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                                                  IMM-1458-96

 

Entre

 

                   BALBINDER SINGH ATHWAL,

 

                                                   requérant,

 

                             et

 

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

 

                                                      intimé.

 

 

 

 

                   MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

 

 

LE JUGE DUBÉ

 

 

 

          La présente demande tend au contrôle judiciaire de la décision en date du 26 mars 1996 par laquelle la section d'appel, de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la section d'appel), a rejeté l'appel du requérant pour défaut de compétence, au motif que l'intimé (le ministre) a été d'avis que le requérant constituait un danger pour le public, conformément au paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration (la Loi).

 

A.  Les faits

 

          Le 5 octobre 1994, l'agent d'immigration B. Duncan a établi un rapport, fondé sur l'article 27 de la Loi, alléguant que le requérant était un résident permanent visé au sous-alinéa 27(1)d)(i), qui a été déclaré coupable d'une infraction pour laquelle une peine d'emprisonnement de plus de six mois a été imposée, et également visé au sous-alinéa 27(1)d)(ii), qui a été déclaré coupable d'une infraction punissable d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à cinq ans.

 

          À l'enquête qui a suivi le 11 mai 1995, l'agent chargé de présenter les cas R. McNeill a présenté les allégations fondées sur le sous-alinéa 27(1)d)(i) (une condamnation pour laquelle une peine d'emprisonnement de plus de six mois a été imposée).  L'arbitre R.G. Smith a conclu que le requérant était un résident permanent du Canada qui a été déclaré coupable de cette infraction, et il a donc pris une mesure d'expulsion.

 

          Le requérant a interjeté appel de la mesure d'expulsion le 11 mai 1995.  Le 10 janvier 1996, le ministre a déposé un Avis, en application du paragraphe 70(5) de la Loi, selon lequel le requérant constituait un danger pour le public au Canada.  Le 12 avril 1996, la section d'appel a décidé que le ministre avait déposé un tel avis et qu' [TRADUCTION] «un arbitre a conclu que l'appelant était une personne visée à l'alinéa 27(1)d) de la Loi sur l'immigration, qui a été déclarée coupable d'une infraction punissable d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans...»  La section d'appel a rejeté l'appel pour défaut de compétence, conformément à l'alinéa 70(1)c) de la Loi.

 

 

B.   Le point litigieux

 

          La principale question à trancher dans le présent contrôle judiciaire est de savoir si un arbitre doit avoir conclu qu'une personne visée à l'alinéa 27(1)d) est également une personne qui a été déclarée coupable d'une infraction punissable, aux termes d'une loi fédérale, d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans avant que le paragraphe 70(5) n'entre en jeu pour soustraire l'appel du requérant à la section d'appel.  Les dispositions applicables de la Loi sont ainsi rédigées :

 

27. (1) L'agent d'immigration ou l'agent de la paix doit faire part au sous-ministre, dans un rapport écrit et circonstancié, de renseignements concernant un résident permanent et indiquant que celui-ci, selon le cas :

 

a) appartient à l'une des catégories non admissibles visées aux alinéas 19(1)c.2), d), e), f), g), k) ou l);

 

a.1) est une personne qui a, à l'étranger :

 

(i) soit été déclarée coupable d'une infraction qui, si elle était commise au Canada, constituerait une infraction qui pourrait être punissable, aux termes d'une loi fédérale, par mise en accusation, d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans...,

 

d) a été déclaré coupable d'une infraction prévue par une loi fédérale :

 

(i) soit pour laquelle une peine d'emprisonnement de plus de six mois a été imposée,

 

(ii) soit qui peut être punissable d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à cinq ans;

 

 

                                      ...

 

 

70(5) Ne peuvent faire appel devant la section d'appel les personnes, visées au paragraphe (1) ou aux alinéas (2)a) ou b), qui, selon la décision d'un arbitre :

 

a) appartiennent à l'une des catégories non admissibles visées aux alinéas 19(1)c), c.1), c.2) ou d) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada;

b) relèvent du cas visé à l'alinéa 27(1)a.1) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada;

c) relèvent, pour toute infraction punissable aux termes d'une loi fédérale d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, du cas visé à l'alinéa 27(1)d) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada.

 

                        (non souligné dans l'original)

 

 

C. L'argument du requérant

 

          Le requérant soutient que, au moment de l'enquête le

11 mai 1995, le paragraphe 70(5) de la Loi n'était pas en vigueur (il est entré en vigueur seulement le 10 juillet 1996), mais que le projet de loi c-44 a été rédigé à l'époque et qu'une copie de travail était disponible.  La seule allégation faite par le représentant du ministre était que le requérant n'était pas un Canadien, était un résident permanent du Canada, était une personne visée au sous-alinéa 27(1)d)(i), probablement parce que c'est tout ce dont il avait besoin pour obtenir la mesure d'expulsion qu'il demandait.  En conséquence, cela formait le fondement de la décision de l'arbitre et c'est exactement ce qu'il décidait : une personne condamnée à une peine d'emprisonnement de plus de six mois et non à une peine d'emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans.

 

          Le requérant s'appuie sur la décision de la Cour Ahmed Zelzle c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, (IMM-1585-95) pour faire valoir que la section d'appel ne peut substituer sa propre décision à celle d'un arbitre qui est valable à sa lecture.  En conséquence, la section d'appel n'avait pas compétence prendre une décision sous le régime de l'alinéa 70(5)c), et elle a eu tort de refuser d'exercer sa compétence.

 

D. L'argument de l'intimé

 

          Selon l'intimé, les renseignements exposés dans le rapport visé à l'article 27 indiquaient que le requérant avait été, le 16 septembre 1994, déclaré coupable de voie de fait grave, contrairement au paragraphe 268.2 du Code criminel du Canada, et condamné à trois ans d'emprisonnement, la peine maximale pour cette infraction étant de quatorze ans, et que, à la même date, il avait également été déclaré coupable de séquestration, contrairement au paragraphe 279.2 du Code criminel, et condamné à trois ans d'emprisonnement, la peine maximale pour cette infraction étant de dix ans.

    

          L'alinéa 70(5)c) de la Loi n'exige pas que l'arbitre conclue, en premier lieu, que le requérant est une personne visée à l'alinéa 27(1)d) et que, en second lieu, il prenne une décision particulière selon laquelle le requérant a été déclaré coupable d'une infraction punissable d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans.  La seule décision que l'arbitre pouvait rendre était que le requérant était une personne visée au sous-alinéa 27(1)d)(i), puisque c'était la seule allégation que poursuivait l'agent chargé de présenter les cas à l'enquête, et la seule dont ce dernier avait besoin à l'époque pour obtenir une mesure d'expulsion, le paragraphe 70(5) de la Loi n'étant pas en vigueur à cette époque.

 

          Il était loisible à la section d'appel de prendre cette décision, parce que c'est la seule interprétation qui donne au paragraphe 70(5) un sens.  L'arbitre tient sa compétence du rapport établi par l'agent d'immigration sous le régime de l'article 27 et de la directive de faire enquête donnée par cet article. Le paragraphe 27(1) établit diverses catégories qui peuvent être alléguées contre un résident permanent (27(1)a) à 27(1)h)).  Aucune de ces catégories ne prévoit que la personne est un résident permanent qui a été déclaré coupable d'une infraction pour laquelle la peine maximale est égale ou supérieure à dix ans.  La seule mention de la peine maximale égale ou supérieure à dix ans se trouve à l'alinéa 27(1)(a.1), qui se rapporte à des infractions commises à l'extérieur du Canada.

 

          L'agent d'immigration ne peut, en vertu d'aucun autre alinéa, de l'alinéa 27(1)a) à l'alinéa 27(1)h), alléguer qu'une personne est un résident permanent qui a été déclaré coupable d'une infraction punissable d'une peine maximale éventuelle égale ou supérieure à dix ans.  La troisième condition sous le régime de l'alinéa 70(5)c) n'a pas à être établie par un arbitre et ne saurait être établie par un arbitre.

 

          L'article 12 de la Loi d'interprétation prévoit que «Tout texte est censé apporter une solution de droit et s'interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet».   La seule interprétation qui assure le mieux la réalisation de l'objet du paragraphe 70(5) est celle proposée par l'intimé.

 

          Dans l'ouvrage The Construction of Statutes, 3e édition, Driedger cite les propos tenus par le juge O'Halloran dans l'affaire Waugh c. Pedneault :

 

[TRADUCTION] On ne saurait présumer que la législature agit déraisonnablement et injustement, car cela reviendrait à agir à l'encontre de l'intérêt public.  Les membres de la législature sont élus par le peuple pour protéger l'intérêt public, et cela signifie qu'il faut agir équitablement et avec raison dans toutes les circonstances.  Les mots figurant dans les textes de la législature doivent être interprétés selon cette prémisse.  Telle est l'«intention» véritable de la législature.  C'est la raison pour laquelle les mots figurant dans une loi de la législature ne doivent pas être restreints à ce qu'on appelle parfois leur sens «ordinaire» ou «littéral», mais on doit les entendre avec flexibilité de manière à inclure le sens le plus raisonnable qui puisse être tiré de la fin et de l'objectif de ce que la loi vise à accomplir[1].

 

              (non souligné dans l'original)

 

 

 

          L'intimé soutient subsidiairement que, même si la section d'appel a eu tort de substituer sa propre décision à celle de l'arbitre, cela ne servirait à rien d'annuler la décision et de la renvoyer pour réexamen.  Il est clair que le requérant a été, en fait, déclaré coupable d'infractions punissables d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans.

 

          Comme troisième argument subsidiaire, invoqué à l'audition du présent contrôle judiciaire, l'intimé soutient qu'il était loisible à la section d'appel de conclure que l'arbitre doit avoir conclu que le requérant était une personne déclarée coupable d'un crime pour lequel la peine maximale peut être égale ou supérieure à dix ans parce que le seul renseignement dont il disposait au sujet du casier judiciaire du requérant portait sur le fait que le requérant avait en fait été condamné en vertu de ces deux articles particuliers du Code criminel, qui prévoient tous les deux un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans.  En application du paragraphe 27(1), l'agent d'immigration doit faire part au sous-ministre, dans un rapport écrit et circonstancié, de tous les renseignements dont il dispose pour justifier son allégation.  Le rapport établi portait sur deux allégations distinctes fondées sur les paragraphes 268.2 et 279.2 du Code criminel, qui prévoient tous deux une peine maximale égale ou supérieure à dix ans.

 

E. ANALYSE

 

          À mon avis, le paragraphe 70(5) ne comporte aucune ambiguïté.  Aucun appel ne peut être interjeté devant la section d'appel sous certaines conditions particulières, y compris une décision d'un arbitre selon laquelle une personne visée à l'alinéa 27(1)d) a été déclarée coupable d'une infraction passible d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans.  Ce paragraphe prévoit très clairement que cette décision doit être faite par un arbitre.  Rien dans la Loi n'autorise la section d'appel à substituer sa propre décision à celle de l'arbitre.

 

          La Loi n'empêche nullement un agent chargé de présenter les cas de déposer à l'enquête des éléments de preuve sur la nature des infractions, lesquels éléments de preuve permettraient à l'arbitre de décider qu'une personne a été déclarée coupable d'une infraction punissable d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans.  Le simple fait que le paragraphe 27(1) ne donne pas d'instructions aux agents d'immigration qui établissent ces rapports n'empêche pas un arbitre de tirer une conclusion de fait fondée sur ce rapport aux fins du paragraphe 70(5).

 

          Ainsi donc, la règle d'or d'interprétation n'a pas à être invoquée.  Il n'existe aucune ambiguïté ni aucune absurdité.  Le paragraphe 70(5) se passe de commentaires.  Il appartient au ministre, par l'entremise de son agent chargé de présenter les cas, de produire à l'enquête des éléments de preuve sur la condamnation pour les infractions en question.  Avant l'entrée en vigueur du paragraphe 70(5), l'agent chargé de présenter les cas, afin d'obtenir la mesure d'expulsion, avait seulement à agir sous le régime de l'alinéa 27(1)d).  Depuis l'entrée en vigueur du paragraphe 70(5), il doit maintenant produire la preuve d'une condamnation pour laquelle un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans a été imposé aux fins de ce paragraphe.

 

          En l'espèce, bien entendu, il est vital pour le requérant qu'une interprétation stricte du paragraphe 70(5) soit respectée.  Le fait pour la section d'appel de conclure qu'elle n'a pas compétence pour connaître de l'appel du requérant ouvre la voie à l'exécution immédiate de la mesure d'expulsion qui a été prise contre lui.  Cela supprime une audition où la section d'appel aurait examiné certains autres facteurs, dont la gravité de l'infraction, la réhabilitation du requérant, les épreuves imposées à lui et à sa famille.  En conséquence, on ne saurait dire que cela ne servirait à rien d'annuler la décision en question et de la renvoyer pour réexamen.

 

          Bien qu'il ressorte des faits de l'espèce que le requérant a été déclaré coupable de deux infractions, dont chacune entraîne un emprisonnement éventuel maximal égal ou supérieur à dix ans, ce fait n'a pas été déterminé par l'arbitre à l'enquête du requérant.  À cette enquête, l'avocat du requérant a effectivement reconnu que le requérant était une personne qui avait été déclarée coupable, selon le sous-alinéa 27(1)d)(i), d'une infraction pour laquelle une peine d'emprisonnement de plus de six mois avait été imposée; il n'a pas reconnu que le requérant avait été déclaré coupable d'une infraction punissable d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans.  Ainsi donc, le représentant du ministre aurait été tenu de produire la preuve de cette infraction, mais il ne l'a pas fait.

 

          En conséquence, la décision de la section d'appel de rejeter l'appel du requérant pour défaut de compétence est annulée, et l'affaire lui est renvoyée pour qu'elle statue sur le fond de l'appel.

 

          Les avocats des parties et la Cour ont convenu qu'il existait une question grave de portée générale qui justifiait qu'elle soit certifiée en application de l'article 83 de la Loi, et qu'elle devrait être ainsi rédigée :

 

En application de l'alinéa 70(5)c) de la Loi sur l'immigration, un arbitre doit-il expressément conclure qu'une personne visée à l'alinéa 27(1)d) est également une personne qui a été déclarée coupable d'une infraction punissable, aux termes d'une loi fédérale, d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, avant que l'alinéa 70(5)c) n'entre en jeu pour soustraire l'appel du requérant à la section d'appel de l'immigration , ou cette conclusion peut-elle être tirée par la section d'appel de l'immigration lorsqu'elle détermine si elle a compétence pour statuer sur l'appel?

 

 

 

 

 

 

          La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

 

                                      (Signé) «J.E. Dubé»

                                                J.C.F.C.

 

 

 

Vancouver (Colombie-Britannique)

le 23 janvier 1997

 

Traduction certifiée conforme                          

                                 Tan Trinh-viet


 

 

          AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

          BALDINDER SINGH ATHWAL

 

                                  et

 

                                  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ                                 ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

 

No DU GREFFE :                    IMM-1458-96

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :Vancouver (C.-B.)

 

 

 

 

DATE DE L'AUDIENCE :Le 8 janvier 1997

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE DUBÉ en date du 23 janvier 1997

 

 

 

 

 

 

ONT COMPARU :

 

Chris Elgen                       pour le requérant

 

Sandra Weafer                     pour l'intimé                          Wendy Petersmeyer                

 

 

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

McPherson, Elgin Canon            pour le requérant

Vancouver (C.-B.)

 

George Thomson

Sous-procureur général du Canada

                                  pour l'intimé

 

 

 



    [1][1949] 1 W.W.R. 14, 15 (C.A.C.-B.).

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