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Date : 20040226

Dossier : IMM-4926-03

Référence : 2004 CF 283

Ottawa (Ontario), le 26 février 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JAMES RUSSELL

ENTRE :

                                  SULEIMAN MOHAMMEDSAE HUSSENU

(alias SULEIMAN MOHAMMED SAED HUSSENU)

                                                                                                                              demandeur

                                                                       et

                                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                               défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision (la décision) par laquelle Mme Mary Ann Stoddart, commissaire à la Section de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, (la commissaire) a conclu, le 12 juin 2003 que Suleiman Mohammedsae Hussenu (le demandeur) était frappé d'une interdiction de territoire au Canada conformément à l'alinéa 34(1)f) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).


HISTORIQUE

[2]                Le demandeur est citoyen de l'Érythrée; il est agriculteur.

[3]                Au mois d'octobre 2001, le demandeur a présenté une demande d'asile au Canada en invoquant le fait qu'il craignait d'être persécuté, et notamment d'être emprisonné, en Érythrée du fait de ses opinions politiques, étant donné les liens qu'il avait eus avec le Front de libération de l'Érythrée (le FLE).

[4]                Le 5 avril 2002, dans un rapport rédigé en vertu de l'article 27 de l'ancienne Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, dans sa forme modifiée (l'ancienne Loi sur l'immigration), il était conclu que le demandeur était une personne visée à la division 19(1)f)(iii)(B) de l'ancienne Loi sur l'immigration, en tant que personne « dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle [est] ou [a] été membre d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle se livre ou s'est livrée à des actes de terrorisme [...] » . Le même jour, on a ordonné la tenue d'une enquête en vertu de l'ancienne Loi sur l'immigration aux fins de l'examen de ces allégations.


[5]                Avant que l'enquête ait lieu, la LIPR est entrée en vigueur. En vertu de l'alinéa 34(1)f) de la LIPR, la commissaire devait déterminer s'il y avait interdiction de territoire au Canada pour le motif que le demandeur était « [...] membre d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle est, a été ou sera l'auteur d'un acte [de terrorisme] » .

[6]                Lors de l'enquête, le demandeur a témoigné qu'il avait adhéré au FLE en 1961, qu'il s'était enfui de l'Érythrée pour se rendre au Soudan en 1975 et qu'il était retourné en Érythrée en 1991. Il a également témoigné qu'il était demeuré actif au sein du FLE pendant qu'il était au Soudan, mais qu'il avait cessé de participer aux activités du FLE lorsqu'il était retourné en Érythrée en 1991. Lors de l'audience relative à la question de l'interdiction de territoire, on a présenté certains éléments de preuve montrant que les gens ayant le même profil que le demandeur sont persécutés en Érythrée.

[7]                Lors de l'enquête, le ministre a présenté certains éléments de preuve montrant qu'en 1969 et en 1971, [TRADUCTION] « les membres du FLE avaient commis un certain nombre de sabotages et de détournements d'avions de ligne éthiopiens » et que [TRADUCTION] « le FLE avait également entrepris une guérilla en Érythrée » .


[8]                Le demandeur a témoigné ne s'être jamais battu en Érythrée. Il a affirmé que, dans le cadre de ses activités (qui ont cessé en 1991) il avait uniquement fourni un appui financier, assisté à des réunions politiques et distribué de la propagande du FLE. Le demandeur a également témoigné qu'il n'avait absolument pas eu connaissance de détournements d'avions de ligne éthiopiens par le FLE.

[9]                Le 12 juin 2003, la commissaire a conclu à l'interdiction de territoire en vertu de l'alinéa 34(1)f) de la LIPR parce qu'il y avait « des motifs raisonnables de croire que [le demandeur] était membre d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle est, a été ou sera l'auteur d'un acte terroriste » .

[10]            Une mesure d'expulsion a été prise.

[11]            Il y a à première vue interdiction de territoire en vertu de l'alinéa 34(1)f) de la LIPR, mais le paragraphe 34(2) prévoit une exception. En effet, en vertu du paragraphe 34(2), il n'y a pas interdiction de territoire pour l'étranger qui convainc le ministre que sa présence ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national.


[12]            Le demandeur allègue qu'avant que la décision relative à la question de l'interdiction de territoire ait été rendue et que la mesure d'expulsion ait été prise, le ministre ne l'avait jamais informé qu'il avait le droit de se prévaloir de l'exception prévue à la disposition relative à l'interdiction de territoire en établissant que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national. Au contraire, il affirme que la commissaire lui a fait savoir au début de cette audience que, si l'allégation relative à l'interdiction de territoire était établie, elle serait automatiquement tenue de prendre une mesure d'expulsion. Le demandeur affirme qu'il n'a donc jamais présenté d'observations au sujet de l'applicabilité du paragraphe 34(2) de la LIPR.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[13]            Les dispositions pertinentes de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, sont libellées comme suit :


33. Les faits - actes ou omissions - mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu'ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

33. The facts that constitute inadmissibility under sections 34 to 37 include facts arising from omissions and, unless otherwise provided, include facts for which there are reasonable grounds to believe that they have occurred, are occurring or may occur.

34. (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

34. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

a) être l'auteur d'actes d'espionnage ou se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s'entend au Canada;

(a) engaging in an act of espionage or an act of subversion against a democratic government, institution or process as they are understood in Canada;

b) être l'instigateur ou l'auteur d'actes visant au renversement d'un gouvernement par la force;

(b) engaging in or instigating the subversion by force of any government;

c) se livrer au terrorisme;

(c) engaging in terrorism;

d) constituer un danger pour la sécurité du Canada;

(d) being a danger to the security of Canada;

e) être l'auteur de tout acte de violence susceptible de mettre en danger la vie ou la sécurité d'autrui au Canada;

(e) engaging in acts of violence that would or might endanger the lives or safety of persons in Canada; or


f) être membre d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle est, a été ou sera l'auteur d'un acte visé aux alinéas a), b) ou c).

(f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b) or (c).(2) Ces faits n'emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l'étranger qui convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national.

(2) The matters referred to in subsection (1) do not constitute inadmissibility in respect of a permanent resident or a foreign national who satisfies the Minister that their presence in Canada would not be detrimental to the national interest.


[14]            La disposition relative aux personnes non admissibles qui s'appliquait en vertu de l'ancienne Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, dans sa forme modifiée, est ainsi libellée :


Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :

[. . .]

19.(1) No person shall be granted admission who is a member of any of the following classes:

. . .

(f) celles dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elles :

(f) persons who there are reasonable grounds to believe

(i) soit se sont livrées à des actes d'espionnage ou de subversion contre des institutions démocratiques, au sens où cette expression s'entend au Canada,

(i) have engaged in acts of espionage or subversion against democratic government, institutions or processes, as they are understood in Canada,

(ii) soit se sont livrées à des actes de terrorisme,

(ii) have engaged in terrorism, or

(iii) soit sont ou ont été membres d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle se livre ou s'est livrée :

(iii) are or were members of an organization that there are reasonable grounds to believe is or was engaged in

(A) soit à des actes d'espionnage ou de subversion contre des institutions démocratiques, au sens où cette expression s'entend au Canada,

(A) acts of espionage or subversion against democratic government, institutions or processes, as they are understood in Canada, or

(B)    soit à des actes de terrorisme,

le présent alinéa ne visant toutefois pas les personnes qui convainquent le ministre que leur admission ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national;

[. . .]

(B) terrorism,

except persons who have satisfied the Minister that their admission would not be detrimental to the national interest;

. . .


[15]            Le paragraphe 27(1) de l'ancienne Loi sur l'immigration prévoit qu'un rapport est soumis à l'égard d'une personne qui appartient à une catégorie non admissible :



27. (1) L'agent d'immigration ou l'agent de la paix doit faire part au sous-ministre, dans un rapport écrit et circonstancié, de renseignements concernant un résident permanent et indiquant que celui-ci, selon le cas :

27. (1) An immigration officer or a peace officer shall forward a written report to the Deputy Minister setting out the details of any information in the possession of the immigration officer or peace officer indicating that a permanent resident is a person who

(a)            appartient à l'une des catégories non admissibles visées aux alinéas 19(1)c.2), d), e), f), g), k) ou l);

[. . .]

(a)            is a member of an inadmissible class described in paragraph 19(1)(c.2), (d), (e), (f), (g), (k) or (l);

. . .


POINTS LITIGIEUX

[16]            Le demandeur soulève les questions suivantes :

Le ministre est-il tenu, lorsqu'il procède à une audience à l'égard d'une allégation selon laquelle une personne est visée à l'article 34 de la LIPR, d'informer celle-ci de l'exception prévue au paragraphe 34(2) de la LIPR?

Le commissaire de la Section de l'immigration qui mène une audience à la suite de l'allégation selon laquelle une personne est visée à l'article 34 de la LIPR est-il tenu d'informer celle-ci de l'exception prévue au paragraphe 34(2) de la LIPR?


La commissaire a-t-elle porté atteinte aux droits reconnus au demandeur à l'article 7 de la Charte en concluant que celui-ci était frappé d'une interdiction de territoire en l'absence d'éléments de preuve montrant que le ministre avait déterminé si l'exception prévue au paragraphe 34(2) de la LIPR s'appliquait?

La commissaire a-t-elle porté atteinte aux droits reconnus au demandeur à l'article 7 de la Charte en concluant que celui-ci était frappé d'une interdiction de territoire alors que le ministre n'avait pas informé le demandeur de son droit de présenter une demande en vertu du paragraphe 34(2) de la LIPR en vue d'obtenir une décision portant que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national?

La commissaire a-t-elle mal interprété les dispositions de l'article 34 de la LIPR en concluant que le demandeur était frappé d'une interdiction de territoire au Canada du fait de son appartenance passée au FLE?


La commissaire a-t-elle commis une erreur susceptible de révision en concluant que le demandeur aurait dû être au courant des actes de piraterie commis par le FLE parce que c'était en partie la raison pour laquelle un couvre-feu avait été imposé, alors que dans la preuve documentaire il était uniquement fait mention de la guérilla comme raison d'un couvre-feu partiel?

Les détournements d'avions sont-ils tous des actes de terrorisme?

La personne qui n'est plus membre d'une organisation visée à l'alinéa 34(1)f) de la LIRP est-elle frappée d'une interdiction de territoire?

ANALYSE

Quelle est la norme de contrôle à appliquer à la décision du tribunal?

[17]            La Cour doit d'abord déterminer la norme de contrôle à appliquer en l'espèce.

[18]            Dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Gureghian, 2003 CFPI 675, paragraphes 15 et 16, la juge Gauthier a conclu que la norme de contrôle applicable à ce type de décision est celle de la décision correcte :

[15]          Dans l'arrêt Chieu c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [2002] 1 R.C.S. 84, la Cour suprême du Canada a statué que la norme applicable au contrôle d'une décision de la SAI sur une question de droit est celle de la décision correcte.


[16]          L'interprétation de la division 19(1)f)(iii)(B) de la Loi soulève une question de droit qui est différente de celle qui a été examinée dans l'arrêt Chieu, précité, mais je conclus que la norme de la décision correcte s'applique également en l'espèce.

[19]            Étant donné que les questions soulevées par le demandeur comportent des questions de droit, je crois que la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer à la présente espèce est celle de la décision correcte.

L'obligation du ministre et de la commissaire

[20]            Le demandeur soutient que le ministre, lorsqu'il procède à une audience en vertu de l'article 34 de la LIPR, est tenu d'informer l'intéressé de l'exception prévue au paragraphe 34(2) de la LIPR à l'égard des personnes qui peuvent être considérées comme faisant l'objet d'une interdiction de territoire en vertu de l'alinéa 34(1)f) mais qui le convainquent que leur présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national.

[21]            Le demandeur prend la position selon laquelle, eu égard aux faits de la présente espèce, il se trouve dans une situation tout à fait différente des situations existant dans la jurisprudence établie selon laquelle le ministre n'est pas tenu de donner au demandeur un avis ou des renseignements au sujet de ses droits procéduraux et substantiels.


[22]            Le demandeur affirme qu'une obligation plus rigoureuse incombe au ministre en l'espèce parce que l'obligation d'équité procédurale est souple et contextuelle et que, dans ce cas-ci, toute sa cause était fondée sur le fait qu'il n'était pas coupable des actes de terrorisme commis par le FLE dont il avait été membre et que l'objet de la loi énoncé à l'article 3 de la LIPR favorise l'imposition d'une obligation de donner à quiconque se trouve dans la même situation que lui des renseignements et un avis de l'exception prévue au paragraphe 34(2).

[23]            À l'appui de cette position, le demandeur réfère la Cour aux remarques que le juge McDonald, de la Cour d'appel fédérale, a faites dans l'arrêt Siad c. Canada (Secrétaire d'État), [1997] 1 C.F. 608 A.C.F. no 1575, paragraphe 14 :

Dans l'arrêt Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, la Cour suprême du Canada a décidé qu'une norme élevée de justice naturelle s'applique aux affaires telles que l'espèce, lorsque le ministre adopte une position adverse à l'égard d'un demandeur du statut de réfugié.

[24]            Le demandeur cite également à l'appui la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Nguyen c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 232, pages 246 et 247, [1993] A.C.F. no 702 :

36. Encore plus récemment, dans l'arrêt Choi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [1992] 1 C.F. 763 (C.A.), aux p. 769 et 770, l'appelant avait souffert de préjudice car on ne lui avait pas remis immédiatement le formulaire approprié, qui, s'il l'avait présenté à temps, lui aurait valu une appréciation plus favorable. Le juge d'appel MacGuigan, dans ses motifs rédigés au nom de la Cour, a cité la fin de la citation ci-dessus tirée de l'arrêt Tsiafakis précité, et a déclaré ce qui suit:


On pourrait peut-être dire qu'un devoir corrélatif semblable existe en l'espèce (j'estime que le juge des requêtes a déduit à bon droit de la Loi elle-même le droit des demandeurs de faire une demande), mais lorsque le gouvernement canadien s'engage, par l'entremise de ses agents, à fournir à ceux qui veulent immigrer des renseignements sur la façon de s'y prendre, il s'engage pour le moins à les bien renseigner. Cela ne signifie pas que les autorités canadiennes doivent faire l'exégèse détaillée de la loi et des procédures en matière d'immigration, ni fournir aux immigrants éventuels des avis juridiques sur les conséquences juridiques des choix offerts, mais il n'en reste pas moins que les autorités de l'immigration sont tenues en toute équité de fournir les renseignements fondamentaux sur les façons de faire une demande, et de rendre disponibles les formules appropriées. [C'est moi qui souligne.]

37. Il ne fait aucun doute à mon avis que les agents des visas au Commissariat du Canada à Hong Kong avaient le devoir de fournir à l'appelant Luong Manh Nguyen une demande d'établissement (formulaire IMM 8) sur demande. Il est impossible de conclure autrement à partir des arrêts cités. Suffit-il au ministre de répondre qu'il n'existe aucun devoir puisqu'aucune demande expresse en vue d'obtenir le formulaire n'a été faite? Je ne le crois pas. Il ressortait clairement et hors de tout doute de l'engagement de parrainage que l'appelant voulait demander le droit d'établissement. Le Guide de l'immigration montre qu'une telle déduction s'impose naturellement. L'engagement de parrainage prouve également, par contre, que l'appelant n'était pas libre: son adresse est citée comme étant le Centre de détention de Shumshui Po à Hong Kong [...] Dans ces circonstances, on pouvait difficilement s'attendre à ce qu'il se présente au bureau du Commissariat. Le Guide de l'immigration établit qu'il est d'usage courant d'envoyer le formulaire de demande. La preuve établit que les personnes dans la situation de l'appelant ont droit d'envoyer et de recevoir des lettres. [...] en effet, on trouve un certain nombre de lettres de l'appelant parmi les documents. Le ministre avait donc à mon avis une demande en vue d'obtenir le formulaire et avait les moyens pour lui donner suite.

[25]            À mon avis, le demandeur a raison d'affirmer qu'une norme élevée de justice naturelle s'applique lorsque le ministre prend une position adverse à l'égard d'un demandeur d'asile, mais cela n'impose pas au ministre, dans un cas comme celui-ci, l'obligation d'aviser et d'informer le demandeur de l'existence d'une exception précise dont celui-ci pourrait se prévaloir en vertu de la LIPR. La disposition pertinente figure dans la Loi et tous peuvent la consulter. Le demandeur était représenté par un avocat pendant toute la période pertinente. Il avait le droit de soulever toutes les questions pertinentes. En l'espèce, la situation est fort différente de celle à laquelle la Cour faisait face dans l'affaire Nguyen, précitée, et, à mon avis, cette décision n'aide pas le demandeur.


[26]            À condition que le demandeur ait pleinement accès aux droits qui lui sont reconnus par la LIPR et qu'on ne l'empêche pas d'invoquer l'exception prévue au paragraphe 34(2), il ne pouvait pas y avoir manquement à l'équité procédurale. Si l'avocat du demandeur a omis de soulever la question, on ne saurait imputer cette omission au ministre en invoquant l'obligation de donner un avis d'une exception qui est parfaitement apparente au vu de la loi.

[27]            Eu égard aux faits de la présente espèce, je ne vois pas pourquoi il faudrait déroger à la jurisprudence établie, qui impose au demandeur l'obligation d'invoquer et de fournir une preuve à l'égard de tous les éléments importants. Je crois que les remarques que la juge Gauthier a faites dans la décision Gureghian, précitée, paragraphes 20 et 21, sont fort intéressantes sur ce point :

[20] Je conclus que ces décisions, qui portent sur d'autres dispositions similaires de la Loi, font autorité et sont convaincantes pour ce qui est de l'interprétation qu'il convient de donner à la division 19(1)f)(iii)(B). Elles indiquent que la SAI avait tort lorsqu'elle a décidé que, pour qu'une personne soit déclarée non admissible en vertu de la division 19(1)f)(iii)(B), le ministre doit être convaincu que son admission serait préjudiciable à l'intérêt national.

[21] Le ministre n'était pas obligé de tenir compte de l'exception prévue à la division 19(1)f)(iii)(B) à moins que M. Gureghian ne fasse une demande précise sur ce point et ne lui fournisse une preuve convaincante que son admission ne serait pas préjudiciable à l'intérêt national. La SAI n'a pas conclu que le conjoint de Mme Avedian Gureghian avait fait pareille demande et elle n'a pas fondé sa décision sur pareille conclusion.


[28]            Étant donné que le demandeur n'a pas invoqué l'exception prévue au paragraphe 34(2), il soutient maintenant que le ministre était tenu de l'informer de cette exception. À mon avis, il n'existe aucune obligation de ce genre. Il incombe au demandeur et à son avocat de soulever toutes les questions importantes et de convaincre le ministre à cet égard.

[29]            Je ne suis pas non plus convaincu que le demandeur ait implicitement invoqué le paragraphe 34(2) dans ce cas-ci lorsqu'il a fondé sa demande sur le fait qu'il n'avait pas commis les actes en question. Dans sa décision, la commissaire a expressément conclu ce qui suit : « On n'a présenté aucune preuve que [le demandeur] ait convaincu le ministre aux termes du paragraphe 34(2). Le seul passage du temps ne me convainc pas que [le demandeur] n'est pas visé à l'alinéa 34(1)f). » Je ne puis rien voir qui permette de ne pas souscrire à cette conclusion de fait.

[30]            Pour des raisons similaires, je suis d'avis que la commissaire n'était pas tenue d'aviser ou d'informer le demandeur de la possibilité d'invoquer l'exception prévue au paragraphe 34(2) de la LIPR.

[31]            À mon avis, cela règle effectivement les principales questions soulevées par le demandeur. Toutefois, il faut également examiner deux autres questions accessoires.


La conclusion relative à la crédibilité

[32]            Le demandeur soutient que la commissaire a conclu qu'il aurait dû être au courant des détournements d'avions parce que c'était en partie la raison pour laquelle un couvre-feu avait été imposé par l'armée éthiopienne en 1969 et en 1970. Le demandeur affirme que la preuve documentaire faisait simplement mention de la guérilla comme raison d'un couvre-feu partiel. Il dit qu'une erreur susceptible de révision a été commise à cet égard.

[33]            Sur ce point, le demandeur affirme également que la commissaire a commis une erreur de droit en concluant qu'un détournement d'avion est toujours un acte de terrorisme et en omettant de tenir compte de la définition de l'activité terroriste figurant dans le Code criminel, qui indique qu'un élément politique doit être présent.


[34]            Dans sa décision, la commissaire dit ce qui suit : « L'argumentation du conseil [du demandeur] ne m'a pas convaincue que celui-ci ignorait quelles étaient les activités de l'ELF et qu'il n'en était qu'un membre innocent. » La commissaire met de fait l'accent sur les détournements d'avions, mais elle conclut d'une façon générale ce qui suit : « Je ne dispose d'aucune preuve selon laquelle le travail de fermier expliquerait l'ignorance des activités d'une organisation comme l'ELF, organisation dont [le demandeur] est membre. » La mention du couvre-feu ne limite pas la conclusion générale selon laquelle la commissaire « ne consid[érait] pas qu'il est crédible qu'une personne qui a été membre de l'ELF pendant 30 ans et qui vivait en Érythrée entre 1969 et 1975 n'ait pas eu connaissance de ces détournements d'avions » .

[35]            Il s'agit d'une conclusion que la commissaire pouvait à bon droit tirer. La commissaire met l'accent sur les détournements d'avions, mais elle mentionne également les activités du FLE d'une façon générale ainsi que la définition du terrorisme qui est donnée dans l'arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CSC 1; la commissaire a décidé que le FLE se livrait à des actes de terrorisme dont le demandeur était au courant.

[36]            De plus, la commissaire ne conclut pas que tous les détournements d'avions sont des actes de terrorisme. Elle se fonde sur la description du terrorisme qui est donnée dans l'arrêt Suresh, précité, et elle mentionne « [...] des actes de sabotage et [le détournement d']avions de ligne éthiopiens » .

[37]            Je conclus que la commissaire n'a commis aucune erreur susceptible de révision sur ce point.


Le fait de cesser d'être membre d'une organisation terroriste

[38]            Le demandeur soutient finalement qu'il n'était pas frappé d'une interdiction de territoire en vertu de l'alinéa 34(1)f) de la LIPR parce qu'il n'était plus membre du FLE.

[39]            À l'alinéa 34(1)f) de la LIPR se trouvent de fait les mots « membre d'une organisation [...] » mais à l'article 33, il est expressément prévu que « [l]es faits - actes ou omissions - mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu'ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir » [non souligné dans l'original]. Si l'argument du demandeur concernant l'alinéa 34(1)f) était exact sur ce point, l'article 34 ne s'appliquerait pas au terroriste qui cesse d'être membre d'une organisation terroriste juste avant de demander l'asile. Il ne se peut pas que le législateur ait eu l'intention d'exclure pareil demandeur du champ d'application de l'alinéa 34(1)f) et l'article 33 le montre clairement.

[40]            Aucune erreur susceptible de révision n'a été commise sur ce point.

Questions à certifier

[41]            Le demandeur a soulevé les questions suivantes aux fins de la certification :

1.          Les détournements d'avions sont-ils tous des actes de terrorisme?


2.          Le ministre est-il en général tenu, lorsqu'il procède à une audience à l'égard de l'allégation selon laquelle une personne est visée à l'article 34, d'informer celle-ci de l'exception prévue au paragraphe 34(2)? Le ministre a-t-il une telle obligation si la personne en cause est un demandeur d'asile?

3.          Le commissaire de la Section de l'immigration qui mène une audience à la suite de l'allégation selon laquelle une personne est visée à l'article 34 est-il en général tenu d'informer celle-ci de l'exception prévue au paragraphe 34(2) si la personne en cause est un demandeur d'asile? Le commissaire a-t-il une telle obligation si la personne en cause est un demandeur d'asile?

4.          Une personne qui n'est plus membre d'une organisation visée à l'alinéa 34(1)f) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés est-elle frappée d'une interdiction de territoire? En d'autres termes, le mot « être » tel qu'il est employé à l'alinéa 34(1)f) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés comprend-il l'appartenance passée ou uniquement l'appartenance présente?

[42]            Je conclus qu'il ne convient de certifier aucune de ces questions en l'espèce, et ce, pour les motifs ci-après énoncés :

1.          La première question ne se pose pas eu égard aux faits de la présente affaire et elle ne réglerait pas l'appel;

2.          La jurisprudence est claire : le ministre n'a aucune obligation de ce genre;


3.          La jurisprudence est claire : le commissaire n'a aucune obligation de ce genre;

4.          L'article 33 de la LIPR est clair : les faits qui sont survenus peuvent emporter appartenance à une organisation en vertu de l'article 34.

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande est rejetée.

2.          Il n'y a pas de question à certifier.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-4926-03

INTITULÉ :                                                    SULEIMAN MOHAMMEDSAE HUSSENU

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE MARDI 7 JANVIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS :                                   LE 26 FÉVRIER 2004

COMPARUTIONS :

Micheal Crane                                                   POUR LE DEMANDEUR

Ian Hicks                                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Catherine Bruce                                                 POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                   Date : 20040226

                                      Dossier : IMM-4926-03

ENTRE :

SULEIMAN MOHAMMEDSAE HUSSENU

                                                            demandeur

                                      et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                             défendeur

                                                                            

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                            

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