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Date : 20011121

Dossier : T-646-01

Référence neutre : 2001 CFPI 1280

ENTRE :

CLEM PAUL et ALLIANCE MÉTIS NORTH SLAVE

                                                                                                                                                     demandeurs

                                                                                   et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

LE GOUVERNEMENT DU CANADA, représenté par le

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, LE MINISTRE

DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD, LE

GOUVERNEMENT DES TERRITOIRES DU NORD-OUEST,

LA PREMIÈRE NATION DOGRIB, représentée par LE

CONSEIL DES DOGRIB SIGNATAIRES DU TRAITÉ N ° 11,                           JEAN-YVES ASSINIWI, JOHN B. ZOE, JAMES LAWRENCE, JEAN UNTEL N ° 1, JEAN UNTEL N ° 2 ET JEAN UNTEL N ° 3

                                                                                                                                                       défendeurs

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

INTRODUCTION


[1]                 Clem Paul est un Métis qui réside à Yellowknife (Territoires du Nord-Ouest) et qui se décrit comme un descendant des familles métis qui se sont établies dans la région North Slave, située dans les Territoires du Nord-Ouest. L'Alliance métis North Slave (l'Alliance) est une organisation à but non lucratif dont l'objet est de promouvoir les intérêts des Métis indigènes dans la région de North Slave, dont une partie se trouve dans le territoire visé par le Traité n ° 11, signé en 1921.

[2]                 Clem Paul et l'Alliance ont engagé une action devant la Cour le 12 avril 2001 afin d'obtenir différentes déclarations contre les défendeurs par suite de négociations portant sur des revendications territoriales qui ont débuté en 1992 entre le gouvernement fédéral, le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest (GTN-O) et la Première nation Dogrib (la Première nation Dogrib). Ces négociations ont donné lieu à un accord de principe sur la revendication territoriale globale et l'autonomie gouvernementale (ADP) qui a été conclu le 7 janvier 2000.

[3]                 Les demandeurs ont désigné les négociateurs de cet ADP à titre de défendeurs. Le défendeur Jean-Yves Assiniwi a négocié au nom du gouvernement fédéral, le défendeur John B. Zoe, au nom du Conseil des Dogrib signataires du Traité n ° 11 et de la Première nation Dogrib, et le défendeur James Lawrence, au nom du GTN-O. Les défendeurs Jean Untel n ° 1, Jean Untel n ° 2 et Jean Untel n ° 3 sont les successeurs de ces négociateurs.


[4]                 Invoquant les alinéas a), b), c) et f) du paragraphe 221(1) des Règles de la Cour fédérale (1998) (les Règles), les négociateurs défendeurs ont demandé à la Cour de rendre une ordonnance radiant la déclaration des demandeurs formulée contre eux ou leurs successeurs au motif qu'elle ne révèle aucune cause d'action valable, qu'elle n'est pas pertinente ou qu'elle est redondante, qu'elle est frivole ou vexatoire ou qu'elle constitue un abus de procédure. Aucune requête en radiation n'a été présentée par le gouvernement fédéral, le GTN-O et la Première nation Dogrib, qui demeureront défendeurs.

LES RÈGLES

[5]                 La règle 221 est ainsi libellée :


221. (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d'un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

a) qu'il ne révèle aucune cause d'action ou de défense valable;

b) qu'il n'est pas pertinent ou qu'il est redondant;

c) qu'il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

d) qu'il risque de nuire à l'instruction équitable de l'action ou de la retarder;

e) qu'il diverge d'un acte de procédure antérieur;

f) qu'il constitue autrement un abus de procédure.

Elle peut aussi ordonner que l'action soit rejetée ou qu'un jugement soit enregistré en conséquence.

Preuve

221(2)

(2) Aucune preuve n'est admissible dans le cadre d'une requête invoquant le motif visé à l'alinéa (1)a).

221. (1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

(b) is immaterial or redundant,

(c) is scandalous, frivolous or vexatious,

(d) may prejudice or delay the fair trial of the action,

(e) constitutes a departure from a previous pleading, or

(f) is otherwise an abuse of the process of the Court,

and may order the action be dismissed or judgment entered accordingly.

Evidence

221(2)

(2) No evidence shall be heard on a motion for an order under paragraph (1)(a).


LES CRITÈRES

[6]                 Les critères à établir pour obtenir la radiation d'une déclaration au motif qu'elle ne révèle aucune cause d'action valable ou qu'elle est frivole ou vexatoire sont bien connus.


[7]                 Dans une requête en radiation fondée sur l'absence de cause d'action valable, aucun élément de preuve ne peut être présenté et tous les faits plaidés dans la déclaration sont tenus pour avérés. Une déclaration ne sera radiée que dans les cas évidents où le tribunal est convaincu de l'absence de tout doute (Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada, [1980] 2 R.C.S. 735, à la page 740). Une déclaration ne sera pas radiée si elle révèle une cause d'action valable, c'est-à-dire une cause d'action qui a quelques chances de succès, mais sera radiée s'il est évident et manifeste que l'action ne saurait aboutir (Operation Dismantle Inc. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441, aux pages 486 et 487).

[8]                 Dans l'arrêt Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 859, à la page 980, Madame le juge Bertha Wilson a formulé les remarques suivantes :

Comme en Angleterre, s'il y a une chance que le demandeur ait gain de cause, alors il ne devrait pas être « privé d'un jugement » . La longueur et la complexité des questions, la nouveauté de la cause d'action ou la possibilité que les défendeurs présentent une défense solide ne devraient pas empêcher le demandeur d'intenter son action.

[9]    Par ailleurs, dans l'arrêt Succession Creaghan c. La Reine, [1972] C.F. 732 (C.A.F.), le juge Pratte a souligné qu'une déclaration ne devrait pas être radiée au motif qu'elle est frivole ou vexatoire simplement parce que le juge des requêtes estime que l'action du demandeur devrait être rejetée. Il s'est ensuite exprimé comme suit à la page 736 :

Je suis d'avis que le juge qui préside ne doit pas rendre une pareille ordonnance à moins qu'il ne soit évident que l'action du demandeur est tellement futile qu'elle n'a pas la moindre chance de réussir, quel que soit le juge devant lequel l'affaire sera plaidée au fond. C'est uniquement dans ce cas qu'il y a lieu d'enlever au demandeur l'occasion de plaider.


[10]            La règle 221b) porte sur un acte de procédure qui n'est pas pertinent ou qui est redondant. Un acte de procédure « qui n'est pas pertinent » est habituellement un document qui est étranger à la question ou qui n'entraîne aucune conséquence. Par ailleurs, un acte de procédure est « redondant » lorsqu'il est superflu ou qu'il n'est pas nécessaire. Pour appliquer cette règle, il convient d'utiliser une interprétation contextuelle, c'est-à-dire de tenir compte des autres règles, en l'occurrence, la règle 104, qui concerne la mise en cause.

LA DÉCLARATION

[11]            La déclaration des demandeurs renvoie à maintes reprises aux négociateurs défendeurs et comporte plusieurs allégations contre eux.

[12]            D'abord, chaque négociateur défendeur est décrit comme [TRADUCTION] « un mandataire... autorisé à négocier » . Voici le texte du paragraphe 9 de la déclaration, qui concerne le négociateur fédéral :

[TRADUCTION]

9.             Le défendeur Jean-Yves Assiniwi (Assiniwi) est un mandataire du gouvernement fédéral qui est autorisé à négocier au nom de celui-ci avec les représentants autochtones concernant un accord sur des revendications territoriales au sens du paragraphe 35(3) de la Loi constitutionnelle de 1982 en ce qui concerne la région North Slave. Le défendeur Jean Untel n ° 1 s'entend de toute personne qui succède à Assiniwi à ce titre.

[13]            Dans la même veine, le défendeur John B. Zoe est décrit comme un mandataire du Conseil des Dogrib qui est autorisé à négocier au nom de celui-ci et de la Première nation Dogrib, tandis que le défendeur James Lawrence est décrit comme un mandataire du GTN-O autorisé à négocier au nom de celui-ci.

[14]            Les paragraphes 35 à 38 de la déclaration des demandeurs renferment des allégations de manquement qui visent les mandants des négociateurs :


[TRADUCTION]

35.           Les Métis de North Slave sont membres d'un « peuple autochtone » au sens de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et possèdent des droits ancestraux qui sont protégés par cette même disposition en ce qui concerne leur utilisation et leur occupation de la région North Slave. La signature de l'ADP et la poursuite des négociations menant vers l'accord définitif sans égard aux droits des demandeurs constituent une violation injustifiable des droits reconnus à ceux-ci à l'article 35.

36.           Les demandeurs déclarent que les défendeurs, La Reine, le procureur général, le ministre, le GTN-O et la nation Dogrib ont le devoir de consulter de bonne foi tous les peuples autochtones ayant des droits dans la région North Slave. Tous les défendeurs étaient au courant ou auraient dû être au courant de la revendication des demandeurs portant sur les titres et droits ancestraux reconnus à l'article 35 à l'égard de la région North Slave. Les demandeurs déclarent qu'en omettant de prendre des mesures en vue de les consulter au sujet des répercussions de l'ADP et de l'accord définitif sur ces droits, les défendeurs ont commis un manquement à leur devoir de consultation.

37.           Les demandeurs déclarent qu'en raison des liens historiques entre tous les peuples autochtones et la Couronne, notamment au plan législatif, les défendeurs, La Reine, le gouvernement fédéral, le ministre et le GTN-O ont envers les demandeurs un devoir fiduciaire relativement aux rapports qu'ils entretiennent avec eux au sujet des droits ancestraux et des droits issus de traités desdits demandeurs.

38.           Plus précisément, les défendeurs, La Reine, le procureur général, le ministre, le gouvernement fédéral et le GTN-O doivent éviter, dans le cadre de leur obligation fiduciaire, de placer leurs intérêts ou les intérêts d'un peuple autochtone ayant des droits équivalents à ceux des demandeurs avant les intérêts de ceux-ci. [non souligné à l'original]

[15]            Au paragraphe 39 de leur déclaration, les demandeurs établissent un lien comme suit entre les fonctions des négociateurs et le rôle des mandants de ceux-ci :


[TRADUCTION]

39.           Assiniwi, Zoe, Lawrence, Jean Untel n ° 1, Jean Untel n ° 2 et Jean Untel n ° 3 (les négociateurs) ont envers les demandeurs les mêmes devoirs qu'ont leurs mandants et qui sont décrits aux paragraphes 36 à 38 qui précèdent. [non souligné à l'original]

[16]            Les paragraphes 42 et 43 comportent des allégations précises à l'endroit des négociateurs :

[TRADUCTION]

42.           Les demandeurs déclarent que les mandats des négociateurs doivent être compatibles avec le devoir de consultation et les obligations fiduciaires des mandants de ceux-ci ainsi qu'avec l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Les demandeurs déclarent que les négociateurs agissent et continuent d'agir sans être habilités à le faire, dans la mesure où leurs mandats ou actions vont à l'encontre de ces droits et obligations.

43.            Les demandeurs déclarent que les politiques du gouvernement fédéral actuel et du GTN-O au sujet des revendications territoriales obligent les négociateurs participant à une négociation relative à une revendication territoriale à consulter les tierces parties intéressées quant aux répercussions d'un accord connexe sur les intérêts des parties en question. Les demandeurs ont un statut nettement supérieur à celui d'une tierce partie et, pourtant, les négociateurs ne les ont pas consultés ni n'ont consulté un Métis de North Slave au sujet l'ADP ou de l'accord définitif. Les demandeurs déclarent que les négociateurs ont dépassé leur compétence et ont agi sans être habilités à le faire. [non souligné à l'original]

[17]            Au paragraphe 47 de leur déclaration, les demandeurs énoncent les réparations qu'ils recherchent, soit des déclarations, une injonction et, subsidiairement, des dommages-intérêts.


[18]            Dans certains cas, les réparations sont demandées à l'encontre de l'ensemble des défendeurs, sans qu'une distinction soit établie entre eux. Ainsi, à l'alinéa 47a), les demandeurs demandent une déclaration portant qu'en signant l'ADP et en poursuivant les négociations en vue de conclure un accord définitif sans reconnaître ou protéger les droits desdits demandeurs, les défendeurs ont violé les droits ancestraux de ceux-ci et des Métis de North Slave qu'ils représentent, contrevenant de ce fait à l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. De plus, à l'alinéa 47b), les demandeurs demandent une déclaration portant que les défendeurs ont violé les droits à l'égalité desdits demandeurs et des Métis de North Slave qu'ils représentent, contrevenant de ce fait à l'article 15 de la Charte. Les alinéas 47d), f) et g) comportent une demande de déclaration similaire.

[19]            Dans d'autres cas, la déclaration recherchée vise certains défendeurs. Ainsi, au paragraphe 47c) de leur déclaration, les demandeurs demandent une déclaration portant que, dès l'acceptation des revendications territoriales de l'Alliance, [TRADUCTION] « La Reine, le gouvernement fédéral, le ministre et le GTN-O ainsi que les négociateurs étaient tenus de négocier de bonne foi avec les demandeurs au sujet des revendications des Métis de North Slave portant sur les droits et titres autochtones dans la région North Slave » . Un autre exemple est l'alinéa 47e), où les demandeurs demandent une déclaration portant que [TRADUCTION] « La Reine, le gouvernement fédéral, le ministre, le GTN-O et les négociateurs ont commis un manquement au devoir fiduciaire qu'ils ont envers les demandeurs et les Métis de North Slave qu'ils représentent » .


[20]            En ce qui a trait à l'injonction, les demandeurs demandent, à l'alinéa 47h), une ordonnance d'injonction interdisant aux défendeurs de prendre d'autres mesures menant à la signature de l'accord définitif tant que les manquements aux droits décrits des demandeurs n'auront pas été corrigés.

[21]            En ce qui concerne la demande de dommage-intérêts, l'alinéa 47i) prévoit ce qui suit :

[TRADUCTION]

i)              Subsidiairement, les demandeurs demandent des dommages-intérêts selon un montant équivalent à la valeur de leurs droits et titres autochtones dans la région North Slave, lequel montant sera établi à l'instruction du présent litige.

CONCLUSIONS

[22]            À mon avis, les négociateurs actuels, Jean-Yves Assiniwi, John B. Zoe et James Lawrence ainsi que leurs successeurs devraient être radiés de la déclaration des demandeurs au motif que celle-ci ne révèle aucune cause d'action valable contre eux et qu'elle est frivole et vexatoire et ne mènera à aucun résultat pratique.

[23]            Comme les parties en ont convenu, j'ai examiné l'ADP, parce qu'il est mentionné de façon explicite dans la déclaration. Ce document n'est pas une « preuve » dont la présentation est interdite par la règle 221(2) des Règles de la Cour fédérale (1998) (voir Harris c. Canada, [2000] 4 C.F. 37 (C.A.F.), ayant pour effet d'approuver le jugement que la Cour d'appel de l'Ontario a rendu dans Web Offset Publications Limited et al c. Vickery et al (1999), 43 O.R. (3d) 802 (C.A.)). Je n'ai nullement tenu compte des politiques du gouvernement fédéral qui concernent les revendications territoriales et qui sont énoncées dans le dossier de M. Assiniwi.


[24]            De toute évidence, la réclamation visant Jean Untel n ° 1, Jean Untel n ° 2 et Jean Untel n ° 3 doit être radiée, parce que ces personnes, indépendamment de leur identité, ne sont pas les négociateurs actuels et n'ont rien à voir avec les actes que les demandeurs reprochent aux défendeurs. La déclaration que les demandeurs ont déposée contre eux est purement hypothétique (voir Bell Canada c. Pizza Pizza Ltd. et al (1993), 48 C.P.R. (3d) 129 (C.F. 1re inst.)).

[25]            Une des principales raisons pour lesquelles les négociateurs actuels doivent être radiés de la déclaration des demandeurs est le fait que celle-ci ne révèle aucun fait important sur lequel ils se fondent.

[26]            Les demandeurs admettent volontiers qu'ils ne sont pas au courant du mandat ou de la portée du pouvoir dont les négociateurs étaient investis. Ils admettent également que les faits portés à leur connaissance ne leur permettent pas de faire valoir l'existence d'un devoir fiduciaire indépendant, mais ils soutiennent qu'il n'est peut-être pas nécessaire de conclure à un manquement indépendant, parce que la participation consciente à la violation d'un devoir fiduciaire est également reconnue comme un droit d'action. Toutefois, ils n'allèguent pas que les négociateurs actuels ont participé sciemment à la violation d'un devoir fiduciaire. Cet aspect de la déclaration des demandeurs est hypothétique


[27]            Selon les demandeurs, il se peut que chacun des négociateurs actuels soit investi d'un pouvoir discrétionnaire lui permettant de décider si un groupe autochtone donné sera consulté, mais ils ne peuvent plaider aucun fait au sujet de ce pouvoir discrétionnaire. De l'avis des demandeurs, il est possible que les négociateurs se soient vu confier un mandat les obligeant à se comporter d'une manière qui va à l'encontre de la Charte, mais il est tout aussi possible que ces négociateurs aient agi d'une façon qui dépassait les limites de leur mandat et du pouvoir qui leur avait été accordé. Les demandeurs admettent qu'il est impossible d'établir la portée et les limites du pouvoir de chaque négociateur sans procéder à un interrogatoire préalable des défendeurs.

[28]            Dans l'arrêt Painblanc c. Kastner et al. (1994), 58 C.P.R. (3d) 502, la Cour d'appel fédérale a radié d'une action en contrefaçon un défendeur qui était désigné à titre de défendeur personnel. Le juge Hugessen, qui était alors membre de la Section d'appel, s'est exprimé comme suit à la page 503 :

Il appert clairement de la preuve dont le juge des requêtes a été saisi que les demandeurs-intimés n'avaient aucun autre élément de preuve et ne connaissaient aucun autre fait susceptible d'engager la responsabilité personnelle de Painblanc autrement qu'à titre d'actionnaire majoritaire et parfois d'administrateur délégué de l'entreprise. Ces éléments sont manifestement insuffisants... .

Le savant juge des requêtes semble avoir pensé qu'il fallait permettre aux demandeurs-intimés de déterminer s'ils pouvaient apprendre d'autres faits et obtenir d'autres éléments de preuve impliquant Painblanc lui-même au cours de l'interrogatoire préalable. La Cour est d'avis qu'en concluant en ce sens, le juge a commis une erreur de droit et s'est fondé sur un principe erroné. Une action en justice n'est pas une enquête à l'aveuglette et une partie demanderesse qui intente des poursuites en se fondant sur le simple espoir qu'elles lui fourniront des preuves justifiant ses prétentions utilise les procédures de la Cour de façon abusive.


[29]            La deuxième raison de radier les négociateurs actuels de la déclaration des demandeurs réside dans le principe bien connu des règles relatives au mandat selon lequel lorsque le mandat est déclaré (et, dans la présente affaire, les demandeurs soutiennent que les négociateurs étaient des mandataires habilités à négocier), seul le mandant est responsable.

[30]            La décision que la Cour d'appel de la Saskatchewan a rendue dans Westfair Foods Ltd. c. Avon Shopping Centre Inc. (1988), 72 Sask. R. 71, est pertinente. Dans cette affaire, une injonction était demandée à l'encontre d'un mandataire qui annonçait publiquement de nouveaux locaux à louer. La déclaration visant le mandataire a été radiée et le juge Cameron s'est exprimé comme suit à la page 74 :

[TRADUCTION] Cependant, il est incapable de louer lui-même les lieux ou d'accorder des droits de cette nature. Seule la société, Avon, peut le faire; c'est pourquoi, dans l'ensemble, nous avons conclu qu'aucune cause d'action valable n'a été établie contre M. Kornberg à titre personnel et que la déclaration est vexatoire à cet égard ...

S'il appert de l'interrogatoire préalable que M. Kornberg aurait peut-être une part de responsabilité, Westfair pourra demander l'autorisation de le mettre en cause. Entre-temps, il nous semble que, d'après la déclaration, il ne devrait pas être partie à l'action, du moins à ce stade-ci.

[31]            Les principes énoncés dans l'arrêt Westfair s'appliquent en l'espèce. Il se peut qu'au cours de l'interrogatoire préalable, des faits importants soient dévoilés et justifient l'ajout d'un ou de plusieurs négociateurs comme parties par ordonnance de la Cour.


[32]            Si nous laissons de côté pour un moment la démarche menant à l'ADP, la source des droits des demandeurs qui sont énoncés à l'article 35 de la Charte canadienne des droits et libertés ou autrement et qui auraient été violés est l'accord en question que les négociateurs n'ont pas signé ou l'accord définitif qu'ils ne signeront pas non plus. Les demandeurs reconnaissent que le gouvernement fédéral, le GTN-O et la Première nation Dogrib sont les parties autorisées à conclure des accords.

[33]            En troisième lieu, les négociateurs actuels ne sont pas des parties nécessaires en l'espèce, puisque les demandeurs peuvent obtenir une réparation efficace des mandants de ceux-ci. L'acte de procédure est redondant à cet égard. Cette conclusion repose sur plusieurs raisons.

[34]            Les déclarations recherchées portent sur des manquements à la Charte et à des devoirs fiduciaires qui sont les mêmes que les manquements reprochés aux mandants et qui donneraient lieu (sauf dans le cas de la Première nation Dogrib), s'ils sont établis, à une responsabilité directe du gouvernement fédéral et, subsidiairement, du GTN-O). De plus, il n'est pas nécessaire que les négociateurs soient désignés comme parties pour que l'injonction demandée soit efficace. À toutes fins utiles, cette injonction s'appliquerait aux négociateurs et les avocats du gouvernement fédéral et du GTN-O l'ont reconnu à l'audience.


[35]            Il y a une autre raison pour laquelle les négociateurs ne sont pas des parties nécessaires, même si les demandeurs ont soutenu que ceux-ci avaient dépassé les limites de leur mandat ou que leur conduite allait à l'encontre du devoir de consultation et du devoir fiduciaire de leurs mandants ainsi que des obligations énoncées à l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Si les demandeurs prouvent que les négociateurs ont dépassé les limites de leur mandat au cours des négociations, les mandants de ceux-ci seraient directement responsables, parce qu'ils ont ratifié cette conduite en signant l'ADP, et admettraient cette conduite en signant l'accord définitif.

[36]            Les demandeurs m'ont demandé de ne pas radier les négociateurs de l'action si j'en arrive à la conclusion que la déclaration est viciée, mais plutôt de leur permettre de modifier leur acte de procédure. Compte tenu de ma conclusion, qui repose sur trois motifs différents, je ne vois pas comment la modification de l'acte de procédure permettrait d'en arriver à un résultat différent.

DÉCISION

[37]            Pour tous les motifs exposés ci-dessus, Jean-Yves Assiniwi, John B. Zoe, James Lawrence, Jean Untel n ° 1, Jean Untel n ° 2 et Jean Untel n ° 3 sont radiés de la déclaration des demandeurs à titre de défendeurs. Les dépens de la présente requête suivront l'issue de la cause.

            « François Lemieux »            

Juge

OTTAWA (ONTARIO)

LE 21 NOVEMBRE 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


                                              COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                       SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                              T-646-01

INTITULÉ DE LA CAUSE :                          Clem Paul et al c. Sa Majesté La Reine du chef du Canada et al

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Edmonton (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                             le 28 septembre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :      Monsieur le jugeLemieux

DATE DES MOTIFS :                                     le 21 novembre 2001

COMPARUTIONS :

Mme Janet Hutchison et

Mme Katharine L. Hurlburt                                   POUR LES DEMANDEURS

M. Shaun Mellen                                                  POUR LES DÉFENDEURS SA MAJESTÉ LA REINE, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD

M. Arthur Pape                                                    POUR LES DÉFENDEURS LA PREMIÈRE NATION DOGRIB ET

JOHN B. ZOE

Mme Jill Copeland et                                            POUR LE DÉFENDEUR

Mme Marlys Edwardh                                           JEAN-YVES ASSINIWI

M. Earl Johnson                                                   POUR LES DÉFENDEURS LE GOUVERNEMENT DES TERRITOIRES DU NORD-OUEST ET JEAN UNTEL N ° 3


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Chamberlain Hutchison

Edmonton (Alberta)                                              POUR LES DEMANDEURS

M. George Thomson

Sous-procureur général du Canada                     POUR LES DÉFENDEURS SA MAJESTÉ LA REINE, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD

Pape and Slater

Vancouver (C.-B.)                                               POUR LES DÉFENDEURS LA PREMIÈRE NATION DOGRIB ET JOHN B. ZOE

Ruby and Edwardh

Toronto (Ontario)                                                 POUR LE DÉFENDEUR JEAN-YVES ASSINIWI

M. Earl Johnson

Yellowknife (T. N.-O.)                           POUR LES DÉFENDEURS LE GOUVERNEMENT DES TERRITOIRES DU NORD-OUEST, JAMES LAWRENCE ET JEAN UNTEL N ° 3

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