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     Date : 19990920

     Dossier : T-104-98


OTTAWA (ONTARIO), LE 20 SEPTEMBRE 1999

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE LEMIEUX

ENTRE :

     BRUCE BRINE,

     demandeur,

     - et -


     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

     LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES PORTS,

     défendeurs.


     ORDONNANCE

     Pour les motifs ci-joints, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, avec dépens, la décision de la Commission refusant d'examiner la plainte de M. Brine est infirmée et l'affaire est renvoyée à la Commission pour nouvel examen.

     " François Lemieux "

    

     J U G E

Traduction certifiée conforme


Laurier Parenteau, LL. L.




     Date : 19990920

     Dossier : T-104-98


ENTRE :

     BRUCE BRINE,

     demandeur,

     - et -


     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

     LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES PORTS,

     défendeurs.


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

A.      INTRODUCTION

[1]      La présente demande de contrôle judiciaire, fondée sur l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, a été déposée par Bruce Brine (le demandeur) qui a perdu son emploi de superviseur à Halifax (Nouvelle-Écosse) à la Police de Ports Canada qui est exploitée par la défenderesse, la Société canadienne des ports (Ports Canada). M. Brine conteste la décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la CCDP ou la Commission) en date du 11 décembre 1997 de ne pas examiner sa plainte alléguant que son congédiement était illégal parce qu'il se fondait sur un motif de distinction illicite, savoir la déficience, et en particulier, la déficience mentale.

[2]      Ni la CCDP ni le procureur général du Canada n'ont participé à cette instance ; la charge de réfuter les allégations du demandeur incombait à Ports Canada.

[3]      Le demandeur fait valoir trois moyens à l'appui des ordonnances qu'il demande à la Cour de rendre pour annuler la décision de la CCDP et obliger celle-ci à examiner sa plainte conformément au droit :

     a)      la CCDP n'a pas examiné le rapport établi par l'enquêteur de la Commission, M. Dunphy, en date du 27 mars 1997 ;
     b)      il y a eu manquement à l'équité procédurale ; et
     c)      la décision de la CCDP de ne pas examiner la plainte est déraisonnable.

B.      LA DÉCISION DE LA COMMISSION

[4]      La décision de la Commission a été communiquée au demandeur dans une lettre datée du 11 décembre 1997 et dont les parties essentielles sont les suivantes :

         [TRADUCTION]
             Avant de rendre leur décision, les commissaires ont examiné le rapport qui vous avait déjà été communiqué, vos observations en date du 24 octobre 1997, les observations en date du 8 août 1997, signées par Robert L. Barnes, de même que les observations du défendeur en date du 6 août 1997, signées par Alan J. Stern. Après avoir examiné ces renseignements, la Commission a décidé de ne pas examiner la plainte. La Commission fonde sa décision sur les motifs suivants :
             Aux termes de l'alinéa 41(1)d) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission a décidé de ne pas examiner la plainte pour les raisons suivantes :
             le 18 avril 1995, le plaignant a conclu un règlement avec le défendeur ;
             dans ce règlement, qu'il a signé sur les conseils de son représentant juridique, le plaignant déclare qu'il est convaincu que le défendeur a satisfait à toutes ses obligations en vertu du Code canadien du travail et de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

C.      LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[5]      Les dispositions de fond pertinentes à la présente demande sont les articles 3, 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, et ses modifications (la Loi). Elles sont rédigées dans les termes suivants :


3. (1) For all purposes of this Act, the prohibited grounds of discrimination are race, national or ethnic origin, colour, religion, age, sex, sexual orientation, marital status, family status, disability and conviction for which a pardon has been granted.


(2) Where the ground of discrimination is pregnancy or child-birth, the discrimination shall be deemed to be on the ground of sex.

7. It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

     (a) to refuse to employ or continue to employ any individual, or
     (b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee,

on a prohibited ground of discrimination.


10. It is a discriminatory practice for an employer, employee organization or employer organization

     (a) to establish or pursue a policy or practice, or
     (b) to enter into an agreement affecting recruitment, referral, hiring, promotion, training, apprenticeship, transfer or any other matter relating to employment or prospective employment,

that deprives or tends to deprive an individual or class of individuals of any employment opportunities on a prohibited ground of discrimination. [emphasis mine]

3. (1) Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

(2) Une distinction fondée sur la grossesse ou l'accouchement est réputée être fondée sur le sexe.


7. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects_:

     a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu ;
     b) de le défavoriser en cours d'emploi.


10. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite et s'il est susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus, le fait, pour l'employeur, l'association patronale ou l'organisation syndicale_:

     a) de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite ;
     b) de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation, l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel.

[6]      Les dispositions législatives procédurales pertinentes sont énoncées à la Partie III de la Loi. Cette partie de la Loi prévoit le dépôt des plaintes (article 40) ; les circonstances dans lesquelles la Commission n'est pas tenue d'examiner une plainte (articles 41 et 42) ; l'enquête sur les plaintes (article 43), l'examen par la Commission du rapport d'un enquêteur et les mesures que peut prendre la Commission (article 44).

[7]      Les paragraphes 41(1), 43(1) et (2) et les articles 42 et 44 de la Loi sont rédigés comme suit :

41. (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

     (a) the alleged victim of the discriminatory practice to which the complaint relates ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available;
     (b) the complaint is one that could more appropriately be dealt with, initially or completely, according to a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act;
     (c) the complaint is beyond the jurisdiction of the Commission;
     (d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or
     (e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.

42. (1) Subject to subsection (2), when the Commission decides not to deal with a complaint, it shall send a written notice of its decision to the complainant setting out the reason for its decision.

(2) Before deciding that a complaint will not be dealt with because a procedure referred to in paragraph 41(a) has not been exhausted, the Commission shall satisfy itself that the failure to exhaust the procedure was attributable to the complainant and not to another.


41. (1) Sous réserve de l'article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu'elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

     a) la victime présumée de l'acte discriminatoire devrait épuiser d'abord les recours internes ou les procédures d'appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts ;
     b) la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale ;
     c) la plainte n'est pas de sa compétence ;
     d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi ;
     e) la plainte a été déposée après l'expiration d'un délai d'un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

42. (1) Sous réserve du paragraphe (2), la Commission motive par écrit sa décision auprès du plaignant dans les cas où elle décide que la plainte est irrecevable.

(2) Avant de décider qu'une plainte est irrecevable pour le motif que les recours ou procédures mentionnés à l'alinéa 41a) n'ont pas été épuisés, la Commission s'assure que le défaut est exclusivement imputable au plaignant.

43. 1) The Commission may designate a person, in this Part referred to as an "investigator", to investigate a complaint.

(2) An investigator shall investigate a complaint in a manner authorized by regulations made pursuant to subsection (4).

43. (1) La Commission peut charger une personne, appelée, dans la présente loi, " l'enquêteur ", d'enquêter sur une plainte.

(2) L'enquêteur doit respecter la procédure d'enquête prévue aux règlements pris en vertu du paragraphe (4).

44. (1) An investigator shall, as soon as possible after the conclusion of an investigation, submit to the Commission a report of the findings of the investigation.

(2) If, on receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission is satisfied

     (a) that the complainant ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available, or
     (b) that the complaint could more appropriately be dealt with, initially or completely, by means of a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act,

it shall refer the complainant to the appropriate authority.

(3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

     (a) may request the Chairperson of the Tribunal to institute an inquiry under section 49 into the complaint to which the report relates if the Commission is satisfied
         (i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is warranted, and
         (ii) that the complaint to which the report relates should not be referred pursuant to subsection (2) or dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(1)(c) to (e); or
     (b ) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied
         (i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or
         (ii) that the complaint should be dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(1)(c) to (e).

(4) After receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

     (a) shall notify in writing the complainant and the person against whom the complaint was made of its action under subsection (2) or (3); and
     (b) may, in such manner as it sees fit, notify any other person whom it considers necessary to notify of its action under subsection (2) or (3).

     [emphasis mine]

44. (1) L'enquêteur présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l'enquête.


(2) La Commission renvoie le plaignant à l'autorité compétente dans les cas où, sur réception du rapport, elle est convaincue, selon le cas :

     a) que le plaignant devrait épuiser les recours internes ou les procédures d'appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts ;
     b) que la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale.

(3) Sur réception du rapport d'enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

     a) peut demander au président du Tribunal de désigner, en application de l'article 49, un membre pour instruire la plainte visée par le rapport, si elle est convaincue :
         (i) d'une part, que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci est justifié,
         (ii) d'autre part, qu'il n'y a pas lieu de renvoyer la plainte en application du paragraphe (2) ni de la rejeter aux termes des alinéas 41(1)c) à e) ;
     b) rejette la plainte, si elle est convaincue :
         (i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci n'est pas justifié,
         (ii) soit que la plainte doit être rejetée pour l'un des motifs énoncés aux alinéas 41(1)c) à e).


(4) Après réception du rapport, la Commission :

     a) informe par écrit les parties à la plainte de la décision qu'elle a prise en vertu des paragraphes (2) ou (3) ;
     b) peut informer toute autre personne, de la manière qu'elle juge indiquée, de la décision qu'elle a prise en vertu des paragraphes (2) ou (3).

D.      HISTORIQUE DES PROCÉDURES ET DES FAITS     

     a)      La plainte

[8]      Le 17 mars 1996, le demandeur a déposé une plainte à la Commission. Il alléguait avoir été victime de discrimination de la part de Ports Canada qui a refusé de maintenir son emploi en raison de son incapacité (une dépression nerveuse) en contravention de l'article 7 de la Loi.

[9]      Le demandeur a détaillé sa plainte de la façon suivante :

     (i)      à cause de pressions liées à son travail, il a demandé l'aide d'un conseiller en matière de stress en septembre 1993 par l'entremise du Programme d'aide aux employés de Ports Canada qui était alors au courant qu'il souffrait d'une incapacité liée au stress ;
     (ii)      en janvier 1995, il a eu des problèmes au travail avec le commandant adjoint de son unité ; ce dernier a déposé une allégation auprès de Ports Canada indiquant que le demandeur avait commis un abus de pouvoir ;
     (iii)      le 25 janvier 1995, le surintendant principal de Ports Canada s'est rendu à Halifax pour enquêter sur des questions ayant trait au style de gestion du demandeur dans son unité et quelques jours après l'arrivée du surintendant principal, M. Brine a pris un congé de maladie pour des troubles de stress ;
     (iv)      après son enquête, le surintendant principal a recommandé que le demandeur reçoive du counselling ;
     (v)      pendant que le demandeur était en congé de maladie, Ports Canada a mis fin à son emploi le 29 mars 1995 en alléguant être justifié de le faire ;
     (vi)      le demandeur n'a jamais eu la possibilité de se défendre contre les allégations d'abus de pouvoir et il dit avoir été congédié à cause de sa dépression nerveuse.
     b)      Certaines étapes de l'enquête de la Commission

[10]      Le 10 juin 1996, la Commission a informé Ports Canada de la plainte du demandeur. La Commission a demandé à Ports Canada des renseignements sur les motifs du congédiement, une copie de l'enquête interne de Ports Canada concernant l'allégation portée par le commandant adjoint au sujet de l'abus de pouvoir dont se serait rendu coupable le demandeur, la date approximative à laquelle Ports Canada a été mis au courant pour la première fois de l'incapacité liée au stress du demandeur et les détails sur les lignes de conduite de Ports Canada concernant les employés qui souffrent de troubles de stress.

[11]      Ports Canada a répondu à la lettre du 10 juin 1996 de la Commission par l'entremise de ses avocats. Le 19 juillet 1996, les avocats de Ports Canada ont répondu aux renseignements demandés par la CCDP et fait connaître leur position fondamentale :

         [TRADUCTION]
             Pour ce qui concerne les allégations contenues dans la plainte, voici la position de notre client : le congédiement de M. Brine est lié uniquement à son inconduite. Étant donné que M. Brine occupait un poste de très grande confiance, l'inconduite dont il s'est rendu coupable ne pouvait être tolérée. La décision de mettre fin à l'emploi de M. Brine n'est aucunement fondée sur la " dépression nerveuse ", comme le prétend le plaignant.
             M. Brine et son avocat ont été informés des allégations graves d'inconduite et M. Brine a signé un règlement très détaillé avec son employeur.
             Concernant la prise en compte de sa maladie, M. Brine n'a pas été traité différemment des autres employés qui doivent s'absenter du travail pour des troubles de stress. Toutefois, son inconduite grave a forcé son employeur à le traiter d'une manière différente des employés qui ne se sont pas rendus coupables d'une telle inconduite.

                             [non souligné dans l'original]


[12]      D'autres aspects de l'enquête de la Commission sont révélés dans le rapport d'enquête désigné sous le nom de rapport Dunphy.

     c)      Le rapport Dunphy

[13]      M. Dunphy, un enquête de la CCDP, a fait enquête sur la plainte du demandeur. Il a produit son rapport le 27 mars 1997 ; la Commission a reçu ce rapport le 4 avril 1997. Le rapport Dunphy est divisé en deux parties : la première partie est un document de deux pages intitulé " RAPPORT D'ENQUÊTE - INVESTIGATION REPORT ". Cette partie est signée par M. Dunphy, mais elle n'a pas été contresignée par le directeur ou par le directeur du Contrôle de la conformité à la réglementation de la Direction générale des programmes d'antidiscrimination. La deuxième partie est une analyse de sept pages, contenant quarante-cinq paragraphes, effectuée par M. Dunphy.

[14]      Concernant les conclusions de l'enquête, le rapport Dunphy indique ce qui suit :

         [TRADUCTION]
         41.      L'enquête confirme que le plaignant a fait sa carrière chez le défendeur en gravissant les échelons un à un et qu'il a été promu au poste de surintendant à Halifax en avril 1993. L'enquête démontre que le plaignant a commencé à faire preuve de symptômes liés au stress pour lesquels il a demandé de l'aide psychologique, psychiatrique et médicale.
         42.      L'enquête démontre qu'en janvier 1995, au cours d'une enquête que le défendeur a menée au sujet du plaignant sur une allégation d'abus de pouvoir, le défendeur a obtenu des renseignements additionnels d'un secrétaire [dans l'unité de M. Brine] et du directeur général de la Société canadienne des ports à Halifax concernant des allégations de comportements inacceptables de la part du plaignant.
         43.      L'enquête démontre de plus qu'au cours de l'enquête le surintendant principal a été témoin d'une scène au cours de laquelle le plaignant a manifesté des symptômes de troubles émotifs et il a fait au défendeur [Ports Canada] le 30 janvier 1995 des recommandations indiquant que le plaignant souffrait de graves troubles émotifs et qu'un congé de maladie et des séances de counselling psychologique s'imposaient.
         44.      L'enquête démontre que le 29 mars 1995, deux mois après la recommandation du surintendant principal pour que le plaignant reçoive du counselling psychologique et prenne un congé, et pendant que le plaignant était en congé de maladie, le défendeur [Ports Canada] a remis au plaignant une lettre lui indiquant qu'il était congédié. La preuve fournie par le psychologue du plaignant démontre que le plaignant n'était pas émotivement en mesure de défendre ses intérêts quand il a signé le règlement.

[15]      M. Dunphy a recommandé à la Commission de nommer un conciliateur pour essayer de régler la plainte.

[16]      Dans l'analyse du rapport, M. Dunphy résume les faits et la preuve fournie par le demandeur et examine en détail la position de Ports Canada qui a été exprimée dans la lettre du 19 juillet 1996 signée par ses avocats, y compris les documents à l'appui de cette lettre et plus particulièrement la note de service du 30 janvier 1995 du surintendant principal de Ports Canada adressée au directeur général de Ports Canada au sujet de son enquête sur l'allégation d'abus de pouvoir qui avait été portée par le commandant adjoint. D'après le rapport, il semble que M. Dunphy ait confronté M. Brine avec les raisons alléguées par Ports Canada pour mettre fin à son emploi et qu'il a obtenu ses observations sur la position exprimée par Ports Canada.

[17]      M. Dunphy a fait référence aux lettres remises au demandeur par des personnes auprès desquelles celui-ci avait cherché de l'aide médicale pendant cette période. En particulier, M. Dunphy mentionne un rapport médical du 7 avril 1995 du médecin du demandeur déclarant que le demandeur avait été admis à l'hôpital pour une journée à la suite d'un " épisode de fibrillation auriculaire rapide due à un événement stressant ". Il mentionne également une lettre datée du 16 septembre 1996, signée par le psychologue du demandeur, qui confirmait que le demandeur avait eu quatre séances de counselling entre le 8 mars 1995 et le 5 mai 1995. M. Dunphy déclare que le psychologue a mentionné que le demandeur était d'abord venu le voir pour des problèmes de stress liés à son travail et, ensuite, parce qu'il avait été congédié. La lettre du psychologue déclare que le demandeur était au début " très déprimé " et qu'il lui avait avoué avoir vu plusieurs conseillers. M. Dunphy signale que le psychologue a de plus déclaré que le demandeur souffrait d'angoisse débilitante et de dépression, et qu'il l'avait mis en rapport avec un psychiatre pour un traitement à long terme.

[18]      Dans son rapport analytique, M. Dunphy reproduit la conclusion du surintendant principal de Ports Canada dans sa note de service datée du 30 janvier 1995, à la suite de son enquête sur l'allégation d'abus de pouvoir :

         [TRADUCTION]
         Ceci, jumelé au fait qu'il a un tempérament explosif et qu'il porte une arme à feu, m'amène à croire qu'il serait approprié de lui offrir du counselling psychologique, accompagné d'un congé, tant pour le bien-être du (plaignant) que pour celui des membres du détachement.

[19]      Ce qui est arrivé au rapport Dunphy est difficile à expliquer. La CCDP n'a déposé aucun affidavit dans la présente demande de contrôle judiciaire. Ce que l'on sait, c'est que le rapport Dunphy n'a été remis ni au demandeur ni à Ports Canada pour observations, ce qui est habituellement la manière dont la Commission procède et ce qu'exige l'équité procédurale. En outre, l'on sait que le rapport Dunphy n'a pas été examiné par les commissaires pour en arriver à leur décision de ne pas examiner la plainte de M. Brine. Le dossier certifié du tribunal préparé par le secrétaire de la Commission aux termes de la Règle 317 des Règles de la Cour fédérale dresse la liste des documents dont était saisie la Commission quand elle a pris sa décision de ne pas examiner la plainte du demandeur. L'un des documents remis par le secrétaire de la CCDP était une chronologie des événements qui indique ceci :

         15-04-96      Plainte signée

         04-04-97      Rapport d'enquête reçu du contractant

         04-09-97      Dossier transmis à RER

         25-07-97      Rapport aux termes des articles 40/41

         25-07-97      Début de la communication des documents

         06-08-97      Observations du défendeur

         08-08-97      Fin de la communication des documents

                             [ non souligné dans l'original]


     d)      L'analyse Raymond

[20]      La chronologie des événements établie par la Commission nous apprend que la plainte du demandeur a été transmise à RER, qui sont les initiales de Rae Raymond, agent des droits de la personne à la Commission canadienne des droits de la personne. Encore une fois, le dossier contient très peu de renseignements sur la façon dont M. Raymond s'est acquitté de ses fonctions. Il n'a pas déposé d'affidavit dans la présente instance. Ce que l'on sait, c'est qu'il a préparé un document daté du 25 juillet 1997, intitulé " ANALYSE FONDÉE SUR LES ARTICLES 40/41 " qui est un document d'une page sans résumé analytique, contrairement au rapport Dunphy. Cela n'est pas surprenant parce que les articles 40 et 41 de la Loi autorisent la Commission à décider de ne pas examiner la plainte avant qu'une enquête approfondie ait lieu.

[21]      M. Raymond résume certains faits et fait une recommandation. Sous la rubrique des recommandations, M. Raymond écrit ceci :

         [TRADUCTION]
         2. Après avoir été informé de la plainte, le défendeur [Ports Canada] a présenté une défense, qui inclut une copie de la renonciation signée par le plaignant et son représentant juridique le 18 avril 1995. Une copie de cette renonciation est jointe sous l'Annexe A. Le plaignant a continué de toucher son salaire habituel de mars 1995 jusqu'à juillet 1995 et ensuite il a eu droit à une indemnité de cessation d'emploi équivalant à 11 mois de salaire brut.
         3. La renonciation que le plaignant a signée sur l'avis de son représentant juridique indique que le plaignant reconnaît que le défendeur a satisfait à toutes ses obligations en vertu du Code canadien du travail et de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le plaignant déclare qu'il n'était pas psychologiquement en mesure de prendre une décision concernant cette renonciation, et que les conseils juridiques qu'il a reçus ne portaient pas sur des questions liées aux droits de la personne ou au Code du travail. En août 1996, le médecin du plaignant a confirmé qu'en avril 1995 celui-ci traversait une période de stress intense et qu'il n'était pas en mesure de négocier le règlement. Le plaignant croit que la plainte devrait être examinée étant donné qu'elle porte sur des questions concernant son incapacité et le refus de maintenir son emploi.
         4. Le plaignant a déposé une plainte de congédiement injustifié à Travail Canada le 17 octobre 1995, à laquelle s'est opposé le défendeur en faisant valoir que la renonciation était obligatoire et qu'elle empêchait le plaignant de prendre d'autres mesures. Prenant note de l'argument du plaignant selon lequel il n'était pas en mesure de prendre des décisions appropriées, d'après la preuve médicale, l'arbitre a conclu le 2 juin 1997 que le règlement liait les deux parties.
         5. Il est recommandé que la Commission n'examine pas plus avant la plainte, en raison du règlement signé entre les parties.

                             [ non souligné dans l'original]


E.      LES ÉVÉNEMENTS POSTÉRIEURS À L'ANALYSE RAYMOND

[22]      Le 25 juillet 1997, Sherri Helgason, gestionnaire, Plaintes et enquêtes à la Commission, a écrit au demandeur et à Ports Canada pour les informer de ce qui suit :

         [TRADUCTION]
             L'enquête sur la plainte déposée par Bruce Brine contre la Société canadienne des ports alléguant qu'il y a eu discrimination au niveau de l'emploi pour des motifs de déficience, est terminée. Une copie du rapport de l'enquêteur est jointe aux présentes pour votre examen. Ce rapport sera remis à la Commission à l'une de ses prochaines réunions, de même que toutes les observations que nous recevrons de vous ou du plaignant.
             Comme le signale le rapport d'enquête, il est recommandé que la Commission n'examine pas plus avant la plainte à cause du règlement que le plaignant a signé avec le défendeur. La Commission peut accepter ou rejeter cette recommandation. Si vous souhaitez faire des observations sur le rapport, vous pouvez le faire en vous adressant à la soussignée.

                         [ non souligné dans l'original]


[23]      Le dossier du tribunal révèle que les avocats du demandeur ont répondu à l'invitation de la Commission en lui faisant parvenir deux lettres : la première lettre est datée du 8 août 1997, et fait des observations sur la décision de l'arbitre nommé en vertu du Code du travail. Les avocats du demandeur indiquent ceci :

         [TRADUCTION]
         Bien que le règlement ait été jugé valide par l'arbitre nommé en vertu du Code du travail, l'arbitre a agi ainsi parce qu'il appliquait un critère juridique très strict concernant la " capacité " de M. Brine de signer un document juridique obligatoire. Pour annuler ce genre d'entente pour cause d'incapacité mentale, il est nécessaire de démontrer que la maladie dont souffrait le sujet le rendait incapable de comprendre ou d'apprécier la nature du document qu'on lui avait soumis.
         Bien que M. Brine n'ait pas respecté ce critère d'incapacité juridique, la preuve a clairement confirmé la gravité de son incapacité, et le caractère déraisonnable de la décision de signer un règlement sur ses droits juridiques à ce moment. La preuve démontrait également que l'employeur était tout à fait au courant de son état mental, aussi bien au moment de son congédiement, qu'au moment de la négociation du règlement. Essentiellement, l'employeur a utilisé des tactiques brutales, notamment des allégations de congédiement motivé, et la menace de lui retirer son salaire et ses avantages sociaux, pour obtenir la signature de M. Brine sur ce règlement. L'employeur a manifestement pris avantage de la vulnérabilité de M. Brine à un moment où l'employeur était au courant de son affaiblissement sur les plans émotif et mental.

[24]      Le 12 août 1997, les avocats du demandeur ont de nouveau écrit à Sherri Helgason. Les avocats lui faisaient parvenir un rapport médical du Dr Edwin M. Rosenberg, qui est le médecin traitant du demandeur. Un rapport médical antérieur du Dr Selwyn M. Smith, décrivant une dépression grave, était joint au rapport du Dr Rosenberg. Les avocats du demandeur déclaraient ceci : [TRADUCTION] " Comme les autres spécialistes traitants, le Dr Rosenberg a confirmé que M. Brine n'était pas en état de signer un document engageant ses droits juridiques ".

[25]      Mme Brine a également déposé des observations personnelles au nom de son mari.

[26]      L'Association canadienne pour la santé mentale a aussi présenté des observations en date du 11 septembre 1997 qui indiquent ce qui suit :

         [TRADUCTION]
         Malheureusement, le cas de M. Brine ressemble à celui de bon nombre d'autres personnes atteintes de maladie mentale qui sont aux prises avec des problèmes émotifs, souvent liés à leur travail, dans un milieu qui ne leur offre pas l'appui nécessaire. Il arrive fréquemment que les difficultés d'un employé soient amplifiées lorsque l'employeur nie la réalité des conditions de travail stressantes et les problèmes émotifs qui en découlent. Est-il acceptable que l'on demande à ces personnes de prendre des décisions dans un milieu où elles n'ont pas l'appui nécessaire et où la charge émotive est grande, à un moment où elles sont extrêmement vulnérables ? On présente souvent à ces employés une offre " à prendre ou à laisser ", qui peut être vue comme une forme de coercition à accepter un règlement insatisfaisant. Les employeurs peuvent ensuite se cacher derrière ce bouclier en faisant valoir qu'un règlement a été conclu. Nous sommes extrêmement préoccupés par le fait que c'est ce qui s'est peut-être produit dans le cas de M. Brine.

[27]      Par l'entremise de ses avocats, Ports Canada a répondu le 6 août 1997 de la manière suivante :

         [TRADUCTION]
             Nous vous remercions de votre lettre du 25 juillet 1997, qui était accompagnée du rapport de l'enquêteur.
             Notre client est disposé à s'appuyer sur ses observations en date du 19 juillet 1996 ; toutefois, il convient de signaler que M. Brine a présenté une réclamation en vertu du Code canadien du travail et que nous avons eu une audience devant un arbitre les 1er et 2 avril 1997.
             Dans sa décision, datée du 2 juin 1997, l'arbitre a rejeté les arguments selon lesquels le règlement était nul pour cause d'incertitude et de contenu déraisonnable. Il déclare ce qui suit :
             Le règlement et la renonciation, lus ensemble, renferment toutes les conditions nécessaires et il est possible de les faire respecter.
             Il a ensuite déclaré que le règlement et la renonciation liaient les parties et il a refusé d'entendre sur le fond la plainte pour congédiement injustifié.

[28]      Dans la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur a déposé un affidavit à l'appui de ses arguments. Il n'a pas été contre-interrogé. Ports Canada a déposé en réponse un affidavit contenant la déposition de David Cuthbertson, vice-président exécutif de Ports Canada, en date du 23 février 1998, et qui indique ce qui suit :

         [TRADUCTION]
         3.      J'ai lu l'affidavit de Bruce Brine, établi sous serment le 23 janvier 1998, et noté les références aux documents qui y sont joints.
         4.      Au cours de l'enquête effectuée par le Service des plaintes et des enquêtes de la Commission canadienne des droits de la personne, des documents additionnels ont été remis à ce service dans une lettre d'Alan J. Stern, c.r., en date du 19 juillet 1996, et une copie de cette lettre, comprenant les pièces qui y étaient jointes, est jointe au présent affidavit, sous la Pièce A.
         5.      Le rapport d'enquête du Service des plaintes et des enquêtes nous a été communiqué dans une lettre en date du 27 juillet 1997, et une copie de la lettre et des recommandations qu'elle contenait est jointe au présent affidavit sous la Pièce B.
         6.      Dans une décision datée du 2 juin 1997, l'arbitre nommé en vertu du Code canadien du travail a déclaré que le règlement et la renonciation liaient les parties et une copie de cette décision est jointe au présent affidavit sous la Pièce C.

[29]      Au moment de déposer la requête introductive d'instance en vue du contrôle judiciaire, le demandeur a demandé à la CCDP de fournir une copie certifiée des documents suivants qui étaient en sa possession.

         [TRADUCTION]
         Les copies de toutes les notes de service, communications internes et lettres et de tous les documents qui renferment une analyse de la décision de la Commission canadienne des droits de la personne de refuser d'examiner la plainte de Bruce Brine, ou qui mentionnent les raisons de cette décision ou les personnes qui ont participé à la prise de cette décision.

[30]      Quand le demandeur a reçu l'affidavit de M. Cuthbertson, il a demandé à la Cour la permission de déposer un affidavit en réplique. Cette autorisation lui a été accordée par une ordonnance du juge Muldoon, le 8 mai 1998. Dans cet affidavit déposé en réplique, M. Brine indique en partie ce qui suit :

         [TRADUCTION]
         2.      L'affidavit de David Cuthbertson, déposé au Greffe de la Cour fédérale à Ottawa, le 23 février 1998, renferme une preuve fabriquée. Cette preuve a été remise à la Commission canadienne des droits de la personne et peut avoir influencé sa décision de refuser ma demande pour que mon allégation de discrimination, dont j'ai été victime de la part de mon ancien employeur, la Société canadienne des ports, soit examinée par un tribunal.
         3.      Je n'ai pas été informé de cette preuve et je n'ai pas eu la possibilité d'y répondre avant que la Commission prenne sa décision. Je n'étais pas au courant de cette preuve avant d'en prendre connaissance dans l'affidavit de David Cuthbertson, déposé en réponse à mon avis de requête introductive d'instance dans la présente procédure de contrôle judiciaire.
         4.      Il y a dans la lettre de M. Allan J. Stern, adressée à M. Raminder Singh de la CCDP, en date du 19 juillet 1996 [affidavit de Bruce Cuthbertson, onglet A] des références à des déclarations, notes de service et lettres de membres de la police de Ports Canada. Ces déclarations, notes de service et lettres renferment des preuves fabriquées.

[31]      Quand les avocats du demandeur ont reçu le dossier certifié de la Commission, le rapport Dunphy n'en faisait pas partie. Par un avis de requête en date du 31 juillet 1998, le demandeur a demandé à la Cour qu'elle ordonne la production du rapport Dunphy. Cette ordonnance lui a été accordée par le juge Hugessen le 15 septembre 1998.

F.      LA DÉCISION DE L'ARBITRE DU TRAVAIL

[32]      Le 2 juin 1997, Bruce Outhouse, qui avait été nommé arbitre par le ministre du Travail aux termes du Code canadien du travail pour entendre la plainte de congédiement injustifié de M. Brine, a rendu sa décision quant à savoir si le règlement et la renonciation signés par M. Brine et Ports Canada étaient valides et constituaient un empêchement à l'audition de la plainte sur le fond aux termes du Code du travail.

[33]      La renonciation renferme la clause suivante :


         [TRADUCTION]
         2.      En échange de cette contrepartie, je reconnais de plus que l'employeur a satisfait à toutes ses obligations en vertu du Code canadien du travail et de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Je renonce à faire valoir tout droit de plainte et m'engage à ne pas déposer de plainte fondée sur le Code ou la Loi précités.

[34]      L'arbitre Outhouse a décrété que le règlement et la renonciation liaient les parties et a refusé d'entendre la plainte de congédiement injustifié sur le fond.

[35]      L'avocat de M. Brine a soutenu devant l'arbitre que le règlement et la renonciation étaient invalides et sans effet pour deux raisons. Tout d'abord, l'avocat a souligné qu'il n'y avait pas eu entente entre les parties sur deux points :

     a)      sur la qualification à donner au congédiement de M. Brine (M. Brine s'est opposé avec vigueur à toute suggestion de congédiement pour un motif donné) ; et
     b)      sur le contenu d'une lettre de référence proposée.

Si le règlement et la renonciation sont valides, l'avocat de M. Brine prétend que Ports Canada y a contrevenu d'une manière qui constitue une répudiation de ces deux documents. Deuxièmement, l'avocat de M. Brine soutient que le règlement est déraisonnable et fait référence à la situation dans laquelle se trouvait M. Brine au moment de la signature. L'avocat prétend que M. Brine était " malade et vulnérable ".

[36]      L'arbitre Outhouse a rendu une décision défavorable à M. Brine sur les deux points. Sur la question du caractère déraisonnable de l'entente, il a adopté le triple critère énoncé par le juge Hallett dans l'arrêt Stephenson v. Hilti (Canada) Ltd. (1989), 93 N.S.R. (2d) 366 (C.S.N.-É., 1re inst.), aux pages 370 et 371 :

         [TRADUCTION]
         (1)      Il doit y avoir une inégalité dans les positions de négociation découlant de l'ignorance, du besoin ou de la détresse de la partie la plus faible ;
         (2)      La partie la plus forte a abusé de sa position de pouvoir pour obtenir un avantage ; et
         (3)      L'entente conclue est essentiellement inéquitable pour la partie la plus faible ou, [...] elle diverge suffisamment des normes de moralité commerciale de la société pour qu'il faille l'infirmer.

[37]      Concernant les deux premiers éléments du critère, l'arbitre indique ce qui suit à la page 51 de ses motifs :

         [TRADUCTION]
         [...] je suis disposé à supposer que la preuve dont je suis saisi est suffisante pour établir l'existence des deux premières conditions - c'est-à-dire qu'il y avait inégalité dans la position de négociation et qu'il y a eu abus d'une position de pouvoir.

                             [ non souligné dans l'original]


À son avis cependant, M. Brine n'a pas réussi à établir le troisième élément. L'arbitre Outhouse s'est dit d'avis que le règlement n'était pas " essentiellement inéquitable " parce que la période d'avis était conforme à celle que les tribunaux de Nouvelle-Écosse accordaient.

G.      ANALYSE

     a)      Le rôle de la Commission

[38]      Le rôle de la Commission a été déterminé de façon définitive par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Cooper c. Commission des droits de la personne, [1996] 3 R.C.S. 854. Dans l'arrêt Cooper, la Cour a eu l'occasion d'élaborer sur deux de ses jugements antérieurs analysant les fonctions de la Commission, notamment les arrêts Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879 et Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554.

[39]      À mon avis, les motifs du juge La Forest dans Cooper, (précité), établissent les propositions suivantes au sujet du rôle et des fonctions de la Commission :

     (1)      Elle exerce des fonctions d'administration et d'examen préalable sans pouvoir décisionnel important (p. 893) ;
     (2)      C'est à elle que la Loi a confié le mandat de recevoir, de gérer et de traiter les plaintes concernant des actes discriminatoires (p. 889) ;
     (3)      Lorsqu'elle détermine si une plainte devrait être déférée à un tribunal des droits de la personne, la Commission procède à un examen préalable assez semblable à celui qu'un juge effectue à une enquête préliminaire. Il ne lui appartient pas de juger si la plainte est fondée. Son rôle consiste plutôt à déterminer si, aux termes des dispositions de la Loi, et eu égard à l'ensemble des faits, il est justifié de tenir une enquête. L'aspect essentiel de son rôle est alors de vérifier s'il existe une preuve suffisante (p. 891) ; et
     (4)      La commission a le pouvoir d'interpréter et d'appliquer sa loi habilitante, mais elle n'est pas habilitée à se prononcer sur des questions de droit générales (p. 891).

H.      LA NORME DE CONTRÔLE

     a)      La démarche adoptée

[40]      La Cour d'appel et la Section de première instance de la Cour ont récemment eu l'occasion de se prononcer sur un certain nombre de cas contestant plusieurs décisions de la Commission. La nature et l'impact de ces contestations sur le plaignant ou le défendeur (habituellement l'employeur) varient considérablement.

[41]      La très grande majorité des décisions de la CCDP révisées par la Cour portaient sur des mesures prises par la Commission à l'étape finale de son processus d'examen préalable, c'est-à-dire au moment où la Commission, après avoir reçu le rapport de l'enquêteur, doit décider si elle demande l'établissement d'un tribunal des droits de la personne pour statuer sur la plainte (et, s'il y a lieu, des redressements peuvent être accordés si la plainte est fondée) ou si elle doit rejeter la plainte, ce qui met fin à l'affaire. Les mesures de la Commission, en pareilles circonstances, sont fondées sur le paragraphe 44(3) de la Loi quand la Commission " est convaincue " que, " compte tenu des circonstances relatives à la plainte ", l'examen de celle-ci est justifié ou non. La Cour d'appel fédérale s'est très récemment prononcée sur ce genre de décisions de la Commission dans l'arrêt Bell Canada c. Le Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier , [1990] 1 C.F. 113, dans lequel la Cour a examiné une décision de la CCDP de demander la constitution d'un tribunal des droits de la personne et l'arrêt Holmes c. Procureur général du Canada, dossier A-430-97, le 29 avril 1999, dans lequel elle a examiné un appel de la Section de première instance dans une affaire où la Commission avait rejeté la plainte après enquête. Voir également la décision Ernst Zundel c. Procureur général du Canada et autre, dossier T-2765-96, le 15 juin 1999, dans laquelle le juge Evans a examiné et rejeté la contestation d'une décision de la Commission de demander la formation d'un tribunal.

[42]      Toutefois, des contestations ont été faites à des étapes antérieures dans le processus d'examen préalable de la Commission. Par exemple, dans la décision Société canadienne des postes c. Barrette, [1999] 2 C.F. 250 (C.F. 1re inst.), le juge Evans a rejeté une demande de contrôle judiciaire dans laquelle Postes Canada contestait une décision de la Commission de statuer sur - c'est-à-dire d'enquêter sur - une plainte de discrimination salariale en vertu de l'article 11 de la Loi, et alléguait que la Commission avait mal appliqué les alinéas 41(1)a), b) et e) de la Loi. On trouve un autre exemple d'examen de ce type de décision de la Commission dans Société canadienne des postes c. Commission canadienne des droits de la personne et autre, (1997), 130 F.T.R. 241, une décision du juge Rothstein, maintenant juge de la Cour d'appel, qui a rejeté une contestation de Postes Canada concernant une décision de la Commission de statuer sur une plainte. La décision du juge Rothstein a récemment été confirmée par le juge Desjardins qui exprimait l'opinion de la Cour d'appel fédérale, dans le dossier A-402-97, le 29 avril 1999.

[43]      Par contre, il n'y a que quelques décisions de la Cour portant sur des cas où la Commission a décidé, en vertu de l'article 41 de la Loi, de ne pas faire enquête sur une plainte. On en trouve des exemples dans la décision Slattery (NE 2) c. Commission canadienne des droits de la personne (1994) 81 F.T.R. 1, une décision du juge MacKay rejetant une demande de contrôle judiciaire de ce type de décision et dans la décision Gill c. Commission de la fonction publique, 25 C.H.R.R. D/439, par le juge Reed qui a infirmé une telle décision.

[44]      Dans l'arrêt Holmes (précité), le juge Décary a souligné ce que la Cour avait affirmé dans Bell (précité) concernant la démarche générale appropriée que la Cour d'appel doit suivre dans son analyse des contestations des décisions de la Commission. Tout d'abord, il a mis l'accent sur les décisions prises par la Commission en vertu de l'article 44 de la Loi et cité un passage de l'arrêt Bell (précité) :

         [TRADUCTION]
         [35]      Il est établi en droit que, lorsqu'elle décide de déférer ou non une plainte à un tribunal à des fins d'enquête en vertu des articles 44 et 49 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission exerce des " fonctions d'administration et d'examen préalable " (Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne) , [1996] 3 R.C.S. 854, à la page 893, le juge La Forest) et ne se prononce pas sur son bien-fondé (voir Territoires du Nord-Ouest c. Alliance de la fonction publique du Canada (1997), 208 N.R. 385 (C.A.F.)).

[45]      Le juge Décary a ensuite énoncé la démarche globale à suivre pour ce type de cause lorsque la Commission exerce ses fonctions d'examen préalable à la réception d'un rapport d'enquête. Se référant à Bell (précité), il a dit ceci :

         [38]      La Loi confère à la Commission un degré remarquable de latitude dans l'exécution de sa fonction d'examen préalable au moment de la réception d'un rapport d'enquête. Les paragraphes 40(2) et 40(4), et les articles 41 et 44 regorgent d'expressions comme " à son avis ", " devrait ", " normalement ouverts ", " pourrait avantageusement être instruite ", " des circonstances ", " estime indiqué dans les circonstances ", qui ne laissent aucun doute quant à l'intention du législateur. Les motifs de renvoi à une autre autorité (paragraphe 44(2)), de renvoi au président du Comité du tribunal des droits de la personne (alinéa 44(3)a )) ou, carrément, de rejet (alinéa 44(3)b)) comportent, à divers degrés, des questions de fait, de droit et d'opinion (voir Latif c. La Commission canadienne des droits de la personne, [1980] 1 C.F. 687 (C.A.), à la page 698, le juge Le Dain), mais on peut dire sans risque de se tromper qu'en règle générale, le législateur ne voulait pas que les cours interviennent à la légère dans les décisions prises par la Commission à cette étape.

                             [ non souligné dans l'original]


[46]      Le juge Décary concluait sur les mots suivants :

         [5]      La question dont était saisie la Commission à l'étape en question était de savoir si, compte tenu de toutes les circonstances de la cause, il y avait lieu d'ouvrir une enquête. Elle y a répondu par la négative. Il y a divers motifs légitimes ou raisonnables par lesquels la Commission était fondée à décider comme elle l'a fait. Pour tirer une conclusion, elle a le droit et l'obligation de prendre en considération tous les faits et allégations soumis à son examen. En l'espèce, elle avait en main suffisamment de preuves pour conclure qu'il n'y avait pas lieu à poursuite de l'affaire devant un tribunal.

                             [ non souligné dans l'original]


     b)      La norme de contrôle de l'alinéa 41(1)d)

[47]      À mon avis, les décisions de la Cour suprême du Canada et de la Cour d'appel fédérale, citées ci-dessus, établissent le principe selon lequel il y a lieu de faire preuve d'un degré général de retenue à l'égard des décisions de la Commission. Toutefois, les deux Cours ont reconnu que le degré de retenue judiciaire devant être accordé à des décisions particulières de la Commission dépend des circonstances et, en particulier, de la nature de la décision prise et du contexte législatif. Une telle analyse, à mon avis, fait ressortir que l'on doit accorder une moins grande retenue à l'égard d'une décision de la Commission, prise en vertu de l'article 41 de la Loi, de ne pas faire enquête sur une plainte, contrairement au degré de retenue beaucoup plus grand qui est dû à la Commission quand celle-ci décide, après enquête et examen des observations formulées par les parties visées, de rejeter une plainte en vertu de l'article 44 de la Loi ou de demander la formation d'un tribunal des droits de la personne pour enquêter sur la plainte et accorder, au besoin, les redressements appropriés. En fait, à mon avis, à l'intérieur même de l'article 41, en raison du libellé de chaque alinéa, il y a lieu d'accorder un niveau de retenue judiciaire différent parce que le degré de discrétion que le législateur a conféré à la Commission n'est pas le même pour chacun des alinéas de l'article 41.

[48]      Par exemple, en vertu de l'alinéa 41(1)a), la Commission doit examiner si la victime présumée de l'acte discriminatoire " devrait " épuiser d'abord les recours internes ou les procédures d'appel ou de règlement des griefs qui " lui sont normalement ouverts " ; dans ce cas, cela suppose l'examen et l'évaluation de facteurs différents de ceux dont la Commission tient compte pour les fins de l'alinéa 41(1)d ), afin de déterminer si la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi.

[49]      À mon avis, le texte même de la Loi mène à la conclusion à laquelle je suis parvenu concernant l'attitude stricte que la Commission est tenue d'adopter quand elle décide qu'une plainte est irrecevable. Tout d'abord, le législateur a indiqué que la Commission a l'obligation prima facie de statuer sur une plainte. Le paragraphe 41(1) stipule que " sous réserve de l'article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins [que] ". Deuxièmement, quand la Commission juge la plainte irrecevable, c'est-à-dire qu'elle décide de ne pas faire enquête sur la plainte, elle décide en fait du bien-fondé de la plainte en ce sens que cela clôt le dossier. Troisièmement, pour souligner l'importance d'une telle décision, la Loi oblige la Commission à motiver sa décision, et c'est là le seul exemple où la Loi impose à la Commission une condition au sujet de ses décisions.

[50]      Mes conclusions sont appuyées par deux décisions de la Cour. Dans la décision Société canadienne des postes c. C.C.D.P. (précitée), une affaire dans laquelle la Commission a décidé de faire enquête sur la plainte, le juge Rothstein affirme ceci à la page 243 :

         [3]      La décision que la Commission rend en vertu de l'article 41 intervient normalement dès les premières étapes, avant l'ouverture d'une enquête. Comme la décision de déclarer la plainte irrecevable clôt le dossier sommairement avant que la plainte ne fasse l'objet d'une enquête, la Commission ne devrait déclarer une plainte irrecevable à cette étape que dans les cas les plus évidents. Le traitement des plaintes en temps opportun justifie également cette façon de procéder. Une analyse fouillée de la plainte à cette étape fait, dans une certaine mesure du moins, double emploi avec l'enquête qui doit par la suite être menée. Une analyse qui prend beaucoup de temps retardera le traitement de la plainte lorsque la Commission décide de statuer sur la plainte. S'il n'est pas évident à ses yeux que la plainte relève d'un des motifs d'irrecevabilité énumérés à l'article 41, la Commission devrait promptement statuer sur elle.

[51]      Plus récemment, dans la décision Société canadienne des postes c. Barrette (précitée), le juge Evans dit ceci à la page 268 :

         [31]      De plus, comme ce texte législatif a pour objet de réduire les inégalités, d'où cette qualification de texte quasi constitutionnel, une cour de justice devrait hésiter à conclure que la Commission a commis une erreur en interprétant trop étroitement les exceptions à l'obligation que lui impose la Loi d'instruire les plaintes de discrimination. Par contre, il est discutable qu'un examen judiciaire attentif soit justifié lorsque la Commission décide de ne pas examiner une plainte, puisqu'il s'agit normalement d'une décision définitive.

                             [ non souligné dans l'original]


[52]      Appliquant ce raisonnement aux cas fondés sur l'article 41, je cite les décisions suivantes concernant la norme de contrôle. Tout d'abord, dans la décision Lukian c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1994), 80 F.T.R. 38, le juge en chef adjoint Jerome affirme ceci :

         [8]      D'une manière générale, les tribunaux judiciaires, appelés à se prononcer sur la manière dont un tribunal a exercé les pouvoirs discrétionnaires qui lui sont reconnus, hésiteront à intervenir, étant donné que ces tribunaux, en raison de la formation, de l'expérience, des connaissances et de l'expertise de leurs membres, sont, mieux que les cours de justice, en mesure d'exercer ces pouvoirs. Ainsi, puisque la décision rendue par la Commission se situe dans les limites du pouvoir discrétionnaire qui lui est reconnu, la Cour ne cherchera pas à s'immiscer dans la manière dont ce pouvoir est exercé, à moins qu'il ne soit démontré que la manière dont il a été exercé était contraire au droit. Or, le droit exige que la Commission examine chaque cas qui lui est présenté, qu'elle agisse de bonne foi, qu'elle tienne compte de l'ensemble des considérations pertinentes, qu'elle ne soit pas influencée par des considérations hors de propos et qu'elle n'agisse pas de manière arbitraire ou capricieuse ou pour une raison contraire à l'esprit de son texte d'habilitation.

[53]      Dans la décision Slattery (NE 2), (précitée), le juge MacKay, qui analysait une décision de la Commission fondée sur l'alinéa 41(1)d), tient le raisonnement suivant à la page 9 (11 en français) :

         [22]      Il ne fait aucun doute que l'établissement et l'administration d'une procédure d'enquête sur les plaintes déposées en vertu de l'article 40 sont dans les limites du pouvoir discrétionnaire conféré à la CCDP par sa loi habilitante. Cette Cour ne devrait intervenir que si elle est convaincue que la Commission a commis une erreur de droit ou a posé un acte déraisonnable dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire.

                             [ non souligné dans l'original]


Plus loin dans la même décision, le juge MacKay a approfondi son analyse sur la norme de contrôle quand il affirme à la page 12 (page 18 en français) :

         [35]      Les observations écrites présentées pour le compte de la requérante font valoir que la Commission devrait traiter une plainte, dans les circonstances de l'espèce comme en toute autre circonstance, [traduction] " en tenant pour acquis que les faits allégués par le plaignant sont vrais ou peuvent être prouvés ", ce qui est semblable à la norme employée par cette Cour dans une requête en radiation de plaidoirie ou demandant le rejet de l'action au motif qu'aucune cause d'action n'a été établie en droit. Si j'interprète bien la décision de la Commission, qui a implicitement accepté la recommandation et les motifs de l'enquêteuse, c'est essentiellement ce qui a été fait en l'espèce. La Commission a présumé que les faits allégués par la requérante dans sa plainte étaient vrais ou pouvaient être prouvés, mais ces " faits " ne s'étendent pas à l'interprétation que la requérante donne de la LCDP. La Commission a décidé que, d'après les faits allégués, il n'a pas été établi qu'un acte discriminatoire au sens de la Loi a été commis. Cette analyse va plus loin que l'évaluation des faits ; elle inclut une analyse du droit applicable aux faits allégués.
         [36]      La décision de la Commission, qui a implicitement conclu que la décision de l'arbitre et la conduite du médiateur ne constituaient pas des actes discriminatoires au sens du paragraphe 14(1), touche en bout de ligne à la compétence de la Commission. La norme que la Cour applique dans une demande de contrôle judiciaire sur une telle décision, à la lumière de l'opinion exprimée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Mossop, précité, sous la plume du juge La Forest à la page 583, [1993] 1 R.C.S., se fonde sur la justesse de la décision.

[54]      Citant la décision de la Cour d'appel fédérale dans Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (1997) 212 N.R. 63, le juge Rothstein, dans la décision Postes Canada (précitée), s'appuyant sur les mots " à moins qu'elle estime ", affirme ceci à la page 244 :

         Je crois que la même façon de voir est justifiée dans le cas de l'article 41 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La décision incombe à la Commission et elle est énoncée en des termes subjectifs, et non en des termes objectifs. La portée du contrôle judiciaire d'une telle décision est donc étroite. Seules des considérations comme la mauvaise foi de la Commission, l'erreur de droit ou le fait de se fonder sur des facteurs non pertinents s'appliquent.

[55]      Selon le juge Rothstein, lorsqu'une question de compétence est en cause, la Cour doit adopter la démarche qui a été exprimée par le juge en chef adjoint Thurlow (plus tard juge en chef) dans Canada (Procureur général) c. Cumming, [1980] 2 C.F. 122, aux pages 132 et 133 :

         Il est préférable pour la Cour de laisser le tribunal tenir ses enquêtes librement et de ne pas le lui interdire, sauf dans les cas où il est clair et indubitable que le tribunal n'est pas compétent pour statuer sur la question qui lui est soumise.

[56]      Les décisions Lukian, Slattery NE 2 et Postes Canada c. Association canadienne des maîtres de poste (précitées) illustrent la proposition appuyant l'existence d'un degré variable d'intervention dans l'examen des décisions de la Commission fondé sur l'article 41.

[57]      Dans le cas dont je suis saisi, j'adopte le critère formulé par le juge MacKay dans la décision Slattery NE 2 (précitée). Il traitait d'une situation visée à l'alinéa 41(1)d). Selon la nature de l'erreur alléguée, l'intervention est justifiée quand la Commission a posé un acte déraisonnable (la norme du caractère raisonnable) ou quand elle a commis une erreur de droit (la norme de la justesse de la décision).

I.      L'APPLICATION DES PRINCIPES À L'ESPÈCE

     a)      L'obligation légale d'examiner le rapport Dunphy

[58]      Bien que la CCDP n'ait pas déposé dans la présente instance d'affidavit permettant d'expliquer comment la Commission a traité la plainte de M. Brine, le dossier indique clairement ce qui suit :

     a)      La Commission a reçu le rapport d'enquête Dunphy le 4 avril 1997 ;
     b)      Le rapport Dunphy n'a pas été remis aux parties pour observations, ce qui est une condition d'équité procédurale, avant que la Commission prenne sa décision ;
     c)      Trois mois plus tard, après avoir reçu le rapport, le dossier (la plainte de M. Brine) a été transmis à M. Raymond ;
     d)      M. Raymond n'a pas, en tant que tel, refait enquête sur la plainte de M. Brine, mais il s'est plutôt contenté d'effectuer une analyse fondée sur les articles 40 et 41 en énonçant des considérations qui pouvaient mener la Commission à décider, avant de procéder à une enquête, de ne pas instruire la plainte de M. Brine, alors qu'une enquête avait déjà été faite ;
     e)      Les commissaires n'avaient pas le rapport Dunphy en main quand ils ont décidé de ne pas instruire la plainte de M. Brine en vertu de l'alinéa 41(1)d) de la Loi ;
     f)      La Commission avait en main l'analyse Raymond fondée sur les articles 40 et 41 quand elle a pris sa décision, de même que les motifs complets de l'arbitre.

[59]      La Loi impose clairement à la Commission l'obligation d'examiner le rapport d'enquête qu'elle a reçu. Un manquement à cette obligation légale est un manquement fondamental qui exige, à mon avis, d'infirmer la décision de la Commission. Il s'agit d'une erreur de droit. Une lecture de l'article 44 de la Loi nous mène obligatoirement à la conclusion que la réception du rapport de l'enquêteur est la mesure qui déclenche toutes les mesures importantes qui sont prises subséquemment par la Commission.

[60]      Dans l'arrêt Canada (Commission des droits de la personne) c. Pathak, [1995] 2 C.F. 455 (C.A.F.), le juge MacGuigan affirme ceci à la page 464 :

         Seuls le rapport de l'enquêteur et les observations des parties sont nécessaires pour la décision de la Commission.

À la page 465, le juge MacGuigan poursuit, après avoir analysé l'économie de la Loi, et en particulier, l'article 44 :

         Tout arrive lorsque le rapport est reçu. Le rapport n'est pas seulement ce qui déclenche l'action de la Commission, c'est aussi le seul document formant la base de la décision de la Commission sur la manière de régler la plainte.

[61]      À mon avis, l'arrêt Pathak, (précité), appuie la proposition selon laquelle, bien que la Commission soit maître de sa propre procédure (un argument débattu avec vigueur devant moi par l'avocat de Ports Canada) et qu'elle dispose d'une grande latitude pour examiner et gérer les plaintes, ces éléments ne lui permettent pas d'ignorer les mesures procédurales que le législateur a prescrites.

[62]      Dans la décision Lukian c. C.N., (précitée), le juge en chef adjoint Jerome était saisi d'un cas où un premier rapport d'enquêteur avait été reçu par la Commission et avait été communiqué aux parties pour obtenir leurs observations. Une autre enquêteuse a ensuite été désignée, pour des raisons que le juge en chef adjoint Jerome décrit comme ceci : " puis, pour des raisons qui demeurent mal expliquées, la défenderesse demanda à la Commission un complément d'enquête sur sa plainte ". Le rapport de la deuxième enquêteuse et les observations des parties étaient devant la Commission quand celle-ci a pris sa décision. Toutefois, à ce moment, la Commission n'avait pas le rapport du premier enquêteur et les observations des parties sur ce rapport. Le juge en chef adjoint Jerome a accueilli la demande de contrôle judiciaire et infirmé la décision de la Commission en s'appuyant sur les motifs suivants :

         [9]      Dans certains cas, c'est en examinant ce texte d'habilitation que l'on saisit les facteurs dont devrait tenir compte un tribunal administratif dans l'exercice de ses pouvoirs de décision. Il est vrai, en l'espèce, que la Commission est libre d'adopter ou de rejeter les conclusions exposées par un enquêteur dans son rapport, et qu'elle n'est pas tenue d'étudier tout le dossier de l'enquête. J'estime, cependant, qu'à partir du moment où la Commission charge un enquêteur, comme le prévoit le paragraphe 43(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, elle doit tenir compte du rapport qui lui est présenté, ce document étant d'une indiscutable pertinence lorsqu'il s'agit de décider si les circonstances de l'affaire justifient qu'on donne suite à la plainte.

                             [ non souligné dans l'original]


[63]      L'opinion du juge en chef adjoint Jerome est confirmée par deux décisions récentes de la Cour d'appel fédérale. Dans l'arrêt Slattery (NE 1) c. Canada (Commission des droits de la personne) (1996), 205 N.R. 383 (C.A.F.), le juge Hugessen était saisi d'un appel de la décision de mon collègue le juge Nadon rejetant une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Commission fondée sur le sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi. La Commission avait rejeté la plainte parce que la preuve de l'allégation de discrimination n'était pas fondée. En rejetant l'appel, le juge Hugessen a déclaré ce qui suit :

         [TRADUCTION]
         Nous sommes tous d'avis que la Commission a pleinement respecté son obligation d'équité envers la plaignante quand elle lui a communiqué le rapport de l'enquêteur, qu'elle lui a donné toute la possibilité d'y répondre et quand elle a examiné cette réponse avant de parvenir à sa décision.

                             [ non souligné dans l'original]


[64]      Dans Bell Canada c. C.C.D.P. (précité), le juge Décary a examiné sa décision antérieure dans Slattery (NE 1), précitée. À la page 139 de la décision publiée, le juge Décary a rejeté l'argument d'équité procédurale soulevé parce que la Commission avait fait exactement ce que la jurisprudence de la Cour, aussi récemment que dans Slattery (NE 1), (précitée), lui avait dit de faire.

[65]      Les opinions du juge Hugessen dans l'arrêt Slattery (NE 1), et du juge Décary dans Bell, (précités), confirment l'obligation légale qui est faite à la Commission d'examiner un rapport d'enquêteur une fois qu'elle a reçu ce rapport, de même que l'obligation, fondée sur l'équité procédurale, d'obtenir les observations des parties sur ce rapport avant de prendre sa décision. La Commission a manqué à son obligation légale et à l'équité procédurale en l'espèce. Elle n'a pas examiné le rapport Dunphy, comme la Loi l'y obligeait avant de statuer sur la plainte et elle n'avait pas en main les observations des parties sur ce rapport avant de rendre sa décision.

     b)      L'alinéa 41(1)d) a-t-il été invoqué à bon droit ?

[66]      À l'ouverture de l'audience sur cette affaire, j'ai signalé aux avocats que la Commission avait formulé sa décision de ne pas examiner la plainte de M. Brine comme étant une décision autorisée par l'alinéa 41(1)d) de la Loi. Aucune des parties ne s'est initialement demandé si l'alinéa 41(1)d) avait été à bon droit invoqué dans cette affaire. J'ai demandé aux parties de me soumettre après l'audience leurs observations quant à savoir si cet article avait été correctement invoqué dans les circonstances.

[67]      La raison qu'a donnée la Commission pour ne pas examiner la plainte se fondait sur le règlement dans lequel il est déclaré que M. Brine reconnaît que Ports Canada a satisfait à toutes ses obligations en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[68]      La Commission avait en main l'analyse de M. Raymond fondée sur les articles 40 et 41, dans laquelle il dit ceci au paragraphe 4 :

         4.      [TRADUCTION] [...] Prenant note de l'argument du plaignant selon lequel il n'était pas en mesure de prendre des décisions appropriées, d'après la preuve médicale, l'arbitre a conclu le 2 juin 1997 que le règlement liait les deux parties.

[69]      Quand la Commission décide de ne pas instruire une plainte aux termes de l'alinéa 41(1)d) aux motifs que la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi, elle doit, à mon avis, disposer d'un fondement légal et factuel très solide et ses motifs doivent être compatibles avec l'objet de la Loi et son rôle en tant qu'organisme d'examen préalable.

[70]      Je ne suis pas convaincu qu'en l'espèce la Commission avait réuni les éléments nécessaires pour lui permette de rejeter cette plainte aussi tôt dans la procédure. En faisant cette affirmation, je pense à la politique publique qui a pour but de donner effet aux règlements entre les parties et au rôle que le législateur a confié à la Commission de séparer les causes fondées de celles qui ne le sont pas. À mon avis, le point qu'il faut garder à l'esprit, c'est l'étape à laquelle ce tri se fait : c'est-à-dire avant ou après une enquête. Dans ce contexte, je note que la Commission conserve la possibilité de rejeter la cause (plutôt que de refuser d'examiner la plainte), après enquête, aux motifs que la plainte est frivole, etc. Cette option est expressément préservée au sous-alinéa 44(3)b)(ii) qui prévoit " que la plainte doit être rejetée pour l'un des motifs énoncés aux sous-alinéas 41(1)c ) à e) ".

[71]      À mon avis, la Commission ne disposait pas d'un fondement factuel suffisant pour ne pas examiner la plainte de M. Brine. Une analyse des motifs de l'arbitre Outhouse n'appuie tout simplement pas la conclusion de fait à laquelle est parvenu M. Raymond selon laquelle l'arbitre Outhouse a fondé sa décision sur l'état de santé de M. Brine quand il a maintenu la validité du règlement et de la renonciation. Sa décision n'a pas été prise pour cette raison, mais bien pour d'autres motifs. Dans la décision Gill, (précitée), le juge Reed a infirmé une décision de la Commission de ne pas examiner une plainte fondée sur l'alinéa 41(1)d) parce que l'analyse sommaire renfermait une grave erreur d'interprétation d'une opinion. À mon avis, l'analyse Raymond qui était entre les mains de la Commission quand elle pris sa décision en l'espèce renfermait une erreur semblable.

[72]      En outre, à mon avis, le fondement légal de la décision de la Commission en l'espèce est également erroné. La Commission semble être d'avis que la simple existence d'une renonciation qui déclare que le plaignant était convaincu que l'employeur avait satisfait à toutes ses obligations en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne était, en soi, suffisant pour refuser d'examiner la plainte. À mon avis, cela constitue une erreur de droit. Dans Robichaud et autre c. La Reine (1987), 40 D.L.R. (4th) 577 (C.S.C.), la Cour a examiné des questions découlant de la plainte déposée en vertu de la Loi par une employée contre son employeur, le ministère de la Défense nationale, et son superviseur au motif qu'elle avait été agressée sexuellement par son superviseur. Avant que la Cour suprême n'entende l'argumentation, les parties en étaient venues à un règlement. L'existence de ce règlement a été communiquée à la Cour. Le juge La Forest, s'exprimant au nom de la Cour, dit ceci à la page 586 de la décision publiée :

             Finalement, on nous a avisés qu'un règlement est intervenu avec Mme Robichaud, mais il se peut que cela ne résolve pas entièrement le problème décelé.                      [ non souligné dans l'original]

[73]      L'affaire a ensuite été réexaminée par un tribunal de révision dans Bonnie Robichaud c. La Reine et autre (1990), 11 C.H.R.R. D/194. Le tribunal de révision a décidé de ne pas rejeter le règlement pour des motifs de contrainte et de questions de politique publique. Il dit ceci au paragraphe 19 :

         19.      Dans une certaine mesure, nous sommes d'accord avec ces arguments. Il s'agit effectivement d'une entente valide, obligatoire et exécutoire. Nous estimons que les arguments avancés par Mme Robichaud, selon lesquels l'entente a été conclue sous la contrainte, par suite de l'exercice d'un abus d'autorité, en l'absence des services adéquats d'un avocat et par suite de l'exercice de pressions indues, ne sont pas convaincants.

Le tribunal de révision a ensuite examiné les redressements prévus par la Loi qui servent un objectif d'intérêt public étendu en termes de réparation des préjudices moraux (de nature privée) et ceux qui servent l'intérêt public par les facteurs dissuasifs qu'ils présentent pour les employeurs ou par les moyens éducatifs par lesquels les employés sont prévenus contre des questions comme un milieu de travail malsain ou les relations de pouvoir ou de vulnérabilité existant entre le superviseur et le supervisé. Le tribunal de révision a statué que, pour pouvoir s'acquitter de ses fonctions prévues par la Loi, il devait examiner les modalités du règlement pour s'assurer que celui-ci " résout entièrement " les questions d'intérêt public en cause.

[74]      À mon avis, la Commission était tenue d'évaluer et d'examiner les circonstances en vertu desquelles le règlement et la renonciation ont été conclus entre M. Brine et Ports Canada du point de vue de la Loi, c'est-à-dire de déterminer si, dans les circonstances, il y avait suffisamment de preuves pour justifier de demander à un tribunal des droits de la personne " d'enquêter sur la plainte ", permettant ainsi à ce tribunal de déterminer, après l'audition de toute la preuve, l'étendue, selon le cas, des redressements prévus dans la Loi. Le dossier indique clairement que la Commission n'a pas fait cette analyse obligatoire. Certaines de ces questions avaient été abordées dans le rapport Dunphy mais, comme on l'a noté, les commissaires n'avaient pas ce rapport en main au moment où ils ont pris leur décision.

[75]      Je conclus que cette affaire n'est pas le type de cause manifeste où il est approprié d'invoquer, en fait ou en droit, l'alinéa 41(1)d).

J.      DISPOSITIF

[76]      Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, avec dépens, la décision de la Commission refusant d'examiner la plainte de M. Brine est infirmée et l'affaire est renvoyée à la Commission pour nouvel examen.

     " François Lemieux "

    

     J U G E

OTTAWA (ONTARIO)

LE 20 SEPTEMBRE 1999


Traduction certifiée conforme



Laurier Parenteau, LL.L.


     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


NE DU GREFFE :                  T-104-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :          Bruce Brine c. Le Procureur général du Canada et autre

LIEU DE L'AUDIENCE :              Halifax (N.-É.)

DATE DE L'AUDIENCE :          le 13 avril 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :      le juge Lemieux

DATE :                      le 20 septembre 1999


ONT COMPARU :

Robert L. Barnes, c.r.              pour le demandeur

Alan J. Stern, c.r.                  pour les défendeurs

Jane O'Neil


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Burchell Hayman Barnes              pour le demandeur

Avocats et procureurs

Halifax (N.-É.)

Morris Rosenberg                  pour les défendeurs

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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