main. Mais, examinons d"abord une question qui a été soulevée sur le plan de la procédure.

[14]      Dans leurs arguments écrits, les défendeurs font valoir qu"en raison de la longueur des affidavits de Montminy, la présente requête devrait être traitée non pas sur documents, mais dans le cadre d'une audition. L"audition d"une requête présentée par écrit n"est pas accordée sur simple demande mais doit être justifiée par suffisamment d"éléments de preuve démontrant que la requête ne pourra pas être correctement examinée sur documents : voir, par exemple, Gordon c. Institution de Matsqui [1973] C.F. 723, à la p. 724 (C.A.F.) et Sterritt c. Canada (1996), 98 F.T.R. 68, à la p. 70, confirmée (1996) 98 F.T.R. 72. En l"espèce, les défendeurs ne sont pas parvenus à démontrer que la requête en radiation de leurs affidavits ne saurait être correctement traitée sur documents.

[15]      L"important affidavit de Montminy, en date du 20 décembre 1995, a été fait dans le cadre de l"affaire Hunter c. Canada (Commissaire du Service correctionnel) (1997), 45 C.R.R. (2d) 189. Le fait que la Section de première instance de la Cour ait pu, pour trancher l"affaire Hunter , se fonder sur l"affidavit de Montminy en date du 20 décembre 1995, ou sur certaines parties de cet affidavit, n"est d"aucune pertinence en ce qui concerne la présente requête. Je ne suis par ailleurs pas disposé à radier intégralement l"un ou l"autre des affidavits de Montminy sur la base des critères exposés dans les affaires Home Juice et Unitel Communication (précitées). J"ai, au contraire, examiné paragraphe par paragraphe les affidavits en question. Je ne suis pas davantage disposé à ordonner la radiation de certaines parties de l"un ou l"autre de ces affidavits au motif qu"elles contiennent des ouï-dire.

L"affidavit de Montminy daté du 20 décembre 1995

[16]      Les paragraphes 3 et 5, auxquels s"opposent les demandeurs, contiennent des observations concernant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et font état de deux directives du Commissaire ainsi que d"une Instruction régionale. Ces deux paragraphes ne contiennent rien qui porterait à les écarter à ce stade-ci.

[17]      Les paragraphes 6 à 13 relèvent de la rubrique " rapide historique de l"accès des détenus au téléphone ". Si je comprends bien l"objection soulevée par les demandeurs à l"encontre de cette partie de l"affidavit, ils estiment que M. Montminy, chef de projet au Service correctionnel du Canada qui déclare travailler depuis plusieurs années dans le domaine de l"accès des détenus au téléphone, ne peut prétendre faire l"historique de l"accès au téléphone au cours des 20 dernières années. Cette objection ne me paraît pas répondre au critère autorisant la radiation d"un affidavit à ce stade-ci de la procédure. C"est au juge qu"il appartiendra d"évaluer le récit historique auquel se livre M. Montminy.

[18]      Au paragraphe 16, M. Montminy explique le fonctionnement du nouveau système téléphonique qui doit permettre d"assurer aux détenus un accès raisonnable et équitable au téléphone. Étant donné qu"il s"est directement occupé de la question, je ne pense pas que ses déclarations ne sont que de simples opinions ou conjectures. J"estime plutôt qu"elles correspondent à la politique du Service correctionnel du Canada. Il n"y a rien là d"inadmissible.

[19]      Le paragraphe 17 explique le nouveau dispositif téléphonique qui doit permettre, d"une part, d"accroître la sécurité du public autant que de l"établissement et, d"autre part, de faciliter la surveillance efficace et équitable des appels téléphoniques. Ce paragraphe raconte des faits sauf pour une brève incursion dans le Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition , puisque M. Montminy évoque le droit qu"ont les détenus de communiquer sans délai avec leur avocat, expliquant que, d"après lui, le nouveau système permettra de communiquer par téléphone avec tout avocat figurant sur la liste, et cela sans que les appels soient interceptés ni contrôlés. Encore une fois, cela ne constitue pas vraiment l"interprétation d"une règle de droit ou d'une opinion personnelle mais simplement une explication factuelle des considérations qui ont présidé à la conception de ce nouveau système.

[20]      Les paragraphes 18, 19 et 20 ont trait à l"interception des appels téléphoniques des détenus, et on y trouve expliqué que le Service correctionnel du Canada, en vertu de l"article 94 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition , est habilité à intercepter, dans certains cas, les communications. Ici, l"affidavit évoque les effets que le nouveau système aura sur le droit d"entretenir un contact raisonnable avec les membres de la famille, des amis ou la société en général. Il peut être utile au juge chargé de la cause de connaître la source de cette politique d"interception des communications. M. Montminy frôle peut-être l"interprétation du droit, mais il n"y a pas lieu de chercher à protéger le juge du procès des déclarations de M. Montminy. La valeur de ses déclarations l"emporte peut-être sur les reproches que l"on pourrait leur faire. Je ne suis disposé à radier aucun des paragraphes de cette partie de l"affidavit.

[21]      Les paragraphes 21 et 22 ont trait à une disposition qui prévoit, au début d"un appel téléphonique et à intervalle régulier pendant celui-ci, la diffusion de commentaires hors champ, ce qui constitue l'un des aspects du nouveau système. M. Montminy explique dans son affidavit les raisons de ces commentaires hors champ, expliquant que l"équité exige du Service correctionnel du Canada qu"il fasse savoir au correspondant téléphonique que les détenus et ceux qui conversent avec eux par téléphone ne peuvent s'attendre à une intimité totale des communications. Il ajoute que le système de commentaires hors champ répond en partie au problème des détenus qui, dans leurs appels à l"extérieur, se présentent sous un faux jour. Rien de tout cela ne me paraît critiquable au point de devoir être radié à ce stade-ci.

[22]      Les paragraphes 23 et 24 ont trait au blocage de certains numéros puisque le Service correctionnel du Canada estime que la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition donne au public le droit de ne pas recevoir de communications indésirables de la part de détenus. Cela constitue moins une interprétation de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition qu"un simple exposé des motifs qui sous-tendent la politique de blocage de certains numéros. Encore une fois, cela ne me paraît aucunement inadmissible.

[23]      Le paragraphe 26 explique le système d"appel tripartite et l"objectif qui sous-tend cette politique. Le paragraphe 26 sera donc maintenu.

[24]      Le paragraphe 27 a trait à la politique concernant les numéros non inscrits et la gratuité des appels téléphoniques faits par les détenues de la prison des femmes. Il s"agit-là de renseignements factuels qui précisent également la politique du Service correctionnel du Canada. Ce paragraphe est maintenu.

[25]      Les paragraphes 29 et 30 ont trait au projet pilote organisé à l"établissement de Bowden en Alberta. Ils citent certaines statistiques et exposent le contexte, comme on peut s"y attendre de la part d"un chef de projet évoquant le système dont il est responsable. Il est permis de penser que si les demandeurs avaient des objections à soulever à cet égard, ils les auraient évoquées lors du contre-interrogatoire. Ces paragraphes sont donc maintenus.

[26]      Les paragraphes 32, 33, 34, 36 et 37 ont trait au problème de la drogue en milieu carcéral. On y trouve exposé l"objectif retenu par le Service correctionnel du Canada qui voit, dans le nouveau système téléphonique, un moyen de combattre la drogue. Les paragraphes en question évoquent le problème avec ses répercussions sur le milieu carcéral. Cette partie de l"affidavit traite également des raisons qui sous-tendent la stratégie anti-drogue adoptée à l"échelle nationale par le Service correctionnel du Canada et explique comment le nouveau système téléphonique aidera à lutter contre la contrebande de drogue dans les établissements pénitenciers. Il n"y a dans cela aucune conjecture et les observations figurant dans ces paragraphes ne reflètent pas, d"après moi, les opinions personnelles de M. Montminy, mais plutôt le raisonnement auquel a procédé le Service correctionnel du Canada et qui sous-tend la politique, les objectifs et les divers mécanismes marquant le nouveau système téléphonique. Cela est confirmé, en grande partie du moins, par la pièce présentée dans le paragraphe 33, un document datant de janvier 1995 sur la stratégie du Service correctionnel du Canada.

[27]      Les paragraphes 38, 41 et 42 expliquent comment fonctionnent les dispositifs téléphoniques destinés aux détenus dans d"autres services correctionnels, et je doute qu"ils soient pertinents. Cela dit, les paragraphes en question ne sont pas manifestement dénués de pertinence, critère que je suis tenu d"appliquer. Ils contiennent, il est vrai, un certain nombre d"opinions mais, étant donné les fonctions occupées par M. Montminy, ses opinions procèdent peut-être de faits dont il a personnellement connaissance. Je ne suis pas convaincu qu"il soit temps de se prononcer sur leur admissibilité.

[28]      Le paragraphe 39 de l"affidavit de Montminy, considéré en même temps que la pièce " G ", se présente différemment. Il s"agit clairement d"une opinion générale sur les effets de la déréglementation des télécommunications aux États-Unis et la situation dans les prisons, établissements correctionnels et autres lieux de détention dans tous les États des États-Unis. La pièce " G ", qui illustre le genre d"équipements et de logiciels vendus sur le marché américain, est manifestement non pertinente. Le paragraphe 39 et la pièce " G " sont radiés.

[29]      Les paragraphes 44, 45 et 48 ont trait au processus de consultation qui, à l"époque où a été fait l"affidavit, offrait aux détenus la possibilité de contribuer aux décisions concernant le système téléphonique Millennium et les objectifs du Service correctionnel du Canada, qui entendait rétablir un contrôle raisonnable sur les appels téléphoniques. Cela étant, les paragraphes en question n"ont rien de critiquable. Le paragraphe 45, cependant, qui comporte des conjectures concernant la directive du Commissaire qui ne devait être émise que plus tard, en janvier 1996, est clairement dénué de pertinence. Ce paragraphe est radié.

L"affidavit de Montminy daté du 10 septembre 1997

[30]      Au paragraphe 4 du second affidavit de Montminy, l"auteur confirme les renseignements exposés dans son affidavit précédent et dont on a fait état plus haut. Ce paragraphe n'est pas particulièrement pertinent, mais il n'est pas manifestement dénué de pertinence au point de devoir être radié.

[31]      Au paragraphe 5, M. Montminy évoque une nouvelle directive du Commissaire, directive qui constitue la pièce " A ". Il se livre ensuite à diverses conjectures et, dans le cadre de celles-ci, explique que la directive a été émise en réponse au jugement rendu, le 8 juillet 1997, par le juge Lutfy dans l"affaire Hunter c. Commissaire du Service correctionnel (précitée). Cette hypothèse concernant les motifs de la directive du Commissaire est manifestement non pertinente. Le paragraphe est radié, sauf en ce qui concerne la dernière phrase. Bien sûr, cela n"interdit aucunement à l"avocate des défendeurs de faire valoir, dans la mesure où l"argument est pertinent, qu"il existe effectivement un lien entre la décision intervenue dans l"affaire Hunter et la directive no 85 du Commissaire.

[32]      L"avocate des demandeurs affirme que le paragraphe 6 de l"affidavit de Montminy daté du 10 septembre 1997 est inexact, voire faux. Il semblerait que le débat porte ici sur le type d"accès téléphonique offert aux détenus des établissements de la région Pacifique. D"après les demandeurs, cette partie de l"affidavit de M. Montminy nous apprend notamment que dans la région Pacifique, les détenus n"ont accès qu"à des téléphones payants n"acceptant pas les pièces de monnaie. Selon l"affidavit de Gary Fitzgerald, un détenu de l"établissement de Ferndale, il existe, dans cet établissement, un certain nombre de téléphones payants qui acceptent aussi bien les pièces de monnaie que la carte Visa. Cela a été relevé par le juge Richard dans l"affaire Alcorn c. Canada (1998), 153 D.L.R. (4th) 175, dans la note 3, à la page 184, où il précise que :

         Il semblerait que, dans les établissements de Ferndale et de Elbow Lake, on ait mis de l'argent à la disposition des détenus qui voulaient utiliser les téléphones payants.                 

D"après moi, une note en bas de page ne saurait créer une sorte de préclusion ou porter à conclure à la fausseté d"un affidavit. Disons, plutôt, que les témoignages s"opposent sur ce point. Il est possible que le juge du procès privilégie le témoignage de M. Fitzgerald par rapport à celui de M. Montminy, mais cela ne justifie aucunement la radiation du paragraphe 6 de l"affidavit de M. Montminy.


[33]      Au paragraphe 8 de son affidavit, M. Montminy déclare :

     [TRADUCTION]         
     Il n"a jamais été dans l"intention du SCC d"opérer une discrimination à l"encontre des demandeurs ou des détenus qui n"ont pas l"argent nécessaire pour payer les prix fixés par le CRTC.         

Dans la mesure où se pose le problème d"une intention d'opérer une discrimination, c"est au juge qu"il appartiendra de trancher et non pas à M. Montminy. Le paragraphe 8 est radié.

[34]      Le premier paragraphe 9 de l"affidavit de Montminy daté du 10 septembre 1997 consigne manifestement une opinion quant aux incidences de la mise en oeuvre du système téléphonique Millennium, et notamment de ses répercussions sur le droit de consulter un avocat. Il serait manifestement abusif d"admettre ce paragraphe qui ne contient qu"opinions et conjectures. Le paragraphe est radié.

[35]      Le second paragraphe de cet affidavit portant le numéro 9 explique la position du Service correctionnel du Canada, qui estime que la consultation n"était aucunement un préalable nécessaire à la mise en oeuvre du système téléphonique Millennium. Le commentaire se défend, mais il est ensuite affirmé au même paragraphe que cela est d"ailleurs conforme à l"article 74 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition . Or, il s"agit-là d"une opinion juridique qui n"a aucune pertinence en l"espèce et qui n"a pas sa place dans cet affidavit. La deuxième phrase du deuxième paragraphe 9 est radiée. Les seconde et dernière phrases du paragraphe 10, où il est précisé que la position du Service correctionnel du Canada est en conformité avec divers articles de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, sont également radiées.

[36]      Le paragraphe 11 du second affidavit est une sorte de plaidoyer pro domo qui traite de l'affectation de ressources limitées. Ce paragraphe est peut-être sans pertinence dans le contexte de la présente demande de contrôle judiciaire, mais ce manque de pertinence n"est pas manifeste et le paragraphe n"a donc rien de répréhensible.

L"AUTORISATION DE DÉPOSER DE NOUVEAUX AFFIDAVITS

[37]      Dans leurs observations écrites, les défendeurs sollicitent de la Cour, au cas où certaines parties des affidavits de Montminy seraient radiées, un délai de 30 jours pour déposer de nouveaux affidavits. Les passages radiés des affidavits de Montminy ne concernant pas des éléments pertinents ou importants, l"autorisation de déposer d"autres affidavits ne ferait que retarder inutilement l'instance.

CONCLUSION

[38]      D'emblée, j"ai évoqué le besoin de faire preuve de prudence dans l"exercice du pouvoir discrétionnaire qu"a la Cour d"ordonner la radiation de certains affidavits ou de certaines parties d"entre eux, ce pouvoir discrétionnaire ne devant être exercé que dans des cas très précis. En l"espèce, j"ai passé sur certaines parties des affidavits qui peuvent être contestables mais, compte tenu des observations formulées par le juge Richard dans l"affaire Unitel Communication (précitée), j"ai estimé qu"il était préférable de laisser au juge du procès le soin d"évaluer le poids et l"admissibilité des affidavits en question. La Cour ayant fait droit en partie aux demandes des uns et en partie aux demandes des autres, les dépens suivront l"issue de la cause.

                             (signature) " John A. Hargrave "

                                 protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 11 septembre 1998.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, LL.B.

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE DE LA COUR FÉDÉRALE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :      T-1945-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      GORDON ALCORN, de l"établissement

     William Head, et autres

     c.

     LE COMMISSAIRE DU SERVICE

     CORRECTIONNEL et autres

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. J.A. HARGRAVE, PROTONOTAIRE

en date du 11 septembre 1998

ONT COMPARU :

     Mme Sasha Pawliuk      pour les demandeurs

    

     Mme Donaree Nygard      pour les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

     Mme Sacha Pawliuk      pour les demandeurs

     Legal Services Society

     M. Morris Rosenberg      pour les défendeurs

     Sous-procureur général

     du Canada

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